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Le paradigme de la subordination autochtone à la modernité

CHOIX PARADIGMATIQUE ET THÉORIQUE

2.1 Les paradigmes dans les études de la gouvernance autochtone du territoire

2.1.1 Le paradigme de la subordination autochtone à la modernité

Le premier paradigme, que nous appelons « de la subordination autochtone à la modernité » stipule que la modernité correspond à un type de société qualitativement supérieur aux sociétés autochtones. Ces dernières, qui sont embarquées dans un processus universel de changement social, vont progressivement transformer leurs structures sociales, politiques, économiques et leur culture symbolique pour adopter celles de l’Occident. La théorie de la modernisation de Rostow stipule que la modernité occidentale est l’étape supérieure du développement de toute société (Azoulay, 2002). Pour Flanagan (2002), théoricien canadien de la modernité autochtone, l’élément clé de cette transformation est la généralisation de la pensée libérale. Pour les auteurs de ce paradigme, la modernité est le type de société qui permet d’assurer des valeurs considérées universellement valides et supérieures, comme les libertés individuelles, le droit de

propriété et les institutions démocratiques, pour ne nommer que celles-ci.

En ce qui a trait à la gouvernance du territoire, la théorie de Rostow a influencé les politiques et les programmes de développement des organismes internationaux et des gouvernements. Cette théorie propose que toutes les sociétés traversent les mêmes étapes de développement. En identifiant à quelle étape se situe une société par rapport à une autre, il est possible d’identifier les mesures nécessaires pour que ces sociétés arrivent progressivement à l’étape de développement qui correspond aux caractéristiques des sociétés de l’Europe occidentale et de l’Amérique du Nord, étape où modernisation économique et politique vont faire progresser la démocratie et le bien-être des habitants.

Dans cette approche, la culture symbolique, les institutions sociales, culturelles, politiques et économiques autochtones sont vues comme des facteurs qui retardent la modernisation souhaitée. Les politiques et les programmes de gouvernance du territoire doivent avoir comme objectif commun l’évolution des sociétés autochtones vers la modernité.

La théorie libérale de Flanagan (2002), un des acteurs politiques en faveur de l’assimilation des Autochtones au sein de la société canadienne, stipule que la modernité, avec sa représentativité politique constitutionnelle, le libre marché et l’organisation sociale issue des choix individuels, est la meilleure société disponible. Pour lui, les Autochtones devraient adopter la modernité pour échapper aux mauvaises conditions sociales et économiques dans lesquels ils vivent. À partir de ce cadre de pensée, Flanagan (2002) formule une critique de ce qu’il nomme « l’orthodoxie autochtone » qui se

compose de huit idées clés du discours autochtone41. Sa proposition est l’assimilation des Autochtones au sein de la société occidentale par la transformation de leurs institutions vers les types d’institutions de la « civilisation » moderne, l’établissement d’une économie de propriété individuelle et l’émergence d’une société émancipée des formes d’organisation politique non civiles.

En ce qui concerne la gouvernance du territoire, cet auteur développe depuis quelque temps une analyse de la perspective du droit de propriété sur la terre et sa relation avec le développement des communautés autochtones. Flanagan, Alcantara et LeDressay (2012) proposent que :

…les Autochtones s’intéressent à développer un « capitalisme rouge » où la situation de la propriété de la terre est un obstacle dont la solution est la création d’une loi de droit de propriété individuelle des Premières Nations leur permettant de devenir les propriétaires de leurs terres pour les utiliser pour leur profit économique en établissant les mesures qui adaptent ce droit à la situation autochtone.

Le sociologue québécois Jean-Jacques Simard soutient aussi le paradigme libéral.

Voici une de ses conclusions après une analyse de la Convention de la Baie-James sur les communautés cries et inuites :

On se trouve continuellement confronté à la nécessité de faire des choix dans un contexte mouvant, inédit, sur lequel les traditions ont peu à dire (sauf être réinterprétées), car elles s’enracinent dans les permanences des siècles passés.

(Simard, 1995, p. 38).

41 Les huit propositions sont les suivantes : les Autochtones sont les premiers habitants du territoire; les cultures autochtones sont du même niveau que celles des européens; les peuples autochtones sont souverains; les peuples autochtones sont des nations; le droit à l’autonomie gouvernementale autochtone existe; ils ont des droits de propriété; il est possible de réinterpréter les traités; les Autochtones peuvent prospérer dans leurs réserves.

À partir de cette citation, nous aimerions souligner l’importance de la conception de la « tradition » en tant que facteur opposé à la modernité et en tant que facteur de retard sociétal. Cette conception est propre à ce paradigme.

En résumé, ce paradigme est caractérisé par une approche normative sur la modernité et un regard euro-nord-américain-centrique de l’évolution des sociétés et de la diversité culturelle au sein des États. Il définit unilatéralement que la modernité occidentale est supérieure à tout autre type de société ou bien que la modernité occidentale est le destin incontournable et que le meilleur choix que les Autochtones ont est d’y entrer.

Il est clair que son objectif normatif et politique est l’assimilation des Autochtones au sein des sociétés occidentales modernes. Pour ces auteurs, la modernité est une finalité incontournable et souhaitable pour les peuples autochtones. Selon ce paradigme, nous pouvons déduire que l’objectif de la gouvernance du territoire est de définir des mesures qui permettront aux Autochtones d’adopter les institutions et les valeurs modernes et ce faisant, améliorer leurs conditions de vie.

Cette perspective a des limites importantes. Premièrement, les Autochtones sont plutôt vus comme des objets au lieu que comme des sujets de la gouvernance, c’est-à-dire, sans capacité d’agentivité. Ils ne sont considérés comme des sujets que lorsque leurs rationalités ou leurs pratiques sont de type moderne. Deuxièmement, elle ne considère que le sujet autochtone colonisé qui est favorable à la modernisation. Troisièmement, elle ne tient pas compte de la résistance autochtone à préserver leur culture. L’extraction des ressources naturelles sur les territoires autochtones est pourtant un fait incontournable qui,

de plus, devrait respecter les lois et les libertés individuelles des Autochtones. Dans cette approche les mesures compensatoires et d’indemnisation permettent la transformation des communautés en sociétés modernes, car cela leur permettra de s’épanouir et de dépasser les coutumes et valeurs qui les rendent inférieures à la Modernité.

Finalement, nous considérons que ce paradigme est limité pour comprendre les résistances historiques des Autochtones et la complexité de leurs formes de subjectivation.

Ceux-ci, en tant que sujets collectifs, portent des rationalités et des pratiques qui leur sont propres et qui sont en conflit avec les pratiques des théories de ce paradigme. Par exemple, ce paradigme comprendrait l’acceptation de négocier des ententes comme les ERA en termes de communautés voulant s’intégrer à la modernité. Cependant, ces théories négligent les enjeux de pouvoir, de pauvreté et de contraintes qui leur forcent à négocier ces ententes.