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La période de fermeture (1980-1981) : un rapport évolutif aux usines et au temps

3. Tase / Rhodiaceta : du traumatisme commun de la fermeture à un destin discursif

3.1. La période de fermeture (1980-1981) : un rapport évolutif aux usines et au temps

évolutif aux usines et au temps

3.1.1. Le Progrès, narrateur de la conflictualité : entre urgence du

présent et urgence du futur

La période de fermeture des usines étudiées, qui intervient entre 1980 et 1981 dans un contexte de marasme économique et de désindustrialisation, produit une abondance de discours dans la presse territoriale : c’est pourquoi nous la considérons comme relevant d’un « moment discursif ». Il s’agit en effet d’un « événement » local qui met à mal la vie socio-économique du territoire (pertes d’emploi etc.) et qui donc laissera des « traces » dans les discours. Nous pouvons également parler d’« unité temporelle » en tant que période unique durant laquelle différents événements, qui entretiennent les uns avec les autres des relations contingentes, se produisent (Ricoeur, P., 1983). Nous pouvons retrouver sous ces différents événements, des unités dramatiques - en tant qu’actions unes qui forment un tout et qui vont jusqu’à leur terme : un

commencement, un milieu et une fin266– qui s’actualisent dans les médias locaux, soit par d’autres petits « moments discursifs », soit par des « instants discursifs » qui disparaissent des contenus aussi vite qu’ils sont apparus (Moirand, S., 2007).

3.1.1.1. L’e e pla it de l’usi e Rhodia eta : lieu de o de satio , lieu attribut

Lors de la période de l’application effective du « Plan Textile » et donc de la fermeture de plusieurs usines textiles appartenant au groupe Rhône-Poulenc, Le Progrès semble faire de l’usine Rhodiaceta, le « lieu de condensation », spatial comme social, au sens de Bernard Debarbieux267, de l’ensemble des usines de Rhône-Poulenc touchées par ce plan de 1977 et dont l’usine Tase de Vaulx-en-Velin - très peu présente à ce moment-là dans ces contenus de PQR - fait partie. Mais le quotidien régional semble aussi faire de la « Rhodia », le « lieu attribut » symbolisant le quartier où elle est sise268.

Quelques éléments quantitatifs confirment la première hypothèse : à partir d’une recherche exhaustive des mois de mars à août sur les années 1980 et 1981 dans les archives du journal, recherche enrichie d’autres articles glanés dans les revues de presse et les archives thématiques consultées (qui couvrent l’intégralité de ces mêmes années, même si non exhaustives), nous avons recensé 36 articles qui évoquent explicitement les deux usines, sous diverses appellations. Sur ces 36 articles, 19 évoquent uniquement l’usine Rhodiaceta, 3 uniquement l’usine Tase

(mais un article n’est pas issu de l’édition de Lyon269). Et sur 14 articles qui mentionnent les deux usines, 4 sont focalisés principalement sur la Rhodiaceta. La visibilité médiatique est donc largement à l’avantage de l’usine de Vaise.

Les premières hypothèses explicatives à ce déséquilibre discursif sont contextuelles.

En effet, du point de vue du contexte territorial, la Rhodiaceta, située sur la ville-centre lyonnaise et très importante en termes de surface et d’effectifs, « parle » pour les autres en agissant comme une synecdoque particularisante. De plus, si l’on accole ce contexte territorial au contexte énonciatif, nous constatons qu’au regard du « Plan Textile » qui touche plusieurs

266 Nous avions en effet vu plus haut que Ricoeur définissait une unité dramatique comme « (…) « une action une

» (…) (qui forme un tout et va jusqu’à son terme, avec un commencement, un milieu et une fin) » (Ricoeur, P.,

1983, p. 82).

267 « (...) il est des lieux tout à fait spécifiques, construits et identifiés par une société qui se donne à voir à travers eux, qui les utilise pour se parler d'elle-même, se raconter son histoire et ancrer ses valeurs ; des lieux dont l'efficacité symbolique ne s'épuise pas dans la seule mise en image. (…) Autrement dit, la synecdoque porte ici simultanément sur le spatial (le territoire s'impose dans le lieu) et sur le social (la collectivité s'impose à l'individu). » (Debarbieux, 1995, p. 100).

268 « (…) un territoire peut être symbolisé par un de ses lieux les plus notoires. » (Ibid, p. 99).

269 L’article du 19/07/1981 (« La dernière cheminée a disparu ») a en effet été trouvé dans le petit ouvrage Histoires de soie : exposition "Route de la soie", Collège J. Duclos, Vaulx-en-Velin, 1989-1990.

usines du groupe Rhône Poulenc dans la région270, le Progrès n’est pas en capacité de « parler de tout » (l’espace du journal est limité) et il doit ainsi opérer des choix éditoriaux. Le journal place alors la focale sur la ville-centre lyonnaise, principale zone de chalandise et bassin de lecteurs du quotidien régional – et ce biais est accentué par la constitution des archives qui, pour la plupart, ne concernent que l’édition de Lyon du Progrès271-. Selon Jean-François Tétu en effet, le développement de la Communauté Urbaine de Lyon (C.O.U.R.L.Y.) consolide l’attraction de la ville-centre lyonnaise, et « s'exprime ou se représente dans les éditions variables de la PQR » (Tétu, J.-F, 1995, p. 291).

Ensuite, l’article du 10/04/1980, « Rhône-Isère (Ronis) : La C.G.T. inquiète pour l’avenir de l’entreprise », confirme cette tendance mais également l’autre hypothèse, qui est de considérer la Rhodiaceta comme un « lieu attribut » du quartier de Vaise. En effet, l’article évoque les inquiétudes des salariés et syndicats pour l’avenir d’une autre usine du secteur de Vaise, Rhône-Isère, prise ici par le Progrès comme exemple du dépérissement du quartier. Mais c’est la

Rhodiaceta, de manière médiatée (objet second de discours), qui fait office de valeur « étalon » pour le quartier, le « lieu de condensation » du secteur industriel de Vaise : plus que l’évocation globale du territoire, l’usine se réfère également à des pratiques individuelles. Sa prochaine fermeture est ainsi le point d’ancrage des inquiétudes sur l’avenir du quartier : « Après l’annonce

de la fermeture de « La Rhodia », comme chacun continue de l’appeler familièrement, toutes les petites entreprises

du quartier sentent passer le boulet de la fermeture ou a tout le moins de l’inquiétude ». L’usine représente donc le « phare » industriel local : à côté d’elle, toutes les autres entreprises du secteur sont qualifiées de « petites ». Elle est par ailleurs connue de tous, s’inscrit dans le langage populaire quotidien local (« comme chacun continue de l’appeler familièrement») dont le journal se distancie par l’intermédiaire des guillemets, et confirme également son statut de « lieu attribut » : un lieu notoire qui symbolise son territoire.

À partir de la chute de la « Rhodia », la qualification du quartier repose ainsi sur un lexique anxiogène à connotation pessimiste :

270 Outre la fermeture des usines de Vaise, de Vaulx-en-Velin, de la Voulte (Ardèche), des menaces sur l’usine Belle-Etoile de St Fons, le Plan prévoit également des diminutions d’effectifs dans l’ensemble du groupe Rhône-Poulenc sur l’agglomération (Roanne, Collonges, Chasse, Villefranche, Roussillon). Ainsi, le fait que l’usine de Vaise se situe au cœur du bassin de lecteurs du Progrès (d’autant plus concernant l’édition de Lyon) explique logiquement sa supériorité en termes de visibilité médiatique.

271 Un bibliothécaire municipale nous le confirmait lors d’un échange d’e-mails : « Nous n'avons malheureusement pas de liste sur l'évolution du nombre d'édition du Progrès pour la période concernée. Il est vrai que nous consultons pour notre part essentiellement l'édition de Lyon. Le seul moyen de savoir cela serait de faire un sondage au sein de notre collection dite "patrimoniale" qui comprend toutes les éditions. Cette collection est celle qui a anciennement été constituée par Le Progrès et mise en dépôt chez nous il y a 15-20 ans ou constituée par nos soins par le biais du dépôt légal. Cette collection n'est normalement pas destinée à la consultation ».

« Le quartier de Vaise n’en finit pas de voir approcher son agonie, sa fin de quartier populaire et vivant »,

« D’autant que le climat général n’incite pas à l’optimisme », « une lente hémorragie d’effectifs () ».

De même, la figure de la Rhodiaceta construite par l’article comme point de référence l’est aussi au niveau spatial. L’entreprise Rhonis est ainsi décrite comme « voisine toute proche de « la Rhodia » ».

Un autre article du 10/04/1980 (« La C.G.T. propose une quinzaine d’action aux salariés du groupe Rhône-Poulenc ») renforce cette référence à l’usine de Vaise comme « lieu de condensation » de l’ensemble des usines R.P.T. de l’agglomération lyonnaise :

« La C.G.T. a réuni, hier, les représentants des différentes usines du groupe Rhône-Poulenc (textile et chimie) de

l’agglomération lyonnaise, pour envisager les actions à venir, non seulement au sujet de la fermeture de R.P.T.

-Vaise, mais également des diminutions d’effectifs dans l’ensemble du groupe sur l’agglomération ».

Enfin, l’article du 4/06/1980, « Vaise dit non au déclin », poursuit cette même ligne discursive du Progrès. Il y est en effet également question de la description de la déliquescence du quartier avec l’évocation de l’usine Rhodiaceta comme point de départ de ce déclin :

« Mais l’implantation de ce théâtre, alors que les salles de cinéma ont fermé l’une après l’autre avec le déclin de

la Rhodia qui avait fait la splendeur et la richesse de Vaise, est le signe avant-coureur d’un redressement ».

Le rapport au temps est ici intéressant à analyser puisque la figure de la Rhodiaceta en articule différentes facettes et confirme le rôle central de l’usine pour le quartier : elle représente à la fois un passé glorieux (« Rhodia qui avait fait la splendeur et la richesse de Vaise », 4/06/1980),

un présent instable et douloureux (« le climat général n’incite pas à l’optimisme », 10/04/1980),

et un futur espéré (« signe avant-coureur d’un redressement », 4/06/1980).

La Rhodiaceta, par son double statut de « lieu de condensation » de l’ensemble des usines

Rhône-Poulenc de la région touchées par le « Plan Textile » et de « lieu attribut » symbolisant le quartier de Vaise, devient donc centrale dans le traitement médiatique de la fermeture des usines par Le Progrès. En effet, et si nous résumons, nous remarquons que l’usine est souvent citée par Le Progrèslorsqu’il fait un état de cette contestation à la fermeture, et souvent en tant qu’objet « premier » de discours : « R.P.T. : Grève aujourd’hui à Vaise. Les témoignages de soutien se multiplient » (29/01/80), « R.P.T. Vaise : La direction demande au tribunal d’interdire la “Journée portes ouvertes” (26/02/80), « Rhône-Poulenc-Textile Vaise : Le tribunal interdit la “journée portes ouvertes”… mais les syndicats la maintiennent » (29/02/80), « R.P.T. Vaise : “journées portes fermées” » (1/03/80), « Vaise dit non au déclin » (4/06/1980). Mais parfois c’est aussi en tant qu’objet « diffus » de discours que l’usine apparaît. La Rhodiaceta est alors évoquée au même titre que l’ensemble des usines touchées par le plan :

« Rhône-Poulenc-Textiles : les syndicats se mobilisent » (26/01/80), « Rhône-Poulenc : Grève général à l’appel de la C.G.T. » (3/06/80), etc.

Ensuite, le quotidien régional est moins prolixe dans la représentation de l’usine Tase de Vaulx-en-Velin qui met la clef sous la porte en juillet 1980. Si l’usine est parfois un objet premier de

discours dans quelques articles, notamment ceux faisant état de la conflictualité pré-fermeture - article « Rhône-Poulenc Textile ferme son usine de Vaulx-en-Velin (Rhône). Le personnel – avec les armes de la direction – montre qu’elle est indispensable. » (8/01/80) - elle est souvent évoquée au milieu de l’ensemble des usines touchées par la restructuration de Rhône-Poulenc- article « A Lyon, Vaise et Vaulx-en-Velin, les usines de Rhône Poulenc Textiles deviennent des zones industrielles » (2/05/80) - et disparaît peu à peu des contenus du Progrès après la fermeture. Il n’y a ainsi, par exemple, aucune mention de sa fermeture en juillet 1980. Cette invisibilité médiatique correspond ainsi au prolongement « logique » de l’invisibilité sociale d’un territoire de l’Est Lyonnais isolé du reste de l’agglomération.

Ce résultat confirme ainsi ce que nous confiait, lors d’un entretien récent, un ancien imprimeur, directeur de journal, créateur de l’association Patrimoine Rhônalpin en 1983, et donc observateur attentif de la période, à propos de cette prévalence de l’usine Rhodiaceta sur l’usine

Tase dans les contenus de presse locale : « Parce que c’est à Lyon. Vaulx-en-Velin n’intéressait pas

beaucoup de monde » (Association Patrimoine Rhônalpin, annexe 5, p. 268).

Une analyse plus précise du discours du journal permet l’identification de deux micro-périodes ou sous-unités temporelles dans lesquelles se déploient parfois des unités dramatiques. Nous grossissons donc la focale sur l’unité dramatique de la fermeture des usines à l’été 1980, point de bascule entre les deux sous-unités temporelles.

3.1.1.2. La période pré-fermeture (1/01/1980-30/07/1980) : conflictualité sociale et dichotomie discursive.

La période de pré-fermeture du 1er janvier au 30 juillet 1980 connait une conflictualité sociale très forte. En effet, les deux usines sont en activité pour quelques mois encore, mais bien que leur avenir soit scellé par l’application du « Plan Textile », la mobilisation syndicale est à son paroxysme avec, en toile de fond, l’infime espoir d’un maintien de l’activité des usines et la sauvegarde des emplois condamnés. Tout cela se matérialise par différentes mobilisations sociales. Le Progrès se fait alors le narrateur de cette conflictualité sur les 16 articles référencés sur la période.

Rapport au temps et à l’espace : urgence du présent et focale étendue

En considérant tout d’abord la structure formelle des articles et leurs éléments infra et para-textuels, plusieurs enseignements de pré-cadrage des discours peuvent être tirés.

Tout d’abord, si les conditions de collecte de ce corpus n’ont pas souvent permis de renseigner la classification des objets d’information (rubriques, page etc.), l’analyse de l’angle de traitement choisi nous a néanmoins autorisé à en supposer quelques aspects.

Ainsi, sur les 16 articles collectés, seulement 5 ont une classification « visible » : un article classé dans une rubrique « Social », deux autres dans les rubriques « Economie » et « Rhône-Economie », un article sous une page « Grand Lyon » et un article sous une page « Région ». Nous remarquons donc d’emblée dans cette classification, la présence d’un axe géographique répondant à une loi de proximité (Agnès, Y., 2002) renforcée dans le cadre de la PQR : la communauté géoculturelle visée par le média est circonscrite à la « Région » et au « Grand Lyon ». L’information qui en découle relève ainsi d’une localité relativement élargie. Se dégage également un axe sociétal (relatif à la vie en société) à travers la rubrique « Social » voire « Economie » : plus précisément ici, les rapports de force à l’intérieur de la société locale. L’insuffisance de ces informations, interdisant toute conclusion hâtive, nous a obligé à opérer notre propre classification des articles en fonction de l’analyse de leur angle bien souvent corrélé au rubricage. Il en ressort une large majorité d’articles rédigés sous un angle « social » (nous en dénombrons 12 sur 16) : des articles faisant état des différentes formes de mobilisations (souvent des manifestations) portées par les syndicats contre la direction de

Rhône-Poulenc.

Cet angle « social » investit un rapport au temps ancré dans l’urgence du présent : l’empan temporel que mobilise le média est de fait très réduit puisque sa focalisation concerne des mouvements de protestations contre une fermeture et une restructuration d’un groupe dans un futur immédiat (été 1980) et prévue depuis trois ans (« Plan-Textile » officialisé en 1977). Les embrayeurs temporels relevés dans les articles attestent de cette focalisation réduite : le passé immédiat (souvent à travers les dates d’annonce du Plan Textile) comme point de départ de la crise sociale ou bilan des mobilisations (articles-bilan des manifestations). Le présent (« aujourd’hui », « maintenant ») comme point d’ancrage d’une incitation à l’action. Le futur immédiat comme horizon d’actions (agenda des mobilisations etc.) et hypothèses d’évolution de la situation problématique. La chute de l’article du 1/03/1980 articule ainsi ces différentes temporalités :

« La journée témoigne, à coup sûr, d’un élargissement des luttes. C’est bien ce que pense l’intersyndicale de

Vaise toute ragaillardie par l’ampleur du mouvement. "La lutte continue", affirmait-elle hier soir en annonçant

qu’elle allait multiplier les actions dans les prochaines semaines. »

Cela traduit également la mise en avant de la part du journal de la conflictualité inhérente à tout processus de fermeture d’usine dont nous voyons ci-après les modalités. La temporalité du

Progrès s’aligne ainsi sur la temporalité syndicale, par la mise en avant régulière de ses mobilisations.

De même, dans ces articles, l’angle économique est souvent mêlé à celui du social. Ils relatent en effet des décisions de fermetures d’usines basées sur des arguments économiques et dont la contre-argumentation, syndicale notamment, relève aussi logiquement de ce domaine. C’est pourquoi, là encore, l’échelle temporelle du média est très réduite car basée sur la conjoncture. Les articles jouent alors sur la focale spatiale en naviguant entre économie nationale (situation du textile, du groupe Rhône-Poulenc au niveau national, désindustrialisation etc.) et économie locale (situation des usines Rhône-Poulenc de la région, quelques focalisations micro-locales sur certaines usines etc.).

Les deux derniers articles de la micro-période considérée – « Le nouveau collège de Vaise : une solution ? » (11/06/80), « C.E.S. de Vaise. Tout le monde d’accord pour le terrain de la piscine » (14/07/80) - sont quant à eux « anglés » d’une manière urbanistique. C’est là une première attention vers un futur proche de post-fermeture qui pose brièvement la question de l’éventuelle implantation du collège de Vaise sur l’espace laissé par la Rhodiaceta (question rapidement tranchée dans le second article). Nous constatons donc, à l’approche de la fermeture effective des usines, une forme de résignation et de clôture du débat social : la fermeture devient ainsi « actée » par le quotidien.

« D’ores et déjà, le président du groupe de travail du P.O.S., M. Alain Chaboud, a indiqué que deux terrains pourraient recevoir le collège : soit la partie nord (rue Cottin) de l’actuelle emprise de Rhodia appelée à quitter bientôt Vaise(c’est le plus central, mais il faut le libérer et l’acheter), soit une parcelle située aux Cressonières ».

Le Progrès se tourne alors vers le futur du secteur, et la Rhodiaceta ne devient qu’une figure topographique, un espace à investir :

« Le terrain de la piscine fait l’unanimité », disent les parents. Il est un peu moins central que celui de Rhodia, mais plus à l’écart aussi d’une circulation intensive » (14/07/1980).

Enfin, en nous intéressant à la hiérarchisation des informations opérées par le journal, nous remarquons qu’un seul article paraît en Une. Il concerne un appel à la grève générale de la C.G.T. de Rhône-Poulenc S.A le 3 juin 1980 : « Rhône-Poulenc. La C.G.T. appelle à la grève générale ». Le titre seul (sans autre information) apparaît en sous-tribune droite sur la Une. C’est la dimension « générale » de cette « grève » qui semble susciter l’intérêt du journal et justifier la remontée de l’information en Une. En effet, outre son aspect « total » et donc apostrophant, le titre renvoie à un imaginaire symbolique du lecteur (le « réservoir à symboles ») que nous pouvons supposer prégnant dans la mémoire collective nationale comme locale : le mouvement de mai 1968 pour l’histoire nationale, la grande grève dans la Rhodiaceta

en 1967-1968 pour l’histoire locale. Ainsi la notion de « mémoire interdiscursive »272 est intéressante à convoquer puisque la figure symbolique de la Rhodiaceta lors de la contestation ouvrière lyonnaise de la période 1967-1968 est pleinement réinvestie – même si de manière « suggérée » sous forme d’allusion273 - dans une phase de tension sociale occasionnée par l’annonce d’une série de mesures touchant Rhône-Poulenc et pouvant donc provoquer par-là une « remontée de souvenirs » (Moirand, S., 2007). Évidemment, cela repose, selon Sophie Moirand, sur un « pari risqué d’une mémoire [ici, locale] qui serait partagée » (Ibid, p. 63). Cependant et pour finir, nous notons pour que les titres des 16 articles sont exclusivement informatifs. Le journal privilégie la dimension informative d’un événement en train de se passer : cela donne un effet de neutralité et d’objectivité. Il exclut ainsi non seulement l’effet de surprise d’un titre incitatif mais surtout l’obligation pour le lecteur de puiser dans le réservoir à symboles hypothétiquement partagés localement, et donc le risque d’une incompréhension. Du côté du dispositif iconique, seulement 3 articles sur 16 sont accompagnés d’une photographie. Celle de l’article du 14/07/1980 ne nous intéresse guère car elle représente le site choisi pour le nouveau collège de Vaise, qui ne semble finalement pas être celui de la « future ancienne » Rhodiaceta (article « C.E.S. de Vaise. Tout le monde d’accord pour le terrain de la piscine »). Deux photos entrent donc dans le cadre de notre recherche, que le lecteur peut consulter dans les annexes de ce travail (annexe 3, p. 56).

La première, parue dans l’article « Rhône-Poulenc Textile ferme son usine de Vaulx-en-Velin (Rhône) » (8/01/1980), représente des bâtiments délabrés avec au 1er plan une cheminée en ruines (vue sa position oblique au-dessus d’un tas de gravats) et, à l’arrière-plan, des bâtiments d’usine en tout aussi mauvais état. L’atmosphère de chaos et de destruction est renforcée par une légende en partie non-embrayée : « 13 décembre 1978 : le début de la fin mais tout n’est

pas perdu. ».

La date événementialisée correspond au point de départ passé de la situation présente : le commencement du récit de « la fin » de l’usine Tase selon le Progrès, soit l’annonce de la

272 « (…) les médias contribuent à construire au fil du temps et du traitement qu’ils font des événements, une mémoire interdiscursive » (Moirand, 2007).

273 « Mais, au fil de l’espace et du temps et de l’évènement, la plupart de ces mots ou formulations perdent leurs