PARTIE 1 : PARCOURS MIGRATOIRES
B. Le lien politique : le retour symbolique de la double nationalité
Analyser le lien politique dans toute sa complexité nécessite de prendre en compte
une multitude de paramètres. Ce lien dépend de la trajectoire de vie des individus, de leur
éducation, de leur auto-perception et de leur projet de vie. Nous avons pris le parti ici
d‟examiner ce lien politique avec la France et l‟Espagne à travers deux manifestations
civiques : la nationalité et la pratique du vote.
La prise de la nationalité française est peu fréquente parmi les anciens migrants.
Cette démarche n‟a pas d‟utilité en soi. Elle peut être faite afin de s‟aligner sur la
nationalité des enfants. Le choix se pose à la retraite, lorsque la fin de l‟emploi ne justifie
plus le non-retour. Certains choisissent ce retour, d‟autres choisissent une installation
définitive en France. Il faut souligner cependant que dans les deux cas, ce choix est d‟ordre
symbolique et les personnes continuent à effectuer des allers-retours entre l‟Espagne et la
France où ils ont laissés amis et enfants.
« Ma mère est française. Ma mère s'est fait naturaliser française au moment de sa retraite. Avant, je lui ai proposé plusieurs fois, ça n'aurait rien changé pour elle, surtout avec l'Europe maintenant, mais à l'âge de sa retraite, dans les mois qui ont précédé son départ à la retraite, "ben je vais me faire naturaliser". Elle s'est fait naturaliser. C'est une formalité, elle était en France depuis plus de 50 ans et donc elle est française. Il n'y avait pas de raisons administratives, il n y' a pas de raisons financières. Sa retraite c'était sa retraite. »
(C.)
La prise de la nationalité française chez les enfants peut être également tardive. Elle
peut se faire par simple nécessité administrative. L‟interviewé a fait sa demande pour
pouvoir obtenir une bourse nationale et poursuivre ses études secondaires. Ses frères ont
été naturalisés au moment du service militaire.
« C'est sur les conseils d'un ami qui a dit, mais si tu étais français, tu aurais une bourse.[…], pour moi, je vivais en France, j'étais né en France, j'ai fait des études en France. Je jouais au foot en France avec une licence bien française qui avait la même couleur que les autres. Moi, j'étais Français. Ca m'a étonné d'être obligé de faire cette démarche. Mes frères, quant à eux, sont devenus Français, quand ils ont été appelés à Limoges pour faire leurs trois jours, le conseil de Révision. Donc on leur a dit, ils sont arrivés, la première question que l'on leur a posée," est-ce que vous voulez être Français, est-ce que vous voulez faire votre service militaire". Ils ont dit oui. Séance tenante, ils ont été déclarés bons pour le service et français. »
(C.)
Cet extrait nous renseigne sur le poids psychologique que représente la nationalité,
même chez un enfant qui, contre son vécu quotidien, se rend compte avec étonnement qu‟il
n‟est pas français. Elle induit une véritable réflexion sur l‟identité de la personne
concernée.
L‟extension de la double nationalité symbolise une certaine évolution de la
communauté. Elle se constate en particulier chez les personnes nées en France qui veulent
renouer avec une certaine hispanité. Cette démarche ne s‟inscrit pas dans un projet de
retour en Espagne et encore moins dans le désir de devenir espagnol. Il s‟agit de
matérialiser une double appartenance franco-espagnole.
« A titre symbolique plus. Dire bon ben voilà, quoi, c'est peut-être la boucle. Une façon de retourner sans retourner. »
(E.M.)
Les démarches entreprises pour obtenir cette double nationalité sont souvent
l‟occasion pour les intéressés de se renseigner sur l‟histoire familiale. Cette démarche
s‟accompagne d‟un important travail de transmission de la mémoire. Outre la collecte
d‟informations sur l‟origine et le parcours des parents, certains entreprennent de véritables
recherches généalogiques.
L‟une des conséquences de ce sentiment de double appartenance est une conscience
aiguë de l‟identité européenne. Les descendants de migrants expriment une facilité à se
projeter au niveau européen.
« Maintenant, il y a l’Europe, donc tu sais, moi mon rêve, c’est qu’on ait une carte européenne. On peut toujours marquer le pays où t’es né, garder ça quoi. Ça serait sympa que, quand t’as un Lituanien et un Espagnol et un Français, ils aient une carte qui se ressemble. On a bien la monnaie unique, pourquoi pas une pièce d’identité unique, même si les gens ont fait mention de ton trajet, de ton origine, quelque chose comme ça. Ton lieu de résidence, ton lieu de travail, j’en sais rien. »