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6.1 Analyse factorielle de correspondance des classes de discours

6.3. Les premières expériences professionnelles

Comme nous l'avons vu précédemment le facteur 1 du graphe de l'AFC nous montre une tension entre la classe 4 qui correspond aux premières expériences professionnelles et les classes 1, 2 et 3 qui correspondent à la "réalité du secteur" et au parcours de professionnalisation.

La classe 4 est rattachée à la deuxième génération (*gen_2). Nous allons donc en discuter le contenu dans son opposition avec la classe 3 rattachée à la troisième génération et aux classes 1 et 2 rattachées à la première génération.

La classe 4 évoque tout d'abord la question des stages, dont les ES de la seconde génération s'accordent à reconnaître l'importance dans le cheminement qui leur a permis de concevoir le rôle de l'éducateur spécialisé. Cette aide à la définition du rôle de l'ES est liée aux souvenirs qu'ils ont de leur passage en centre de formation, comme moyen d'avoir pu opérationnaliser un contenu de formation jugé trop théorique. Par cet apport qu'ont eu les stages pour eux, ils rejoignent la prise de position des ES de la troisième génération.

Pour autant si les stages ont pu les aider à définir le rôle de l'ES c'est dans un complément pratique et utile pour eux durant leur période de pré-professionnalisation, mais qu'ils jugent insuffisant dans la réactualisation qu'ils en font aujourd'hui alors qu'ils sont en poste et ont un recul supplémentaire qu'ils n'avaient pas à l'époque. En cela, ils semblent évoquer une certaine forme de "naïveté" du stagiaire qui n'étant pas encore mis en situation concrète de responsabilité sur le terrain ne peut mesurer complètement tous les aspects du rôle professionnel.

Leur niveau d'expérience actuel leur permet de percevoir le rôle de l'ES aujourd'hui de façon beaucoup plus controversée et nuancée que celle avec laquelle ils l'appréhendaient à l'époque où ils étaient stagiaires. Leurs expériences de stages s'étant déroulées avant les changements qui ont impacté le secteur, elles se sont avérées finalement insatisfaisantes dans la définition du rôle professionnel tel que les ES le définissent aujourd'hui.

Ils vont même jusqu'à affirmer que le rôle de l'ES est de moins en moins clair pour eux, car les changements du secteur ont fait basculer la compréhension du rôle et des valeurs liées aux métiers sur lesquelles ils s'étaient appuyés au début de leur carrière.

L'exposition actuelle à la "réalité du secteur" les perturbe dans la compréhension qu'ils croyaient avoir acquise sur la direction et la signification de leurs missions et ce qui fait lien avec les conditions d'exercice actuelles.

En ce sens, nous pouvons affirmer que la variable sens du modèle théorique n'est pas activée pour les ES de la deuxième génération.

Ils accordent cependant une grande importance à la transmission inter-générationnelle qui au cours des stages, leur a permis d'échanger avec des anciens, qui leur ont transmis des repères professionnels qui les ont aidés à structurer une identité professionnelle, fondements sur lesquels ils se repèrent encore aujourd'hui. Les anciens sont décrits comme des professionnels compétents dont l'expertise a pu être un élément fondateur dans la construction d'une identité professionnelle, car elle

a su compenser les manquements des discours théoriques des centres de formation. À ce propos, la question de la trop grande distance des formateurs par rapport au terrain est souvent dénoncée, ce qui contraste avec l'importance capitale qu'a eue la rencontre avec les professionnels de terrain durant les stages.

Pour les ES de la deuxième génération les premiers remplacements sont vécus comme éléments marquant un début de carrière, sans pour autant être suffisants pour entamer un processus de professionnalisation à cause de l'instabilité des situations professionnelles qu'ils induisent. Ils leur permettent cependant de se confronter à une certaine réalité du secteur en leur faisant découvrir la difficulté à trouver un poste ainsi que la précarité qui accompagne les débuts de carrière et les difficultés qui lui sont spécifiques. C'est donc avec une certaine appréhension et dans la découverte d'une forme d'insécurité que s'est déroulée l'entrée dans la profession.

Le passage de la place de stagiaire à celle d'éducateur spécialisé remplaçant permet aux jeunes professionnels d'être considérés différemment par les employeurs. On leur confie des responsabilités qu'on ne peut pas confier à un stagiaire et ils doivent pour la première fois les assumer directement dans une relation d'aide à un public auprès duquel ils interviennent avec un statut de professionnel.

Pour autant cette période est jugée comme déstabilisante, non seulement sur le plan personnel puisqu'elle se déroule pour eux dans une relative précarité mais aussi sur le plan de la professionnalisation puisqu'ils sont exposés à des conditions d'exercice qui ne leur permettent pas d'affirmer leur légitimité, de construire leur identité professionnelle, dans la mesure où ils naviguent dans un ensemble de services plutôt que de se stabiliser au sein d'une équipe et d'un projet. Être remplaçant c'est souvent exercer sur une grande variété de services qui ne laissent pas suffisamment le temps de pouvoir s'investir dans l'accompagnement des publics et donc de pouvoir nouer une vraie relation éducative, alors que c'est à la base de la profession.

En ce qui concerne la tension avec le parcours de professionnalisation, les ES de la deuxième génération expriment comme leurs aînés une perte de repères aujourd'hui par rapport à ce qu'ils avaient cru capitaliser lors de leurs premières expériences professionnelles. Là encore, les évolutions qui ont impacté le secteur ont été vécues comme déstabilisantes puisque les fondements sur lesquels ils ont basé leur construction identitaire lors de leur début de carrière ont volé en éclat à leur apparition.

Pour résumer, les ES de la deuxième génération évoquent un début de carrière où les premières expériences professionnelles ont été déstabilisantes pour eux puisque inscrites dans un contexte de précarité et d'instabilité liées à une multiplicité de postes occupés, qui se double d'une poursuite de carrière où, alors qu'ils ont accédé à un poste de titulaire, les repères acquis ont volé en éclat sous

l'impact des évolutions du secteur. Ceci nous permet donc de conclure que la variable repères du

modèle théorique n'est pas activée pour les ES de la deuxième génération.

Les remplaçants s'exposent à un manque de stabilité financière, puisque les revenus ne sont pas garantis et qu'ils sont contraints de multiplier les employeurs pour s'assurer un niveau de ressources minimum. Les ES de la seconde génération décrivent donc les remplacements à la fois comme une période riche de multiplication d'expériences et de découvertes professionnelles, mais aussi comme une période où ils se heurtent aux difficultés d'un secteur à une place où ils sont particulièrement fragilisés. En effet, ils exercent dans des conditions où ils ne peuvent faire preuve de toutes leurs potentialités, en étant exposés à des difficultés singulières (les jeunes abusent souvent de la patience des remplaçants ainsi que de leur manque d'assurance et d'expérience) qu'ils préfèrent garder sous silence, de peur d'être considérés comme incompétents et de ne plus être rappelés par les employeurs.

C'est ainsi que ces premières expériences professionnelles sont vécues comme une période teintée de contraintes où les ES expriment ne pas avoir eu une autonomie suffisante. Ils expriment l'impossibilité de pouvoir s'opposer à des demandes venues de leurs cadres hiérarchiques du fait de la précarité de leur situation (s'opposer à une demande d'un membre de l'équipe de direction expose là encore au risque de ne plus être appelé pour de nouveaux remplacements).

C'est ainsi, que les ES de la seconde génération expriment la façon dont le secteur a limité leurs marges de manœuvre dès le début de leur carrière, avant que les évolutions du secteur viennent poursuivre ces mesures coercitives par l'évolution des orientations qu'il a prises en contrariant du même coup leur parcours de professionnalisation.

L'ensemble de ces éléments nous permet de dire que la variable sentiment de contrôle du modèle

théorique n'est pas activée pour les ES de la deuxième génération.