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Chapitre II. Modèle d'étude et bases méthodologiques

I. Sites d’étude et modèle biologique

I.3. Le parasitisme chez Upogebia pusilla

Au moins quatre espèces de macroparasites différentes sont connues pour infester U. pusilla. Il s’agit des isopodes Bopyridae Gyge branchialis et Progebiophilus euxinicus à l’état adulte (Bourdon, 1968), d’un trématode présent sous la forme de métacercaires (Dworschak, 1988) et d’un acanthocéphale présent sous la forme d’acanthelles (Dworschak, 1988). Au cours de cette étude, nous nous sommes focalisés sur le Bopyridae Gyge branchialis et sur le parasite trématode.

I.3.1. Le Bopyridae Gyge branchialis a) Généralités

Le Bopyridae G. branchialis (Crustacea : Isopoda) est un ectoparasite de U. pusilla infestant la cavité branchiale de son hôte et provoquant la déformation de celle-ci (Figure II. 3A). Le parasite infeste indifféremment les branchies droite et gauche. Les infestations simultanées des deux branchies sont quant à elles très rares (Pascal et al., 2016b). La plupart du temps, c’est en réalité un couple de bopyres qui infeste le crustacé (Bourdon, 1968) (Figure II. 3B). Ce couple est formé d’une très large femelle, dont la morphologie très modifiée la rend difficilement reconnaissable comme appartenant au groupe des Isopoda (Figure II. 3C). Cela est notamment dû au développement très important de la cavité incubatrice (Bonnier, 1900). La surface dorsale de la femelle est placée sur les lamelles branchiales de

son hôte; la femelle s’y accroche à l’aide de petites griffes à l’extrémité de ses péréiopodes (Bonnier, 1900). L’extrémité antérieure du parasite est toujours dirigée vers l’extrémité postérieure de son hôte (Tucker, 1930). La partie buccale de la femelle est modifiée de manière à pouvoir se nourrir des fluides internes de son hôte après perçage de sa cuticule. En ce qui concerne le mâle, il est nain et est accroché aux pléopodes de la femelle bopyre, à proximité des ouvertures génitales de cette dernière (Bonnier, 1900) (Figure II. 3B et Figure II. 3D). Bonnier (1900) suggère que, tout comme la femelle bopyre, le mâle perfore la cuticule de son hôte, y enfonçant son rostre par lequel il y aspire les fluides internes.

b) Cycle de vie

Le bopyre G. branchialis présente un cycle de vie complexe, i.e. qui implique différents hôtes (Figure II. 4). Le crustacé U. pusilla constitue l’hôte définitif, i.e. celui au sein duquel le parasite se reproduit de manière sexuée. Les femelles sont ovigères toute l’année dans le bassin d’Arcachon (Pascal et al., 2016b). Les détails du cycle de vie de G. branchialis sont à ce jour inconnu. Néanmoins, les stades larvaires sont très semblables entre les différents genres d’isopodes et il est supposé que les Bopyridae arborent le cycle de vie typique suivant : des œufs produits par les bopyres adultes éclosent des larves épicaridium, qui quittent le marsupium de la femelle. Un fois dans la colonne d’eau, ces larves se fixent sur un copépode Calanoides et subissent une mue donnant une larve microniscus. La larve microniscus est suivie par une larve cryptoniscus adaptée à la vie pélagique. Celle-ci quitte son hôte copépode dans l’espoir de parasiter son hôte final décapode (Bonnier, 1900; Tucker, 1930; Williams and Boyko, 2012). A ce stade, il semble que les parasites soient mâles, mais les organes sexuels ne sont pas fonctionnels (Bonnier, 1900). La première larve cryptoniscus à infester la cavité branchiale d’une crevette de vase Figure II. 3 Le système hôte-parasite [Upogebia cf. pusilla + Gyge branchialis]. (A) U. cf. pusilla montrant un gonflement de la cavité branchiale droite (*) indiquant la présence du parasite bopyre ; (B) Couple de bopyres G. branchialis : la femelle est géante par rapport au mâle qui est positionné sur l’extrémité postérieure de la femelle, vue ventrale ; (C) Femelle G. branchialis ovigère, vue ventrale. (D) Male G. branchialis, vue dorsale. Pour (B), (C) et (D), échelle = 100 µm.

évolue en un adulte femelle, la seconde larve microniscus deviendra un mâle fonctionnel. En ce qui concerne U. pusilla, l’infestation par le bopyre G. branchialis se fait très tôt au cours de la vie de la crevette de vase, si bien que le parasite femelle grandit en même temps que son hôte, occupant ainsi toute la cavité branchiale de ce dernier (Tucker, 1930; Pascal et al., 2016b).

c) Impacts sur l’hôte

Par définition, les parasites affectent négativement leur hôte que ce soit au niveau physiologique (destruction de certains tissus, modification de l’équilibre énergétique, etc.) qu’au niveau comportemental (réduction des niveaux d’activités, comportements aberrants, etc.) (e.g., Hughes, 1940; Lauckner, 1980; Thomas et al., 2002; Mouritsen, 2002b; Stier et al., 2015).

(i) Reproduction

En ce qui concerne le bopyre G. branchialis, celui-ci entraine une castration des femelles U. pusilla et celles-ci n’ont jamais été observées ovigères lorsqu’infestées par ce parasite (Pascal et al., 2016b). Les mâles parasités sont quant à eux féminisés : la plupart présente une paire de pléopodes sur le premier segment abdominal, qui est normalement l’apanage des femelles. Par ailleurs, les caractères sexuels Figure II. 4 Cycle de vie typique des parasites Bopyridae. Un couple d’adultes infeste la cavité branchiale d’un crustacé. Ils forment des œufs portés par la femelle mature (A), qui après éclosion donneront des larves épicarides (B). Une fois dans la colonne d’eau, ces larves infestent un copépode Calanoides (C). Elles subissent une mue formant des larves microniscus. Une seconde mue permet la transformation en larves cryptoniscus (D), adaptées à la vie pélagique. Ces larves infestent alors l’hôte définitif et se développent en bopyres adultes (E). La première larve à infester l’hôte définitif donne une femelle bopyre (F), la seconde un mâle (G). D’après Williams and Boyko, 2012.

secondaires sont altérés : par exemple, les chélipèdes normalement très larges chez les mâles, présentent une morphologie similaire à celle observée chez les femelles (Bonnier, 1900; Tucker, 1930; Hughes, 1940). L’influence du parasite sur les capacités reproductrices des mâles n’est, à ce jour, pas tranchée. En effet, Tucker (1930) a noté une grande variabilité entre différents mâles parasités. Certains présentaient des gonades à peines réduites, la spermatogenèse n’étant pas affectée, alors que chez d’autres individus aucune trace des gonades n’était même détectable. Il a été suggéré que l’influence négative du parasite sur les capacités reproductives de son hôte (au moins en ce qui concerne la femelle) pourrait être due à un déséquilibre énergétique. En effet, le parasite se nourrissant sur les fluides internes de U. pusilla, il est possible qu’il réduise la quantité d’énergie disponible nécessaire à l’ovogenèse (et éventuellement la spermatogenèse) (Hughes, 1940; Williams and Boyko, 2012). Concernant les mâles, la féminisation pourrait être due au parasite interférant avec le fonctionnement de la glande androgénique (Reinhard, 1956; Nanri et al., 2011). Cette glande produit en effet une hormone responsable de la différenciation sexuelle et de la mise en place des caractères sexuels secondaires mâles chez les crustacés.

(ii) Croissance

La croissance chez les crustacés est discontinue, s’effectuant par mues successives. Le bopyre G.

branchialis n’empêche pas la mue de son hôte (Tucker, 1930). En revanche, les organismes parasités

présentent une croissance réduite, atteignant des tailles moins importantes que leurs congénères non parasités (Pascal et al., 2016b). Il peut ainsi être envisagé que la fréquence des mues soit réduite chez les individus parasités (Tucker, 1930). Par ailleurs, à taille égale, les individus parasités sont plus légers que les individus non parasités (Pascal et al., 2016b), probablement en lien avec le parasite constituant un fardeau énergétique pour son hôte.

(iii) Comportement

Il a été suggéré que les parasites puissent induire des modifications indirectes du comportement de leurs hôtes, en lien avec l’influence négative sur l’état physiologique général des crustacés (Williams and Boyko, 2012). De telles modifications de comportement n’ont pas été observées par Tucker (1930) qui note que « the influence of the parasite on the general vitality of the host seems to be negligible. There is no noticeable effect on the activity of the animals or on their viability in aquaria ». A l’inverse, la thèse de L. Pascal (2017) a mis en évidence que les individus parasités étaient bien moins actifs que les individus sains. Par exemple, les organismes parasités passent en moyenne 3 fois plus de temps à se reposer que les individus sains en été. Ces modifications de comportement sont en lien avec une altération de l’intensité de la bioturbation générée par U. cf. pusilla puisque les organismes parasités montrent des taux de remaniement sédimentaire et de bioirrigation 4,5 et 2,9 fois plus faibles, respectivement, que ceux enregistrés pour les individus non parasités à cette même période.

I.3.2. Le trématode digène

Dans son travail de 1988, Dworschak fait état de la présence de métacercaires de trématodes chez U.

pusilla en mer Adriatique. Il note qu’il s’agit d’endoparasites présents au niveau de l’hépatopancréas et

de l’abdomen de U. pusilla. Le parasite semble prévalent (20 à 80 % des femelles parasitées), mais l’intensité des infections apparait relativement faible. A notre connaissance, il n’existe pas d’autres informations disponibles sur ce trématode, a priori, digène. Les trématodes digènes possèdent un cycle de vie complexe impliquant généralement trois hôtes (bien qu’un à quatre hôtes soient également possible) (Figure II. 5). Ce cycle de vie typique implique un vertébré comme hôte définitif où le parasite se reproduit de manière sexuée (exceptionnellement un invertébré peut servir d’hôte définitif dans le cas de cycles raccourcis). Les œufs formés se retrouvent dans le milieu naturel par le biais des fèces. Ils forment alors des larves miracidiums, nageuses, qui infestent un premier hôte intermédiaire (mollusque ou polychète). Ces larves se transforment d’abord en sporocystes, et éventuellement ultérieurement en rédies. Sporocystes et rédies permettent une intense multiplication asexuée du parasite. Il en résulte la formation de cercaires émises dans l’environnement. Ces larves infestent alors un second hôte intermédiaire ou sont directement ingérées par ce dernier. Dans le second hôte intermédiaire, le parasite forme des métacercaires. Le cycle est complet lorsque le second hôte intermédiaire est ingéré par l’hôte définitif dans lequel la métacercaire forme un adulte (Rohde, 2005). La crevette de vase U. pusilla abritant des métacercaires, elle joue le rôle de second hôte intermédiaire dans le cycle du parasite trématode dont la présence a été évoquée par Dworschak (1988).

Figure II. 5 Cycle de vie typique des trématodes digènes, impliquant trois hôtes et une alternance de stades libres (boîtes bleues) et parasites (boîtes grises).

Figure II. 6 Protocole général de traitement des échantillons de Upogebia cf. pusilla récoltés au cours des suivis de terrain (Chapitre III) et des expériences en laboratoire (Chapitres IV et V). En ce qui concerne les échantillons des suivis spatial et temporel initiés au cours de la thèse de L. Pascal (2017) (données analysées dans le cadre du Chapitre III-A), on notera que le protocole s’arrête à l’étape (4) (i.e. pas de dissections de l’hépatopancréas et du muscle abdominal) et que l’étape (3c) n’a pas non plus été réalisée.