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Des outils généraux : l’abus de droit et l’acte anormal de gestion

B. LES PRINCIPAUX OUTILS DE CONTRÔLE DES PRATIQUES

1. Des outils généraux : l’abus de droit et l’acte anormal de gestion

Comme le résument joliment Maurice Cozian et Florence Deboissy,

« l’abus de droit, c’est le péché des surdoués de la fiscalité » (1). Cette construction permet à l’administration fiscale d’ignorer les actes dont l’apparente régularité juridique dissimule leur objet véritable et exclusif : l’évitement de l’impôt. En droit français, cette notion et la procédure qui permet sa mise en œuvre sont codifiées à l’article L. 64 du livre des procédures fiscales (LPF).

Article L. 64 du livre des procédures fiscales

« Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.

En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité.

Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification.

Les avis rendus font l'objet d'un rapport annuel qui est rendu public. »

Deux comportements distincts, visant un but unique, sont susceptibles de constituer un abus de droit :

– la simulation. Le contribuable tente ici d’opposer à l’administration des actes qui « ont un caractère fictif », qui n’ont en réalité aucune substance juridique et/ou concrète (2) ;

– la fraude à la loi (3). Le contribuable recherche « le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs » ;

– dans tous les cas, le seul et unique but recherché est la minoration ou l’annulation de l’impôt, les actes n’ayant été « inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ».

(1) Maurice Cozian et Florence Deboissy, Précis de fiscalité des entreprises 2012/2013, LexisNexis.

(2) Exemples : création d’une société fictive ; qualification volontairement erronée d’un acte.

(3) Cette expression usuelle peut être trompeuse ; elle signifie en réalité « contournement de l’esprit de la loi ».

La procédure d’abus de droit est actionnée par l’administration fiscale à l’occasion d’un contrôle. Si le contribuable conteste les rectifications notifiées par le fisc, il peut saisir pour avis le comité de l’abus de droit fiscal (1). Cette saisine est également ouverte à l’administration.

L’abus de droit est lourdement sanctionné, le contribuable subissant : – le rétablissement de l’impôt normalement dû ;

– le paiement d’intérêts de retard à hauteur de 0,40 % par mois (2) ;

– une majoration égale à 80 % des sommes lorsqu’il est établi que le contribuable a eu l'initiative principale du ou des actes constitutifs de l'abus de droit ou en a été le principal bénéficiaire (ramenée à 40 % lorsqu’une telle preuve n’a pu être apportée) (3).

Utilisation de la procédure d’abus de droit en matière de fiscalité internationale La Direction des vérifications nationales et internationales (DVNI), chargée du contrôle fiscal des plus grandes entreprises, a mis en œuvre la procédure d’abus de droit à 10 reprises au cours des cinq dernières années, en matière de fiscalité internationale.

Selon les informations transmises à la mission, « les mécanismes combattus consistent principalement à endetter artificiellement des structures françaises, ou à dissimuler des prêts en apport de capital pour bénéficier du régime mère-fille, ou à créer des structures-écrans sans substance économique pour dissimuler des revenus ».

Les redressements se répartissent de la sorte entre les différents types de montage : – remise en cause de la substance de sociétés situées dans des paradis fiscaux pour dissimuler des opérations spéculatives : 1 100 millions d’euros en base et hors pénalités ;

– montage mis en place pour bénéficier du régime mère-filles : 328 millions d’euros ; – remise en cause de boucles fictives de financement (intérêts notionnels) : 256 millions d’euros ;

– remise en cause de montages d’endettement artificiel : 163 millions d’euros : – lutte contre des abus conventionnels : 23 millions d’euros.

Les conditions permettant aux vérificateurs d’engager un redressement sur le fondement de l’abus de droit sont lourdes, puisqu’ils doivent cumulativement :

– prouver que le contribuable a soit sciemment menti, soit consciemment détourné l’intention du législateur ;

(1) L’article 1653 C du code général des impôts prévoit que le comité de l’abus de droit fiscal est composé des personnalités suivantes, nommées par le ministre chargé du budget : un conseiller d’État (président), un conseiller à la Cour de cassation, un avocat ayant une compétence en droit fiscal, un conseiller maître à la Cour des comptes, un notaire, un expert-comptable et un professeur des universités (agrégé de droit ou de sciences économiques). Le ministre nomme également un rapporteur, fonctionnaire de catégorie A de la Direction générale des Finances publiques.

(2) En application de l’article 1727 du code général des impôts.

(3) En application de l’article 1729 du code général des impôts.

– démontrer qu’il l’a fait dans l’unique but de réduire son imposition. Or il peut être assez aisé pour l’entreprise d’opposer à l’administration ne serait-ce qu’un seul argument de caractère non fiscal, même ténu, à l’appui de l’acte contesté (nécessité économique ou de gestion, fût-elle vague).

Afin de faciliter le contrôle et le redressement des situations abusives et pour appréhender plus aisément les cas de manipulation de prix de transfert, il pourrait être envisagé d’assouplir l’article L. 64 du LPF, en précisant que les actes constitutifs d’un abus de droit ont « principalement » – et non pas

« exclusivement » – pour but de minorer l’imposition que le contribuable aurait normalement supportée.

Proposition n° 1 : Renforcer la portée de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales en précisant que les actes constitutifs d’un abus de droit n’ont pas « exclusivement » mais

« principalement » pour but d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que le contribuable aurait normalement supportées.

b. L’acte anormal de gestion

Contrairement à l’abus de droit, notion législative codifiée, l’acte anormal de gestion résulte d’une construction jurisprudentielle (1) et le demeure. En principe l’administration n’a pas vocation à s’immiscer dans la vie de l’entreprise ou dans sa gestion quotidienne. Le fait qu’un dirigeant gère mal son entreprise n’est pas fiscalement répréhensible. Encore faut-il que cette mauvaise gestion soit la conséquence d’actes, certes maladroits ou mal avisés, mais pris dans l’intérêt de l’entreprise et non dans l’intérêt particulier de ses dirigeants ou de tiers.

En substance, on peut définir l’acte anormal de gestion comme celui qui accroît les charges de l’entreprise ou qui la prive d’un produit, sans que cet acte soit justifié par les intérêts de l’exploitation de la société. Il a donc pour effet de créer un préjudice pour le Trésor public, soit en minorant les recettes, soit en majorant les charges déductibles de l’entreprise.

Il serait impossible de dresser une liste exhaustive de tous les agissements susceptibles de constituer des actes contraires à l’intérêt de l’entreprise. On se bornera ici à en évoquer quelques exemples, de manière à éclairer la notion. De tels actes peuvent recouvrir :

– des dépenses injustifiées : octroi d’avantages à un tiers personne physique (parent, ami) ou morale (société liée au sein d’un même groupe par exemple) ;

– des dépenses exagérées : le paiement d’un prix manifestement surévalué pour la rémunération d’un actif vendu par une société d’un groupe à une autre société appartenant au même groupe (par exemple : la société A achète à la société B au prix de 100 un tracteur déprécié acheté 20 ans plus tôt par la société B au prix de 50) ;

(1) Cf. notamment Conseil d’État, 7ème, 8ème et 9ème sous-sections réunies, 27 juillet 1984, SA Renfort Service, requête n° 34588.

– la renonciation à des recettes : en reprenant l’exemple inverse du précédent, dans l’hypothèse où A transfère à B, à titre gratuit, le dernier modèle de tracteur acheté la veille pour une valeur vénale de 100.

L’acte anormal de gestion est, le cas échéant, doublement sanctionné : – les bénéfices de l'entreprise sont rehaussés du montant des charges indues ou du manque à gagner injustifié ;

– le bénéficiaire de l’acte est imposé sur les sommes indûment reçues.

Par rapport au dispositif de l’article 57 du code général des impôts, spécifique aux prix de transfert (cf. infra), la procédure de l’acte anormal de gestion présente un avantage non négligeable : elle n’exige pas l’établissement d’un lien de dépendance entre la société française et la société étrangère pour réintroduire au résultat imposable de l’entreprise française les bénéfices indûment transférés à l’étranger.