• Aucun résultat trouvé

6.1 Analyse factorielle de correspondance des classes de discours

6.5. Différences générationnelles chez les éducateurs spécialisés

s'organise désormais davantage sur la base de dispositions légales que du sens qui guidait jusque-là les pratiques. Ceci est le signe d'une évolution professionnelle contrainte dans un environnement qui réduit l'étendue des possibles.

Mais chaque génération n'a pas le même rapport à ces changements structurels, puisque les plus anciens les ont vécus, quand les jeunes professionnels en ont entendu parler (pendant la formation ou via la transmission inter-générationnelle).

Comme nous l'avons vu précédemment (cf. supra 3.2.2. … et le recours difficile à une mémoire collective du métier) nous avons appuyé cette recherche autour de l'idée d'un acte fondateur (selon C. Attias-Donfut), celui de la formation initiale, qui, en fonction des réformes qui ont accompagnées ses évolutions depuis 1967, ont crée trois générations d'ES dont nous avons émis l'hypothèse que

leurs expériences de formation agissent sur la forme que prend leur implication professionnelle sur le terrain.

Si chacune de ces trois générations se distingue bien par rapport à un évènement fondateur spécifique (la formation qu'ils ont suivie), elles adoptent des prises de positions nuancées sur un autre évènement fondateur unique (celui de la promulgation de la loi 2002-02 et de celles qui ont suivies) pour expliquer les changements que le métier a connus ces dernières années.

Comme nous l'a démontré V. Hass (cf.supra, 3.2.2. … et le recours difficile à une mémoire collective du métier) il y a une différence de proximité par rapport à cet évènement entre ceux qui l'ont vécu et ceux qui en ont entendu parler. C'est pour cela que, bien que les trois générations expliquent sur la base du même évènement fondateur les changements que la profession a connus, ils ne les expriment pas de la même façon et n'évoquent pas ces évolutions selon la même proximité. Chaque génération a une façon particulière de se situer par rapport à cet acte fondateur en fonction de l'expérience singulière qu'elle en a eue dans son parcours de professionnalisation. Pour les ES de la première génération l'évocation de cet évènement de l'histoire réactive chez eux des sentiments empreints de nostalgie vis à vis d'une période révolue où la profession était encore ancrée dans un humanisme qui n'a plus sa place ni dans les discours, ni dans les dispositifs actuels. Pour les ES de la deuxième génération il renvoie à un bouleversement qui les a marqués après le début de leur carrière et avec lequel ils n'arrivent pas à composer aujourd'hui.

Pour les ES de la troisième génération il renvoie à un changement qui, bien qu'annoncé en formation, aura nécessité qu'ils arrivent sur le terrain en tant que professionnels pour en mesurer pleinement les effets. Si les premiers stages leur ont donné le sentiment d'arriver à bien comprendre le rôle de l'ES, leurs premières expériences professionnelles (après la formation) leur ont montré une autre réalité, les amenant à remettre en cause leur poursuite de carrière.

7 - Synthèse

À la lumière des éléments d'analyse qui précèdent, nous allons maintenant procéder à une synthèse des résultats afin de déterminer quelle forme d'implication professionnelle correspond à chaque génération d'éducateur spécialisé. Pour cela, nous allons regrouper l'ensemble des éléments d'analyse afin de déterminer la présence ou l'absence d'activation de chaque variable du modèle théorique en fonction de chaque génération.

Comme nous l'avons vu avec l'AFC, il n'y a que la variable sentiment de contrôle qui semble avoir une forme active pour les ES de la première génération. L'absence d'activation des deux autres variables (sens et repères) ne les empêche pas de retrouver un certain degré d'autonomie dans leurs pratiques qu'ils arrivent à mobiliser grâce à l'assurance et à la technicité que leur longue expérience leur confère. Pour autant, leurs repères sont malmenés, ils ne trouvent pas de sens à la portée de leur action telle qu'on leur propose de la conduire, mais arrivent cependant à s'en accommoder par une renégociation personnelle, grâce à laquelle ils réadaptent ce qu'ils vont faire d'une demande à laquelle ils s'opposent. Pour cela, ils vont répondre en respectant la forme demandée, tout en aménageant "en cachette" une autre forme qui leur correspond mieux. Par cela, ils arrivent à exercer un contre-pouvoir par lequel ils activent un sentiment de contrôle, ce qui nous permet de dire que

les ES de la première génération ont une forme d'implication professionnelle active.

L'AFC nous a permis de conclure que les trois variables du modèle théorique (sens, repères et

sentiment de contrôle) n'étaient pas activées pour les ES de la seconde génération.

En effet, nous avons vu que cette génération dénonçait (comme celle de leurs aînés) les changements survenus dans le secteur qui sont à l'origine d'une perte de repères pour eux. Le sens qu'ils accordent alors à leur pratique est empreint d'incohérence, car exposé à des injonctions paradoxales. Alors qu'ils considèrent que le parcours de professionnalisation s'étale tout au long de la vie, celui-ci est particulièrement impacté par les incohérences qu'ils ressentent sur le terrain, ce qui les empêche de comprendre à quoi ils servent, sinon à remplir la fonction d’exécutant qui n'a plus la possibilité de pouvoir agir en situation d'autonomie et de responsabilité. Ils se disent contraints dans un environnement où ils n'ont plus de marge de manœuvre. Alors qu'ils sont approximativement à la moitié de leur carrière, ils pensent que de nouvelles évolutions vont continuer à voir le jour et ils expriment de l'inquiétude quant à leur devenir si leur professionnalité devait être davantage contestée. Ce sentiment d'insécurité est majoré par la tendance actuelle qui

consiste pour les établissements à se séparer progressivement des ES en faveur d'autres professionnels qui coûtent moins chers, ce qui diminue les perspectives de pouvoir évoluer professionnellement. Il y a donc une sorte de résignation à garder son poste qui se double d'un espoir de pouvoir un jour faire autre chose de sa vie.

L'ensemble de ces éléments nous permet de dire que les trois variables du modèle théorique ne sont pas activées et que les ES de la deuxième génération ont une forme d'implication

professionnelle passive.

L'AFC nous a enfin permis de conclure que les trois variables du modèle théorique (sens, repères et

sentiment de contrôle) n'étaient pas activées pour les ES de la troisième génération.

Nous avons vu que l'arrivée sur le terrain des jeunes professionnels (après leur formation) s'était accompagnée d'une confrontation douloureuse à la réalité de celui-ci. Passer du statut de stagiaire à celui de professionnel ayant des responsabilités mais ne pouvant plus les exercer dans une démarche d'autonomie est difficile pour la jeune génération d'ES. De plus, ils sont particulièrement impactés par le discours des professionnels des générations qui les précèdent, dont le discours, teinté de perte de repères et de résignation, ne les rassure pas quant à leur choix d'orientation professionnelle. Cette génération exprime le regret de ne pas avoir été suffisamment bien préparée à la réalité du secteur, même si ses membres gardent un discours plutôt positif sur les apports que la formation a eus pour eux. Ils semblent alors expliquer l'idée que la formation a été aidante pour se former à une profession, dont l'exercice est devenu impossible à cause de la réalité du secteur qui a évolué sous l'impact de contraintes issues de dispositions légales qui ne laissent plus de latitude aux professionnels de terrain. Ils rejoignent leurs aînés sur ce point dans une prise de position commune. L'ensemble de ces éléments nous permet de dire que les trois variables du modèle théorique ne sont pas activées et que les ES de la troisième génération ont une forme d'implication

8 - Conclusion