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Évaluation de la santé sexuelle et de l’information pendant la phase de

INCOMPATIBLE AVEC UNE ACTIVITÉ SEXUELLE

6.2.5 Période de traitement par chimiothérapie

6.2.5.1 Activité sexuelle

Pendant la chimiothérapie, 47 patients (60%) rapportent être sexuellement actifs, sans différence entre les hommes et les femmes, quelle que soit le type d’activité sexuelle (Ta-bleau 6.2). Cependant, les patients ayant un cancer colorectal déclaraient plus fréquemment avoir des rapports sans pénétration en comparaison des patients ayant un cancer du pan-créas (Tableau 6.3).

Parmi les 69 patients sexuellement actifs dans l’année précédant le diagnostic du cancer, 22 (32%) ont stoppé toute activité sexuelle, 28 (41%) ont diminué la fréquence de leurs activités sexuelles, 18 (26%) n’ont rapporté aucun changement et seulement 1 (1%) a déclaré avoir des activités sexuelles plus fréquente qu’avant diagnostic (Figure 6.2).

Figure 6.2 – Évolution de la fréquence des activités sexuelles après diagnostic

6.2.5.2 Troubles sexuels

Parmi les répondants, 53 patients (68%) ont rapporté avoir des trouvles sexuels au moment de l’enquête, dont 35 (66%) qui déclarent de nouveaux troubles survenus depuis le diagnostic. Pour 28 (80%) d’entre eux, il s’agissait de leur premier problème sexuel. Les hommes ont déclarés des troubles sexuels plus fréquemment que les femmes (p = 0,012). Ce pendant, parmi les patients avec des troubles, les femmes avaient plus souvent des troubles de l’excitation (p = 0,023), des douleurs (p = 0,013) et des troubles de l’orgasme (p = 0,005). Aucune différence n’a été observée pour les troubles du désir (p = 0,103) ou l’état de santé général au moment de l’enquête (p = 0,103) ; (Tableaux 6.2 & 6.3).

6.2.5.3 Qualité de vie sexuelle

Soixante huit questionnaires de qualité de vie étaient analysables (43 hommes et 25 femmes). Le score de qualité de vie sexuelle moyen global de l’échantillon d’étude était de 61,9±21, variant de 18 à 91. Les hommes avaient un score moyen de qualité de vie sexuelle significativement plus grand que celui des femmes (72 ± 17 et 45 ± 16 respectivement, p

<0,001). Le faible niveau d’éducation (p = 0,021), les cancers du pancréas (p =0,041) et colorectaux (p = 0,033) étaient associés à un score de qualité de vie sexuelle diminué (Tableau 6.5).

6.2.5.4 Besoins en soins oncosexologiques

Dans notre échantillon, 34 patients (44%) ont envisagé d’avoir recours aux soins on-cosexologiques s’ils leur étaient proposés. La première modalité de soins envisagée est la consultation avec un médecin sexologue (82%), suivie de la consultation avec un psycho-logue sexopsycho-logue (65%), de la thérapie de couple (53%) et enfin de la participation à des groupes de support (32%). Quel que soit le service envisagé, aucune différence entre hommes et femmes n’a été retrouvée. Cependant, les patients avec un cancer colorectal semblaient plus s’orienter vers la sexothérapie de couple que les patients ayant un cancer du pancréas (p = 0,048) ; (Tableau 6.6).

6.3 Discussion

Les professionnels de santé pensent souvent que les patients atteints d’un cancer ne s’intéressent pas à la sexualité durant la phase de traitement spécifique. Cependant, nos résultats montrent que, même dans une population où le pronostic de guérison est incertain,

avec des traitements lourds, la majorité des patients se sont intéressé à la thématique de la sexualité pendant les traitements. À cet égard, 47% des patients atteints d’un cancer colorectal et 39% de ceux ayant un cancer du pancréas, déclaraient qu’ils utiliseraient sûrement les soins de la sexualité s’ils existaient. En fait, près d’un tiers des répondants sont atteints de cancer du pancréas, localisation ayant le pronostic de survie à cinq ans le plus faible des cancers digestifs. Par conséquent, nous pouvons en conclure que, quel que soit le pronostic, la question de la sexualité devrait être abordée avec les patients, sans préjuger de leur réponse. Des résultats antérieurs ont montré que chez les patients cancéreux bénéficiant de soins palliatifs, plus de 80% des patients jugent important de discuter de rapports sexuels avec un professionnel qualifié, malgré la fatigue et le pronostic engagé [19,20]. Étonnamment, l’inconfort des professionnels de la santé à discuter des rapports sexuels avec des patients atteints d’un cancer avancé semblait plus prononcé, puisque seulement un patient sur dix avait été interrogé sur leur santé sexuelle [20,21].

A ce jour, une seule étude s’est intéressé à la sexualité des patients ayant un cancer du pancréas [Regi et al. 2013]. Cette étude a concerné 9 hommes âgés de moins de 65 ans et avait pour objectif d’étudier l’impact sur les hormones sexuelles, le phénotype et le fonctionnement sexuel masculin, de 2 types rares du cancer du pancréas que l’on retrouve généralement chez les femmes. Les auteurs rapportent des altérations hormonales et des dysfonctions sexuelles dans 44% des cas, notamment une diminution des taux de testosté-rones, un trouble du désir et une insatisfaction (globale et vis-à-vis des rapports sexuels).

Toutefois, le très faible effectif ne permet pas de conclure de façon tranchée. À ce jour, aucune des études évaluant la qualité de vie des patients atteints de cancer du pancréas ne traitait spécifiquement de la qualité de vie sexuelle, car les questionnaires utilisés (EORTC QLQ-C30, [22-26] EORTC QLQ-PAN26, [27,23,25] SF-36, [26], SF-12 [28]) n’abordaient pas la qualité de vie sexuelle. À cet égard, les résultats de notre étude sont innovants.

Du fait de l’amélioration du pronostic érectile après réhabilitation pénienne après pros-tatectomie radicale, de nombreuses équipes ont mis au point des protocoles similaires pour la prise en charge de la dysfonctin érectile après chirurgie du cancer du rectum. Le ration-nel est fort pertinent, compte tenu de la forte prévalence de la dysfonction érectile après proctectomie radicale, et de la physiopathologie très similaire à celle de la prostatectomie radicale. Cependant, nos résultats montrent qu’il est urgent de développer en parallèle une intervention oncosexologique pour les femmes traitées pour un cancer digestif. Même si les femmes avaient moins de troubles sexuels que les hommes (p = 0,012), leur score de qualité de vie sexuelle était plus faible (47 contre 71 ; p <0,001). Cela peut être dû soit à une fréquence élevée de troubles sexuels (87% avaient au moins des problèmes de désir, d’excitation et de douleur en même temps), soit à des interventions de rééducation sexuelle féminines moins efficaces que celles des hommes. Enfin, les femmes étaient tout aussi disposées que les hommes à recourir à un service de santé sexuelle (45% contre 43%, respectivement, p = 0,820). De plus, la baisse de l’estime de soi lié à l’impact de l’image

cor-porelle est un aspect de la sexualité pour lequel les femmes semblent plus vulnérables que les hommes, en particulier dans la population ayant une stomie ou une incontinence fécale.

Ces composantes émotionnelles et psychologiques de la qualité de vie sexuelle n’étaient pas prises en compte lors de l’évaluation des dysfonctions sexuelles, mais elles sont une dimension prise en compte dans le questionnaire de qualité de vie sexuelle (SQoL-M et SQoL-F).

Le bon taux de participation à cette étude (53%) illustre le fait que les patients traités pour un cancer digestif peuvent facilement être intégrés dans un programme de réhabi-litation sexuelle dès la phase de traitement. On sait que la prise en charge précoce est prédictive à la fois de la réhabilitation de la fonction érectile chez les hommes [Jia et al.

2009; Pezzilli et al. 2011] et de la capacité à avoir des rapports sexuels avec pénétration chez les femmes [Shaw et al. 2005; Velanovich 2011]. Les soins de support précoces sont également cruciaux pour maintenir la dynamique du couple. Dans une précédente étude, nous avons constaté que même avant de commencer la radiothérapie, un tiers des patients avait cessé toute activité sexuelle et un tiers déclarait avoir des rapports sexuels moins fréquents qu’avant diagnostic, suggérant une rupture à court terme de l’activité sexuelle [Adekanle et al. 2014]. Les données de notre étude auprès de patients atteints de cancer digestif en cours de chimiothérapie, confirment ces résultats avec 32% des patients devenus sexuellement inactifs et 41% déclarant avoir moins de rapports sexuels depuis le diagnostic de leur cancer.

Même lorsqu’ils sont engagés dans une relation (78% des répondants), les patients étaient plus susceptibles de choisir une consultation individuelle avec un médecin sexo-logue ou un psychosexo-logue sexosexo-logue plutôt qu’une consultation de sexologie de couple. Le besoin premier est sans aucun doute la prise en charge des dysfonctions sexuelles (dys-fonction érectile, troubles de l’orgasme, désir, image corporelle, dyspareunie, etc.), mais on peut supposer que la thérapie de couple ou les conseils au partenaire pourraient être plus favorablement reçus une fois le traitement des dysfonctions sexuelles mis en place, après avoir établi un climat de confiance avec le thérapeute.

Nos données montrent également que durant l’année précédant le diagnostic de cancer, les patients atteints de cancer du pancréas avaient une sexualité comparable, en termes de proportion de patients sexuellement actifs, de types d’activités sexuelles et de fréquence, que les patients atteints de cancer colorectal. Cependant, au moment de l’enquête, si les deux groupes restaient comparables pour la proportion de patients sexuellement actifs, les patients atteints d’un cancer du pancréas rapportaient plus fréquemment avoir des rapports sexuels avec pénétration que ceux ayant un cancer colorectal. La pénétration implique l’obtention et le maintien d’une érection (pour les hommes), ou d’une lubrification (pour les femmes), compatible avec ce type de rapports sexuels. Le cancer colorectal implique une chirurgie ou une radiothérapie qui sont plus susceptibles d’affecter les organes sexuels que dans le cancer du pancréas, ce qui pourrait expliquer la différence observée. C’est la

première fois que les cancers du pancréas et colorectaux sont comparés en en termes de fonction et d’activité sexuelles.

Pendant la chimiothérapie, 29% des femmes et 38% des hommes (p = 0,400) se sont souvenu avoir reçu des informations sur l’impact des traitements sur leur fonctionnement sexuel, soulignant la nécessité d’améliorer la délivrance d’informations et de conseils. Nous avions également observé une communication sous développée avant traitement par radio-thérapie [Almont et al. 2017]. Cependant, contrairement aux études rapportant que les hommes sont davantage informés que les femmes, nous n’avons pas trouvé un tel résultat dans l’analyse multivariée. Néanmoins, notre étude ne portait que sur les cancers digestifs, alors que les autres études concernaient plusieurs localisations cancéreuses.

De plus, la faible proportion de patients informés pourrait s’expliquer par l’âge moyen de 60 ans dans notre échantillon, ce qui aurait pu amener les oncologues à considérer que la sexualité n’était pas un sujet important. Cependant, l’âge n’était pas un facteur associé à l’information. Les fausses croyances concernant la sexualité des aînés persistent [Puts et al.

2012], alors que la sexualité fait partie intégrante de la qualité de vie, peu importe l’âge des patients [Hall et al. 2012; McCallum et al. 2012; Reese et al. 2011]. Les principaux axes à améliorer pour faciliter la délivrance d’information aux patients sont l’inconfort des professionnels de santé pour aborder la sexualité, le manque de temps, le manque de formation et le manque de spécialistes référents pour une prise en charge de recours [Dyer, Nair das 2013; Ussher et al. 2013; Park et al. 2009].

6.3.1 Limites de l’étude

Notre étude a été réalisée dans le département d’oncologie digestive du centre hospi-talier universitaire de Rangueil et souffre d’une représentativité nationale. Cependant, ce département est intégré à l’Institut Universitaire du Cancer de Toulouse, par son rattache-ment au site IUCT-Rangueil-Larrey, et prend en charge des patients atteints d’un cancer digestif selon des recommandations nationales et indépendamment de leurs revenus ou du stade de leur maladie. Il est peu vraisemblable que la qualité des soins oncosexologiques soit supérieure dans d’autres centres moins spécialisés.

Une autre limite de cette étude est le biais de mémoire éventuel concernant les don-nées avant diagnostic du cancer, mais ce risque devrait être réduit, car le temps entre le diagnostic du cancer et le moment de l’enquête était relativement court.

Compte tenu de l’intérêt des patients pour le sujet, même pour ceux dont le pronostic de survie est engagé, on peut supposer que la sexualité est également un sujet important pour les patients ayant des métastases multiples ou en soins palliatifs. Cependant, nous avons fait le choix de les exclure, notamment pour des raisons méthodologiques et éthiques. Tout

d’abord, on peut aisément penser que les problématiques sexuelles de ces patients relèvent essentiellement de l’intimité, du rapport à l’autre, du psychologique et de l’émotionnel.

Aussi, nous pensons que ces patients auraient répondu et réagi différemment à l’étude, et qu’ils devraient être analysés séparément avec un questionnaire plus adapté. De plus, le questionnaire d’enquête étant auto-administré, la plupart des patients à profil palliatif ou polymétastatiques ont les plus grandes difficultés à se concentrer et à maintenir leur attention, en raison de leur état de santé générale plus dégradé, mais aussi d’une fatigue et de douleurs plus importantes. Enfin, et surtout, notre comité d’éthique a estimé qu’une telle enquête pourrait être pénible pour les personnes dont l’espérance de vie était fortement compromise.

Par ailleurs, 15% des patients ont déclaré avoir eu un traitement avant de débuter la chimiothérapie. On pourrait penser que ces traitements ont eu un impact négatif sur leur qualité de vie sexuelle. Il était important de vérifier que les traitements antérieurs à la chimiothérapie n’avaient pas eu d’impact sur l’évaluation de la qualité de vie sexuelle au moment de l’enquête, et aucun résultat dans ce sens n’est retrouvé dans l’analyse multiva-riée. Les traitements antérieurs n’étant pas significativement associés au score de qualité de vie sexuelle au moment de l’enquête, on peut penser que seules les dysfonctions sexuelles ressenties par les patients comme significativement

6.4 Conclusion

Cette étude est une première évaluation de la santé et de la qualité de vie sexuelles chez des patients atteints de cancers digestifs. Les résultats mettent en évidence une qualité de vie sexuelle diminuée chez les femmes et montrent que plus de la moitié des patients ont arrêté ou diminué la fréquence de leurs activités sexuelles. Ces résultats illustrent la né-cessité d’interventions spécifiques au cours des traitements, particulièrement à destination des femmes, afin qu’elles puissent bénéficier d’une offre de soins, notamment pharmaco-logiques, aussi performante que pour les hommes. Les autres populations cibles pour les interventions pendant chimiothérapie pour un cancer digestif sont les patients ayant un cancer colorectal ou du pancréas, mais aussi ceux ayant un faible niveau d’éducation.

Un autre des objectifs de cette étude est de sensibiliser les professionnels de la cancé-rologie sur la nécessité d’informer les patients sur les risques sexuels et les possibilités de réhabilitation sexuelle. Cette étude a aussi montré que durant la phase de traitement, des besoins spécifiques en soins oncosexologiques étaient exprimés et que les patients étaient dans une phase de vulnérabilité nécessitant des conseils et une prise en charge précoce leur permettant d’améliorer leur pronostic sexuel.

Enfin, les résultats suggèrent la nécessité d’étudier la santé sexuelle des patients atteints d’un cancer de manière prospective, dès le diagnostic jusqu’à la phase de surveillance, après guérison.

Cette étude a fait l’objet d’une publication, ci-après, dans la revue The Journal of Supportive Care in Cancer.

ORIGINAL ARTICLE

Sexual health and needs for sexology care in digestive cancer patients

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