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CHAPITRE I. REVUE DE LITTERATURE

I. L ES INSTITUTIONS ACCUEILLANT CES JEUNES DITS « INCASABLES »

2. L'arrivée du soin thérapeutique

2.3 La fonction tiercéisante

Avant d'approfondir la notion de tiers institutionnel, je vais développer le terme de fonction tiercéisante afin de mieux comprendre ce qui a pu se jouer chez l'enfant devenu un jeune dit « incasable ».

Dans son oeuvre17, Freud raconte ce qu'il en est dans la fonction tiercéisante en faisant le récit mythique du meurtre du père qui déterminera la loi. Cette histoire parle d'un père tyrannique et puissant puisqu'il se réserve le droit exclusif d'avoir toutes les femmes et n'hésite pas à castrer ses fils. C'est un père qui est craint par ses fils. Mais un jour ils vont se rassembler pour tuer le père et le manger. Mais rapidement Freud parle du sentiment de culpabilité qui s'empare des frères. Ils vont alors faire de ce père un totem, un Dieu le père, représentant la loi et règles qui vont fonder leur civilisation, basée sur deux interdits fondamentaux : l'interdit de l'inceste et l'interdit de tuer.

Le réel, l'imaginaire et le symbolique sont présentés par Lacan18 qui fera une interprétation de ce texte de Freud en y ajoutant ces trois registres. Le père se retrouve à travers ces trois registres : le père réel, le père imaginaire et le père symbolique. Lacan parle du « nom du père » qui est transmis à l'enfant. Ce père qui transmet le nom va également poser la loi, les interdits et les repères. C'est pendant la manifestation du complexe d’œdipe que la loi va s'imposer à l'enfant par le père. La fonction paternelle permettrait par le langage de donner un nom. C'est à travers le « nom du père » soutenu par la fonction symbolique que l'enfant va s'identifier à la figure de la loi.

17 Freud, S. (1912). Totem et tabou (Gallimard). Paris.

De plus, Lacan (1956) ajoute à la relation mère-enfant le père représenté par ce qu'il appelle « le phallus ». Il existe donc une triangulation mère-enfant-phallus. C'est la mère par le langage qui va introduire le père dans la relation. C'est le père qui va transmettre à la fois son nom mais également le « non ». C'est la fonction paternelle qui transmet les interdits et ce qui est autorisé à l'enfant. La métaphore paternelle expliquée par Lacan montre que la mère, au moment du complexe d’œdipe, va désigner le père, ce qui changera sa fonction. Le signifié va prendre un nouveau signifiant. C'est le père qui va permettre la séparation dans la relation duelle mère-enfant. Lorsque le langage est posé, il supprime la chose et permet à l'enfant de se la représenter. La parole amène le meurtre du père qui devient fonction symbolique. La métaphore paternelle permet l'accès à la symbolisation. L'enfant devient ainsi sujet et utilise le langage. Il est sujet désirant. La fonction paternelle est symbolique et peut être jouée par le père réel mais également par d'autres intermédiaires ou encore par le discours de la mère.

Pour mettre en avant ce qu'il en est de la fonction paternelle Delourmel19 reprend grand nombre d'auteurs. Il commence par citer Freud20. Freud invente la notion d'idéal du moi qui dans un premier temps sera confondu avec la notion de Sur-moi. C'est dans sa deuxième topique que le concept de « surmoi » deviendra une instance psychique. L'idéal de moi contient les traces des futurs choix d'objet de l'enfant. C'est ce qu'on appelle « celui que j'aimerai être ». Delourmel (2013) part du moi-idéal, introduit par Lagache21. Le moi-idéal est pour l'enfant un lieu de fantasme de grandeur où il se voit réalisant des tâches héroïques. Selon Lacan22, d'après Delourmel (2013), l'idéal du moi amène à l'identification au registre symbolique et notamment à l'Autre qui détermine la loi. Le moi idéal serait en lien avec le stade miroir. C'est ce qui permettrait la structuration moïque.

L'idéal du moi est placé entre le collectif et l'individuel par Freud23. Il parle d'abord de l'idéal au sein de la foule. L'identification au père se ferait sur le meneur du groupe. L'idéal de l'individu va être mis à l'écart pour l'idéal collectif. Mais Freud revient sur cette pensée pour affirmer que l'identification au père s'effectue par l'enfant dans un mode individuel. Cet idéal découle du narcissisme primaire. Pour Freud (1921), l'identification au père est de l'ordre de l'interdit et protège. Comme dieu le père auquel le groupe s'identifie.

19 Delourmel, C. (2013). De la fonction du père au principe paternel, 5(77), 1283–1353. 20 Freud, S. (1914). Pour introduire le narcissisme (Payot). Paris.

21 Lagache, D. (1961). La psychanalyse et la structure de la personnalité (PUF). Paris. 22 Lacan, J. (1949). Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je (Vol. 13). Paris. 23 Freud, S. (1921). Psychologie des foules et analyse du moi (Payot). Paris.

Delourmel (2013) cite Donnet24 qui parle de l'identification au père comme d'un « pôle antiçaïque ». Il pense que l'identification primaire au ça est opposée à l'investissement d'objet du moi. Ce qui différerait le ça du moi. Le père serait vécu comme un « autre du lien maternel ». L'identification primaire du moi élirait un « pôle antiçaïque ». Le père aurait toujours été là pour l'enfant mais de façon secondaire dans la triangulation mère-enfant-père. C'est la formation pulsionnelle du moi et du surmoi, une combinaison entre inhibition et opposition.

Cette idée d'inhibition et d'opposition comme décharge pulsionnelle est reprise par Fain25. D’ailleurs Delourmel (2013) émet l’hypothèse que chez l'enfant de trois mois se construirait une « censure » due à l'image du père au moment où la mère désinvestirait son enfant. L'enfant s'identifierait au désir de la mère pour le père, c'est ce que l'auteur appelle « l'identification hystérique précoce ». Ce processus laisserait des traces mnésiques inconscientes. Cette censure amène à la représentation au père. Le père et sa fonction de censure seraient au centre du fonctionnement psychique.

L'auteur (2013) s'intéresse à Green et reprend le concept de « principe de parenté » désignant le père. Le père ne serait pas celui avec qui l'enfant serait en rivalité ou bien objet du désir comme le définit le concept œdipien, mais il serait le « séparateur » dans la relation mère-enfant. « Le principe de parenté » s'effectue sous la pulsion du double retournement. Le « principe de parenté » amène à un changement de destinataire au moment de l’œdipe. Il se pose sur l'identification secondaire au père castrateur et à la fin de la période œdipienne, le « principe de parenté » se déplace sur l'idéal du moi.

Pour amener sa théorie du principe de parenté en le mettant en lien avec la notion de structure encadrante de la mère, Green26 s'appuie sur la théorie freudienne. Freud parle du retournement pulsionnel dans l'organisation narcissique du moi et du renversement dans le contraire et du renversement sur la personne propre. Green (1995) approfondit cette théorie en évoquant la structure du narcissisme primaire installé par le mode pulsionnel en associant la notion de double retournement et l'hallucination négative de l'appréhension de la mère. Il part du principe, développé par Freud, que la pulsion sexuelle ne cherche pas la pleine satisfaction. Il existerait alors une régulation pulsionnelle empêchant la satisfaction directe, non pas par une intervention du refoulement, mais par un

24 Donnet, J.-L. (1995b). Surmoi. Paris: PUF.

25 Fain, M. (1971). Prélude à la vie fantasmatique. Revue Française de Psychanalyse, 3(2), 291-364.

changement de sa propre nature pulsionnelle. C'est le double retournement.

Ce renoncement à la satisfaction totale permet l'attachement au parent dans une relation de tendresse, selon Green (1995). Cela permettrait que le lien avec l'objet soit fiable et tienne dans la durée. Cette « conservation de l'objet » est liée à l’inhibition de but de la pulsion. A ce moment là, l'absence de l'objet va être intériorisée. Le double retournement et la notion d'hallucination négative vont permettre à la structure encadrante de la mère d'être conçue comme une capacité fonctionnelle permettant un travail de deuil de l'objet primordial.

Le double retournement est primordial dans le fonctionnement psychique, Green27 (1983) dit : « Dans ce retournement par décussation, c’est en quelque sorte comme si la réponse de l’objet se trouvait entraînée dans ce mouvement où s’échangent, dans le courant pulsionnel, les positions extrêmes de l’intérieur et de l’extérieur. Ainsi s’effectue un croisement. Ce mouvement de retour permet de rejoindre la zone corporelle qui attend la satisfaction comme si, en celle-ci, c’était l’objet lui-même qui avait prodigué la satisfaction. Car, comme dans l’inhibition de but, l’objet a été ici conservé. Mais cette conservation a été payée de la limitation de la satisfaction. Ce qui se constituerait ainsi est un circuit qui ne portera pas sur les propriétés de l’objet, mais sur la réponse de celui-ci qui, tout en maintenant l’objet dans son absence, le déléguera auprès du sujet comme si c’était l’objet qui en accomplissait la réalisation ; où l’on pourrait voir ici une opération de métaphore ». (p.119)

Ce que Green développe ici est l’émergence de la fonction tiercéisante. Le dynamisme de double retournement fait émerger la fonction paternelle par le processus d'inhibition et de tiercéisation. C'est par ce mécanisme qu'émerge la subjectivation. Pour devenir sujet, l'enfant a besoin du tiers. Lien de parenté et structure encadrante de la mère sont nécessaires au développement psychique de l'enfant.

La fonction tiercéisante va permettre à l'enfant de devenir sujet. Il va se détacher de la mère, premier objet d'amour, internalisant l'absence d'objet puis, par double retournement pulsionnel, la pulsion se détache de l'objet allant vers les zones érogènes. C'est le retournement sur le corps propre, passant de l'activité à la passivité. Le sexuel va s'émanciper du vital laissant à l'enfant un temps narcissique puisque sans objet. Finalement, dans une nouvelle phase l'objet recherché ne sera plus celui perdu grâce à l'inhibition de but et à la tiercéisation. La notion de tiers est alors primordiale dans la construction psychique du petit enfant. Puisqu'il s'agit de la notion de tiers, qu'en est-il du tiers

institutionnel ?