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L’assujettissement territorial et épistémique dans l’expérience-pilote au niveau du Plan d’affectation des terres publiques (PATP)

LA GOUVERNEMENTALITÉ DU RÉGIME DE CONSULTATION DANS LE TRAITÉ MODERNE PRÉVU

4.2 Autodétermination et assujettissement dans les négociations destinées à préciser la participation réelle

4.2.1 La mise en œuvre de la participation réelle à travers des expériences-pilotes :

4.2.1.2 L’assujettissement territorial et épistémique dans l’expérience-pilote au niveau du Plan d’affectation des terres publiques (PATP)

Étant donné que selon la communauté, la participation au PRDTP n’a pas été concluante, une deuxième expérience-pilote a été décidée entre les parties. Cette nouvelle expérience-pilote a été le « Plan d’affectation des terres publiques » (PATP).

Pour mettre le lecteur en contexte : le PATP est un outil de planification territoriale gouvernemental créé en 2005 pour « établir et véhiculer les orientations du gouvernement en matière d’utilisation et de protection du territoire public et […] guider les interventions des divers acteurs sur ce territoire. »86

Puisque les PATP sont formulés en fonction des régions administratives de la province, la participation des communautés de Mamuitun a eu lieu au sein des tables de concertation gouvernementales de chaque région, chacune de ces tables comprenant des

86 Énergie et ressources naturelles Québec. (11 mars 2015). Questions sur le Plan d’affectation du territoire public (PATP). Site d’Énergie et ressources naturelles Québec [En ligne].

https://www.mern.gouv.qc.ca/territoire/planification/planification-affectation-faq.jsp

représentants d’au moins neuf ministères. Dans le cas des Nitassinan des communautés de Mamuitun, ceci a impliqué leur participation aux tables des régions 02 (Saguenay–Lac-Saint-Jean), 09 (Côte-Nord) et 04 (Capitale nationale).

Aux yeux de la communauté, cette expérience-pilote a suscité une première tension lorsque le moment est venu d’aborder les différences dans l’organisation du territoire de la province et celle des communautés innues. D’emblée, les représentants des communautés ont essayé de faire comprendre aux représentants gouvernementaux leur conception territoriale distincte ainsi que leurs droits. Une des interviewées l’explique ainsi :

On considérait que la première chose que devrait mentionner le plan c’est le territoire ancestral, parce que c’est tellement difficile de faire accepter, de faire comprendre qu’on a des droits sur le territoire, que ces droits sont à [un]

niveau différent des autres intervenants, que ce sont des droits particuliers, des droits qui devraient être considérés [en premier lieu]. C’était difficile de faire accepter ça, reconnaître ça […] la meilleure façon [était de le faire] tout de suite estamper dans le document, en disant « tu commences par Mashteuiatsh ». (Interviewé No 7)

Autre facteur ajoutant à la complexité de cette situation : les différences entre les Innus et le gouvernement quant à l’organisation d’un même territoire. Rien que pour le Nitassinan de Mashteuiatsh, la planification a nécessité la participation des MRC du Fiord, du Lac-Saint-Jean Est, du Domaine du Roi, de Maria-Chapdelaine et du Lac-Saint-Jean Nord. Cette difficulté s’est accentuée au moment de la formulation des schémas d’aménagement dans la planification à l’échelle micro des MRC. Une des personnes interviewées explique le problème principal subi par le représentant de la communauté lors de la formulation des cinq schémas d’aménagement (correspondants aux cinq MRC

dans lesquels se situe le Nitassinan de Mashteuiatsh) :

C’est de suivre 5 schémas! Les schémas d’aménagement, c’est des documents de 500 pages! (Interviewé No 7)

Donc, la participation à ces schémas d’aménagement devient un défi majeur sur le plan technique pour les représentants de Mashteuiatsh qui doivent, d’une part, décortiquer leur Nitassinan en cinq schémas d’aménagements différents afin de remplir les conditions de participation axées sur les régions administratives québécoises et, d’autre part, confier ce travail à des équipes techniques n’ayant pas assez de ressources ni humaines ni financières pour l’envergure de la tâche à accomplir. Ceci a fortement encouragé la communauté à développer de nouveaux outils permettant de relever les défis associés à la participation à cette planification territoriale.

Pour Mashteuiatsh, la situation du parc des Monts Otish a été un autre problème majeur dans cette planification. Plus tôt, nous avons indiqué qu’en vertu du chapitre 4 de l’EPOG, il était prévu que Mashteuiatsh prenne en charge la gestion du parc Monts Otish, particulièrement sur le plan de la pratique de l’Innu Assi. Cependant, comme nous allons l’expliquer dans le chapitre 6 de cette thèse, la présence d’une concession minière de la compagnie Abitex sur les terres du parc Mont Otish a amené Québec à changer les limites du parc pour accommoder l’exploitation minière. Ce changement des limites du parc des Monts Otish est survenu alors que la communauté participait à la création du PATP, qui d’ailleurs incorporait lui aussi la concession minière, ce qui a déçu les représentants de la communauté et les a amenés à se questionner sur l’efficacité de la participation réelle.

Or, à l’analyse du document final de cette planification, intitulé « Plan d’affectation des terres publiques Saguenay–Lac-Saint-Jean » (ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles du Québec, 2012), nous faisons les constats suivants : le plan peut subir des modifications en fonction des avancements de l’EPOG; une grande partie de la région ciblée correspond au Nitassinan des communautés de Mamuitun; les organismes gouvernementaux ont le devoir constitutionnel de consultation et d’accommodation lors d’initiatives pouvant porter atteinte aux droits ancestraux; et les communautés innues de Mamuitun se sont entendues avec les parties de l’EPOG pour avoir une « participation réelle » à la gestion du territoire et des ressources. Le document final du PATP incorpore aussi les Nitassinans des communautés de Mamuitun parmi les différents types de zones de planification87.

Enfin, un interviewé nous explique un autre problème dans cette expérience-pilote :

Cette expérience pour nous, elle a été concluante parce qu’on a pu participer au début du processus, mais je dirais que ça a été une bataille de tous les instants. Un exemple : parce que le gouvernement faisait des fiches, on disait

« nous autres on voudrait que du début ce soit le territoire du Nitassinan qui soit présenté », parce que ce qui était présenté dans le PATP c’était le territoire de la région et on disait que dans ce territoire il y a le Nitassinan et dans ces deux territoires tu as des affectations de terres. Ils traitaient le nôtre en disant qu’on est comme en affectation et qu’on doit s’harmoniser, sauf qu’on considérait que la première chose qu’ils devraient mentionner c’est le territoire ancestral, parce que c’est tellement difficile de faire accepter, de faire comprendre que nous avons des droits sur le territoire, que ces droits sont à [un] niveau différent des autres intervenants, que ce sont des droits

87 Il s’agit des zones d’affectation différées, zones de protection, zones d’utilisation, zones de protection de l’habitat du Caribou forestier et zones d’affectation.

particuliers, des droits qui devraient être considérés de premier niveau.

(Interviewé No 7)

Nous constatons alors que la participation à cette planification s’est avérée très difficile en raison du décalage entre les perspectives de la communauté et celles des fonctionnaires gouvernementaux membres des tables de planification. Pour pouvoir aller de l’avant, ces derniers ont dû revoir leurs attitudes, leurs manières d’agir et leurs conceptions des communautés. Les enjeux du changement de la perception des fonctionnaires à l’égard des communautés et de l’établissement des liens de confiance reviendront dans les chapitres 5 et 6 de notre thèse, où il sera question de la participation au Plan Nord et à des projets miniers particuliers.

D’une perspective analytique, l’expérience-pilote du PATP démontre que la mise en œuvre de la participation implique une complexification marquée des fonctions de l’équipe PCT de Mashteuiatsh, et comporte deux formes d’assujettissement territorial : la première étant apparentée à l’organisation étatique du Québec (le découpage de Nitassinan en fonction des MRC, comme lors de la consultation relative au PRDTP) et la seconde étant liée à l’utilisation économique du territoire (le changement des limites du parc des Monts Otish en raison d’une concession minière). Nous considérons ces facteurs comme des signes d’une forme d’assujettissement territorial, révélant comment l’organisation étatique du territoire s’est imposée sur l’organisation du Nitassinan structuré par la communauté.

4.2.1.3 Inclusion et exclusion dans l’aménagement de la forêt : l’expérience-pilote au