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6.1 Analyse factorielle de correspondance des classes de discours

6.4. Le parcours de professionnalisation

Comme nous l'avons vu précédemment le facteur 2 du graphe de l'AFC nous montre une tension entre d'un côté les classes 3 et 4 qui correspondent respectivement au parcours de professionnalisation et aux premières expériences professionnelles et de l'autre côté les classes 1, 2 qui correspondent à la "réalité du secteur".

Pour rappel, la classe 3 est rattachée à la troisième génération (*gen_3), la classe 4 à la deuxième génération (*gen_2) et les classes 1 et 2 à la première génération (*gen_1). Nous allons donc maintenant discuter cette opposition.

spécialisé, mais également l'entrée dans la profession dans un partage des rôles et des valeurs professionnelles avec des pairs après un processus de formation et au sein d'organisations qui exigent que les acteurs déploient de nouvelles compétences. Ceci renvoie à la notion de professionnalisation telle que R. Wittorski (2007) la définit selon trois sens différents :

- « la professionnalisation des activités » qui renvoie à l'idée que les activités liées à une profession sont professionnalisées quand elles s'inscrivent dans une organisation sociale à laquelle elles contribuent.

- « la professionnalisation des acteurs » qui suppose l'acquisition grâce à un double processus de transmission/production, d'un ensemble de savoirs et de compétences qui sont nécessaires à l'exercice de la profession. Ce niveau participe à la construction d’une identité professionnelle. - « la professionnalisation des organisations » qui renvoie aux organisations qui génèrent et attendent un niveau d'expertise et de compétence. Cela donne une finalité au degré de professionnalisation des acteurs.

Ce que nous nommons "parcours de professionnalisation" renvoie au niveau de professionnalisation des acteurs de Wittorski, mais la discussion dans laquelle nous proposons de l'inscrire nécessite de le mettre en perspective avec les niveaux de professionnalisation des activités et des organisations. Le parcours de professionnalisation (classe 3) aborde donc l'ensemble des éléments qui ont permis aux ES de se former à leur profession. Le discours est davantage lié à l'ensemble des expériences de formation qu'ils ont traversées et parmi lesquelles les premières expériences (parfois avant d'entrer en formation), les stages (pendant la formation) et le fruit des transmissions inter-générationnelles semble avoir là encore bien plus d'importance que le contenu des cours qu'ils ont reçus dans les centres de formation ce qui explique que selon le facteur 2, le parcours de professionnalisation s'exprime dans un lien avec les premières expériences professionnelles (classe 4).

Le parcours de formation (en centre de formation) est central dans cette prise de position. Il est décrit comme la période où s'ancrent les valeurs du métier, le rôle de l'ES. Mais le parcours de professionnalisation ici évoqué ne se limite pas aux apports théoriques de formation que les professionnels ont reçus dans les différentes écoles de formation (et à propos desquels, comme nous l'avons vu avec les autres générations, ils adoptent plutôt un discours critique).

Ce qui leur permet de définir le rôle et les valeurs de l'ES tient davantage à des expériences issues du terrain lors des stages, à la découverte d'un public, ce qui renvoie à la première voie de professionnalisation décrite par Wittorski (2007) qui correspond à une « logique de l'action » et repose sur le niveau de formation "sur le tas" en lien avec la figure du "collègue". C'est cette voie de professionnalisation qui leur permet de construire les premiers éléments fondateurs de leur développement professionnel. C'est donc bien parce qu'ils auront observé sur le terrain qu'ils auront

pu accéder aux premiers éléments de définition du rôle de l'ES et aux valeurs qu'il incarne sur le terrain.

Pour les ES de la troisième génération, les cours qui leur étaient dispensés en centre de formation ne les ont pas préparés à l'arrivée sur le terrain. Il y avait même un profond décalage entre le discours jugé trop théorique des centres de formations et la réalité du terrain à laquelle ils étaient confrontés en arrivant en stage. Ceci est confirmé par les échanges qu'ils ont eus pendant leurs stages avec les professionnels expérimentés à propos de l'évolution des valeurs de la profession sous l'influence des changements qui ont impacté le secteur depuis une dizaine d'année. Donc, si les premiers stages les ont aidés dans leur définition du rôle de l'ES, il les ont aussi confrontés à la réalité d'un secteur exposé à une perte de sens, ce qui les a profondément marqués, au point qu'ils ressentent une perte de sens de la définition d'un rôle qu'ils croyaient avoir acquis au début même de leur carrière. Ceci renvoie à une autre voie de professionnalisation de Wittorski (ibid), celle de « logique de réflexion et de l'action » par laquelle il convient pour l'acteur de réussir à construire des compétences pratiques déclinables de façon opérationnelle sur le terrain sur la base des contenus théoriques issus des cours en centre de formation. Parce que le rôle de l'ES s'interprète au quotidien dans un contexte social particulier et devant un public (personnes accompagnées, collègues, direction, partenaire), il ne peut se percevoir dans toute sa complexité seulement sur la base d'éléments de définition théoriques qui ne seraient pas mis à l'épreuve sur le terrain par l'acteur. Mais si la confrontation avec le terrain a aidé les ES de la troisième génération à définir le rôle de l'ES, elle les a également exposés à la perte de sens auxquels les professionnels expérimentés sont confrontés. Donc, si les stages leur permettent de compléter une définition sur un plan théorique du rôle de l'ES qu'ils ne peuvent transposer sur le terrain car elle ne fait plus sens chez les professionnels expérimentés qui leur servent de modèles, c'est que cette voie de professionnalisation est entravée dans le secteur. Ceci montre bien qu'on ne peut penser la professionnalisation des acteurs sans penser la professionnalisation des activités et des organisations et nous permet de conclure que la variable

sens du modèle théorique n'est pas activée chez les professionnels de la troisième génération.

Si les stages ont permis aux ES de la troisième génération d'acquérir les premiers éléments de définition du rôle du métier, ils semblent avoir heurté l'acquisition des repères professionnels et la construction de l'identité professionnelle.

Les jeunes professionnels arrivent sur le terrain dans une période où le secteur est en crise et où les repères de bon nombre de professionnels aguerris ont volé en éclat sous l'impact des restructurations et des changements d'orientations induits par les nouvelles réglementations.

l'action telle qu'il la décline auprès des publics accompagnés, la question des repères professionnels est directement liée à l'environnement institutionnel dans lequel ils prennent place.

C'est ainsi que les jeunes professionnels constatent une confusion dans les repères professionnels, liée au fait qu'aujourd'hui dans le secteur médico-social les éducateurs spécialisés et les moniteurs éducateurs semblent exercer les mêmes fonctions, ce qui entretient une perte de repères sur le terrain. Ils constatent que, notamment dans les IME, les ES et les ME ont les mêmes missions, ce qui ne les aide pas à définir clairement les repères professionnels.

Ceci renvoie à la troisième voie de professionnalisation de Wittorski (ibid), celle de « réflexion sur l'action » qui consiste en la transformation de compétences produites dans l'action en savoir d'action, validés par le groupe professionnel et transmissibles à d'autres générations. D'après le discours des ES de la troisième génération cette voie de professionnalisation semble en panne dans le secteur. Avec des repères professionnels qui ne sont pas stabilisés puisque l'arrivée sur le terrain ne suffit pas à compléter la définition qu'en donnent les centres de formation, c'est la construction de l'identité professionnelle qui se retrouve malmenée.

De plus, ils sont particulièrement impactés par la perte de repères des professionnels des autres générations, qui malgré leur expérience significative expriment le sentiment que leurs propres repères professionnels ont volé en éclat, puisqu'ils sont maintenant remis en cause dans un contexte institutionnel où on cherche à les redéfinir à leur place et sans concertation.

Ainsi dépossédés de toutes capacités à pouvoir participer aux instances qui redéfinissent les repères professionnels, les discours semblent indiquer que la quatrième voie de professionnalisation de Wittorski (ibid) « logique de réflexion pour l'action » est elle aussi en panne.

Cet ensemble de difficultés qu'expriment les jeunes professionnels dans la construction de leur identité professionnelle s'explique par une incapacité à déterminer des repères professionnels cohérents et partagés avec les autres générations et génère une réelle souffrance à leur début de carrière (et après la formation lorsqu'ils arrivent sur le terrain) qui va jusqu’à la remise en cause de leur choix pour cette orientation professionnelle, pour laquelle ils évoquent déjà la possibilité de changer de voie, tant qu'ils ne sont pas trop âgés.

Lorsqu'ils arrivent sur le terrain (souvent en tant que remplaçants dans un premier temps), les jeunes professionnels dont le contenu de formation et les critères de certification sont postérieurs à 2007 et prennent en compte les lois 2002-02 et la loi 2005 (celles qui sont à l'origine de la transformation de l'histoire pour les deux premières générations) décrivent le discours de certains anciens comme passéiste, ne relevant pas forcément d'éléments indispensables à la construction de leur identité professionnelle. Pour eux, s'il y a des choses à apprendre des anciennes générations c'est plus dans un registre "d'illustration anecdotique" de ce qui se faisait avant qu'ils peuvent en tirer un

quelconque bénéfice, que dans le registre de l'accompagnement à la professionnalisation à ce qu'il faut faire maintenant. Ceci renvoie à la cinquième voie de professionnalisation de Wittorski (ibid), la « logique de traduction culturelle par rapport à l'action » et qui correspond aux situations de travail dans lesquelles un tuteur (ici les anciennes générations) assure une fonction de transmission, de co-construction des pratiques, qui là encore semble être en panne dans le secteur.

Pour les ES de la troisième génération les relations inter-générationnelles sont donc une option d'échange intéressante, mais pas un élément repéré comme fondamental dans la construction de leur identité professionnelle. En ce sens, ils s'opposent vraiment aux ES des deux autres générations pour qui cette question est vraiment fondamentale, car pour ces derniers l'expérience professionnelle des anciens est associée à une richesse supplémentaire qu'il est fondamental d'acquérir de façon à mieux se situer dans le continuum historique du secteur.

L'ensemble des ces éléments nous permet de dire que la variable repères du modèle théorique n'est pas activée pour les ES de la troisième génération.

Pour les ES de la troisième génération le parcours en centre de formation a été très riche et très utile au tout début de leur parcours de professionnalisation dans la mesure où il les a aidés à devenir ce qu'ils sont aujourd'hui.

Pour autant, tous expriment une grande désillusion qui ne cesse de se renforcer à mesure qu'ils s'installent dans la profession, car ils mesurent progressivement non seulement les écarts entre ce à quoi ils se sont préparés pendant leur formation et qui ne correspond pas à la réalité de ce qu'ils trouvent sur le terrain, mais aussi l'usure et le désarroi des générations plus expérimentées qu'eux qui n'arrivent plus à justifier leur professionnalité.

Cet ensemble de contraintes génère un sentiment de manque de liberté pour les jeunes professionnels qui dès les premières années de leur carrière envisagent déjà une reconversion professionnelle. Ils ne sentent pas prêts à exercer toute leur vie au sein d'une profession dont l'avenir est teinté de pessimisme et où les perspectives de gratification et d'évolution semblent limitées. Ce sentiment que l'avenir du secteur ne leur permettra pas de pouvoir bénéficier d'une autonomie grandissante à mesure que leur expérience se renforcera est donc un élément qui vient particulièrement impacter le début de carrière des jeunes professionnels.

Ces éléments nous permettent donc de conclure que la variable sentiment de contrôle du modèle théorique n'est pas activée chez les ES de la troisième génération.