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CHAPITRE I. REVUE DE LITTERATURE

I. L ES INSTITUTIONS ACCUEILLANT CES JEUNES DITS « INCASABLES »

1. Histoire et évolution

1.2. Évolution du concept d'incasabilité

1.2.2. Parcours de vie

Une enquête9 visant à recenser le nombre de jeunes en situation « d'incasabilité », à mieux connaître les problématiques de ces jeunes et les acteurs dans leur accompagnement, est en cours. La méthode employée pour recueillir les données est de faire remplir, par les directeurs d'établissements ou par les services dits « centraux », des questionnaires dans lesquels il faut cocher des cases. Il s'agit dans un premier temps de savoir si les jeunes recensés entrent bien dans la case « incasabilité ». Ils

doivent répondre à trois critères pour être considérés « incasables » : la mise en échec de l'accompagnement, la violence chez le jeune et le besoin de différents champs de prise en charge.

Ensuite des questions fonctionnelles et globales sont posées dans le document. Quelques réponses peuvent être rédigées mais ce document reste un outil de recensement et non d'analyse de situation. Je trouve paradoxal le fait de vouloir faire entrer ces jeunes dans les cases « incasables » car la problématique subjective ne peut être prise en compte de cette manière. Une fois l'enquête terminée, il y aura un nombre qui sera dévoilé mais la question de l'accompagnement de ces jeunes reste en suspens. Le parcours de vie du jeune n'est pas du tout abordé dans le questionnaire. Le sujet n'est donc pas pris en compte. Cette étude illustre le conflit entre la réalité du jeune qu'on doit considérer dans une dimension subjective et la réalité des financeurs d'établissements qui ont besoin d'obtenir des études chiffrées et codées. Avec cette vision, les jeunes dits « incasables » resteraient un nombre global et la question ne serait pas traitée au cas par cas.

Cette recherche d’« incasables » me paraît aller à contre-sens de ce qui devrait être travaillé avec cette population identifiée. En effet, ce questionnaire ajoute des critères auxquels des jeunes correspondraient. L'incasabilité semblerait avoir ses propres cases. Si un jeune correspond à ces caractéristiques, alors l'étiquette « incasable » lui serait collée sur le front. Mais si un jeune venait avec un nouveau critère ou bien avec un critère en moins que ceux préexistants, ne serait-il pas « incasable » pour le diagnostic « incasable » ? J'emploie le mot « diagnostic » car il apparaît que les recherches sur ces jeunes aient pour but de poser cette étiquette. Comme si cela était rassurant d'avoir un nom posé sur les difficultés de ces jeunes. Cela fait penser à la recherche d'un nom de maladie pour un patient dont on ne comprend pas les causes de son mal-être ou de sa mauvaise santé. Lorsque que le nom de la maladie est trouvé, cela est rassurant pour les médecins comme pour le patient qui sait enfin ce qu'il a. Puis, dans le meilleur des cas, cela permettrait au patient de recevoir des soins efficaces pour traiter sa maladie. Alors, l'incasabilité est-elle une maladie ? Une pathologie ? Une chose est sûre, c'est qu'il existe un besoin de poser ce diagnostic. Mais c'est peut-être cela qui permettra à ces jeunes un accès au soin, au thérapeutique.

Les jeunes dits « incasables » sont présentés par les sociologues Barreyre et Fiacre (2009) , qui s'appuient sur les dossiers médicaux des jeunes, comme ayant des troubles psychiques lourds et multiples : ils auraient des gros problèmes de santé accompagnés de troubles du comportement et de la conduite. Ils seraient régulièrement hospitalisés, pour la majorité en psychiatrie ou pédopsychiatrie.

provoquant une lourde souffrance psychique. Il s'agit notamment, de décès de proches, de rejet parental, de violence intrafamiliale, de violences sexuelles, de la maladie somatique et psychique d'un parent.

Ces jeunes sont décrits comme étant présents dans de nombreux passages à l'acte : violences physiques et verbales, fugues, menaces, auto-agressions, violences sexuelles, déscolarisation, tentatives de suicide. Ils sont également définis comme ayant un ou plusieurs handicaps et maladies somatiques. De par ces manifestations, il se trouve que ce sont des jeunes en grande souffrance psychique. L'enquête montre que les dates anniversaires des événements traumatiques feraient ressurgir ces troubles chez ces jeunes. Les fins d'années scolaires seraient aussi des périodes difficiles pour les enfants.

Des angoisses quant à leur situation ressurgiraient et se manifesteraient par de la violence car ils ne pourraient mettre en mots leur souffrance. Les professionnels parlent de « pratiques d'échappement de l'institution ». Lors de ces périodes difficiles, les jeunes ne se sentiraient pas en capacité de travailler avec les éducateurs ou enseignants autour d'eux afin d'éviter d'être confrontés à des scènes traumatiques qui se rejoueraient lors d'un face à face avec un adulte. Selon les auteurs, les jeunes mettraient en échec l'aide d'un tiers comme pour se défendre et se protéger de tout événement pouvant rappeler la scène initiale de violence. Dans plusieurs situations, le père serait le personnage principal de l'histoire difficile des jeunes dits « incasables ». Il serait soit vécu comme auteur de violences physiques ou sexuelles, ou bien absent de sa fonction paternelle, décédé ou inconnu. Les sociologues constatent qu'il y a de multiples hospitalisations chez certains jeunes dits « incasables ».

Ce qui amènerait le jeune à être catégorisé comme « incasable » serait le croisement entre son histoire familiale, son parcours institutionnel qui comprend différents lieux d'accueil avec des fonctionnements tous différents et le rôle des travailleurs sociaux tout au long de leur vie, d’après Barreyre et Fiacre (2009),. L'incasabilité serait donc une « période » dans la vie du jeune, marquée par des actes mis en place à la fois par le jeune (agressivité, fugues …) mais aussi par tous les intervenants autour du jeune (placements à répétitions). Ce serait une succession d'actions des professionnels et d'événements dans le parcours de ces jeunes qui vont mener à cette incasabilité. Cela signifie que l'incasabilité ne serait pas quelque chose de définitif dans la vie du jeune. Il serait nécessaire que l'enfant ou l'adolescent puisse trouver sa place si l'institution lui permet de s'installer avec ses troubles. Les manifestations corporelles, psychiques et les passages à l'acte sont tellement importants que les accompagnants se fixeraient sur ces points de façon à s'en protéger. Lorsqu'ils se

rendent compte que le jeune va demander beaucoup d'investissement et donc de l'exclusivité, les institutions pourraient faire marche arrière et demander un nouveau placement pour le jeune « trop difficile ». Effectivement, je pense que ces jeunes ont besoin de stabilité et donc d'un référent disponible, qui puisse s'investir dans la relation accompagnant-jeune ainsi que dans la durée.

Il y aurait différents points de vue sur les situations selon les sociologues (2008). Il y aurait le point de vue des institutions - qui ne sont pas toujours au fait du parcours du jeune -, celui de la famille et celui du jeune qui arrive dans une institution avec ses difficultés le mettant en souffrance. Les auteurs émettent l'hypothèse suivante : « l'incasabilité est parfois liée à la non lecture de la souffrance initiale et de son développement tout au long du parcours ». (Barreyre, J-Y, et al., 2008, p.11).

Le manque d'informations sur la vie des jeunes pourrait mener à prendre de mauvaises décisions quant à l'accompagnement du jeune.

Le placement arriverait comme quelque chose de nouveau et d'inconnu venant changer les représentations familiales d’après Barreyre et al. (2008). Cela aurait des répercussions sur la façon dont le jeune vivrait le placement, sur l’éloignement avec la famille, sur les relations parents-enfants lors de l'éloignement et sur le retour en famille qui bien souvent aurait lieu car le jeune ne trouve pas sa place en institution.

Entre les premières difficultés repérées avec retard et les premières interventions des institutions, il se serait passé parfois des années. Il serait alors compliqué pour les professionnels de connaître parfaitement les situations des familles et leurs avis seraient divergents. Les auteurs Barreyre et al. (2008) posent deux questions importantes : pour les jeunes, quel sens peut prendre cette période pendant laquelle les adultes, les professionnels et les institutions, soit les différents tiers, n'ont pas trouvé les moyens de les protéger ? Et, quel sens cela prend pour l'ensemble des professionnels ?

Beaucoup de paramètres ne seraient pas étudiés dans le parcours du jeune dit « incasable », notamment le soutien à la parentalité. Certains parents rencontrés pour la recherche et bénéficiant de mesures AEMO (Action Éducative en Milieu Ouvert), jugeraient de manière négative ces mesures dont on ne leur aurait pas expliqué le sens. Des professionnels mettraient en avant le fait que le jeune

serait objectalisé puisque le sens du parcours ne serait pas remis en question car les professionnels laisseraient place à des idées préconçues au sujet du jeune empêchant tout doute sur ce qu'il aurait vécu.

Au regard des textes présentés, il semble qu'il y ait une méconnaissance de la vie de ces jeunes dits « incasables » lorsqu'ils arrivent dans une nouvelle institution et même tout au long de leur parcours dans un établissement. Le manque de moyens humains, le manque de temps, le turn-over professionnel et donc le manque d'investissement auprès du jeune ne permettent pas l’installation d'une relation permettant à l'éducateur de comprendre et de connaître le fonctionnement psychique de cet adolescent difficile. Les multiples difficultés des jeunes font que l'accès à leur monde psychique est défendu. Il a été évoqué la notion de « techniques d'échappement », de fugues et de nombreux autres passages à l'acte qui rendent compliqués leur approche. La notion de soin a été très peu abordée auparavant puisque les auteurs étudiés jusqu'à présent étaient principalement des sociologues et non des psychologues, psychiatres ou psychanalystes. De plus, l'arrivée du soin dans les institutions pour les jeunes s'est faite tardivement comme je l'ai présenté précédemment. Le soin thérapeutique semble être au cœur de ce qui va permettre une meilleure compréhension du fonctionnement psychique chez ces jeunes appelés couramment par les sociologues : « incasables. »