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Chapitre I-B. Contamination métallique en milieu aquatique, rôles de la bioturbation

I. Contamination métallique en milieu marin

I.3. Devenir des éléments métalliques en milieu marin

I.3.1. Dans la colonne d’eau

Les éléments métalliques parviennent dans les zones côtières sous forme dissoute et/ou associés aux particules en suspension. Leur devenir dépend alors des propriétés physico-chimiques propres à chaque élément ainsi que de l’ensemble des variables physico-chimiques du milieu (salinité, pH, concentration en matières en suspension, etc.) qui modulent les spéciations physique et chimique des éléments métalliques. La spéciation physique distingue les différentes formes d’un métal selon leurs tailles : formes particulaires (> 220 nm), colloïdales (10–220 nm) ou dissoutes « vraies » (< 10 nm) (ces limites étant arbitraires). La spéciation chimique caractérise quant à elle la distribution des éléments métalliques parmi les différentes espèces chimiques (Figure I-B. 2). Les espèces métalliques dissoutes peuvent ainsi être retrouvées sous une forme libre ou complexée avec des composés inorganiques (Cl-, HCO3-, SO42-, etc.) ou organiques (substances humiques, acides aminés, etc.) (Figure I-B. 1, Figure I-B. 2). Les éléments métalliques peuvent également être associés à de la matière organique particulaire (restes d’organismes, pelotes fécales, etc.) et avec différentes fractions minérales (argiles, oxydes et hydroxydes de Fe, etc.), formant la fraction particulaire (Figure I-B. 2) (Gonzalez and Chiffoleau, 1999; Campbell and Couillard, 2004; Bjerregaard and Andersen, 2014). Il existe un équilibre dynamique entre les différentes formes prises par les éléments métalliques dans les environnements aquatiques, plusieurs types de réaction permettant le passage de l’une à l’autre de ces formes (réactions de complexation-dissociation, d’adsorption-désorption, d’oxydo-réduction ou encore biologique).

Figure I-B. 2 Spéciation des éléments métalliques en solution. M : élément métallique. D’après Bjerregaard and Andersen (2014) et Campbell and Couillard (2004).

I.3.2. Dans les sédiments

A terme, les éléments métalliques (sous formes soluble ou particulaire) seront déposés sur les sédiments marins (Figure I-B. 1), qui constituent ainsi d’importants puits pour ces éléments. Ceux-ci peuvent diffuser ou précipiter depuis la colonne d’eau vers la colonne sédimentaire mais sédimentent plus généralement sur les fonds océaniques liés aux matières en suspension.

Les sédiments constituent une matrice hétérogène, formée de trois compartiments au sein desquels les éléments métalliques se répartissent (Förstner and Wittmann, 1981) :

(1) une phase inorganique, constituée des minéraux des roches terrestres et de débris divers (coquilles, squelettes). Ces particules sont recouvertes par des (hydr)oxydes de Fe et de Mn qui présentent une importante capacité d’adsorption des éléments métalliques.

(2) une phase organique qui peut complexer les éléments métalliques, ceux-ci pouvant être libérés lors de sa dégradation. Elle joue ainsi un rôle particulièrement important dans la biodisponibilité des éléments métalliques.

(3) des eaux interstitielles, occupant l’espace entre les particules sédimentaires et dans lesquelles les éléments métalliques sont retrouvés sous forme dissoute (ions libres, complexes organiques ou inorganiques).

La distribution des éléments métalliques entre ces différents compartiments dépend des caractéristiques physico-chimiques du milieu (pH, potentiel redox, teneur en oxygène, etc.) et des propriétés propres aux métaux (Förstner and Wittmann, 1981; Calmano et al., 1993; Mason, 2013). Ces caractéristiques physico-chimiques peuvent être fortement modifiées lors de la diagenèse des sédiments, notamment en lien avec les processus de dégradation et d’enfouissement de la matière organique dans les sédiments.

La diagenèse peut être définie comme l’ensemble des processus affectant un dépôt sédimentaire et qui le transforme en roche sédimentaire. Ces processus sont à la fois physiques (compaction du sédiment et expulsion de l’eau interstitielle) mais également chimiques (dissolution, précipitation, désorption, etc.). La dégradation de la matière organique est l’un des processus moteur de la diagenèse. Cette minéralisation de carbone organique est un phénomène progressif impliquant toute une séquence d’oxydo-réduction dans la colonne sédimentaire (Figure I-B. 3). Les réactions d’oxydo-réduction nécessitent la présence d’accepteurs finaux d’électrons: O2, NO3-, MnO2, Fe2O3, SO42- et CO2. Ces accepteurs d’électrons sont utilisés successivement en fonction du rendement d’énergie de la réaction redox (Froelich et al., 1979). La disponibilité de ces oxydants varie dans la colonne sédimentaire. Cette dernière présente ainsi une stratification verticale chimique mais également biologique, en lien avec la présence d’organismes capables de réaliser les différentes réactions redox de minéralisation de la matière organique. De la surface vers le fond, on retrouvera tout d’abord une zone oxique dans laquelle

l’oxygène moléculaire est présent, puis une zone suboxique avec présence de nitrates, d’oxydes et d’hydroxyde de Mn et de Fe, et finalement une zone anoxique avec des sulfates.

Les échanges des éléments métalliques entre les différents compartiments du sédiment sont complexes (Förstner and Wittmann, 1981; Mason, 2013). Néanmoins, de manière générale, l’oxydation de la matière organique par l’oxygène conduit aux relargages des métaux initialement associés à ces particules dans la zone oxique. Ces éléments métalliques sont libérés dans les eaux interstitielles où ils peuvent rester dissous (Cu, Cd) ou s’associer aux (hydr)oxydes de Fe et de Mn. Dans les zones suboxiques, la réduction de ces oxydes et hydroxydes entraine la désorption des éléments métalliques et la libération du Fe et du Mn dans les eaux interstitielles sous forme dissoute. Finalement, en milieu anoxique, la réduction des sulfates libère des ions sulfures qui contribuent au piégeage des éléments métalliques, en particulier des éléments cationiques divalents qui ont une forte affinité pour ces ions (Förstner and Wittmann, 1981; Shaw et al., 1990). L’ensemble de ces processus est à l’origine de gradients de concentrations des éléments métalliques dans les eaux interstitielles conduisant à la mise en place de flux biodiffusifs et d’échanges à l’interface eau-sédiment (Shaw et al., 1990; Blasco et al., 2000).

Figure I-B. 3 (A) Distribution des principaux accepteurs d’électrons et réactions d’oxydo-réduction impliquées dans les processus de minéralisation de la matière organique et (B) zonation chimique accompagnant les processus de minéralisation. D’après Canfield and Thamdrup (2009).

L’exemple du cadmium (Cd)

Le cadmium, élément n° 48 du tableau périodique, est un ETM dont les concentrations moyennes dans la croûte terrestre sont de 0,1 à 30 µmol kg-1 selon le type de roches considérées (ignées vs.

sédimentaires) (Mason, 2013). Cet élément est présent dans les minerais de Zn, de Pb et de Cu. Il intervient notamment dans la composition des accumulateurs (piles nickel-cadmium) et de certains alliages, il sert également de stabilisant aux matières plastiques. Le Cd n’a pas de fonction biologique connue chez les Métazoaires et est hautement toxique, ainsi considéré comme substance d’intérêt prioritaire dans le cadre de la directive cadre sur l’eau de l’Union Européenne (directive 2008/105/EC). Le cycle naturel du Cd est considéré comme l’un des plus perturbés par les activités humaines, les rejets anthropiques surpassant de loin les apports naturels (Tableau I-B. 1) (Wright and Welbourn, 1994; Gonzalez and Chiffoleau, 1999). Les apports fluviaux représentent la principale source de Cd des eaux côtières et océaniques. Le Cd est transporté sous forme particulaire (associé aux matières en suspension) et dissoute. Cet élément est dit non-conservatif, i.e. lorsque les eaux fluviales et océaniques se mélangent, la concentration du Cd ne suit pas une droite de dilution. Au contraire, on note une désorption du Cd lié aux particules en suspension à mesure que la salinité augmente, et donc une augmentation de la fraction dissoute du Cd (Figure I-B. 4). Le Cd forme alors des chlorocomplexes dissous très stables, représentant environ 97 % du Cd total dans les eaux océaniques (Figure I-B. 5) (Mantoura et al., 1978; Wright and Welbourn, 1994). Le maximum de concentration de Cd est atteint pour des salinités moyennes, i.e. de 15 à 20. Au-delà de ces salinités, on observe une diminution des concentrations qui traduit un comportement conservatif (dilution avec l’eau de mer). Ainsi, les estuaires peuvent représenter des sources de Cd dissous non négligeables pour les écosystèmes côtiers (Gonzalez and Chiffoleau, 1999). La salinité est donc l’un des principaux facteurs influant sur la spéciation du Cd dans l’eau. Néanmoins, la quantité de matière en suspension (suspended particulate matter SPM) semble également jouer un rôle important dans la spéciation du Cd ; celle-ci favoriserait notamment sa solubilisation dans les milieux anoxiques (Gonzalez and Chiffoleau, 1999).

Figure I-B. 4 Concentration en cadmium dissous (Cd, ng L-1) dans l’estuaire de la Gironde le long du gradient de salinité et quantité de matière en suspension (SPM, mg L-1). Concentration en Cd dans les eaux de surface, concentration en Cd dans les eaux de fond ; la zone en pointillés représente la quantité de matières en suspension. D’après Dabrin et al. (2009).

Les concentrations en Cd dans les eaux côtières sont relativement faibles comparativement à celles observées dans les sédiments (de l’ordre du ng–µg L-1 vs. mg kg-1, respectivement) (voir Luo et al., 2013 pour un exemple dans un environnement pollué). Ces différences d’ordre de grandeur peuvent être mises en lien avec les importants flux de contaminants métalliques depuis la colonne d’eau vers le sédiment. Il a par exemple été estimé qu’environ 69 % du Cd charrié par les eaux du Saint-Laurent était retenu dans les sédiments estuariens et côtiers (Yeats and Bewers, 1982; Mason, 2013). Dans les sédiments, la solubilité du Cd dépend notamment du pH et des ligands présents. Dans les zones oxiques, le Cd est lié à des oxydes de Fe, et dans une moindre mesure, à des oxydes de Mn et des composés organiques humiques (Wright and Welbourn, 1994). L’oxydation des hydr(oxydes) de Fe et de Mn et de la matière organique entraine la solubilisation du Cd dans les eaux interstitielles, où il peut rester sous forme dissoute. Dans les sédiments anoxiques, la réduction des sulfates entraine la libération de sulfures qui peuvent fortement lier le Cd (Di Toro et al., 1990, 1996). Dans ces environnements, la quantité de Cd dans les eaux interstitielles peut être très faible dans le cas où la quantité de sulfures volatiles extractibles à l’acide (Acid-Volatile Sulfides AVS, principalement des monosulfures de Fe) excède la quantité de Cd (Di Toro et al., 1990).