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Parcours professionnel et sociopolitique des femmes dans les postes de

Chapitre IV : Conscience de genre et parcours sociopolitique des femmes haïtiennes

4.1. Parcours professionnel et sociopolitique des femmes dans les postes de

Tout d’abord, il est à noter que j’entends le parcours sociopolitique des femmes au sens de leur parcours familial, académique, professionnel, social et politique. La prise en compte de ces différents aspects de leurs parcours respectifs me permet de saisir les différentes étapes franchies par les femmes haïtiennes avant de parvenir à accéder à un poste de décision dans le pays. Ainsi, le premier élément qui ressort du parcours sociopolitique des participantes est que ces femmes ont toutes, au moins, une formation de premier cycle universitaire dans des domaines variés tels que l’éducation, la médecine, la gestion, la politique territoriale, l’économie, la sociologie et le droit. De plus, les participantes ont toutes eu une carrière professionnelle assez riche. Elles ont travaillé dans l’administration publique, dans le secteur privé et/ou dans des organisations non gouvernementales. Ces données montrent ainsi que les femmes qui accèdent à des postes de décision dans le pays ont un parcours académique et professionnel typique (études supérieures, carrière professionnelle) qui se démarque de celui de la majorité des femmes haïtiennes. En effet, d’après les données du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA, 2017), à

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peine 6,1% de la population féminine accède aux études supérieures en Haïti. De plus, le manque généralisé d’accès à l’emploi pour les femmes est l’un des éléments donnant lieu à une féminisation de la pauvreté dans le pays. En plus de recevoir un salaire inférieur à ceux des hommes, les femmes haïtiennes se retrouvent en plus grand nombre dans le secteur informel (55.9%), c’est-à-dire sans sécurité d’emploi, tandis qu’elles ne représentent que 30% du secteur formel (UNFPA, 2017).

Par ailleurs, les répondantes se démarquent aussi par leur implication sociale. Avant même leur saut en politique, elles ont toutes fait partie d’au moins une structure associative ou organisme communautaire. De plus, en retraçant leur parcours, certaines répondantes ont pris le temps de souligner qu’elles étaient membres d’organisations féministes bien avant d’intégrer la politique, traduisant ainsi une certaine conscience de genre les ayant prédisposées à l’action politique. C’est le cas de Valérie, ancienne ministre à la Condition féminine et aux Droits des Femmes, qui a été membre d’une organisation féministe dans le pays avant de se lancer en politique :

Mais justement, j’ai toujours milité pour les droits de la femme. J’ai été membre d’une organisation féministe […]. Je dois dire aussi que je prononçais des conférences sur les droits des femmes. J’ai écrit beaucoup d’articles sur les droits de la femme. Et c’est ce qui m’a conduit justement à travailler avec les femmes. Et je dois dire que je suis membre fondatrice d’une organisation. Ce n’est pas une organisation de femmes, mais une organisation qui a un programme de promotion des droits des femmes.

Un tel engagement en faveur des droits des femmes traduit ainsi la volonté de cette répondante de défendre son groupe d’appartenance socialement désavantagé (Tremblay, 1996). C’est également le cas d’une autre répondante, Marie Anne, qui était déjà membre d’une organisation féministe luttant pour l’intégration des femmes dans la sphère politique, bien avant d’entamer ses études de premier cycle universitaire. Son implication au sein de cette organisation a, selon elle, grandement contribué à sa décision de s’impliquer en politique par la suite.

En revanche, cette situation ne se présente pas de la même manière pour toutes les participantes, car certaines d’entre elles n’ont jamais été membres d’une organisation féministe. C’est le cas de Vanessa et d’Antoinette, respectivement ancienne ministre à la

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Condition féminine et ancienne sénatrice, qui ont clairement affirmé n’avoir « jamais participé ou fait partie d’organisation féministe ». Pourtant, cela ne les a pas empêchées de collaborer de loin ou de près avec des organisations féministes. En effet, Antoinette précise qu’elle a pu « à maintes occasions travailler avec des femmes politiques. Et j’ai travaillé avec des organisations de femmes ». Quant à Vanessa, bien qu’elle n’ait jamais été membre d’une organisation féministe, son parcours professionnel lui a également permis de travailler en étroite collaboration avec certaines organisations : « j’ai plutôt été formatrice pour des groupes féministes. […] j’avais des expertises que je partageais d’ailleurs dans le cadre de mon travail avec ces institutions ». Ces propos laissent entendre que le fait de n’avoir jamais été membre d’une organisation féministe ne signifie pas pour autant que ces femmes n’ont pas une conscience de genre, point sur lequel je vais revenir un peu plus loin. Les propos de certaines participantes m’ont permis de réaliser que leur parcours politique a commencé à des périodes de bouleversements sociopolitiques en Haïti. Notamment, la dictature des Duvalier a été un point tournant dans la vie et l’implication en politique de quelques-unes d’entre elles. C’est le cas de Marla, ancienne ministre au MCFDF, qui retrace les débuts de son intégration en politique à l’époque de la première arrestation de son père, un homme politique haïtien, par les Tontons macoutes. Ainsi, elle relate ses premières expériences militantes en compagnie d’autres jeunes femmes :

On était très actives. On mettait des tracts pour dire qu’on n’était pas d’accord avec le gouvernement. On était devenues des activistes politiques. On allait dans les villes de province dire qu’on n’était pas d’accord avec le gouvernement. C’est comme ça que ma vie publique, que ma vie politique a commencé.

Le début des trajectoires politiques d’Antoinette et de Vanessa est également lié à la dictature des Duvalier. « J’ai commencé à militer au sein d’une institution de ma ville natale. J’ai milité avec le groupe des jeunes pour combattre la dictature, très jeune hein ! J’ai commencé à 18 ans à combattre la dictature, combattre la corruption », me raconte Antoinette. Le récit de Vanessa associe quant à lui la politique du pays et le militantisme étudiant :

[…] cela ne m’intéressait pas trop. Surtout avec le gouvernement de Jean Claude Duvalier, on parlait souvent de dictature et autres et c’étaient des mots qu’il ne fallait pas prononcer. Souvent j’ai vu des gens faire des descentes à la maison. Donc j’avais décidé de ne pas

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m’y mêler. Entre temps, je suis devenue adulte. J’ai compris que j’avais le virus dans le sang. Mon parcours a commencé avec la fédération des étudiants. Je faisais partie de la fédération des étudiants. Il y avait toute une mouvance des politiques des jeunes. Il fallait changer les choses.

Il est important de rappeler que le début du mouvement féministe haïtien se situe entre la fin de l’occupation américaine en 1934 et le début de l’ère duvaliériste en 1957 (Mahotière, 2008). Aussi, durant toute l’époque de dictature des Duvalier, les activistes féministes, bien qu’elles étaient les victimes de ce système politique, ont été présentes et ont toujours tenté de faire entendre leur position face au régime en place ainsi qu’à la situation désastreuse des femmes dans le pays. Cependant, les participantes qui ont identifié l’époque de la dictature comme étant le point de départ de leur implication en politique n’ont pas forcément mentionné la cause des femmes haïtiennes. En abordant avec elles les différentes raisons les ayant poussées à entrer en politique, j’ai pu distinguer que derrière leur motivation première qui était de renverser le système dictatorial, se trouvait une volonté plus globale de changer la situation dans laquelle vivait la population haïtienne et non simplement de défendre les intérêts des femmes.

Par exemple, Antoinette a affirmé ceci : « moi-même ce que je voulais c’est m’impliquer pour que l’État soit au service de la population ». D’autres participantes ont également imputé leur implication en politique à la volonté d’aider les gens, de combattre la corruption, ou encore, d’apporter un changement dans le système politique du pays d’une façon ou d’une autre. C’est le cas de Vanessa qui voulait moderniser l’administration publique afin qu’il y ait des lois adaptées aux différentes réalités de chaque mairie : « Je me suis retrouvée même à travailler avec d’autres collègues sur la révision de la structure du ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales ». De son côté, Mariette, ancienne sénatrice du pays, voulait « aller au sénat et contribuer à changer ce système ». Le changement de système auquel elle fait référence est la lutte contre la corruption qui bat son plein dans la sphère politique et qui contribue au manque de gens qualifiés dans l’administration publique du pays. Il en va de même pour Marie Anne qui voyait l’implication en politique active comme le meilleur moyen de changer les choses :

Il y a des choses qui se passent et au Parlement et à travers le pays avec quoi on n’est pas d’accord […]. Je m’étais dit, avec les autres

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collègues, si on veut influencer la politique du pays, si on veut changer la donne, si on veut contribuer à la justice sociale du pays, c’est au Parlement qu’on pourra influencer le courant des choses.

Ainsi pour Marie Anne, changer les choses rime avec le fait de lutter à l’intérieur même du système pour plus de justice sociale. Se faire élire et siéger au Parlement représente donc le premier pas à franchir pour y parvenir.