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Chapitre II. Modèle d'étude et bases méthodologiques

I. Sites d’étude et modèle biologique

I.2. Modèle d’étude : les thalassinidés et l’espèce Upogebia pusilla

Les thalassinidés sont des crustacés décapodes présentant une morphologie de type crevette et sont ainsi désignés sous le terme « crevette de vase » ou « mud shrimp » dans la littérature anglo-saxonne (on parle également de « sandprawn » ou de « ghost shrimp ») (Pillay and Branch, 2011) (Figure II. 2). Ce sont des organismes endobenthiques créant, pour la plupart, des terriers dans les sédiments meubles marins intertidaux et subtidaux. On les retrouve essentiellement au niveau des zones côtières à des profondeurs allant de 0 à 200 m, bien que quelques espèces aient été identifiées à plus de 2000 m de profondeur (Dworschak, 2000). Ces organismes sont retrouvés aussi bien au niveau des zones tropicales que tempérées, la richesse spécifique allant croissant des hautes aux basses latitudes (Dworschak, 2000). Cependant, ces crevettes de vase ne colonisent pas les régions polaires. Le groupe des thalassinidés est actuellement considéré comme paraphylétique et deux infra-ordres ont été proposés en remplacement : les Axiidea et les Gebiidea (Robles et al., 2009). Néanmoins, considérant que les membres de ces deux groupes présentent des traits fonctionnels très semblables, le terme « thalassinidé » reste admis tout en reconnaissant qu’il n’a pas de valeur taxinomique (Pillay and Branch, 2011). Actuellement, les thalassinidés regroupent 556 espèces réparties en 11 familles (Dworschak, 2005).

Cadée (2001) considère que les thalassinidés sont parmi les plus grand bioturbateurs des écosystèmes marins côtiers. Comme précédemment défini, la bioturbation constitue l’ensemble des processus affectant la matrice sédimentaire. Les thalassinidés sont à l’origine d’un important remaniement sédimentaire en lien avec la création et la maintenance de leur terrier (Branch and Pringle, 1987;

1 Au cours de ce chapitre nous utiliserons à la fois les termes « Upogebia pusilla » et « Upogebia cf. pusilla ». Le premier terme sera utilisé lorsque nous nous réfèrerons aux travaux ayant été menés hors du bassin d’Arcachon ; à l’inverse le second sera utilisé pour les organismes prélevés dans cet écosystème. En effet, de récentes analyses morphologiques et génétiques (B. Gouilleux et A. Dairain) montrent qu’il existe, à ce jour, une légère incertitude sur l’identification de l’espèce du bassin d’Arcachon.

Figure II. 2 Exemple de thalassinidés: l'espèce Upogebia cf. pusilla. (A) U. cf. pusilla sur du sédiment colonisé par de l'herbier à zostère naine Zostera noltei (crédit: X. de Montaudouin) et (B) morphologie générale. Pour (A) et (B), échelle = 1 cm.

Berkenbusch and Rowden, 1999; Pillay and Branch, 2011). En effet, ces crustacés excavent des particules sédimentaires à la surface eau-sédiment lors de leurs activités de fouissage mais jouent également sur la répartition des particules dans la colonne sédimentaire (sédiments compactés le long des parois du terrier, stockés dans certaines galeries, etc.). Le sédiment éjecté en surface, forme de petits monticules modifiant la topographie de l’interface eau-sédiment et potentiellement le régime des courants à ce niveau (Ziebis et al., 1996). En plus de leur influence sur la structure physique des sédiments, les thalassinidés jouent un rôle clé sur leur biogéochimie (D’Andrea and DeWitt, 2009; Pillay and Branch, 2011; Sasaki et al., 2014; Pascal et al., 2016a). Ces organismes fouisseurs vivent en effet sous la zone de pénétration de l’oxygène. Ils ventilent ainsi fréquemment leur terrier, permettant le maintien d’une concentration en oxygène nécessaire à leur respiration. La ventilation du terrier permet en outre l’élimination des déchets métaboliques. Cette ventilation entraine une bioirrigation du sédiment, stimulant les échanges de solutés (nutriments et oxygène) entre les eaux interstitielles et l’eau surnageante via des transports diffusifs et advectifs (Volkenborn et al., 2012a; Aller, 2014). Finalement, les activités de bioturbation des thalassinidés influant sur la structure physique des sédiments ainsi que sur leur caractéristiques biogéochimiques, ces organismes impactent in fine la structure des communautés de micro-, meio- et macro-organismes (voir la revue de Pillay and Branch, 2011). Les thalassinidés sont ainsi considérés comme des espèces ingénieures de l’écosystème (sensu Jones et al., 1994).

I.2.2. Ecologie de Upogebia pusilla a) Répartition et milieu de vie

La crevette de vase Upogebia pusilla (anciennement Upogebia littoralis) appartient à l’infra-ordre des Gebiidae (Figure II. 2). La distribution géographique de cette espèce s’étend des côtes de la Mauritanie aux côtes bretonnes (de Saint Laurent and Le Loeuff, 1979). Elle a été retrouvée occasionnellement jusqu’en Norvège. Cette espèce est également commune sur le pourtour méditerranéen jusqu’en Mer Noire et en Mer Rouge (Dworschak, 1987b). En Méditerranée, U. pusilla occupe les zones intertidales et subtidales côtières à des densités maximales de 80 à 230 ind m-2 (Dworschak, 1987b). A l’inverse, U.

pusilla n’a été retrouvée qu’en zone intertidale sur la côte Atlantique française (RESOMAR 2017). Une

campagne d’échantillonnage menée dans le bassin d’Arcachon (voir ci-dessus) a montré des densités maximales de crevettes de vase plus faibles que celles rapportées en Méditerranée allant de 1 à 39 ind m-2 (Tableau II. 1) (Pascal, 2017). En Méditerranée comme sur la côte Atlantique, U. pusilla colonise les sédiments sablo-vaseux (Dworschak, 1987b; Pascal, 2017), où elle construit des terriers en forme de « U ». A cette forme générale en « U » peuvent s’ajouter différentes branches secondaires, donnant parfois l’apparence d’un « Y » au terrier. Le diamètre des branches du terrier est corrélé à la largeur de la carapace de l’organisme y habitant (Dworschak, 1983). Les terriers de U. pusilla peuvent s’étendre verticalement jusqu’à des profondeurs de 49 cm (Pascal, 2017). Chaque terrier n’est occupé que par un

seul individu, sauf lors de la période de reproduction, au cours de laquelle deux individus peuvent occuper le même terrier (observations personnelles).

b) Alimentation

Le crustacé U. pusilla est considéré comme un organisme suspensivore. La crevette initie un courant d’eau unidirectionnel dans son terrier (activité de ventilation du terrier) grâce aux battements intermittents de ces pléopodes abdominaux (Figure II. 2). La mise en place de ce courant d’eau est facilitée par l’architecture en « U » du terrier. Les particules organiques apportées par ce courant d’eau sont filtrées à l’aide de longues soies présentes sur les deux premières paires de péréiopodes des organismes. Les soies des péréiopodes s’entrelacent et forment un panier permettant de récupérer les particules en suspension. A l’aide de sa troisième paire de maxillipèdes, la crevette balaie régulièrement ce panier et transfère alors les particules alimentaires vers sa bouche (Dworschak, 1987a). En plus de ces activités de filtration, U. pusilla peut se nourrir directement sur les sédiments des parois de son terrier et/ou sur les sédiments de surface. Ce régime déposivore est notamment observé lors des périodes de construction du terrier (Dworschak, 1987a). Les activités de ventilation générant un flux d’eau dans le terrier permettent par ailleurs le renouvellement de la colonne d’eau et donc l’apport d’oxygène pour la respiration ainsi que l’élimination des métabolites (Dworschak, 1981).

c) Croissance et reproduction

La crevette de vase U. pusilla est une espèce gonochorique dont la durée de vie est estimée à 3–5 ans (Dworschak, 1988; Kevrekidis et al., 1997). Il existe un profond dimorphisme sexuel entre mâles et les femelles, ces dernières atteignant en général des tailles moins importantes que les mâles et présentant notamment des chelipèdes également moins larges (Dworschak, 1988). Ainsi, les organismes peuvent mesurer jusqu’à 60 et 66 mm pour les femelles et les mâles, respectivement (longueur totale TL : de l’extrémité du rostre à la partie postérieure du telson) (Dworschak, 1988). Néanmoins, dans le bassin d’Arcachon, les tailles maximales observées sont de 54 mm pour les deux sexes. Ces tailles maximales sont atteintes en moins d’un an (Pascal et al., 2016b). A ce jour, peu d’informations sont disponibles concernant la reproduction de U. pusilla, i.e. de la copulation au recrutement. Néanmoins, il semble que la maturité sexuelle soit atteinte au cours de la première année avec les plus petites femelles ovigères mesurant 36 mm, les mâles étant considérés comme sexuellement matures dès 15 mm TL (Dworschak, 1988; Pascal et al., 2016b). Dans le bassin d’Arcachon, les femelles sont ovigères de mai à septembre. Cette espèce présente une fécondité relativement élevée, avec des femelles pouvant porter jusqu’à plus de 10 000 œufs (Dworschak, 1988). Après une période d’incubation de huit semaines, les larves sont libérées dans la colonne d’eau. Il semble que la période larvaire comprenne au moins quatre phases, suivie d’une phase post-larvaire à partir de laquelle l’animal commencerait à s’enfouir dans le sédiment. La durée de ces phases reste inconnue (Dworschak, 1988).

d) Comportement

Les différents comportements de U. cf. pusilla ont été caractérisés au cours de la thèse de L. Pascal (2017). Ce dernier a mis en évidence quatre comportements principaux:

(1) locomotion : déplacement de la crevette dans le terrier, sans transport de sédiments.

(2) fouissage : la crevette creuse et déplace les particules sédimentaires.

(3) ventilation : le battement des pléopodes de la crevette permet la mise en place d’un courant unidirectionnel d’eau dans le terrier. Ce comportement peut entrainer le transport de particules de sédiment en suspension.

(4) repos : la crevette ne se déplace pas et ne présente aucune activité visible.

Les comportements de fouissage et, dans une moindre mesure, de ventilation sont associés au processus de remaniement sédimentaire, tandis que le comportement de ventilation est à l’origine des processus de bioirrigation.

Il est à noter que la proportion de temps alloué à chacun de ces comportements varie selon la saison. Les organismes sont en effet beaucoup plus actifs en été passant environ 80 % de leur temps à ventiler leur terrier et à fouir. A l’inverse, en hiver les organismes passent plus de 50 % de leur temps inactifs. En se basant sur ces observations, nous avons ainsi choisi de réaliser nos expérimentations en laboratoire au cours de l’été (Chapitres IV et V).