• Aucun résultat trouvé

Chapitre I-B. Contamination métallique en milieu aquatique, rôles de la bioturbation

II. Bioturbation et remobilisation des éléments métalliques

Les concentrations en éléments métalliques des sédiments marins sont souvent bien supérieures à celles notées dans la colonne d’eau et les sédiments marins sont ainsi considérés comme constituant un puits d’éléments métalliques. Néanmoins, le stockage des éléments métalliques dans les sédiments n’est pas un processus définitif, ces derniers pouvant être remobilisés depuis les phases particulaires vers l’eau interstitielle ou directement vers la colonne d’eau (Förstner and Wittmann, 1981; Salomons et al., 1987; Calmano et al., 1993). Les sédiments marins et les éléments métalliques qu’ils contiennent peuvent ainsi constituer une menace pour les organismes aquatiques (Roberts, 2012) ; certains auteurs utilisant même le terme de « chemical bomb » (Stigliani, 1991). La remobilisation des métaux contenus dans les Figure I-B. 5 Spéciation chimique du cadmium en fonction de la salinité, pH = 6,8. D'après Rainbow et al. (1993) et Wright and Welbourn (1994).

sédiments résultent des modifications des paramètres physico-chimiques du milieu (salinité, pH, potentiel redox, etc.), modifiant la spéciation des éléments métalliques. Divers processus naturels (courant, tempêtes, etc.) ou anthropiques (dragage notamment) sont à l’origine d’une remobilisation des éléments métalliques. Cette remobilisation se fait notamment via la remise en suspension des particules sédimentaires sur lesquelles sont fixés certains métaux (Förstner and Wittmann, 1981; Roberts, 2012; Mason, 2013). Une fois dans la colonne d’eau, des processus d’oxydo-réduction sont à l’origine de la solubilisation de certains éléments métalliques, la présence d’oxygène permettant notamment l’oxydation des complexes soufrés qui eux-mêmes lient fortement les métaux dans les zones suboxiques et anoxiques des sédiments. Dans la colonne d’eau, le taux de désorption des métaux des particules sédimentaires dépend des propriétés des sédiments remis en suspension (granulométrie, quantité de matière organique, oxyde de Fe et de Mn, etc.), mais également des propriétés physico-chimiques de la colonne d’eau elle-même (pH, salinité, concentration en oxygène, etc.) (Cantwell et al., 2002; Eggleton and Thomas, 2004; Atkinson et al., 2007).

Outre les processus purement physiques et chimiques, la bioturbation constitue un mécanisme biologique majeur pouvant jouer sur le devenir des métaux des sédiments. Comme évoqué au cours du Chapitre I-A, la bioturbation peut être définie comme l’ensemble des processus affectant la matrice sédimentaire (Kristensen et al., 2012). Du fait de leur activité de fouissage, de locomotion, de nutrition ou via la construction et le maintien de structures biogéniques (terriers notamment), les organismes bioturbateurs sont à l’origine d’importants transports de particules sédimentaires ou remaniement sédimentaire (Rhoads and Young, 1971; Cadée, 1976; Coulon and Jangoux, 1993). Par exemple, ces processus de mélange du sédiment transportent de la matière organique labile dans les couches profondes du sédiment et stimule ainsi l’activité microbienne. De manière inverse, le remaniement sédimentaire permet un transfert des complexes réduits insolubles (FeS, FeS2) liant les éléments métalliques vers les zones oxiques du sédiment. Par ailleurs, le déplacement des particules sédimentaires par les organismes bioturbateurs modifient la structure physique des sédiments, i.e. leur porosité ainsi que leur répartition granulométrique (e.g., Rhoads and Young, 1970; Jones and Jago, 1993; Volkenborn

et al., 2007a).

Chaque espèce bioturbatrice est à l’origine d’un remaniement sédimentaire qui lui est propre, dépendant de ses caractéristiques comportementales (locomotion, nutrition, etc.). Néanmoins, il existe des similitudes entre les modes de remaniement sédimentaire des bioturbateurs, permettant de les classifier en grand groupes fonctionnels (Figure I-B. 6) (Kristensen et al., 2012):

(1) les biodiffuseurs sont à l’origine d’un transport des particules sédimentaires dans toutes les directions de l’espace mais sur de relativement courtes distances. Ce transport peut ainsi être comparé à un processus de diffusion moléculaire (Figure I-B. 6A).

(2) les convoyeurs sont des organismes à l’origine d’un transport orienté des sédiments. Ce transport peut s’effectuer vers l’interface eau-sédiment (convoyeurs vers le haut, Figure I-B.

6B) ou en profondeur dans la colonne sédimentaire (convoyeurs vers le bas, Figure I-B. 6C). Ces espèces sont généralement orientées verticalement dans la colonne sédimentaire ; leur orientation déterminant le sens du convoyage des particules sédimentaires.

(3) les régénérateurs sont des organismes qui construisent et maintiennent des terriers dans les sédiments. Ils sont à l’origine d’un transport de particules sédimentaires dans les différentes directions de l’espace : des particules sont excavées lors des activités de fouissage en lien avec la création et le maintien des terriers, des transports passifs de sédiments de la surface vers des horizons plus profonds sont également possibles via les processus de ventilation des terriers ou lorsque ceux-ci s’effondrent (Figure I-B. 6D).

En plus de ces mouvements de particules sédimentaires, les espèces bioturbatrices génèrent des mouvements d’eau et de solutés dans la colonne sédimentaire et entre les eaux interstitielles et l’eau surnageante (Kristensen et al., 2012). Ce phénomène de bioirrigation du sédiment est particulièrement le fait de bioturbateurs endogés construisant des structures biogéniques qu’ils doivent ventiler de manière à assurer un apport suffisant de dioxygène pour leur propre physiologie, voire de nourriture dans le cas d’organismes suspensivores. La bioirrigation du sédiment par les espèces bioturbatrices permet notamment d’étendre la profondeur de pénétration des accepteurs d’électrons, et notamment du O2 (Figure I-B. 7) (Zorn et al., 2006; Glud, 2008), et influence également les conditions d’oxydo-réduction dans les sédiments (Krantzberg, 1985). Par ailleurs, les activités intermittentes de ventilation des terriers sont à l’origine d’un apport discontinu de O2 dans les sédiments provoquant des oscillations Figure I-B. 6 Principaux types de remaniement sédimentaire exercés par la faune benthique et définissant les groupes fonctionnels d'espèces bioturbatrices. (A) Biodiffuseur, (B) convoyeur vers le haut, (C) convoyeur vers le bas et (D) régénérateur. D'après Kristensen et al. (2012).

des conditions d’oxydo-réduction, qui stimulent d’autant plus les processus de minéralisation de la matière organique (Aller, 1994). Ainsi, les processus de bioirrigation modulent (1) les taux d’échanges de composés chimiques dissous entre les phases particulaires et aqueuses des sédiments, (2) la répartition des espèces chimiques dans la colonne sédimentaire et (3) le cycle biogéochimique de ces espèces (Aller, 1982). In fine, la bioturbation interfère avec la séquence diagénétique classique présentée précédemment et altère la stratification chimique verticale théorique des sédiments (Figure I-B. 8) (Aller, 1982, 1988).

Figure I-B. 7 Influence du bioturbateur Hediste (Nereis) diversicolor sur les propriétés biogéochimiques d’un sédiment sableux. Les activités de ventilation du terrier entrainent l’oxydation des sédiments à proximité des parois des terriers (en marron clair) alors que le reste de la colonne sédimentaire est réduite (en marron foncé). Les flèches indiquent le sens de la ventilation du terrier. D’après Kristensen et al. (2012).

Figure I-B. 8 Modification de la stratification chimique verticale de la colonne sédimentaire par les organismes bioturbateurs. D’après Aller (1982).

Considérant que les transports de sédiments, d’eau et de solutés initiés par les espèces bioturbatrices modulent à la fois les propriétés physiques et chimiques des sédiments (Rhoads and Young, 1970; Aller, 1982; Krantzberg, 1985; Jones and Jago, 1993; Volkenborn et al., 2007a), la bioturbation peut influer sur (1) la distribution des métaux au sein de la colonne sédimentaire, (2) leur répartition entre les phases particulaire et dissoute, (3) leur spéciation chimique et (4) leur transfert à l’interface eau-sédiment. L’influence des bioturbateurs sur le devenir des éléments métalliques dans les sédiments a particulièrement été étudiée dans les environnements d’eau douce (e.g., Ciutat and Boudou, 2003; Ciutat

et al., 2007; Lagauzère et al., 2009; Schaller, 2014; Blankson and Klerks, 2016). En milieu marin la

littérature est moins développée. Néanmoins, il a été montré qu’en présence d’un sédiment expérimentalement enrichi en Cd le polychète Arenicola marina réduit la diffusion moléculaire de ce contaminant depuis le sédiment vers la colonne d’eau. De plus, la bioturbation exercée par cet organisme modifie largement la répartition du Cd dans le sédiment, en lien avec le type de remaniement sédimentaire propre à cette espèce. En effet, A. marina est un convoyeur vers le haut et il a été montré que les couches sédimentaires de surface présentaient un enrichissement en Cd alors que celles plus profondes étaient appauvries en cet élément (Rasmussen et al., 2000). L’influence de l’amphipode

Victoriopisa australiensis sur le devenir et la biodisponibilité des éléments métalliques contenus dans

un sédiment prélevé dans un environnement pollué a également été quantifiée. Cet amphipode module notamment les concentrations en éléments métalliques biodisponibles dans les couches superficielles de la colonne sédimentaire et stimule par ailleurs la remobilisation de certains contaminants vers la colonne d’eau surganeante (Remaili et al., 2016, 2017). Finalement Atkinson et al. (2007) se sont également intéressés au rôle joué par le bivalve Macomona (Tellina) deltoidalis sur le devenir des contaminants