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Analyse compréhensive de la faible représentation des femmes dans des postes de décision politique en Haïti

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Academic year: 2021

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© Rode-Sindia Dieujuste, 2020

Analyse compréhensive de la faible représentation des

femmes dans des postes de décision politique en Haïti

Mémoire

Rode-Sindia Dieujuste

Maîtrise en sociologie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Analyse compréhensive de la faible représentation des femmes dans des postes de décision politique en Haïti

Mémoire

Rode-Sindia DIEUJUSTE

Sous la direction de :

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iii

Résumé

Cette recherche s’intéresse à la faible représentation des femmes dans la politique haïtienne. Plus précisément, elle cherche à comprendre cette sous-représentation à partir des expériences vécues et des points de vue des femmes ayant accédé à des postes de décision politique dans le pays. À partir d’un cadre théorique mobilisant les concepts de « conscience de genre » et de « représentation politique des femmes » développés par Manon Tremblay (1996), le mémoire propose une analyse compréhensive de ce phénomène social. Une série d’entrevues semi-dirigées a été réalisée auprès de deux sénatrices et cinq anciennes ministres à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes. Les résultats de l’analyse montrent que la socialisation sexo-différentielle, les stéréotypes et les violences de genre sont des éléments pouvant expliquer la faible représentation des femmes haïtiennes dans les postes de décision politique. De plus, l’analyse fait ressortir le lien entre la conscience de genre des élues et la représentation politique des femmes en Haïti. L’analyse révèle que les répondantes ont une conscience de genre et sont notamment conscientes des inégalités de genre qui existent dans la société haïtienne en général et au sein de la classe politique en particulier. En revanche, plusieurs élues ne se considèrent pas comme féministes et disent avoir représenté la population dans son ensemble (hommes et femmes) et non pas les intérêts spécifiques des femmes. À l’inverse, l’analyse montre que certaines élues ont non seulement une conscience de genre, mais qu’elles ont porté les revendications des femmes haïtiennes dans l’arène politique. Pendant qu’elles étaient au pouvoir, les actions qu’elles ont pu poser se sont attaquées aux causes de la faible représentation des femmes en politique et aux obstacles dont elles avaient elles-mêmes fait l’expérience.

Mots-clés : Conscience de genre ; Femmes ; Féminisme ; Haïti ; Politique ; Représentation

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Abstract

This research focuses on the under-representation of women in Haitian politics. More specifically, it seeks to understand this under-representation from the lived experiences and perspectives of women who have reached political decision-making positions in the country. Using a theoretical framework that mobilizes the concepts of “gender consciousness” and “women political representation” developed by Manon Tremblay (1996), the thesis offers a comprehensive analysis of this social phenomenon. A series of semi-structured interviews was carried out with seven Haitian elected officials, including two senators and five former ministers for the Status of Women and Women's Rights. The results of the analysis show that gender-differential socialization, gender stereotypes and gender-based violence can explain the low representation of Haitian women in political decision-making positions. In addition, the analysis highlights the link between the gender consciousness of elected officials and the political representation of women in Haiti. The analysis reveals that the respondents have a gender consciousness and are aware of the gender inequalities that exist in the Haitian society in general and within the political class in particular. On the other hand, several elected officials do not consider themselves as feminists and say that they have represented the population as a whole (men and women) and not the specific interests of women. Conversely, analysis shows that some elected officials are not only gender conscious, but that they have brought the demands of Haitian women into the political arena. While in power, the actions they took addressed the causes of the under-representation of women in politics and the obstacles they had experienced themselves.

Keywords: Gender Consciousness; Women; Feminism; Haiti; Politics; Political Representation.

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v

Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... iv

Liste des abréviations ... vii

Liste des tableaux ... viii

Liste des annexes ... ix

Remerciements ... xi

Introduction ... 1

Chapitre I : Les femmes et le milieu politique haïtien ... 4

1.1. Mise en contexte ... 4

1.1.1. Historique du mouvement féministe haïtien en lien avec la situation politique d’Haïti ... 4

1.1.2. Victoires et défis du mouvement féministe ... 8

1.2. Problématique ... 9

1.3. Recension des écrits ... 12

1.3.1. Obstacles liés au contexte sociopolitique et à la culture ... 12

1.3.2. Obstacles systémiques et structurels à la participation politique des femmes ……….17

1.3.3. Objectifs de recherche ... 23

Chapitre II : Cadre théorico-conceptuel ... 24

2.1. Genre et politique ... 24

2.2. Conscience de genre et représentation politique des femmes ... 25

Chapitre III : Méthodologie ... 27

3.1. Participantes ... 28

3.2. Entretiens ... 29

3.3. Expérience de terrain ... 31

Chapitre IV : Conscience de genre et parcours sociopolitique des femmes haïtiennes ... 32

4.1. Parcours professionnel et sociopolitique des femmes dans les postes de décision politique ... 32

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4.3. Négociation entre conscience de genre et féminisme ... 40

Chapitre V : La faible représentation des femmes dans les postes de décision politique en Haïti du point de vue des répondantes ... 48

5.1. Socialisation sexo-différentielle, stéréotypes et violence de genre ... 48

5.2. Représentation et réalisations des femmes dans les postes de décision politique ... 59

Conclusion ... 67

Bibliographie ... 70

Annexe I : Grille d’entretien ... 76

Annexe II : Formulaire de consentement ... 77

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vii

Liste des abréviations

CEDAW Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes

CEP Conseil Électoral Provisoire

CSF Conseil du Statut de la Femme

EMMUS Enquête Mortalité, Morbidité et Utilisation des Services

IDEA Institut International pour la Démocratie et l’Assistance Électorale

MCFDF Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes

ONU Femmes Entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes

OXFAM Oxford Committee for Relief Famine

SOFA Solidarite Fanm Ayisyèn

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Liste des tableaux

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Liste des annexes

Annexe I : Grille d’entretien………...76 Annexe II : Formulaire de consentement………77 Annexe III : Lettre de sollicitation………..80

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x

Pour Haïti, ma terre, ma patrie, qui a, aujourd’hui, tant soif de cette même conscience révolutionnaire qui nous a menés à l’indépendance.

Pour toutes les femmes haïtiennes dont le courage et la persévérance dans la lutte pour une société égalitaire ne cessent d’apporter du réconfort dans le cœur des femmes de notre pays.

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Remerciements

Je voudrais avant tout remercier ma directrice de mémoire, Élisabeth Mercier pour son professionnalisme, sa disponibilité et ses commentaires qui m’ont grandement aidé à préciser mes réflexions tout au long de ce travail de recherche.

Mes sincères remerciements vont, de façon spéciale, à Jerry C. Févrin pour son accompagnement, ses conseils et sa disponibilité tout au long de mon parcours. Un grand merci à toi!

Mes remerciements sont adressés aux membres de ma famille et aussi à John Picard Byron, Yves Dorestal, Julien Sainvil et à Achille Kwamegni Kepnou pour leur aide précieuse, leur support et leur encouragement.

Enfin, un merci spécial à ma collègue, Katia Jean Louis dont la motivation et le courage a su m’inspirer pour la réalisation de ce travail. Mes remerciements les plus sincères !

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Introduction

En dépit des efforts consentis par les féministes haïtiennes depuis plusieurs décennies pour le respect des droits des femmes en Haïti, force est de constater qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire pour parvenir à l’égalité entre les hommes et les femmes. La création en 1934 de la Ligue féminine d’Action Sociale permet de situer le début du mouvement féministe haïtien (Mahotière, 2008). Au fil des ans, et surtout à partir de 1986, plusieurs organisations féministes ont vu le jour (Lubin, 2016). Ces organisations ont lutté respectivement contre la violence sexuelle basée sur le genre, pour le droit à l’avortement, pour l’accès des filles et des femmes à l’éducation ainsi que pour la participation des femmes en politique. Sur ce dernier enjeu, les organisations féministes ont notamment obtenu la mise en place de mesures telles que les quotas pour assurer une meilleure représentation des femmes dans des postes de décision politique au pays.

Ainsi, les féministes haïtiennes ont toujours eu à cœur les questions de représentation et de participation des femmes en politique. Des organisations telles que Fanm Yo La1, Femme en Démocratie ou Solidarite Fanm Ayisèn (SOFA)2, ont mis l’accent très tôt sur ces questions et posé des actions pour parvenir à des résultats concrets. Elles ont su, à travers des plaidoyers, des manifestations de rue, des conférences, et autres, faire entendre leur voix sur la question des femmes en politique. Suite à l’obtention du droit de vote des femmes en 1950, les féministes haïtiennes se sont intéressées plus spécifiquement à l’implication des femmes dans la politique partisane (Mahotière, 2008).

Les luttes menées par les féministes haïtiennes en faveur de l’égalité ont notamment contribué à ce qu’Haïti fasse désormais partie des pays du monde ayant adhéré à la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (MCFDF, 2014). Cependant, adhérer à une convention et parvenir à son application dans les faits sont deux réalités différentes. La persistance de la sous-représentation des femmes haïtiennes dans des postes de décision politique témoigne du

1 Les femmes sont là [Ma traduction].

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fossé existant entre l’engagement de principe contre toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la prépondérance, voire la domination, masculine dans la sphère politique du pays. Dans les faits, au moment de la 50e législature d’Haïti en 2017, on ne retrouvait que quatre femmes, soit une sénatrice et trois députées (Haïti Libre, 2019), parmi plus d’une cinquantaine de parlementaires. Cette triste réalité vient aussi contredire le principe de quota exigeant 30% de femmes à tous les postes de décision de la vie nationale (Le Moniteur, 2012), inséré en 2012 dans l’amendement de la constitution haïtienne de 1987.

C’est donc cette persistance de la faible représentation des femmes dans la sphère politique en Haïti, en dépit des luttes féministes et des mesures officielles mises en place pour remédier à la situation, qui m’a d’abord interpelée : comment comprendre la situation actuelle des femmes haïtiennes en politique ? Comment expliquer ces inégalités marquées qui perdurent entre les hommes et les femmes dans les sphères de pouvoir du pays ? Ces questionnements m’ont poussé à m’intéresser, dans le cadre de cette recherche, au problème de la faible représentation politique des femmes haïtiennes. Plus précisément, mon mémoire cherche à offrir une analyse compréhensive de la faible représentation des

femmes dans des postes de décision politique en Haïti. En effet, je souhaite comprendre

cette faible représentation à partir du point de vue des principales concernées, à savoir les femmes ayant occupé des postes de décision politique en Haïti. De façon plus spécifique, je veux voir, d’une part, si les femmes qui ont eu accès à des postes de décision politique dans le pays ont une « conscience de genre » (Tremblay, 1996). C’est-à-dire que je veux saisir à quel point ces élues sentent que le genre constitue un obstacle à l’accession des femmes aux postes de décision politique. D’autre part, je veux comprendre dans quelle mesure les femmes haïtiennes qui ont eu accès à des postes de décision politique se sentent représenter les femmes et porter leurs luttes dans l’arène politique.

Mon mémoire est divisé en cinq grands chapitres. Le premier chapitre propose d’abord une mise en contexte qui fait le lien entre l’histoire du féminisme haïtien et le système politique d’Haïti. J’y présente ensuite ma problématique de recherche, la revue de la littérature et les objectifs qui sous-tendent la recherche. Le deuxième chapitre présente le cadre théorique et conceptuel du mémoire, tandis que le troisième chapitre présente son cadre

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méthodologique. Les concepts de « représentation politique des femmes » et de « conscience de genre » (Tremblay, 1996) sont au cœur de l’appareillage conceptuel de ce mémoire, tandis que l’entretien individuel avec des femmes haïtiennes ayant eu accès à des postes de décision politique est la technique qui a été privilégiée pour la collecte des données.

Les quatrième et cinquième chapitres présentent l’analyse des données recueillies lors des entretiens avec les participantes. Ces deux chapitres abordent respectivement le parcours sociopolitique des répondantes et leur point de vue quant à la sous-représentation des femmes en politique. Mon analyse identifie notamment la socialisation sexo-différentielle, les stéréotypes et les violences de genre comme les principaux éléments expliquant la faible représentation des femmes haïtiennes dans les postes de décision politique. De plus, elle fait ressortir le lien entre la conscience de genre des répondantes et la représentation politique des femmes en Haïti. En terminant, la conclusion fait un retour global sur les points saillants de ce mémoire, en plus d’identifier un certain nombre de limites et d’ouvrir vers de futures pistes de recherche autour du lien entre le féminisme et les femmes en politique.

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Chapitre I : Les femmes et le milieu politique haïtien

1.1. Mise en contexte

La question de la faible représentation des femmes dans des postes de décision politique n’est pas nouvelle ni exclusive à Haïti. Ce phénomène existe dans la plupart des pays du monde. Selon une étude menée en 2017 par ONU Femmes et l’Union Interparlementaire, le nombre de femmes siégeant dans des postes exécutifs et dans les parlements n’évolue presque pas à l’échelle mondiale. En effet, cette étude souligne le fait que les progrès en matière d’égalité des sexes ont tendance à stagner au niveau des pouvoirs exécutifs et législatifs (ONU, 2017). Cependant, le problème de la sous-représentation des femmes en politique présente des caractéristiques différentes selon les contextes sociopolitiques. Ainsi, puisque mon travail de recherche cherche plus spécifiquement à comprendre la faible proportion de femmes élues en Haïti, je ferai d’abord une brève mise en contexte afin de présenter les spécificités de la société haïtienne et de son système politique. Cette mise en contexte est divisée en deux sections. Dans la première, je présente l’historique du mouvement féministe haïtien et j’expose ses liens avec l’évolution du système politique haïtien au fil des années. Dans la deuxième section, je reviens sur quelques-unes des victoires du mouvement féministe haïtien tout en soulignant les défis qui demeurent présents sur le plan politique. Cette mise en contexte me semble incontournable au regard de la démarche compréhensive qui sous-tend la présente recherche. En effet, pour parvenir à comprendre les enjeux de la représentation des femmes haïtiennes en politique, il est nécessaire d’éclairer le mode de fonctionnement particulier du système politique haïtien.

1.1.1. Historique du mouvement féministe haïtien en lien avec la situation politique d’Haïti

L’histoire du mouvement féministe haïtien est intrinsèquement liée à l’histoire politique du pays. Ce dernier a un passé politique complexe et très mouvementé, marqué par une succession de coups d’État et de gouvernements de transition. La création de l’État haïtien a été marquée par une période d’instabilité avec l’assassinat de l’Empereur Jacques 1er3 en

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1806, soit deux ans après la proclamation de l’indépendance du pays en 1804 (Bolivard, 2016). Cet épisode dramatique de l’histoire de la construction de la nation haïtienne n’a malheureusement pas été le dernier. Au fil des années, le peuple haïtien a connu, d’une part, une période d’occupation par une puissance étrangère, les États-Unis, de 1915 à 1934 (Watson, 2018). D’autre part, Haïti a connu une longue période de dictature s’étalant sur trente ans (IDEA, 2018), de 1957 à 1986, en plus des différents coups d’État et gouvernements de transition (Jean-Baptiste, 2011). Aujourd’hui encore, la situation politique n’a guère évolué. Les derniers mois de l’année 2019 ont été marqués par les nombreuses dénonciations de la corruption du pouvoir en place et les violentes manifestations dans les rues de Port-au-Prince, où des citoyens et citoyennes ont réclamé le départ du président Jovenel Moïse. Cette situation a conduit au blocage complet du pays, un phénomène appelé « pays lock », paralysant durant près de trois mois toutes les activités du pays (Alphonse, 2019).

Or, l’histoire du mouvement féministe haïtien n’est pas étrangère à cette instabilité chronique en Haïti. En effet, le début du mouvement se situe entre la fin de l’occupation américaine, en 1934 avec la création de la Ligue Féminine d’Action Sociale, et le début de l’ère duvaliériste en 1957, soit quelque temps après l’obtention du droit de vote des femmes haïtiennes (Mahotière, 2008). Ainsi, ces périodes d’instabilité politique ont été l’occasion pour les féministes du pays de contester la domination masculine, mais aussi de féminiser la démocratie (Côté, 2016). À cet égard, dans son texte portant sur l’histoire des luttes féministes en Haïti, David Célestin (2018) identifie trois générations de luttes ou trois grands moments du mouvement féministe haïtien. Le premier moment fait référence à la création de la Ligue Féminine d’Action Sociale par Madeleine Sylvain-Bouchereau en 1934. Cette Ligue est l’une des premières organisations féministes en Haïti. De plus, sa création a été déterminante pour le mouvement féministe du pays puisqu’elle a éventuellement contribué aux premières grandes victoires sociopolitiques des femmes haïtiennes : l’obtention du droit de vote et l’accession des femmes aux études universitaires (Mahotière, 2008).

Denyse Côté (2016 : 156) mentionne dans son article sur les Luttes féministes en Haïti que « pendant plus de 25 ans, ces militantes réclameront des libertés démocratiques, dont

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l’émancipation des femmes. Pour ce faire, elles […] n’hésiteront pas à gagner les rues et à défier les matraques policières. Elles feront tant et si bien qu’elles obtiendront, en 1950, le droit de vote pour les femmes ». Cependant, les femmes n’ont pu exercer ce droit que quelques années plus tard soit en 1957, ironiquement, lors des élections qui ont porté au pouvoir le dictateur François Duvalier à la présidence d’Haïti. Durant les trente années de dictature des Duvalier, des femmes ont été nommées à des postes de haute fonction dans le pays. On peut citer, par exemple, Mme Max Adolphe, Rosalie Bosquet de son nom de jeune fille, qui a été à la tête de l’État-Major de l’armée du pays. Elle a aussi été la directrice pendant près de 22 ans de Fort Dimanche, communément appelé Fò lanmò4, une prison où l’on torturait et tuait les opposants au régime (Étienne, 2007). Elle a elle-même commis des actes de tortures et des meurtres au nom du régime dictatorial des Duvalier (Le National, 2018). D’autre part, à Jérémie, au Sud-Ouest du pays, une autre femme, Sanette Balmir, a aussi joué le rôle de commandante en chef de l’armée. Il faut dire que, selon Sauveur Pierre Étienne (2007), ces rôles ont été attribués à des femmes précisément dans le but de choquer la population haïtienne qui est globalement machiste. En effet, dans la société haïtienne, les femmes sont comprises comme étant « naturellement » des êtres faibles et incapables de violence.

Par ailleurs, durant cette première période de la dictature, les militantes féministes de la Ligue Féminine d’Action Sociale ont été durement réprimées. Des menaces leur ont été proférées et elles ont subi des violences politiques, psychologiques et physiques. Plusieurs militantes sont disparues ou ont été arrêtées et torturées, « réduisant ainsi la Ligue au silence » (Côté, 2016 : 156). De fait, les féministes ont fait partie des premières victimes du régime de dictature des Duvalier et ses Tontons macoutes5 (Hermogène, 2019). Un rapport publié par Oxfam en 2008 a d’ailleurs rappelé que les féministes ont subi une intense répression politique du fait de leur opposition active à la dictature :

Durant la dictature de Duvalier (1957-1971), Lilianne Pierre-Paul, journaliste et activiste politique, lança un programme radiophonique d’appels où les femmes étaient encouragées à faire entendre leurs opinions politiques et sociales. Elle fut arrêtée et torturée. Une fois

4 Fort de la mort [Ma traduction].

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relâchée, elle a quitté le pays et a passé plusieurs années en exil (Oxfam, 2008 : 3).

Ce même rapport rappelle également la violence subie par « deux femmes activistes politiques importantes, Carline Simon et Judie C. Roy […], qui furent arrêtées et agressées par la police haïtienne, prétendument pour le compte du parti au pouvoir » (Oxfam, 2008 : 3).

Le deuxième moment identifié par David Célestin est celui de l’apparition de différentes organisations féministes dans le pays au courant des années 1980 : « la première moitié de 1987 marque une deuxième génération de luttes de femmes en Haïti. Des associations telles

Kay fanm, SOFA et Enfo-femme, ont été de grandes actrices de cette génération » (Célestin,

2018 : 6). À cette époque, les femmes se sont donc regroupées en plusieurs organisations et ont pu mieux faire entendre leurs revendications dans les domaines politiques, économiques et socioculturels du pays (Mahotière, 2008). Toutefois, l’instabilité politique générée par le coup d’État en 1991 contre le président Jean Bertrand Aristide a fait fuir plusieurs féministes de cette deuxième génération : « La plupart des militantes féministes prirent alors le chemin du marronnage et les abus aux droits humains, en particulier le viol comme méthode de répression, augmentèrent de façon dramatique » (Côté, 2016 : 157). En revanche, certaines féministes sont restées dans le pays à cette époque et elles ont continué la lutte sous le régime militaire au « risque souvent de leur propre vie » (Côté, 2016 : 157). C’est notamment grâce à elles qu’en 1994, après le retour au pouvoir de Jean Bertrand Aristide, le ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes (MCFDF) fut créé (Mahotière, 2008).

La troisième génération de luttes est « celle de l’an 2000, […] marquée par des dénonciations de violences faites à l’égard des femmes. Fanm Yo La et Femme en Démocratie sont des associations importantes de cette génération » (Célestin, 2018 : 6). Kedma Louis (2015) souligne également l’apport de cette nouvelle génération de féministes sur le plan politique : « Comme héritières de cette première génération de féministes, les féministes actuelles ont un rôle essentiel à jouer dans la promotion de la participation réelle des femmes en politique » (Merlet citée dans Louis, 2015 : 18). Chantal Mahotière (2008) signale quant à elle l’important travail qu’a réalisé Fanm Yo La, une

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organisation féministe luttant pour la participation politique des femmes haïtiennes. En 2002, après la dictature des Duvalier père et fils et alors que les partis politiques avaient recommencé à fonctionner, Fanm Yo La a mené un solide travail d’enquête afin de connaitre le nombre de femmes membres de ces partis. Les résultats de l’enquête témoignaient de la faible proportion de femmes militant au sein des partis : « le membership féminin est estimé entre 10 à 40% selon le parti […]. Un seul parti, le KONAKOM (Congrès National des Forces Démocratiques), membre de l’internationale socialiste, a un objectif stratégique de parité entre les hommes et les femmes » (dans Mahotière, 2008 : 23). Plus encore, l’enquête de Fanm Yo La montrait que : « Au niveau des instances de décision, les femmes sont encore plus minoritaires (0 à 33%), […] on ne retrouve presque aucune femme au plus haut échelon des partis politiques haïtiens » (dans Mahotière, 2008 : 24).

En somme, l’histoire du mouvement féministe haïtien doit se comprendre au regard de l’instabilité politique d’Haïti, marquée par les coups d’État et les années de dictature. Bien que les femmes et les féministes aient toujours été les premières victimes de cette instabilité, plusieurs d’entre elles résistent et luttent, aujourd’hui encore, pour l’égalité des sexes et pour une meilleure représentation des femmes haïtiennes dans des postes de décision politique.

1.1.2. Victoires et défis du mouvement féministe

Il est important de souligner que les combats menés par les organisations féministes dans le pays au fil des années ont abouti à des résultats positifs et déterminants dans l’avancement de la cause des femmes haïtiennes. En plus de l’obtention du droit de vote en 1950 et de la création du MCFDF en 1994, l’amendement en 2012 de la constitution haïtienne datant de 1987 a représenté une avancée considérable pour la lutte féministe et la représentation politique des femmes en Haïti. Cet amendement constitutionnel en son article 17-1 a reconnu un principe de quota de 30% de femmes à tous les postes de décision de la vie nationale, notamment dans les services publics (Le Moniteur, 2012). De plus, sur le plan de la représentation politique, Haïti est le premier pays francophone à avoir élu une femme présidente, Ertha Pascal-Trouillot, qui a été au pouvoir de 1990 à 1991 (IDEA,

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2014 : 117). Haïti compte également deux femmes ayant accédé au poste de cheffe de gouvernement, soit Claudette Werleigh (1995-1996) et Michèle Duvivier Pierre-Louis, (2008-2009) (IDEA, 2014 : 117).

Malgré les avancées, la route menant à la féminisation de la démocratie dans le pays est longue et semée d’embûches. En ce sens, il reste encore bien des luttes à mener, d’autant plus que : « La législation du pays a ignoré les Haïtiennes depuis la formation de l’État » (Bonfim, 2004). Ainsi, le mouvement féministe haïtien s’emploie à montrer que des problèmes tels que ceux des violences à l’égard des femmes, de la sous-scolarisation des filles, de la pénalisation de l’avortement et de la faible participation des femmes en politique doivent être réglés afin de remédier à la discrimination et aux inégalités systémiques dont sont victimes les Haïtiennes. Conscientes de l’importance d’une meilleure représentation des femmes au Parlement et au gouvernement dans les luttes pour atteindre l’égalité des sexes dans le pays, des organisations féministes, dont Fanm Yo La, revendiquent une intégration et une représentation substantielles des femmes dans la sphère politique et, plus précisément, dans les postes de décision. Cette revendication spécifique du mouvement féministe en Haïti constitue un défi de taille, tant pour les féministes haïtiennes que pour les autres organisations des droits humains dans la société.

En somme, malgré les revendications, les combats et les victoires féministes en faveur d’une plus grande participation des femmes haïtiennes à la vie politique, leur représentation demeure faible dans les postes de pouvoir (Emmanuel, 2018). Encore une fois, c’est ce constat qui est à la base du présent mémoire.

1.2. Problématique

Les femmes représentent plus de la moitié de la population haïtienne et elles jouent un rôle central dans la société. En effet, leur contribution à l’économie nationale s’évalue à 70% (Oxfam, 2008) et leur participation à la prise de décision au sein du ménage est passée de 53 % en 2006 à 69 % en 2017, d’après l’Enquête sur la Mortalité, Morbidité et Utilisation des Services (EMMUS-VI) produite en 2016-2017. Cependant, au niveau politique, la représentation des femmes dans des postes de décision reste un enjeu de taille. Si l’amendement de la constitution haïtienne reconnaissant le principe de quota de 30% de

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femmes à tous les postes de décision de la vie nationale représente une avancée notable, cela est loin d’être suffisant pour parvenir à la parité et à l’égalité entre les hommes et les femmes au sein des instances gouvernementales et parlementaires. De ce fait, les organisations féministes dans le pays ont vite compris que la lutte pour la participation des femmes en politique doit continuer dans l’objectif de faire appliquer le principe de quota de 30% de femmes, voire plus.

Ainsi, des efforts ont été consentis, que ce soit par les organisations féministes locales ou des instances nationales et internationales, pour corriger cette situation inégalitaire. Comme l’a si bien indiqué Myriam Merlet : « les féministes haïtiennes d’aujourd’hui accordent une place importante à la mobilisation pour la participation politique des femmes. Elles multiplient campagnes de sensibilisation, formations et plaidoyers en vue de permettre aux femmes d’accéder aux postes de décision » (dans Maillé, 2003 : 209). En guise d’exemple, les premières assises nationales des mairesses d’Haïti ont été organisées par l’Institut International pour la Démocratie et l’Assistance Électorale (IDEA) en novembre 2016, afin de promouvoir la participation politique des femmes dans le pays. De plus, le 16 mars 2018, une vingtaine d’organisations féministes « dont Fanm Yo La […], ont soumis un document à la commission présidée par le député de Pétion-ville, Jerry Tardieu, dans lequel plusieurs propositions ont été formulées en vue d’une meilleure prise en considération des préoccupations des femmes » (Alter Press, 2018).

Malgré ces efforts, la lutte pour l’égalité politique entre les hommes et les femmes rencontre des obstacles majeurs. Le rapport d’enquête dirigé par Julien Sainvil (2016) sur les élections législatives de 2015 a repris des données publiées sur le site du Conseil Électoral Provisoire selon lesquelles un total de 232 candidates et candidats ont pris part aux électorales sénatoriale de 2015 (SOFA, 2016 : 32). Or, sur ce nombre de candidatures, on retrouvait « 23 femmes candidates et 209 hommes candidats. Les hommes ont représenté 90,08% des candidats éligibles, alors que les femmes ont représenté 9,91% »6 (SOFA, 2016 : 32). Aussi, selon un rapport préliminaire publié par l’Union Européenne sur les scrutins de novembre 2016 en Haïti : « les élections des sénateurs et députés du 20

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novembre 2016 ont permis l’élection d’une sénatrice et de trois députées, dont le poids respectif, au sein des chambres reste limité à 3,33% et 2,52% ». De plus, ce même rapport relate que « le parlement ne comprend que 2,68% d’élues » (Union Européenne, 2016 : 28).

Face à ces constats, la question de départ qui anime le présent mémoire est la suivante : comment peut-on comprendre la faible représentation des femmes haïtiennes dans des postes de décision politique en Haïti malgré les différentes luttes menées par les féministes ? Pour parvenir à mieux comprendre cette faible représentation, j’avance qu’il importe d’aller au-delà des chiffres et d’interroger les femmes ayant été nommées à de tels postes. En effet, leurs expériences, témoignages et points de vue donnent la possibilité de bien saisir les différents obstacles que rencontrent les femmes souhaitant non seulement se lancer en politique, mais également accéder à des postes décisionnels. Si la littérature et les statistiques disponibles montrent que ces obstacles ont à voir avec le genre, ils ne permettent pas forcément de les saisir dans toute leur complexité. Par exemple, de saisir les différentes manières par lesquelles le climat machiste de la société haïtienne peut se manifester, parfois de façon très subtile ou intériorisée.

La démarche compréhensive me semble ainsi la plus pertinente pour explorer le phénomène de la faible représentation des femmes dans des postes de décision politique en Haïti. De façon plus spécifique, je souhaite voir à quel point et de quelles manières ces femmes comprennent ce phénomène de sous-représentation comme étant un problème lié au genre. Cela m’amène donc à formuler les deux questions de recherche suivantes : Comment les femmes haïtiennes qui ont eu accès à des postes de décision politique expliquent-elles la faible représentation des femmes en politique ? En quoi leurs explications témoignent-elles d’une « conscience de genre » ?

Pour appuyer ma proposition, dans les lignes qui suivent, je présenterai quelques recherches, articles et autres publications qui ont abordé de façon pertinente les problèmes liés à la représentation et la participation des femmes en politique. Ensuite, je présenterai plus en détail les objectifs à atteindre pour la réalisation de ce travail.

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1.3. Recension des écrits

Afin de mieux cadrer mon travail et de bien situer mon sujet de recherche, j’ai procédé à une revue de la littérature portant sur la faible représentation des femmes dans des postes de décision politique en Haïti et ailleurs. En effet, dans les recherches existantes, divers éléments de réponse ont été apportés pour expliquer les problèmes liés à la représentation et à la participation des femmes en politique. Cependant, il y a relativement peu de travaux scientifiques qui ont été réalisés sur l’enjeu spécifique de la faible représentation des femmes dans les postes de décision politique en Haïti, ce qui rend la présente recherche d’autant plus pertinente. J’ai tout de même pu cibler quelques documents (travaux de recherche, articles scientifiques, mémoires et thèses, rapports d’organisations et d’institutions publiques) traitant des obstacles à une meilleure participation des femmes en politique et se rapportant plus ou moins directement au sujet de ce mémoire. J’ai regroupé ces documents en deux parties : d’une part, les écrits portant sur les obstacles liés au contexte sociopolitique et culturel et, d’autre part, les écrits traitant des obstacles d’ordre systémique et structurel.

1.3.1. Obstacles liés au contexte sociopolitique et à la culture

Dans la revue Recherches féministes, Chantal Maillé (2003) a présenté une synthèse du travail de recherche réalisé par l’économiste haïtienne Myriam Merlet sur la participation politique des femmes haïtiennes. Dans sa recherche intitulée La participation politique des

femmes en Haïti. Quelques éléments d’analyse, Myriam Merlet (2002) s’est donnée comme

objectif d’analyser la situation des femmes haïtiennes dans la sphère politique afin de déterminer « leur poids électoral ainsi que de révéler l’action des organisations de femmes de la société civile pour promouvoir la participation politique des femmes ou encore la présence des organisations de femmes dans le champ politique » (dans Maillé, 2003 : 210). Grâce à des entrevues menées auprès de femmes ayant occupé des postes de décision dans le pays ainsi que de femmes responsables d’organisations féministes et de partis politiques, Merlet identifie différents facteurs pouvant expliquer la faible participation politique des Haïtiennes. Elle pointe notamment le statut de subordination des femmes dans la société et la culture haïtiennes comme une barrière à leur participation politique. D’après elle, ce statut « a pour conséquence que les femmes sont la plupart du temps peu préparées

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(manque concernant l’éducation formelle, la formation et la confiance en soi) pour la chose politique » (dans Maillé, 2003 : 209). Si la politique haïtienne est l’apanage des hommes, toujours selon Merlet, c’est parce que « le contexte haïtien ajoute le poids des responsabilités familiales aux contraintes à la participation des femmes. Même quand elles ont un conjoint, les Haïtiennes demeurent les principales responsables du foyer et ne peuvent donc pas ‘se risquer’ en politique » (dans Maillé, 2003 : 209).

Ainsi, le travail de Myriam Merlet identifie la « monoparentalité féminine et la matrifocalité » (Maillé, 2003 : 209) comme des caractéristiques du contexte socioculturel haïtien pouvant expliquer la faible participation politique des femmes. En effet, les responsabilités culturellement attribuées aux femmes haïtiennes dans le pays les enferment dans leur rôle de mère et, en retour, les mères assument la quasi-totalité des responsabilités familiales. Dès leur plus jeune âge, les filles ont déjà plein de responsabilités. En l’absence de la mère, ce sont elles qui s’occupent des tâches ménagères et des autres enfants de la famille. Tandis que les garçons vont à l’école, les filles restent bien souvent au foyer pour remplir des tâches, qui, dit-on, sont réservées aux femmes. D’ailleurs, il est à noter que « 10% des filles âgées de 5 à 14 ans font plus de 28 heures de tâches ménagères par semaine, soit deux fois plus que les garçons » (Desjardins, 2017). Cela explique en partie le faible taux d’alphabétisation des femmes qui est estimé à 48% alors que celui des hommes est de 61% (Manigat, 2013). Conséquemment, une fois devenues adultes et mères de famille, les femmes endossent toutes les responsabilités en ce qui a trait aux tâches domestiques, et ce, que la famille soit monoparentale ou non. Ce système d’organisation familiale fait donc obstacle à la participation des femmes haïtiennes à la vie politique du pays, dans la mesure où cette participation exige de passer beaucoup de temps en dehors de l’espace domestique.

Myriam Merlet identifie également le « danger » comme une barrière importante à la participation politique des femmes haïtiennes :

En étant à plus de 42 % les seules chefs de famille, les Haïtiennes hésitent à se risquer en politique, notamment à cause du danger que comportent ces activités et de la disponibilité des ressources, entre autres financières, qu’elles exigent. Par ailleurs, les pratiques hautement répressives du régime des Duvalier ont fortement marqué les esprits. De surcroit, les pratiques encore observées actuellement

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confortent l’idée qu’en faisant de la politique un individu doit assumer de mettre sa vie en danger (dans Maillé, 2003 : 209).

En effet, l’une des particularités du système politique haïtien est la dimension de violence et de danger qu’il comporte. Ainsi, participer à la vie politique en Haïti suppose inévitablement de faire face à des violences psychologiques et/ou physiques. Dans un pays où l’instabilité politique est chronique, comme je l’ai souligné à la section 1.1, les périodes électorales constituent l’un des principaux moments où l’insécurité se fait sentir (Saintiné, 2017). Les armes blanches, les armes à feu, les attaques verbales et les injures, qui revêtent souvent un caractère sexiste, constituent des moyens privilégiés pour terroriser les adversaires dans le but de gagner la course électorale (IDEA, 2015 : 248). Une fois encore, les femmes sont les principales victimes de cette situation. Par exemple, il est très fréquent que les candidates ainsi que les membres de leur famille subissent de l’intimidation et des menaces de mort. Même lorsqu’elles sont au pouvoir, les femmes continuent de subir des violences de la part de leurs collègues masculins. Ces derniers remettent continuellement en question la présence des femmes au Parlement et rappellent que leur place est à la maison et non pas en politique : « Finalement, nous confie Merlet, lorsque des femmes descendent dans l’arène politique, elles doivent aussi faire face à des attaques qui les visent en tant qu’élément de sexe féminin. Le dénigrement joue ici, comme la violence spécifique dont sont victimes les femmes, un rôle de dissuasion » (Maillé, 2003 : 211).

Par ailleurs, Guerline Toussaint (2011) s’est elle aussi intéressée au problème de la faible participation des femmes haïtiennes en politique dans le cadre de son mémoire de maîtrise. L’auteure a pris en compte la question de la socialisation et de la conscience de soi des femmes haïtiennes comme concepts clés pour comprendre les raisons de leur mise à l’écart de la vie politique. Plus spécifiquement, Toussaint a posé le problème de la discrimination politique des femmes sous l’angle de la participation des citoyennes haïtiennes aux élections. Les résultats de sa recherche ont montré, d’une part, que les femmes haïtiennes ont conscience de l’importance de leur participation à la vie politique du pays. Elles comprennent et acceptent l’idée qu’elles doivent s’impliquer en politique au même titre que les hommes. D’autre part, ces résultats ont permis de comprendre que, même si elles ne s’impliquent pas toujours activement dans la politique partisane, les femmes haïtiennes s’informent et participent de différentes manières à la vie politique du pays.

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Les résultats de la recherche de Guerline Toussaint attribuent également la faible participation politique des femmes au manque de disponibilité et aux obstacles liés à la culture machiste du pays :

[…] ce pouvoir machiste s'arrange pour garder les femmes hors de l'espace politique. Celles qui osent afficher un certain militantisme, qui clame haut et fort leur appartenance féministe sont souvent punies (violences physiques et sexuelles peuvent être perpétrées contre elles dans les périodes d'instabilité politique) pour une telle désobéissance. Les hommes haïtiens font tout pour contrôler les femmes haïtiennes. Quand ce contrôle leur échappe dans un domaine, ils utilisent différentes tactiques pour le retrouver (Toussaint, 2011 : 79).

Ainsi, la violence inhérente au système politique haïtien peut aussi être comprise comme une stratégie utilisée par les hommes afin de conserver leur position dominante par rapport aux femmes dans la société. Par ailleurs, le militantisme des femmes et en particulier le mouvement féministe n’est généralement pas bien vu dans la société haïtienne qui adhère à l’idée conservatrice selon laquelle la femme n’est pas faite pour prendre part à la politique puisque sa place est dans la famille. Cette idée s’articule à la reproduction normative des modèles traditionnels et des rôles sociaux de sexe, ainsi qu’au manque d’éducation des filles. C’est ce à quoi réfère Toussaint lorsqu’elle tente d’expliquer la faible participation des Haïtiennes en politique :

[…] les femmes haïtiennes ont de la difficulté à investir le champ politique à cause de leur manque d'instruction. En plus, elles croient que les femmes haïtiennes sont trop enfermées dans des modèles traditionnels des rôles sexuels. Ce qui les fait douter de leurs habiletés et compétences. Ainsi, elles se croient moins aptes, moins outillées que les hommes pour participer à la vie politique d'Haïti. Pour les répondantes, cette croyance fortement répandue chez les femmes haïtiennes est basée sur la conception erronée de leur genre et sur une éducation déficiente. Subséquemment, cette dernière pousserait les femmes à la soumission et non à l'affirmation de soi (Toussaint, 2011 : 80).

Dans le contexte québécois, le Conseil du Statut de la Femme (CSF) a publié en 2015 un rapport de recherche ayant pour titre Les femmes en politique : en route vers la parité. L’objectif de ce rapport est d’« illustrer et de mieux comprendre les phénomènes qui maintiennent les inégalités de sexe dans l’espace politique » (CSF, 2015 : 11). Pour ce faire, le CSF a consulté des femmes activement impliquées dans divers milieux politiques

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et il a utilisé les données recueillies dans le cadre d’un projet régional de formation à l’action politique dont l’objectif était d’augmenter le nombre de femmes dans les postes de pouvoir aux niveaux local et régional. Ainsi, le CSF a pu « dégager trois principaux éléments de nature sociologique expliquant la faible présence des femmes en politique : la socialisation des filles en général, la socialisation politique et les responsabilités familiales inégalement partagées » (CSF, 2015 : 32).

Le travail réalisé par le CSF montre premièrement que les garçons sont plus aptes à accéder à la scène politique que les filles en raison de leur socialisation différenciée : « Certains attributs nécessaires à la réussite dans le champ politique, tel qu’il est actuellement organisé, sont généralement transmis davantage aux garçons qu’aux filles dès leur prime enfance » (CSF, 2015 : 32). Plus loin dans le texte, les auteures du rapport font référence à plusieurs autres recherches qui soulignent « qu’en raison de la socialisation différenciée selon le sexe, les femmes, en général, prennent moins de risques professionnels que les hommes. Cela explique en partie les hésitations de plusieurs femmes à sauter dans l’arène politique » (CSF, 2015 : 33).

Deuxièmement, les explications données dans le rapport permettent de comprendre l’impact spécifique de la socialisation politique sur les femmes. Les entrevues réalisées par le CSF avec des femmes actives en politique révèlent notamment que le processus de réflexion et de décision de se lancer en politique partisane est plus long chez les femmes que chez les hommes. En effet, avant de prendre la décision de se lancer en politique, les femmes réfléchissent longuement aux conséquences de ce choix exigeant sur leur vie familiale et leurs responsabilités domestiques. D’après le CSF, cette différence dans la façon d’envisager une carrière politique puise ses racines dans un processus de socialisation politique genrée et par ailleurs, les répercussions de la vie politique sur la vie familiale et parentale ne sont pas les mêmes pour les femmes que pour les hommes (CSF, 2015 : 40).

La socialisation sexuelle et la socialisation politique sont ainsi liées au troisième élément expliquant la faible représentation politique des femmes selon le CSF : le partage inégal des responsabilités familiales. Le rapport du CSF identifie également l’accès difficile aux

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ressources financières et les pratiques discriminatoires des partis envers les candidatures féminines comme des éléments empêchant une meilleure représentation des femmes en politique. Il faut dire que la socialisation est une forme de transmission de la culture qui est commune à toutes les sociétés. Elle renvoie à la manière dont les individus reçoivent et intériorisent les valeurs, les normes et les rôles qui régissent le fonctionnement de la vie en société (Castra, 1992). Ainsi, les trois éléments expliquant la faible participation des femmes en politique présenté par le CSF ne sont pas étrangers au contexte haïtien, comme je le montrerai plus loin dans mon analyse aux chapitres IV et V.

Au regard de la recherche proposée dans le présent mémoire, l’apport principal des travaux réalisés respectivement par Myriam Merlet (dans Maillé, 2003) et Guerline Toussaint (2011) vient du fait qu’ils s’inscrivent dans le contexte haïtien. Toutes deux ont mis au centre de leur analyse le contexte socioéconomique et culturel d’Haïti pour expliquer le problème de la faible participation des femmes à la vie politique. De ce fait, les résultats de leurs travaux ouvrent de nouvelles pistes de réflexion sur certains enjeux qui structurent tant la société que la culture haïtienne. La compréhension de ces enjeux peut contribuer à une analyse et une interprétation plus critique des résultats de mon propre travail de recherche. Cependant, alors que Merlet et Toussaint ont travaillé sur la question de la participation politique des femmes haïtiennes au sens large (vote électoral, activisme au sein de la société civile, etc.), mon travail aborde la représentation politique des femmes haïtiennes, et plus particulièrement leur accession à des postes de pouvoir politique. De plus, alors que Guerline Toussaint (2011) mobilise les concepts de socialisation et de conscience de soi des femmes haïtiennes, je m’intéresse précisément à leur « conscience de genre » (Tremblay, 1996). Ce concept réfère à la fois au processus de socialisation différencié selon le sexe dont elles ont fait l’objet et qui, selon le CSF (2015), est un facteur explicatif de la faible proportion de femmes en politique, et à la conscience que ces femmes ont de leur genre au regard des obstacles qu’elles peuvent rencontrer en politique ainsi que de leur rôle de représentante du groupe des femmes.

1.3.2. Obstacles systémiques et structurels à la participation politique des femmes L’enquête réalisée par Solidarite Fanm Ayisyèn (SOFA) sous la direction de Julien Sainvil (2016) a posé un regard particulier sur la présence et la participation des femmes comme

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candidates aux élections législatives de 2015 en Haïti. L’objectif de cette enquête étant de prendre connaissance des difficultés et des obstacles rencontrés par ces femmes, Sainvil a mené des entretiens semi-dirigés auprès de 10 des 23 candidates défaites aux élections. Trois moments clés liés au processus électoral et à la participation des candidates ont été considérés dans la recherche : avant, pendant et après les campagnes électorales (SOFA, 2016). Le recrutement et la sélection des candidates par les partis politiques constituent le premier moment clé du processus électoral. L’enquête montre que dès cette première étape, les candidates font face à des difficultés, par exemple, celles qui s’étaient présentées aux sénatoriales n’avaient pas reçu le support de leur parti politique (SOFA, 2016).

Les répondantes de l’enquête soulignent par ailleurs que le quota de 30% de femmes sur les listes électorales des partis a des effets limités et n’aide pas, en réalité, l’intégration des femmes en politique. En effet, les partis politiques ne s’engagent presque pas à respecter ce principe puisqu’il ne s’accompagne d’aucune sanction en cas de non-respect. Et dans les cas où la liste de candidatures d’un parti politique respecte le quota, ce ne serait pas tant le reflet d’un réel engagement envers la cause des femmes qu’une stratégie de publicité auprès d’une partie de l’électorat. Ainsi, le rapport souligne que pratiquement aucun engagement véritable n’est pris par les partis pour favoriser les candidatures féminines lors des campagnes électorales :

Le décret encourage les partis à inscrire 30% de candidature féminine sur les listes électorales, cependant, il ne prévoit aucun mécanisme pour le contrôle, la surveillance et la sanction des partis par rapport à ce principe. Les partis ont la liberté d’avoir ou pas des femmes candidates sur leur liste électorale. La majorité inscrit seulement des hommes ; une minorité met le nom des femmes, mais seulement pour embellir leur liste7 (SOFA, 2016 : 66).

Par ailleurs, le jour des élections, deuxième moment du processus électoral identifié dans l’enquête coordonnée par Sainvil, les candidates rencontrent encore d’autres obstacles. Ces derniers sont essentiellement liés à la corruption, à l’insécurité et à la violence. Les répondantes soulignent notamment le fait qu’elles font l’objet d’intimidation et de préjugés sexistes de la part des autres candidats et de la population en général (SOFA, 2016). Encore

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une fois, la violence a toujours été présente dans l’environnement politique d’Haïti et elle fait partie des obstacles à une plus grande participation politique des femmes au pays. Cette violence, en plus d’être systémique, est principalement dirigée contre les femmes. En effet, les femmes sont socialement reléguées à la sphère familiale et, par conséquent, elles sont perçues comme n’ayant pas leur place dans l’espace public. La violence est donc utilisée comme un moyen pour garder les femmes « à leur place » et les dissuader de prendre part à la politique.

Le troisième moment du processus électoral identifié dans le rapport de la SOFA se situe après les élections, alors que les candidates rencontrent encore des difficultés. Notamment, la majorité des femmes candidates interviewées n’a pas pu participer à la période de contestation électorale. Cette période fait partie du processus électoral haïtien et survient au lendemain des élections qui ont habituellement été marquées par des fraudes et des violences. Ainsi, après la promulgation des résultats de l’élection, les candidates et candidats doutant du nombre de voix recueillies veulent faire valider leurs résultats auprès du Conseil Électoral Provisoire (CEP). Dans le cas où une candidate ou un candidat ne participe pas à ce processus de contestation, les résultats demeureront inchangés. Or, il s’agit d'un processus juridique qui est complexe et coûteux. Et bien souvent, les femmes n’ont pas les moyens financiers ni le temps nécessaire pour s’engager dans ce processus. L’enquête de la SOFA (2016) montre ainsi que, lors des élections législatives, les partis politiques n’encouragent pas la candidature des femmes. À la rigueur, les partis ne font que profiter de la popularité ou du capital social de certaines candidates. Les résultats de l’enquête révèlent aussi que la majorité des candidates ne connaissent pas forcément les partis politiques. Plusieurs d’entre elles préparent leur candidature de façon indépendante, sans l’appui d’un parti politique. Leurs relations avec les partis politiques sont donc occasionnelles et opportunistes.

Par ailleurs, les obstacles structurels à une meilleure représentation politique des femmes, cette fois-ci au Québec, ont été étudiés de façon particulièrement intéressante par Charlotte Guay-Dussault (2011). D’après elle, c’est « la résistance à l'égalité des femmes qui explique qu'après cinquante ans de présence à l'Assemblée nationale et plus de soixante-dix ans d'usage du droit de vote, les femmes ne représentent toujours que moins du tiers

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des députés à l'Assemblée nationale et moins du quart des élus municipaux » (Guay-Dussault, 2011 : 120). Cette résistance à la participation politique des femmes au Québec viendrait aussi du système démocratique lui-même qui, au moment de sa conception, excluait les femmes :

La base même de notre système démocratique, fondé sur l'individu, inhibe la capacité des femmes d'accéder à une citoyenneté pleine et entière. La démocratie libérale s'est construite sur des bases élitistes où l'accès à la citoyenneté était réservé aux personnes dotées d'indépendance, de responsabilité et de raison. Les femmes ont longtemps été considérées comme dépendantes, irresponsables et déraisonnables, leur coupant du même coup l'accès à l'autonomie, au statut d'individu, et donc, à la citoyenneté (Guay-Dussault, 2011 : 120).

Dans le cadre de sa recherche, Charlotte Guay-Dussault a également analysé comment les partis politiques québécois intégraient les femmes et le féminisme dans leurs statuts et pratiques. Ses résultats lui ont permis de montrer « que le cadre de démocratie libérale dans lequel nous évoluons ainsi que la classe politique québécoise et certains pouvoirs établis opposent une résistance sévère à une meilleure représentation politique des femmes, donc à une représentation qui soit juste et égalitaire » (Guay-Dussault, 2011 : 5). Ainsi, cela invite à prendre en compte la dimension structurelle et systémique des obstacles à la représentation politique des femmes en Haïti. En effet, ces obstacles puisent autant dans l’organisation du système politique haïtien que dans celle des différents partis politiques qui peinent à intégrer les femmes et à s’investir dans la lutte pour l’égalité. Pour citer à nouveau le rapport produit par la SOFA (2016), les partis politiques se servent bien souvent du quota de 30% de femmes dans leurs listes électorales comme d’un instrument d’autopromotion et non pas pour réellement encourager une meilleure participation politique des femmes.

Laurence Bherer et Jean-Pierre Collin (2018) ont réalisé, pour leur part, une recherche sur la participation et la représentation politique des femmes au sein des instances démocratiques municipales au Canada. Leur travail interroge la représentation féminine au sein des institutions démocratiques municipales et les causes de la sous-représentation des femmes à l’échelle municipale. D’après eux : « La faible présence des femmes sur la scène politique municipale n’est pas attribuable à un seul facteur, mais bien à une conjugaison de

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facteurs différents, que l’on peut classer en fonction des moments clés de la candidature » (Bherer et Collin, 2018 : 6). Ces différents facteurs ne sont pas uniquement individuels, mais également systémiques, prenant la forme d’obstacles concrets auxquels sont confrontées les femmes qui veulent se présenter sur la scène politique :

[…] alors qu’auparavant, les experts attribuaient un rôle décisif aux facteurs individuels (les enjeux microsociologiques de l’étape du recrutement), les arguments qualifiés de « systémiques » (enjeux méso et macrosociologiques) sont de plus en plus évoqués pour expliquer la sous-représentation féminine (Bherer et Collin, 2018 : 6).

Selon Bherer et Collin, il est difficile d’identifier les facteurs microsociologiques qui influencent le plus l’accès des femmes à la sphère politique. Cependant, certains éléments comme le manque de temps (conjuguer les responsabilités familiales et l’engagement dans la vie politique), les difficultés socioéconomiques (le statut financier des femmes étant généralement inférieur à celui des hommes) ainsi que la socialisation politique contribuent à la faible représentation des femmes qui restent minoritaires dans les partis politiques. Sur le plan macrosociologique, Bherer et Collin avancent que « le taux de renouvèlement de la classe politique peut constituer une cause de la sous-représentation, particulièrement dans un système politique où le nombre de mandats n’est pas limité » (2018 : 13). De plus, le fonctionnement du système électoral ne favorise pas la représentation des femmes alors que la possibilité de monopolisation d’une circonscription par une seule personne pendant une longue période empêche l’élection de femmes. Bien que leur étude n’ait pas été faite dans le même contexte sociopolitique que celui qui m’intéresse, il existe des similitudes éclairantes entre les facteurs micro et macro qui contraignent l’accès des femmes québécoises et haïtiennes à la sphère politique.

Par ailleurs, l’une des contributions les plus intéressantes à l’analyse de la représentation politique des femmes, au regard de ma propre proposition de recherche, est celle de la politologue Manon Tremblay. Dans son article Conscience de genre et représentation

politique des femmes, elle aborde la question de la représentation politique des femmes

sous un angle quelque peu différent des autres travaux de recherche présentés plus haut. L’auteure se donne comme objectif « […] de mieux comprendre qui étaient les femmes à la tête de municipalités québécoises en septembre 1993 » (Tremblay, 1996 : 94) et se

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demande à quel point ces femmes en position de pouvoir se perçoivent comme des femmes qui représentent les autres femmes. Tout en priorisant une analyse descriptive, Tremblay mobilise la notion de « conscience de genre » afin de voir si les mairesses québécoises ont la volonté de s’engager dans des actions servant à promouvoir les intérêts spécifiques des femmes. À l’aide d’entrevues réalisées avec 21 femmes élues à la tête de municipalités, Tremblay met en lien la notion de conscience de genre avec les formes de représentation politique dites « descriptive » et « substantive ». La première forme « suppose que la représentation de groupes sociaux et de leurs intérêts se contente de la simple présence de leurs membres au sein des élites politiques » tandis que la deuxième « rejoint plutôt l'idée de délégation, à cette différence que les personnes élues soutiennent ici activement les intérêts de groupes sociaux, notamment dans leurs conduites (soit leurs opinions et leurs actions) » (Tremblay, 1996 : 97). Dans le cadre de son travail de recherche, Manon Tremblay a priorisé ce deuxième type de représentation politique, dite substantive, puisque la « notion de conscience de genre (gender consciousness) permet de saisir de telles prédispositions à l'action » (Tremblay, 1996 : 98).

Le concept de conscience de genre utilisé par Tremblay se réfère à la notion marxiste de conscience de classe : « Cette notion de conscience de genre traduit le fait de reconnaitre que le sexe (c'est-à-dire le fait d'être une femme ou un homme) modèle d'une façon importante la relation qu'une personne entretient avec la société politique dans laquelle elle évolue » (Tremblay, 1996 : 99). Ainsi, les résultats de sa recherche lui ont permis de montrer que la majorité des mairesses du Québec refusaient le rôle de représentante de la population féminine – ou classe des femmes – bien que « l'analyse permet d'identifier dans leurs propos des éléments d'une conscience de genre » (Tremblay, 1996 : 134). Le travail réalisé par Manon Tremblay, en particulier la façon par laquelle il met en lien la conscience de genre et la représentation politique, est particulièrement pertinent et il sert de base théorique et conceptuelle à la recherche réalisée dans le cadre du présent mémoire. Plus précisément, il me permet d’aborder la question de la conscience du genre chez les femmes occupant un poste de décision politique en Haïti et de voir le rapport qu’elles entretiennent avec leur « société politique ». Ce rapport participe notamment des expériences et des points de vue de ces femmes quant à la faible représentation politique des femmes haïtiennes.

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1.3.3. Objectifs de recherche

Pour rappel, la question de départ de ce travail de recherche est la suivante : comment comprendre la faible représentation des femmes haïtiennes dans des postes de décision politique en Haïti, malgré les différentes luttes menées par les féministes ? Aussi, je me suis donné comme objectif général de comprendre cette faible représentation du point de vue des femmes haïtiennes qui ont pu accéder à des postes de décision politique. Sur le plan des objectifs spécifiques, je cherche, d’une part, à savoir si ces élues haïtiennes ont une conscience de genre. C’est-à-dire que je veux saisir à quel point et en quoi ces femmes sentent que leur genre, le fait d’être une femme, constitue un obstacle dans l’accession aux postes de décision politique en Haïti. D’autre part, je souhaite saisir dans quelle mesure les femmes haïtiennes qui ont eu accès à des postes de décision politique se sentent représenter le groupe des femmes et porter leurs luttes dans l’arène politique. Avant de discuter des résultats, je présenterai dans les chapitres qui suivent le cadre théorico-conceptuel suivi du cadre méthodologique de la recherche devant me permettre d’atteindre ces objectifs.

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Chapitre II : Cadre théorico-conceptuel

Afin de comprendre le phénomène de la faible représentation des femmes en politique du point de vue des élues haïtiennes, le cadre théorique de ma recherche se situe au croisement des études féministes, de la sociologie du genre et de la science politique. C’est à partir de cet ancrage théorique que je définirai dans le présent chapitre les concepts clés suivants : genre, représentation politique et conscience de genre. Comme l’a bien formulé François-Pierre Gingras, en plus d’être « partie prenante du cheminement de la découverte, la théorie crée la capacité d’imaginer des explications pour tout phénomène social, au-delà des prénotions du sens commun : la théorie ne tient pas pour acquises nos explications courantes » (dans Gauthier, 2003 : 106). Ainsi, ce sont ces concepts qui guideront mon analyse du phénomène de la faible représentation politique des femmes et mon interprétation des propos des répondantes, c’est-à-dire des femmes haïtiennes ayant accédé à des postes de décision politique. Je tenterai plus précisément de faire ressortir les façons par lesquelles leurs propos témoignent d’une « conscience de genre » (Tremblay, 1996) ainsi que les différents enjeux et obstacles liés à la représentation politique des femmes.

2.1. Genre et politique

Le genre est un concept complexe et difficile à cerner. À cet égard, Réjane Sénac-Slawinski (2009 : 4) explique que « le genre n’est pas un domaine spécialisé, c’est une grille de lecture de la société. Que l’on s’intéresse à l’école, à l’emploi, à l’immigration, à la famille, à la santé, aux retraites ou à tout autre problème social, le genre est un des axes essentiels de la connaissance, un outil indispensable à l’intelligence du monde social ». Dans le champ de la science politique, Jane Jenson et Éléonore Lépinard (2009) ont fait valoir que le genre est un outil important pour comprendre et analyser des phénomènes politiques en tenant compte des rapports sociaux de sexe. Pour ces auteures, le concept de genre a permis d’éclairer la dimension genrée de phénomènes politiques trop longtemps considérés comme neutres. Ainsi, elles définissent le genre comme :

[…] un système de relations sociales qui détermine la définition et le contenu des groupes « femmes » et « hommes », aussi bien à travers la division sexuelle du travail que l’hétérosexualité normative et par le biais des discours, des idéologies et des pratiques de la

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