• Aucun résultat trouvé

2. Cadrage théorique

2.1. Analyse de discours et hétérogénéité située

Notre corpus fortement hétérogène est analysé dans une approche communicationnelle où le contexte est primordial. Nous observons une multitude de situations de communication illustrées par les « scènes discursives » en interaction. Ces situations constituent pour Joëlle Le Marec – même si l’auteure fait plutôt référence aux situations d’enquête et au contexte de recherche englobant les communications analysées, nous nous permettons ici d’en ré-utiliser la portée - un méta-corpus de contextes communicationnels qui « permet de rendre beaucoup plus explicite le statut des données dès lors que celles-ci sont toujours relatives à des contextes précisés » (Le Marec, J., 2002, p. 9). Nous comprenons ainsi que la nature hétérogène du corpus collecté nous oblige à nous situer l’analyse replaçant les discours dans leur « environnement naturel ». Les productions discursives analysées s’inscrivent en effet dans des contextes territoriaux particuliers (économiques, socio-politiques etc.) qui les modèlent et les ploient. C’est pourquoi nous nous situons dans une approche classique de l’analyse de discours c’est-à-dire « une forme d’analyse des énoncés fondés sur leur mise en contexte, en tant que ces énoncés "définissent dans l’espace social une certaine identité énonciative historiquement

circonscriptible" » (Oger, C., Ollivier-Yaniv, C., 2003/2). Une attention particulière est donc portée à l’articulation entre énoncé et énonciation169. Même si nous l’avons évoquée brièvement à propos du genre journalistique, notons ici que la notion de « genre de discours » qui permet sa catégorisation est perçu « comme le point d’articulation entre le texte et son contexte de

production » (Floréa, M.-L., 2012, p. 43).

Dans le cadre de nos entretiens par exemple, les « énoncés attestés » des acteurs interrogés (Mazière, F., 2010, p. 8) s’analysent à partir de la saisie de leurs positionnements institutionnels, politiques, sociaux, etc., des diverses positions « officielles » de l’institution – dans son sens

169 « Nous avons d’une part l’instauration du sujet parlant (instance de médiation entre la langue et le discours),

élargi (Maingueneau, D., 1991) - dans laquelle ils évoluent, ainsi que de la conflictualité s’y déroulant. Ceci nous permet également d’objectiver leurs positionnements discursifs, puisque « comprendre le discours institutionnel nous suggère de prendre en considération l’ensemble des pratiques qui forment le "champ d’intelligibilité" où il prend sens. » (Oger, C., Ollivier-Yaniv, C., 2003/2). Ainsi, nous avons pu constater, dans la conduite et l’analyse des entretiens semi-directifs, des formes de conflictualité inter-associatives qui apparaissaient, certes, dans les contenus médiatiques, mais qui nous ont permis dans le cadre de la situation d’entretien, de saisir les positionnements discursifs des acteurs de manière plus claire et moins « lissée » (Oger, C., Ollivier-Yaniv, C., 2003170) : chaque association a sa « version », parfois politique du conflit et qui s’explique par une position institutionnelle et dans le territoire précise.

Les discours analysés sont donc à comprendre comme étant une parole institutionnelle incarnée par des acteurs dont la position est plus ou moins contrainte. En résultent des formes de lissage discursif plus ou moins marqué171. Par exemple, le fait que certains anciens acteurs institutionnels interrogés aient changé de fonction depuis la période qui intéresse l’entretien, a pu générer une certaine liberté de ton utile au chercheur. Notre ambition est donc d’articuler deux types de discours institutionnels dans l’analyse :

- Les discours officiels dans l’arène médiatique (presse locale et territoriale). - Les discours ordinaires recueillis par l’intermédiaire des entretiens semi-directifs. Nous pourrons aussi déceler d’éventuelles dissonances discursives entre ces deux types de discours. L’opérativité du genre de discours reste valable au sens bakhtinien « en tant que

facteur d’économie cognitive: le genre permet la compréhension anticipée de l’intention, du contenu, du format, de la structure et de la globalité de l’énoncé (Bakhtine 1978 et 1984) »

(Ringoot, R. 2014, p. 13).

De plus, la mise en contexte des discours étudiés est effectuée à plusieurs échelles : territoriale (contexte urbain local, socio-économique et politique), institutionnelle (contexte national lié à l’appréhension de la catégorie « patrimoine » en France et son élargissement) et éditoriale (positionnement du discours étudié au sein d’un engendrement de discours, l’environnement interne). Évidemment, les discours considérés à des échelles différentes restent néanmoins en interaction et il importe d’établir que l’« unité d’analyse pertinente n’est pas le discours en lui -même, mais le système de relation aux autres discours à travers lequel il se constitue et se

170 « (…) les entretiens font surgir une pluralité de voix dans des contextes variés : coopération, négociation, mais aussi conflits et concurrence » (Oger, C., Ollivier-Yaniv, C., 2003, p. 9).

171 « Par lissage, nous entendons le gommage des formes de diversité et d’hétérogénéité en général. » (Oger, C.,

« La modernité a fonctionné comme une machine à fabriquer du patrimoine »

(Gravari-Barbas, Guichard-Anguis, 2003, p. 9).

maintient » (Maingueneau, D., Cossuta, F., 1995, p. 115). Cet engendrement de discours est à relier à l’évolution diachronique des contextes institutionnels générant des « formations discursives » (Foucault, M., 1969) ou matrices discursives évolutives qui agencent les discours sur le patrimoine et produisent du « prédiscours »172 (Paveau, M.-A., 2006). Une attention particulière est ainsi portée aux cadres interprétatifs médiatiques (Gamson, W., Modigliani, A., 1989)173 relatifs à la construction progressive de la notion de « patrimoine industriel » en tant que catégorie institutionnelle de désignation patrimoniale et légitimation mémorielle. Le discours institutionnel, dans ce cadre, peut relever d’un « discours constituant », dans sa prétention à « constituer » ce qu’il énonce en tant que discours d’autorité élargissant les attributions attachées au patrimoine dans les années 1980. Les différentes « réalisations » institutionnelles ont en effet produit un nouveau discours patrimonial « instituant » univoque et monologique (Oger, C., Ollivier-Yaniv, C., 2003) servant de « norme et de garant aux comportements » discursifs patrimoniaux (Maingueneau, D., Cossuta, F., 1995). Le discours constituant qui en découle est donc relié à une source légitimante qui l’institue en discours d’autorité à propos d’une certaine définition du patrimoine. Nous nous efforcerons d’en dégager un « ordre du discours » (Foucault, M., 1971).

Par conséquent, notre corpus n’est pas considéré pour lui-même « mais en ce qu’il est partie

prenante dans une institution reconnue qui "définit pour une aire sociale, économique, géographique ou linguistique donnée les conditions d’exercice de la fonction énonciative" » (Maingueneau, D., 1991, p. 17). Nous associons ainsi fortement organisation textuelle et situation de communication (Maingueneau, D., 2012), en d’autres termes nous articulons le texte et ses conditions de production. Notre analyse de discours se concentre alors sur « une

production verbale complète, authentique et contextualisée, et en interaction avec d’autres

discours » (Floréa, M.-L., 2012, p. 42).

Cette diversité des discours analysés et leurs interactions représente, outre un rempart au médiacentrisme déjà évoqué, un atout supplémentaire pour parer à une recherche monocentrée sur le discours médiatique : « plus la diversité des discours analysés sera importante, plus le

172 « (…) formes des connaissances préalables et (…) leur fonctionnement dans l’élaboration et l’interprétation

des discours », https://praxematique.revues.org/858. L’institutionnalisation de la notion de « patrimoine industriel » génère par exemple une forme de prédiscours chez les enquêtés dans les situations contemporaines d’entretien qui va cadrer leur propre discours, cas que l’on peut étendre à l’ensemble des productions analysées dans ce travail (scène civile, institutionnelle, médiatique).

173 « (…) modèles de cognition, d’interprétation ou de sélection – plus ou moins récurrents, utilisés de manière routinisée par les journalistes (Gitlin, 1980). A. Modigliani et W. Gamson (1989) définissent un cadre interprétatif comme "une idée centrale organisante qui permet de faire sens d’événements et de faits suggérant en quoi consiste l’enjeu" » (Le Torrec, V., 2003).

cadre théorique de l’AD sera complet. » (Floréa, M.-L., 2012, p. 45). Nous nous focalisons en

effet sur les discours d’acteurs hétérogènes (hommes politiques, responsables associatifs, journalistes locaux) évoluant sur les scènes discursives considérées.

Pour résumer, le discours tel que nous l’entendons dans cette thèse, se rapproche de sa définition par les travaux de Dominique Maingueneau, qui le considèrent comme une organisation au-delà de la phrase, comme orienté – « Le discours se construit (…) en fonction d’une fin » -,

comme une forme d’action – « Parler est une forme d’action sur autrui et pas seulement

comme une représentation du monde. (…) toute énonciation constitue un acte (…) qui vise à

modifier une situation. » -, comme interactif – « Toute énonciation (…) est en fait prise dans

une interactivité constitutive (on parle aussi de dialogisme), elle est un échange (…). » -,

comme contextualisé - « il n’y a de discours que contextualisé. (…) En outre, le discours

contribue à définir son contexte, qu’il peut modifier en cours d’énonciation. » -, comme pris

en charge par un sujet – « Le discours n’est discours que s’il est rapporté à un sujet » -, comme régi par des normes – « l’activité verbale s’inscrit dans une vaste institution de parole » -, et comme pris dans un interdiscours – « Le discours ne prend sens qu’à l’intérieur

d’un univers d’autres discours» -, (Maingueneau, D., 2016, pp. 43-45).