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1. Les régimes spécifiques aux États et territoires à fiscalité privilégiée ou non coopératifs

L’optimisation fiscale par transfert de revenus est d’autant plus efficace, du point de vue du contribuable, que l’État vers lequel les revenus sont transférés pratique une fiscalité faible. Afin de dissuader ces comportements, qui confinent parfois à l’évasion fiscale, le législateur a prévu des dispositions spécifiques lorsque l’État de destination d’un revenu est un État à fiscalité privilégiée ou un ETNC.

(1) Inspection générale des finances, Mission de comparaisons internationales sur la lutte contre l’évasion fiscale via les échanges économiques et financiers intra-groupe, 2013, page 25.

a. La non-déductibilité de certaines charges versées dans des « paradis fiscaux »

L’article 238 A du CGI encadre strictement la déductibilité de certaines charges lorsqu’elles sont payées ou dues par des résidents fiscaux français à des personnes soumises, dans leur État ou territoire de résidence, à un régime fiscal privilégié. Sont concernées les charges financières, les redevances et la rémunération des prestations de service.

Ces charges ne sont admises en déduction que si le débiteur (l’entreprise française) apporte la preuve qu’elles correspondent à des opérations réelles et qu’elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré.

Le régime est encore plus strict lorsque l’État de destination des charges est un ETNC : le principe est celui de la non-déductibilité, sauf si le débiteur :

– d’une part, apporte la preuve exigée pour les États à fiscalité privilégiée ; – d’autre part, démontre que les dépenses constitutives des charges ont

« principalement un objet et un effet autres que de permettre la localisation de ces dépenses dans un État ou territoire non coopératif ».

Dans un cas comme dans l’autre, il faut relever que le régime de preuve est plus sévère pour les entreprises que celui prévu à l’article 57 du CGI, puisque ce sont elles qui doivent justifier du caractère normal des transferts opérés.

Proposition n° 7 : Modifier l’article 238 A du code général des impôts afin d’aligner les conditions de déductibilité des charges logées dans des États à fiscalité privilégiée sur celles, plus exigeantes, des charges logées dans des États et territoires non coopératifs.

b. Les règles spécifiques aux versements effectués dans des États et territoires non coopératifs

Les revenus passifs versés à une société (ou à une personne physique) établie hors de France sont soumis à une retenue à la source (RAS). Si le taux de cette RAS peut être diminué par application des conventions fiscales bilatérales – dont c’est d’ailleurs l’un des objectifs, dans un souci d’élimination des doubles impositions –, il est en revanche significativement augmenté en présence d’un ETNC, puisqu’il atteint 75 % s’agissant :

– des dividendes, alors que le taux hors ETNC varie selon les produits de 15 à 30 % (article 187 du CGI) ;

– des intérêts, alors que le taux de droit commun est de 24 %. Une « clause de sauvegarde » permet d’écarter l’application du taux majoré si le débiteur démontre que l’opération a « principalement un objet et un effet autres que de permettre la localisation de ces revenus et produits dans un État ou territoire non coopératif »(article 125 A du CGI) ;

– des redevances (1) (article 182 B du CGI).

(1) Mais aussi d’un certain nombre d’autres revenus, comme les rémunérations de prestations de service.

Par ailleurs, certains régimes « de faveur » sont exclus en présence de filiales établies dans un ETNC :

– les plus-values de cession à long terme de certains titres de participation ne sont pas exonérées lorsque les titres sont détenus dans une société établie dans un ETNC (article 219 du CGI) ;

– le régime mère-fille n’est pas applicable aux dividendes provenant d’une société établie dans un ETNC (article 145 du CGI).

2. Les règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées : l’article 209 B du code général des impôts

Par exception au principe de territorialité de l’impôt sur les sociétés, et sous réserve des stipulations conventionnelles, l’article 209 B du CGI permet de soumettre à l’IS :

– les bénéfices réalisés par une entreprise établie dans un État ou territoire à fiscalité privilégiée, lorsque cette entreprise est exploitée par une société redevable de l’IS établie en France ;

– les revenus d’une entité juridique constituée dans un État ou territoire à fiscalité privilégiée, et dont la société redevable de l’IS détient, directement ou indirectement, plus de 50 % des actions, parts, droits financiers ou droits de vote.

L’impôt acquitté dans l’autre État et les retenues à la source opérées sur les revenus perçus par l’entité établie dans ce même État sont imputables sur l’IS calculé en France, pour éviter les doubles impositions. Les RAS ne sont pas imputables si l’entité est établie dans un ETNC.

Le dispositif n’est en principe pas applicable au sein de l’Union européenne, sauf si est démontrée l’existence d’un « montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française » (1).

L’article 14 de la deuxième loi de finances rectificative pour 2012 a simplifié le régime des autres exceptions (2). Désormais, le dispositif ne s’applique pas lorsque l’entreprise redevable de l’IS en France démontre que l’implantation à l’étranger a principalement un objet et un effet autres que de permettre la localisation de bénéfices dans un État à fiscalité privilégiée ; cette condition est notamment vérifiée lorsque l’entreprise étrangère a principalement une activité industrielle ou commerciale effective. L’un des principaux changements introduits l’année dernière est le renversement de la charge de la preuve : c’est désormais à la société redevable de l’IS en France d’établir que les activités conduites à l’étranger n’entrent pas dans le champ du dispositif de taxation.

(1) Le dispositif français est ainsi conforme au droit de l’Union européenne, tel qu’interprété par la Cour de Justice de l’Union européenne (12 septembre 2006, Cadbury Schweppes plc., affaire C-196/04).

(2) Pour plus d’information, cf. Christian Eckert, Rapporteur général au nom de la commission des Finances, Rapport sur le projet de loi de finances rectificative pour 2012, n° 79, juillet 2012, pages 219 à 227 (commentaire de l’article 11).

D. LES ENSEIGNEMENTS À TIRER DES EXPÉRIENCES INTERNATIONALES D’ENCADREMENT DES PRODUITS ET ENTITÉS HYBRIDES

Comme on l'a vu précédemment, les produits et entités hybrides peuvent constituer un levier important d'optimisation fiscale, à tel point que certains États ont instauré des règles d'encadrement de ces instruments. Les développements qui vont suivre se fondent essentiellement sur un rapport publié par l'OCDE en 2012 intitulé Dispositifs hybrides – Questions de politique et de discipline fiscales.

Il s'agira ici de présenter succinctement quelques-unes des solutions nationales apportées à cette problématique. Toutes les règles instituées par ces États visent à priver le contribuable de l’avantage en impôt résultant du recours à l'hybride, en ignorant les conséquences fiscales normalement attachées à ce produit en application des différentes législations nationales.

1. Limiter les possibilités de déduction multiple d'une même dépense Il s'agit, pour l'État du siège de l'entreprise, de refuser la déduction de dépenses déjà déduites dans un autre pays.

En Allemagne, une société mère enregistrant une perte ne peut la déduire dans le cadre du régime d'imposition de groupe si cette perte est également déductible dans un État étranger, dans des conditions d'imposition similaires à celles existant en Allemagne. Il s'agit d'éviter que les sociétés à double résidence puissent obtenir une double déduction pour la même perte, en Allemagne et à l'étranger.

La législation néo-zélandaise est encore plus contraignante à l'égard des sociétés à double résidence, en interdisant toute déduction d'une perte en Nouvelle-Zélande, même si aucune déduction n'est effectivement opérée dans l'autre pays.

2. Limiter la déduction de flux non imposables

La législation danoise offre ici un exemple intéressant. Elle vise particulièrement les titres qui, du fait des différences de législations, passent du statut de titre de dette (intérêt déductible) à celui de titre de participation (dividende exonéré) dès l’instant qu'ils franchissent une frontière.

Soit une société A établie au Danemark endettée auprès d'une société étrangère B. L'intérêt – qualifié comme tel par le droit danois – que A doit verser à B est considéré comme un titre de participation par l'État d'établissement de la société prêteuse B. Sous certaines conditions, qu'il serait superflu de détailler ici, l'administration fiscale danoise opère un changement de classification du titre.

L'intérêt devient donc dividende au regard de législation danoise, ce qui emporte deux conséquences : d’une part l'intérêt versé, qui n'en est juridiquement plus un, cesse d’être déductible de l'impôt au Danemark ; d’autre part, l'éventuelle retenue à la source opérée sur le versement à la société prêteuse s'effectue au taux applicable aux dividendes.

3. Limiter l’exonération, au titre de l’impôt « national », de flux déductibles à l'étranger

Les dispositions présentées ci-après constituent en quelque sorte le miroir des précédentes.

Le Danemark, manifestement très volontariste sur la question des hybrides, n'admet pas en exonération les dividendes perçus par une société mère danoise dès lors que la filiale à l'origine du versement est en mesure d'obtenir une déduction sur ces mêmes flux en application de la législation de son État d'implantation (hors Union européenne).

En Allemagne, le principe d'exonération des dividendes reçus par la société mère est applicable, sauf si ces dividendes ont constitué ex ante des dépenses déductibles pour la société distributrice.

Comme le rappelle l'OCDE dans le rapport précité, cette problématique de

« l’exonération-déduction » fait l’objet d’une attention particulière du Groupe

« Code de conduite » de l'Union européenne (fiscalité des entreprises) (1). 4. Les leçons tirées des expériences étrangères

Dans son rapport, l'OCDE dresse un rapide bilan de ces initiatives nationales en relevant que la plupart des États cherchent à apporter des réponses à des cas spécifiques tels que ceux présentés supra, mais que très peu « appliquent un ensemble de règles prévoyant un traitement d'ensemble des questions posées par les dispositifs hybrides » (2). De fait, force est de constater que la matière est complexe et mouvante et que tous les législateurs n'ont pas la vocation de Sisyphe.

Il n'en demeure pas moins que « l'expérience des pays qui ont instauré des dispositions refusant expressément le bénéfice des dispositifs hybrides a été dans l'ensemble positive. » (3).

Proposition n° 8 : Envisager l’instauration de mesures visant à empêcher la déduction ou l’exonération en France d’un flux ou produit déjà déduit ou exonéré dans un autre État (produits dits « hybrides »).

Si le rapport de l’OCDE se concentre sur la question des produits hybrides, les principes qui viennent d’être exposés sont transposables mutatis mutandis aux entités hybrides. Ainsi, il pourrait être envisagé de réfléchir à l’instauration de mesures d’encadrement analogues. Il s’agirait de faire en sorte qu’une société ne puisse plus être considérée comme opaque dans un État si elle est considérée comme transparente dans un autre État, échappant ainsi deux fois à

(1) Cf. rapport n° 1033/10 FISC 47 du Groupe « Code de conduite » (fiscalité des entreprises) au conseil ECOFIN du 8 juin 2010. Aux termes de ce code, adopté en 1997, les États membres s’engagent à ne plus instaurer de nouvelles mesures fiscales « dommageables » et à modifier les dispositions ou pratiques jugées

« préjudiciables ». Le Groupe de suivi, créé en 1998, s’assure de la bonne application de cette initiative.

(2) OCDE, Dispositifs hybrides – Questions de politique et de discipline fiscales, 2012, page 23.

(3) Idem.

l’impôt (cf. supra). Pour reprendre l’exemple précité de Google, une mesure de ce type aboutirait à ce que la société holding située en Irlande mais dirigée depuis les Bermudes (Google Ireland Holdings) ne soit plus regardée dans ce pays comme étant de droit bermudien, mais de droit irlandais, donc imposable.

Proposition n° 9 : Envisager l’instauration de mesures visant à empêcher une entreprise de tirer un bénéfice fiscal résultant d’une différence de qualification juridique de son statut dans deux États différents (entités dites « hybrides »).

E. DES CHANGEMENTS POSSIBLES DANS LES RELATIONS ENTRE