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CHOIX PARADIGMATIQUE ET THÉORIQUE

2.2.2 La dimension du pouvoir

Dans la première étape de sa pensée, Foucault envisageait le pouvoir comme un jeu de rapports de force contraignant la conduite du sujet. Cette conception cantonnait donc le pouvoir au registre de la seule domination. À partir de 1976, Foucault entame un changement de perspective qu’il décrira à la fin de sa vie comme un déplacement vers une approche stratégique du pouvoir et une réorientation de l’analyse du pouvoir à partir des institutions vers une analyse axée sur des pratiques concrètes (Foucault, 2008).

Le pouvoir est ainsi remplacé par la notion de gouvernement, notamment par l’analyse des pratiques appliquées concrètement à travers des « techniques de gouvernement » ou des « technologies de gouvernement » spécifiques. Par « technique » ou « technologie », Foucault (2014, p. 253) entend « des procédures réglées, des manières de faire qui ont été réfléchies et sont destinées à opérer sur un objet déterminé un certain nombre de transformations ».

Sur le plan empirique, Foucault (2001) propose d’analyser le pouvoir en étudiant ses dimensions suivantes : ses objectifs, ses formes d’institutionnalisation, ses degrés de rationalisation, les systèmes de différenciation employés pour agir sur l’objet du pouvoir, et l’axe liberté-domination. Dans cette étude, nous analysons en détail les objectifs ou objets des rapports de pouvoir exercés, les formes d’institutionnalisation (via la

description des formes du pouvoir ou des technologies de gouvernement) et l’axe liberté-domination, car ce sont les aspects du pouvoir qui sont les plus directement liés à notre question de recherche.

Pour ce qui est de l’étude de la relation entre le pouvoir et son objet, l’approche foucaldienne décrit plusieurs types de pouvoir. Le pouvoir souverain a pour objet le territoire, pris au sens d’espace géographique où le souverain peut exercer son pouvoir sur des gouvernés (approche que résume la maxime « laisser vivre, faire mourir »); le pouvoir disciplinaire a pour objet le corps des gouvernés et vise à les rendre dociles ou gouvernables; et le pouvoir biopolitique — ou biopouvoir — a pour objet le gouvernement dans la mesure ou celui-ci régit la dimension biologique de la vie des gouvernés (en résumé : « faire vivre, laisser mourir ») (Foucault, 1997, 2001, 2003, 2004 et 2010). En ce qui a trait à l’analyse de l’axe allant de la liberté à la domination, Foucault affirme que la domination est une condition plutôt exceptionnelle, car la domination implique le contrôle absolu du sujet par un autre. Situé quelque part entre la liberté et la domination il y a le pouvoir de gouvernement, qui correspond aux jeux stratégiques entre des sujets ayant chacun certains degrés de liberté. Les technologies de gouvernement se situent donc entre la liberté et la domination.

Dans le cadre de notre étude, trois grands types de pouvoir sont importants : celui du biopouvoir (Bertrand, 2013; Foucault, 1997, 2004 et 2010), celui des technologies de citoyenneté (Babu, 2009; Cruikshank, 1999; Dean, 2010; Leibetseder, 2011; Mynttinen, 2012) et celui du pouvoir colonial (Foucault, 1997; Nadasdy, 2012; Scott, 1995).

Le biopouvoir est un type de pouvoir que remplace le pouvoir souverain par un pouvoir ayant pour objet les conditions de vie élémentaires des êtres vivants formant une population. Ce pouvoir cherche donc à gouverner les conditions de santé et de salubrité de la population à l’aide de méthodes statistiques et de connaissances scientifiques (Foucault, 2004 et 2010). La nation d’« environnementalité », associée à ce type de pouvoir, revêt une importance particulière dans notre étude puisqu’elle permet de qualifier le niveau de participation de la communauté dans les évaluations environnementales.

L’environnementalité est définie comme les « connaissances, politiques, institutions et subjectivités qui sont mises en relation les unes avec les autres quand l’environnement devient un domaine qui requiert d’être régulé et protégé »44 (Agraval, 2005 dans McGregor, Challies, Howson, Astuti, Dixon, Haalboom, Gavin, Tacconi et Afiff, 2015, p. 140). D’après Bertrand (2013), les études des impacts environnementaux font 45partie de l’environnementalité et peuvent être vues comme un exercice du « biopouvoir » foucaldien, c’est-à-dire, dans les mots de Foucault, le « pouvoir de faire vivre et de laisser mourir » (1997, p. 214).

En ce qui concerne le pouvoir des « technologies de citoyenneté », celui-ci a été formulé par Cruiskshank dans le contexte du Programme d’action communautaire contre la pauvreté aux États-Unis dans les années 1960 (Babu, 2009; Cruikshank, 1999; Dean, 2010; Leibetseder, 2011; Mynttinen, 2012). Cruiskshank avance que l’objectif de ce

44 Notre traduction de « knowledges, politics, insitutions, and subjectivities that come to be linked together with the emergence of the environnement as a domain that requires regulation and protection ».

45 Dans notre thèse nous analysons quatre évaluations environnementales différentes, certaines d’elles du Canada et d’autres du Québec.

programme est de favoriser l’autonomisation des moins nantis pour les transformer en sujets ou citoyens actifs et autonomes, autonomisation qui s’inscrit dans une technologie du pouvoir spécifique où le « gouvernement opère à travers, au lieu que simplement contre, les subjectivités des défavorisés »46 (Leibetseder, 2011, p. 17). Donc, ces technologies de gouvernement n’agissent pas à travers la coercition ni la normalisation ni la discipline, mais à travers une subjectivation permettant aux citoyens de devenir des sujets autonomes et actifs au sein de la société, de même que des membres fonctionnels du cadre établi par l’ordre étatique (Babu, 2009; Cruikshank, 1999; Leibetseder, 2011;

Mynttinen, 2012). Ce type de pouvoir nous permettra de souligner les caractéristiques changeantes du pouvoir qui découlent des négociations du régime de participation réelle.

Cependant, dans le cas de Mashteuiatsh, il est nécessaire d’incorporer l’ethnicité comme objet des rapports de pouvoir entre la communauté (y compris les autres collectivités membres du regroupement Petapan) et la Couronne.

Enfin, le pouvoir colonial correspond aux rapports de pouvoir qui produisent la domination d’une société (colonialiste) sur une autre (colonisée). Le colonialisme canadien, qui s’impose sur les peuples autochtones à travers des mécanismes divers, en est un exemple (Blackburn, 2005; Nadasdy, 2012).