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La répétition palilalique est une stéréotypie169, manifestation de l’aphasie lors de laquelle le sujet atteint de démence produit les mêmes mots ou sons, quelle que soit la situation.

Palilalie a pour étymologie grecque la combinaison de palin signifiant « de nouveau » et lalein voulant dire « parler ». Le terme « palilalie » apparaît pour la première fois en 1908 chez Souques qui décrit un patient ayant subi un accident vasculaire cérébral (AVC) ayant eu pour conséquence une hémiplégie gauche. Souques repère alors que le patient répète compulsivement ses réponses aux questions de l’examinateur ; il parle alors de palilalie170. Il observe également ce symptôme chez un patient présentant un syndrome parkinsonien post-encéphalitique171. Cependant, une condition similaire fut repérée en 1899 chez un patient de Brissaud qui évoque un cas d’ « auto-écholalie172». Le diagnostic de palilalie semble donc bien flou à cette époque.

3. 1. Définitions

La palilalie est considérée comme une aphasie, un trouble du langage. Elle doit être différenciée du bégaiement, de la logoclonie, et de l’écholalie. Le bégaiement se caractérise par une difficulté à produire le prochain son attendu ; la logoclonie par la

169 Ces stéréotypies sont associées dans le DSM 5 au « Trouble du Spectre Autistique ». American Psychiatric Association, op. cit., 2003, p. 58.

170 Souques, AA. (1908). Palilalie. Revue neurologique, l16, p. 340–342.

171 Syndrome parkinsonien aigu provoqué par une encéphalite d’origine virale. Fréquent au XXème siècle.

répétition de la dernière syllabe des mots, et l’écholalie par la répétition automatique des mots adressés aux patients173.

En 2014, le dictionnaire médical de l’académie de médecine définit la palilalie comme un « trouble acquis de l’émission du langage, qui réalise une répétition incoercible, parfois itérative, de syllabes, de mots, de courtes phrases, et comporte une tachyphémie avec fréquente aphonie terminale dans sa forme majeure.174 »

Les définitions de la palilalie varient d’auteurs en auteurs. Souques, l’un des premiers chercheurs sur la palilalie, définit simplement cette condition comme une répétition involontaire et spontanée du même mot ou phrase deux fois ou plus à la suite175. Boller et al. fournissent plus de détails en décrivant la palilalie comme une perturbation du discours et non de la langue, avec aucun défaut de capacité à manipuler les aspects linguistiques et symboliques de la communication176. Ackermann et al. s’accordent sur le fait que les réitérations d’un orateur palilalique sont sémantiquement adéquates177. Van Borsel et al. constatent que les réitérations ne sont pas nécessairement scatologiques comme dans le cas de coprolalie178 (tendance morbide à employer des termes orduriers et scatologiques). Cependant, Serra-Mestres et al. présentent des exceptions dans leur étude de quatre patients souffrant du syndrome de Gille de la Tourette qui produisent ce genre de termes dans le cadre d’une répétition palilalique179.

In fine, au vu des premières recherches citées, la palilalie relève toujours d’une condition pathologique.

173 Yasuda, Y., Akiguchi, I., Ino, M., Nabatabe, H., Kameyama, M. (1990). Paramedian thalamic and midbrain infarcts associated with palilalia. The Journal of neurology, Neurosurgery and Psychiatry, 53, p. 797-799.

174 Dictionnaire médical de l’académie de médecine – version 2018. En ligne : http://dictionnaire.academie-medecine.fr/index.php?q=palilalie

175 Souques, A. (1918-1936). Exposé des titres et des travaux scientifiques, Paris : ancienne imprimerie de la cour d’Appel, 1936, 107 p.

176 Boller, F., Boller, M., Denes, G., Timberlake, WH., Zieper, I., Albert, MS. (1973). Familial palilalia.

Neurology, 23, p. 1117-1125.

177 Ackermann, H., Ziegler, W., Oertel, WH. (1989). Palilalia as a symptom of lovodopa induced hyperkinesias in Parkinson’s disease. The Journal of neurology, Neurosurgery and Psychiatry, 52, p. 805-807.

178 Van Borsel, J., Bontinck, C., Coryn, M., Paemeleire, F., Vandemaele, P. (2007). Acoustic features of palilalia: a case study. Brain and Language, 101, (1), p. 90-96.

179 Serra-Mestres, J., Shapleske, J., Tym, E. (1996). Treatment of Palilalia With Trazodone. The Amercican

Horner et Massey précisent que les réitérations de sons ou de syllabes sont caractéristiques de la palilalie mais à un moindre degré que les répétitions de mots ou d’expressions180. Quelques années plus tard, Ackermann et al. ne différencient pas les réitérations de la palilalie et simplifient en incluant la répétition de syllabes, de mots, ou de phrases181. La définition de la palilalie continue par la suite de faire débat, puisque Duffy rapporte que les répétitions de sons et de syllabes sont généralement exclues des définitions de la palilalie, bien qu’elles soient présentes chez les orateurs palilaliques182, un fait qui fut aussi constaté par Lebrun183. Ludlow et al. considèrent que les syllabes seules ou partielles, ainsi que les combinaisons de syllabes devraient être inclues dans la définition de la palilalie184, pendant que Lebrun insiste pour les exclure. Il distingue les itérations, comme les répétitions de sons, de parties de mots ou de mots des palilalies qu’il définit comme des répétitions de mots multisyllabiques, d’expressions et de phrases185. C’est pour cette raison qu’il considère à la fois les palilalies et les itérations comme étant apparentées à des formes de bégaiement acquis, défini comme des itérations de phonèmes et de syllabes, et la palilalie comme des itérations de mots et de phrases.

Pris dans la confusion de la définition incertaine, plusieurs chercheurs ont utilisés des termes additionnels pour catégoriser les différentes unités de répétition. Comme noté plus haut, Lebrun désigne par le terme « itération » les répétitions involontaires de sons, syllabes, ou mots courts qui se succédent plusieurs fois186. Benke et Butterworth nomment quant à eux « syllabes ou fragments de mots » les « itérations monosyllabiques », et les considèrent comme un type de répétition du discours différent de la palilalie187. Dietl et al. spécifient que le terme « logoclonie » est réservé à la répétition compulsive de la dernière syllabe d’un seul mot188, pendant que Christman et al. définissent la logoclonie

180 Horner, J., Massey, EW. (1983). Progressive dysfluency with right-hemisphere disease. Brain and

Language, 18, p. 71-85.

181 Ackermann H, Ziegler W, Oertel WH., op. cit., 1989.

182 Duffy, JR., op. cit., 2012. (1995).

183 Lebrun, Y., op. cit., 1997.

184 Ludlow, CL., Polinsky, RJ., Caine, ED., Bassich, CJ., Ebert, MH. (1982). Language and speech abnormalities in Tourette syndrome. Advances in Neurology, 35, p. 351-361.

185 Lebrun, Y., op. cit., 1997.

186 Ibid., Lebrun Y., 1997.

187 Benke, T., Butterworth, B. (2001). Palilalia and repetitive speech: two case studies. Brain and language, 78, (1), p. 62-81.

188 Dietl, T., Auer, DP., Modell, S., Lechner, C., Trenkwalder, C. (2003). Involuntary vocalisations and a complex hyperkinetic movement disorder following left side thalamic haemorrhage. Behavioural

plus généralement comme la répétition de sons et de syllabes qui contrastent avec les répétitions palilaliques189.

3. 2. Causes

La cause exacte de la palilalie reste à ce jour inconnue. Wallesch prétend que la palilalie, les itérations, la logoclonie, et les tics, sont tous spécifiques de troubles extrapyramidaux. Cependant, les pathologies associées à la palilalie pointent un dommage cortical, et/ou subcortical, et/ou des ganglions de la base190. Les maladies neurologiques reliées à la présence de la palilalie sont variées : maladie de Parkinson191, les syndromes de Parkinson qui incluent la paralysie supranucléaire progressive192, la paralysie pseudobulbaire, le syndrome de Gille de la Tourette, la maladie de Pick, la maladie d’Alzheimer, l’épilepsie193, les dégâts liés aux attaques cérébrales ou à un trauma194, et la dégénération corticobasale195. Ces manifestations suggèrent des changements pathologiques dans les ganglions de la base / striatum196, le thalamus, ou les dégâts des fibres reliant le cortex cérébral avec les structures subcorticales197. Wallesch met en évidence le rôle des ganglions de la base et du thalamus ventral dans la production du langage, et propose que les comportements de répétition verbale reflètent en général leur perturbation198. Spécifiquement à la palilalie, Serra-Mestres et al. suggèrent une contribution du lobe frontal aux comportements de répétition verbale199. Les déficits dans les boucles fronto-subcorticales connectant les régions frontales du cerveau avec les ganglions de la base sont impliqués dans les déficiences du contrôle inhibiteur, et

189 Christman, SS., Boutsen, FR., Buckingham, HW., op. cit., 2004. (2004).

190 Wallesch, CW. (1990). Repetitive verbal behaviour: Functional and neurological considerations.

Aphasiology, 4, (2), p. 133-154.

191 Ackermann H, Ziegler W, Oertel WH., op. cit., 1989.

192 Garratt, H., Bryan, K., Maxim, J. (1999). Palilalia in progressive supranuclear palsy: Failure of the articulatory buffer and subcortical inhibitory systems. Dans : Maassen, B., Groenen, P. (1999). Pathologies

of speech and language: Advances in clinical phonetics and linguistics. London : Maassen and Groenen, 300 p.

193 Van Borsel J, Schelpe L, Santens P, De Vos N, De Vos C., op. cit., 2001 ; Yang-Je, C., Sang-Don, H., Sook Keun, S., Byung In, L., and Kyoung, H. (2009). Palilalia, echolalia, and echopraxia–palipraxia as ictal manifestations in a patient with left frontal lobe epilepsy. Epilepsia, 50, (6), p. 1616–1619.

194 Benke T, Butterworth B., op. cit., 2001.

195 Blake, ML., Duffy, JR., Tompkins, CA., Myers, PS. (2003). Right hemisphere syndrome is in the eye of the beholder. Aphasiology, 17, p. 423-432.

196 Ackermann H, Ziegler W, Oertel WH., op. cit., 1989.

197 Lebrun Y., op. cit., 1997.

198 Wallesch CW., op. cit., 1990.

communs aux troubles dégénératifs. Benke et Butterworth spéculent que, si la participation du lobe frontal existe vraiment, la palilalie pourrait également être influencée par la participation du contrôle exécutif200.

Quel que soit le cas de palilalie observé, les auteurs mettent l’accent sur les perturbations cérébrales qui coïncident avec elle.

3. 3. Formes et profils de palilalie

Garratt et al. avancent qu’il était admis de supposer que des exigences plus élevées de traitement cognitif seraient repérables chez les sujets palilaliques201 : cela se traduirait par un plus grand nombre d'épisodes de palilalie lors de la production propositionnelle202. Seulement, de nombreux travaux de la littérature vont à l’encontre de cette hypothèse.

En effet, Critchley, à l’origine des premières études sur la palilalie, observe les conversationset l’apparition de la palilalie, et note que des réitérations ne semblent pas se produire au cours de tâches non propositionnelles comme la récitation des jours de la semaine, ou lors du comptage203. Le sujet de Benke et Butterworthprésente des quantités similaires de comportements verbaux répétitifs dans la conversation, dans le discours automatique, et la nomination204. L’étude de Kant et al. accentue la controverse, car le sujet présente plus de palilalie lors des tâches de répétition orale et les tâches de parole automatique que les discours en ont suscité205. Van Borsel et al.206 amènent des résultats en accord avec une précédente étude de LaPointe et Horner207 dans laquelle la palilalie survenait à la fois lors des tâches propositionnelles et des tâches automatiques, mais la plus grande sévérité s'était produite dans les tâches propositionnelles,alors que la parole automatique était touchée à un degré moindre.

200 Benke, T., Butterworth, B., op. cit., 2001.

201 Garratt, H., Bryan, K., Maxim, J. op. cit., 1999.

202 La production propositionnelle, les tâches propositionnelles, ont de plus grandes exigences de traitement cognitif que la production non propositionnelle, les tâches non propositionnelles (récitation, comptage…).

203 Critchley, M., op. cit., 1927.

204 Benke T, Butterworth B., op. cit., 2001.

205 Kant, R., Smith-Seemiller, L., Isaac, G., Duffy, J. (1997). Tc-HMPAO SPECT in persistent post-concussion syndrome after mild head injury: Comparison with MRI/CT. Brain Injury, 11, (2), p. 115-124.

206 Van Borsel J, Bontinck C, Coryn M, Paemeleire F, Vandemaele P., op. cit., 2007.

207 LaPointe, LL., Horner, J. (1981). Palilalia: A descriptive study of pathological reiterative utterances.

En 2001, Benke et Butterworth étudient deux sujets avec différents profils de réitération208, respectivement atteints de palilalie de type A puis de type B209 (cf. partie 3.4. « caractéristiques de la palilalie »). Dans les deux cas, les répétitions apparaissent à la fois dans les tâches propositionnelles et non propositionnelles.Le sujet présentant une prévalence de la palilalie de type A présente un plus grand nombre de répétitions durant la nomination, la répétition, et le discours spontané, alors que le sujet atteint de palilalie de type B a une distribution plus uniforme des réitérations face à toutes les autres tâches de parole.

Pour conclure, la relation entre les tâches linguistiques et la gravité de la palilalie reste incertaine. Alors que certains sujets peuvent afficher une capacité normale du langage, des facteurs linguistiques semblent pourtant jouer un rôle dans la palilalie chez d’autres.

3. 4. Caractéristiques de la palilalie

Mary et Levy sont les premiers à décrire les trois caractéristiques imputables à la palilalie : (1) répétition compulsive de plusieurs phrases courtes ou de mots à plus de deux occasions ; (2) discours monotone et tendance aux phrases courtes ; (3) discours explosif initial au cours duquel la vitesse augmente graduellement puis devient plus calme210.

La palilalie n’est pas seulement un trouble uniforme, elle peut se manifester sous différentes formes ; le nœud du problème de la palilalie n’est pas seulement une question d’inhibition de la parole, mais aussi de l’initiation des mots et de la progression du discours211. Les réitérations palilaliques sont souvent décrites dans un contexte

208 Benke T, Butterworth B., op. cit., 2001.

209 Sterling, W. (1924). Palilalie et le symptôme « linguosalivaire » dans le parkinsonisme encéphalique.

Revue neurologique, 32, p. 205-220.

210 Mary, P., Levy, G. Palilalie et syndrome parkinsonien par encéphalite épidémique. Revue Neurologique, 29, p. 6-80.

211 Van Borsel, J., Schelpe, L., Santens, P., De Vos, N., De Vos, C. (2001). Linguistic features in palilalia : two case studies. Clinical Linguistics and Phonetics, 15, (8), p. 663-677.

d’augmentation de leur taux212 et une diminution de l’intensité213. Je l’évoquais ci-dessus, Sterling proposait deux sous-types de palilalie: le type A de Sterling (également appelée palilalie spasmodique, palilalie hétérolalique, ou palilalie aphone) se caractérise par des répétitions de plus en plus rapides et une diminution de l’intensité vocale ; le type B de Sterling (également désignée de palilalie atonique ou homolalique) a la particularité d’avoir un taux constant de réitérations entrecoupées par des périodes de silence214.

3. 5. Traitements

Certaines interventions médicales sous formes pharmaceutiques et chirurgicales ont exacerbé ou réduit l’occurrence de la palilalie.

En 1975, Boller et al. présentent un cas où une réduction de la palilalie fut notée chez un sujet présentant des mouvements choréiques quand de la Chlorpromazine, un médicament anti-psychotique, lui fut administré215. Serra-Mestres et al.rapportent quant à eux un cas de palilalie en association avec une démence vasculaire où une amélioration fut notée en réponse à l’administration de l’antidépresseur Trazadone216.

Les médicaments utilisés pour traiter la maladie de Parkinson peuvent aboutir à des fluctuations dans la gravité ou dans la survenue au cours du cycle de médicaments. Ackermann et al. reportent un cas unique de palilalie se manifestant lors de l'administration de Levodopa, habituellement utilisé pour traiter des hyperkinésies chez des patients atteints de maladie de Parkinson217. D’un point de vue pathophysiologique, ils suggèrent que la palilalie, reliée au parkinsonisme, pourrait être reliée à l’hyperkinésie, et non être une part du syndrome akinétique-rigide. La stimulation électrique ou

212 Critchley M., op. cit., 1927 ; Boller F, Boller M, Denes G, Timberlake WH, Zieper I., Albert, MS., op.

cit., 1973; Boller, F., Albert, M., Denes, F. (1975). Palilalia. International Journal of Language &

Communication Disorders, 10, (2), p. 92-97.

213 Boller F, Boller M, Denes G, Timberlake WH, Zieper I, Albert MS., op.cit., 1973 ; LaPointe, LL., Horner, J., op. cit., 1981 ; Singh, S., Kent, R. (1999). Illustrated dictionary of speech-language pathology. San Diego, CA : Singular Thompson Learning, 2000, 287 p. ; Yamadori, A. (1985). Introduction to

Neuropsychology. Tokyo : Igakusyoin Medical Publisher.

214 Sterling, W., op. cit., 1924.

215 Boller, F., Albert, M., Denes, F., op. cit., 1975.

216 Serra-Mestres, J., Shapleske, J., Tym, E., op. cit., 1996.

mécanique des structures subcorticales pendant la chirurgie stéréotaxique peut induire la répétition involontaire d’un son, d’une partie d’un mot et de mots.

La chirurgie produite sur les noyaux subcorticaux a suscité des itérations involontaires218.

Les troubles de la parole sont nombreux et variés, c’est indéniable. Mais il me semble que les études que je viens de relater, certes nécessaires pour traiter pleinement le sujet, soulèvent une confusion entre les capacités de compréhension et d’énonciation (les énoncés, la parole) et le langage dans sa dimension discursive, qui m’intéresse plus particulièrement pour appréhender la palilalie.