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Figure 1 : Organigramme du Plan Nord, en rouge les tables spécifiques où les participants de Mashteuiatsh ont participé.

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ACRONYMES

AADI Aires d’aménagement et de développement innus ACEE Agence canadienne d’évaluation environnementale AFD Aménagement forestier durable

APNQL Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador BAPE Bureau d’audiences publiques sur l’environnement

C169 Convention 169 de l’Organisation internationale du travail CAM Conseil Attikamekw-Montagnais

CBJNQ Convention de la Baie-James et du Nord québécois

CCEBJ Comité consultatif pour l’environnement de la Baie-James CCEK Comité consultatif pour l’environnement Kativik

CNEQ Convention du Nord-Est québécois CPLE Consentement préalable, libre et éclairé

CRRNT Commission régionale sur les ressources naturelles et le territoire DGR -02 Direction générale de la région 02

DNUDPA Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones EMO Éducation et main-d’œuvre

EPOG Entente de principes d’ordre général

ERA Entente sur les répercussions et les avantages IAIA International Association for Impact Assessment LCEE Loi canadienne sur l’évaluation environnementale MAINC Ministère des Affaires indiennes et du Nord du Canada

MRC Municipalités régionales du comté

MFFP Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs

MDDEP Ministère de développement durable, de l’environnement et des parcs MDDELCC Ministère de développement durable, de l’environnement et de la lutte

contre les changements climatiques MRN Ministère des Ressources naturelles

MRNF Ministère des Ressources naturelles et de la Faune ONU Organisation des Nations Unies

PAFIt Plan d’aménagement forestier intégré tactique PAFIo Plan d’aménagement forestier intégré opérationnel PATP Plan d’affectation des terres publiques

PCT Patrimoine, culture et territoire

PRDTP Plan régional de développement des terres publiques

PRDIRT Plan régional de développement intégré des ressources et du territoire PSO Partie sud-ouest

SDE Société de développement économique Ilnu UAF Unités d’aménagement forestier

Cette recherche s’inscrit dans le domaine de la gouvernance de l’extraction de ressources naturelles dans les territoires des peuples autochtones. Cette étude collaborative, menée conjointement par la communauté de Mashteuiatsh de la nation innue au Québec et par le titulaire de cette thèse de doctorat, porte plus précisément sur la question de la mise en œuvre du droit à la consultation et à l’accommodement dans le cas des projets de développement. Elle est le fruit de la convergence des intérêts des deux partis concernés. D’une part, la collectivité de Mashteuiatsh souhaitait à effectuer une recherche collaborative sur les apports et les limites de la « participation réelle » (le nom du régime de consultation convenu dans les négociations en cours du traité moderne) et du droit à la consultation et à l’accommodement1 dans l’ensemble des consultations sur les projets de développement dans Nitassinan2. D’autre part, le titulaire de cette thèse s’est intéressé à la réalisation d’une étude de cas participative au sujet de la mise en œuvre du droit à la consultation du cadre légal canadien, ainsi que du droit onusien au consentement préalable, libre et éclairé dans le cas d’un seul projet de développement.

Depuis la fin des années 1970, la communauté de Mashteuiatsh s’est jointe à deux autres communautés de la nation innue (leur regroupement actuel est appelé Petapan) pour négocier un traité moderne avec le Canada et le Québec. Au moment de la réalisation

1 Dorénavant, afin d’alléger le texte, nous allons utiliser l’expression « droit à la consultation » ou « devoir de consulter » pour nous référer au « droit à la consultation et à l’accommodement » ou au « devoir constitutionnel de la Couronne de consulter et d’accommoder ».

2 Nitassinan est le nom que les Innus donnent à leur territoire traditionnel.

de notre étude, les négociations étaient près de produire un projet de traité qui permettrait d’amorcer les consultations. Pour les communautés innues, ces négociations s’inscrivent dans leurs démarches visant à une plus grande capacité d’autodétermination, à un raffermissement de leur contrôle sur leur Nitassinan et, à terme, à la préservation de leur mode de vie distinct et au dépassement du cadre colonial canadien.

Dans le cadre de ces négociations, les parties ont convenu d’un régime de participation des communautés à la gouvernance de l’extraction des ressources naturelles du territoire qui a été appelé « participation réelle ». Cette participation réelle a été définie sur la base de l’arrêt Delgamuukw de la Cour suprême du Canada (en 1997) et plus récemment de la « trilogie de la consultation » (les arrêts Haïda et Taku River, en 2004, et celui de la Première Nation Mikisew, en 2005) qui établissent le droit à la consultation et à l’accommodement des communautés autochtones. Dans le chapitre des dispositions transitoires de l’EPOG (l’Entente des principes d’ordre général, en 2004), les parties ont convenu que, sur une base volontaire, le Canada et le Québec vont favoriser la mise en application du régime de consultation adopté, lorsque possible. Par conséquent, il est prévu que la communauté soit consultée tant en vertu du régime de participation réelle qu’en vertu du devoir de la Couronne de consulter les Autochtones. Présentement, Mashteuiatsh doit répondre à un total de 279 consultations par année, ce qui pousse ses ressources humaines et financières à bout, en échange d’une participation véritable aux projets extractifs. Cependant, il n’est pas clair que cette participation réelle donne les résultats attendus; c’est ce qui explique l’intérêt de la communauté pour cette recherche.

Dans une perspective plus large, l’intérêt de Mashteuiatsh pour l’analyse des effets de la mise en œuvre du droit à la consultation s’inscrit dans les débats sur les transformations dans la gouvernance des territoires autochtones des dernières décennies, au Canada et ailleurs. Ces transformations sont le résultat de la convergence de plusieurs facteurs : la mobilisation des peuples autochtones revendiquant un rôle majeur dans les décisions qui concernent leurs territoires, l’évolution de la jurisprudence canadienne et internationale qui reconnaît aux Autochtones le droit à une participation plus importante ainsi que la limite du pouvoir décisionnel de l’État, les négociations d’ententes territoriales globales ou de traités modernes, et les ententes directes entre des communautés autochtones et des industries extractives de type Entente sur les répercussions et les avantages (ERA).

Ces transformations produisent des incertitudes importantes aux plans économique, politique et scientifique. Du côté économique, les controverses soulevées par le projet Keystone XL (qui, en raison de son envergure, nécessite la consultation d’un grand nombre de communautés autochtones au Canada) et la perte en 2015 de 100 millions dollars par la compagnie minière Solid Gold, qui a dû suspendre ses opérations faute d’avoir consulté les communautés autochtones,3 sont des exemples de l’incertitude que peut entraîner la mise en œuvre du droit à la consultation pour le gouvernement et les industries extractives. D’ailleurs, tant le Canada que le Québec intègrent le droit à la consultation dans le cadre de vastes plans d’action économiques, y compris le déploiement

3Source Financial Post (20 février 2018) [En ligne] http://business.financialpost.com/opinion/the-canadian-resource-sectors-messy-duty-to-consult

d’activités minières.

Du côté politique, l’évolution récente des cadres légaux nationaux et internationaux inquièterait la Couronne, qui ne veut pas reconnaître les Autochtones comme des sujets, de peur de compromettre sa souveraineté sur le territoire (Capitaine et Martin, 2010). D’ailleurs, le fait que la Cour suprême ait inscrit le droit à la consultation dans le cadre de la réconciliation et que la Couronne et les peuples autochtones aient des perspectives différentes quant à la mise en œuvre de ce droit montre qu’il s’agit d’un sujet controversé.

Du côté de la recherche scientifique, les études sur la mise en œuvre du droit à la consultation sont peu nombreuses et ses effets sur l’autodétermination des communautés autochtones ne sont pas clairement identifiés. Les études sur les transformations dans la gouvernance du territoire issues des traités modernes sont plus nombreuses, mais tendent à véhiculer un des deux récits opposés suivants : soit l’on prétend que ces transformations favorisent l’autonomie et le maintien des sociétés distinctes des Autochtones, soit on présente un récit critique selon lequel ces traités assujettiraient les communautés autochtones à une souveraineté étatique qui s’exerce à travers l’imposition de structures de gouvernance occidentales modernes, en continuité avec le colonialisme canadien.

Vu l’importance, pour Mashteuiatsh, de pouvoir participer aux instances concernant les projets extractifs dans son territoire traditionnel, et étant donné que cette participation se base sur le droit à la consultation, nous avons formulé la question de recherche suivante : dans quelle mesure les nouvelles conditions dans la gouvernance du

territoire permettent-elles à la communauté de regagner le contrôle sur son territoire?

À cet effet, il a été convenu avec le Secrétariat exécutif d’effectuer une étude sur trois niveaux, portant sur la mise en œuvre du droit à la consultation. Chacun de ces niveaux fait l’objet d’un chapitre dans cette thèse : les négociations de la participation réelle et sa mise en œuvre à travers des expériences-pilotes (notre chapitre 44), les consultations d’ordre stratégique (notamment celles du Plan Nord et celles des évaluations environnementales sur le gaz de schiste et sur la filière uranifère – voir notre chapitre 5) et les projets extractifs spécifiques, le niveau le plus important pour la communauté, qui correspond à cinq projets miniers (notre chapitre 6).

Sur le plan théorique, Martin (2009)5 avance que les études sur la gouvernance des territoires autochtones ont développé trois paradigmes : le paradigme de la subordination des Autochtones à la modernité, le paradigme de l’action et le paradigme de la critique à la relation coloniale. Le cadre théorique de la présente étude s’inscrit dans ce dernier paradigme, car nous considérons qu’il est impératif de donner un regard critique aux rapports entre les peuples autochtones et la société dominante, notamment en ce qui concerne les rapports de pouvoir et leurs conditions de subjectivation. Plus précisément, nous utilisons l’approche de la gouvernementalité de Michel Foucault, issue de la dernière étape, moins connue, de sa pensée. Cette approche nous amène à analyser trois dimensions

4 Dans notre recherche, nous analysons plusieurs chapitres de l’EPOG et du traité moderne, donc afin de distinguer quand nous parlons des chapitres du traité moderne et des chapitres de notre thèse, nous utilisons l’expression « notre chapitre » pour nous référer à ces derniers.

5 En fait, notre description des paradigmes se base sur celle de Martin (2009), cependant nous l’avons reformulée afin de préciser les caractéristiques de chaque paradigme ainsi que nous avons l’avons ajouté des théories qui n’étaient pas dans la révision originale de l’auteur.

des relations entre la Couronne et Mashteuiatsh : les enjeux de la production du sujet autochtone, les enjeux des rapports de pouvoir véhiculés dans les pratiques reliées aux consultations, et les enjeux des savoirs qui rendent légitimes ces rapports de pouvoir.

Étant donné que nous reconnaissons l’énorme importance de la question de l’agentivité autochtone pour l’étude des peuples autochtones au Canada, nous situons notre perspective foucaldienne sous l’angle du déplacement de la question de l’acteur. La question de l’agentivité autochtone est d’une énorme importance parmi les chercheurs du contexte canadien. Dans notre cadre théorique foucaldien, nous déplaçons cette question à celle de la production du sujet autochtone, soit par lui-même (sa subjectivation) ou bien par la Couronne qui utilise des mécanismes de gouvernance (les technologies de gouvernement) donnés. Conformément à ce cadre théorique foucaldien, nous jugeons qu’il y a une capacité d’agentivité autochtone plus ou moins grande, dans la mesure,où la gouvernementalité permet à la communauté de se décider par elle-même en ce qui a trait aux consultations, ainsi que de mettre en place des stratégies d’alliances avec d’autres communautés et de s’autoproduire via la création d’outils de gouvernance interne, tout ceci le permet de modifier, dans une certaine mesure, les structures de gouvernance qui l’assujettissent.

Il a été convenu avec la communauté d’effectuer une recherche qualitative, notamment une étude de cas collaborative visant à documenter l’expérience de la Première Nation de Mashteuiatsh lors de consultations concernant la gouvernance de son Nitassinan. Cette recherche a été effectuée en utilisant des données primaires (des

entrevues avec les membres de la communauté ayant participé aux consultations) ainsi que des données secondaires (des documents de la communauté, de promoteurs et de gouvernements) qui ont été étudiées selon la méthode de l’analyse du discours. En suivant Smith (2016) et Lather (1999), notre étude s’inscrit dans le type de recherche postpositiviste, plus précisément de type poststructuraliste. Sa contribution est une perspective critique déconstructrice qui vise à faire émerger les savoirs assujettis et la voix de ceux qui sont réduits au silence.

Il faut souligner d’abord qu’en cohérence avec le caractère collaboratif et critique de cette étude, la publication de toutes les informations recueillies dans cette thèse a été autorisée par la communauté.

Nous avons structuré cette thèse en sept chapitres. Dans le chapitre 1, nous présentons notre problème de recherche, qui porte sur la nécessité de Mashteuiatsh de documenter et d’évaluer la mise en œuvre de la participation réelle convenue lors des négociations en cours d’un traité moderne. Cette problématique s’inscrit dans un contexte de transformations découlant des traités modernes et de l’évolution de la jurisprudence sur le droit à la consultation des communautés autochtones, ainsi que des revendications des Autochtones d’être reconnus comme acteurs incontournables dans la gouvernance du territoire.

Dans le chapitre 2, nous présentons les trois paradigmes que nous avons cernés dans notre recension des écrits sur la participation des Autochtones dans la gouvernance de l’extraction des ressources naturelles : le paradigme de la subordination autochtone à

la modernité, le paradigme de l’action et le paradigme de la critique à la relation coloniale.

Notre positionnement paradigmatique se base sur le paradigme de la critique à la relation coloniale et notre cadre théorique choisi correspond à celui de la gouvernementalité foucaldienne.

Dans notre chapitre 3, nous présentons le cadre méthodologique de notre recherche, qui est une étude de cas collaborative employant une méthodologie qualitative.

Nous soulignons les enjeux éthiques de la production de notre recherche, car nos objectifs, notre méthode, notre analyse des données et notre conclusion ont été façonnés par le caractère collaboratif de notre étude, et par le fait d’être encadrés par le chapitre 9 du cadre éthique de la recherche avec des êtres humains.

Dans nos chapitres 4, 5 et 6, nous abordons les résultats. Le chapitre 4 est consacré à l’analyse de la formulation de la participation réelle dans les négociations d’un traité moderne et sa relation avec le droit à la consultation, ainsi qu’à l’analyse de sa mise en œuvre à travers des expériences-pilotes. Dans le chapitre 5, nous analysons les enjeux des consultations d’ordre stratégique, notamment de la participation de la communauté dans le Plan Nord et dans deux évaluations environnementales provinciales, une sur le gaz de schiste et l’autre sur la filière uranifère. Enfin, dans le chapitre 6, nous analysons la participation de la communauté dans les consultations de cinq projets miniers, ses relations avec les outils de gouvernance territoriale dont elle s’est dotée afin d’avancer vers son autodétermination, ainsi que les effets négatifs de l’ensemble des consultations sur la communauté.

Dans notre chapitre 7, nous avançons une esquisse de théorisation à partir d’un regard d’ensemble de nos résultats. Nous exposons les caractéristiques de la mise en œuvre de la participation réelle et du droit à la consultation sous l’angle de la gouvernementalité, c’est-à-dire en soulignant les relations entre l’autoproduction de Mashteuiatsh en tant que sujet, l’influence de la communauté sur la conduite de la Couronne, et l’influence de la Couronne sur les conditions d’autodétermination de la communauté. Nous décortiquons les procédures de consultation en identifiant les dimensions qui favorisent la subjectivation de la communauté ainsi que celles qui posent problème. Nous théorisons sur les types de pouvoir véhiculés dans les consultations ainsi que sur les types de savoirs/vérités qui rendent légitimes ces rapports de pouvoir. Enfin, nous théorisons sur les enjeux de la relation coloniale canadienne à l’égard de cette gouvernementalité de la mise en œuvre du droit à la consultation de Mashteuiatsh.