• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 3 : LA NOTATION

3.4 Outils du directeur des répétitions en danse

Les conditions de création pour les troupes de danse ressemblent presque en tout point aux troupes de théâtre de création. Leurs périodes de création prennent la forme de semaines

152

intensives qu’ils appellent également des résidences ou laboratoires. Ainsi, plusieurs semaines et mois peuvent s’écouler entre chacune de ces périodes ce qui oblige la production à se remémorer chaque fois le travail fait précédemment. Par conséquent, la notation et la vidéo deviennent des outils forts importants pour la continuité de la création et semblent bien être les seuls outils utilisés au cours du processus.

La vidéo

La vidéo sert davantage à juger, valider et apprendre les mouvements de la chorégraphie. Le directeur des répétitions gère les captations, évalue les périodes à filmer et s’assure de leur qualité. Montminy explique que les artistes ne filment pas en continu ni le processus en entier. Le directeur des répétitions doit cerner les moments où la caméra devient inutile puisque les danseurs ont davantage besoin d’intégrer la chorégraphie que de juger leur exécution à chaque reprise. Il discerne donc les moments d’apprentissage de ceux servant à l’amélioration de la chorégraphie.

Pour les artistes de la danse, la vidéo devient essentielle pour aider un changement de rôle dans la chorégraphie, un remplacement de danseurs et même pour remonter la pièce. Il s’agit d’une référence stable, d’une mémoire et d’une sécurité pour toute l’équipe. En danse, la vidéo semble être, parfois, plus utilisée que les notes du directeur des répétitions.

La notation

La notation d’une chorégraphie demeure le cœur du problème et l’une des plus grandes difficultés de l’assistance en danse. Écrire un seul mouvement reste long et trop complexe. Par exemple, si nous voulons noter un lever de bras, il faudrait écrire les informations de base telles que : quel bras est levé, à quelle hauteur, à quelle vitesse, mais aussi les détails qui deviennent nécessaires à la direction artistique de la chorégraphie : quel est l’angle du bras, dans quelle position est la main, la rotation du corps, l’orientation du corps, son emplacement dans l’espace, sa distance par rapport aux autres danseurs ou objets,

153

sa relation aux autres et le regard du danseur pendant le mouvement. Si toutes ces variables décrivent un mouvement simple, alors combien peut-il y en avoir pour un mouvement complexe et pour une combinaison de mouvements? L’écriture détaillée et complète de la danse devient interminable, beaucoup trop lourde d’informations, voire impossible à réaliser. Dès lors, il est plus simple d’avoir recours à la vidéo plutôt qu’à la notation, un moyen beaucoup plus efficace. Le dessin aurait pu être une seconde avenue possible. Cependant, la rapidité d’enregistrement et la précision de l’image déterminent encore une fois la vidéo comme une meilleure solution. D’ailleurs, Montminy affirme que les directeurs de répétitions utilisent très rarement le dessin. Ils peuvent y avoir recours en des cas bien particuliers où ils craignent d’oublier une position ou un mouvement complexe. Toutefois, la vidéo reste le premier choix même en de telles circonstances.

Notation utilisée à Québec

Néanmoins, la notation n’a pas disparu. Elle est plutôt complémentaire à la vidéo en donnant, entre autres, les intentions artistiques et physiques des mouvements. Cette notation fait aussi appel à la mémoire corporelle des danseurs. Montminy affirme que grâce à ces notes, les interprètes se souviennent de la danse par leur corps et même qu’après un long temps d’arrêt, ceux-ci se souviennent de la chorégraphie, mais d’une version épurée, sans les détails et fioritures. Pour Montminy, ce dépôt de la chorégraphie dans le corps des danseurs et ce tri naturel des informations par la mémoire deviennent presque essentiels au processus. Les artistes considèrent souvent cette nouvelle version comme étant bien meilleure que l’ancienne.

Ainsi, ils ne notent pas la chorégraphie en détail. Leurs notes restent plutôt générales et se limitent à décrire ce qui se passe dans chaque section du spectacle. Les descriptions s’écrivent principalement en mots-clés et repères pour les interprètes. Le chorégraphe et le directeur de répétitions laissent beaucoup de liberté aux danseurs, leur permettent d’oublier certains mouvements ou fioritures et se servent de leur intuition corporelle. Montminy insiste sur l’importance d’être à l’écoute des danseurs. Notamment, si le chorégraphe veut qu’un danseur tourne à gauche, mais qu’il tourne toujours à droite de façon inconsciente, le

154

directeur de répétitions conservera ce que le danseur fait et en avisera le chorégraphe. La création se fait en aller-retour constant entre les propositions des danseurs, leurs intuitions et l’organisation artistique du chorégraphe [Montminy, 2015].

Les repères qu’on retrouve dans la notation d’une chorégraphie restent principalement l’appellation des différentes sections et des mouvements. Dans une chorégraphie, plusieurs séquences de mouvements sont basées sur des intentions artistiques, sur des images sensorielles desquelles s’inspirent les danseurs pour bouger ou sur des tâches physiques à accomplir. Dès lors, une section peut durer 10 minutes et une autre 30 secondes. La durée dépend de l’image créée par les corps et des consignes données. Une section peut être nommée poussées et levées, l’oiseau blessé ou rencontre. Ces noms de sections ne signifient presque rien pour quiconque hors de la création. Cependant, pour les danseurs, ils sont porteurs de l’objectif, de l’orientation, de la signification fictive, symbolique ou physique du mouvement. En ce sens, le directeur de répétitions doit bien faire attention d’utiliser les bons termes pour leur appellation, comme pour l’assistant qui organise les différents tableaux d’une création théâtrale. Il s’assure de choisir celles ayant la même signification pour chaque interprète parce qu’avec huit danseurs, chacun comprend peut-être quelque chose de différent. Les mouvements précis n’ont pas à être notés, puisque la vidéo s’en charge et dès que les danseurs éprouvent un trou de mémoire, seul le nom de la séquence suffit pour s'en souvenir.

Pendant les répétitions, le directeur de répétitions écrit de façon manuscrite, mais il choisit l’informatique lors de la rédaction de documents plus officiels. Dans son travail, Montminy distingue deux types de cahiers qu’elle doit gérer tout au long du processus : les notes d’interprétation personnelles et les notes de chronologie.

Les notes d’interprétation ou personnelles

Ces notes découlent directement de son mandat de conseiller artistique. Il s’agit évidemment de commentaires, questions et remarques sur la chorégraphie, l’interprétation et l’exécution de celle-ci. Après un enchaînement, le directeur de répétitions donne ces notes à

155

l’équipe, puis elle répète ce qui a moins fonctionné et ce qui doit être mieux intégré physiquement. Ces notes ne servent les artistes qu’à court terme, car la création évolue. Montminy, quant à elle, conserve les siennes au cas où elle aurait à retravailler sur le spectacle. Si elle s’impliquait de nouveau, six mois plus tard par exemple, elle relirait l’ensemble de ses notes pour mieux se replonger dans les intentions et l’évolution du projet. Son cahier reste bien personnel, n’ayant comme lecteur désigné que lui-même.

Les notes de chronologie

Ces notes regroupent les noms des sections de la chorégraphie et présente un bref descriptif. Le directeur de répétitions doit aussi y tenir un décompte des accessoires, des costumes et des effets techniques spéciaux. Il y inscrit la trajectoire de chaque objet au cours du spectacle comme il le fait pour les danseurs. Si plusieurs accessoires participent au spectacle, le directeur de répétitions sera également responsable de la rédaction de la liste des presets comme l’assistant a l’habitude de faire au théâtre. Toutefois, les artistes le font souvent eux-mêmes étant donné la petite quantité d’accessoires à préparer. Les notes chronologiques ressemblent à la notation de l’assistant, mais restent minimales. Elles regroupent tous les mots-clés et cues importants pour garder une trace tangible de la suite chronologique des actions dansées et techniques de la chorégraphie. Contrairement aux notes d’interprétation, celles-ci sont destinées à plusieurs lecteurs et doivent être le plus claires, lisibles et signifiantes possible.

Bien sûr, les exceptions existent. Chaque chorégraphe et directeur de répétitions note selon leur démarche créative, leur méthode et habitude personnelles de travail. Montminy a d’ailleurs côtoyé deux chorégraphes qui écrivaient minutieusement la chorégraphie dans ses moindres détails, car ils la créent dans leur tête, avant même de travailler avec les danseurs. Elle a aussi rencontré une chorégraphe qui note précisément la chorégraphie au complet après la création et qui donne le document à tout le monde en vue des représentations. Dans ces cas spéciaux où les notes de chronologies sont produites par les chorégraphes, celles-ci conservent encore leur forme de texte continu ou de tableau regroupant chaque section de la chorégraphie avec leur description. Voir exemple en annexe 23.

156

En bref, la notation de la danse demeure instinctive et personnelle pour chaque directeur de répétitions et chorégraphe de Québec. Selon Montminy, les différentes méthodes de notation sont probablement causées par l’absence d’une notation universelle et facile d’utilisation. Bien qu’il existe la notation Laban, aucun directeur de répétitions et chorégraphe ne l’emploierait à cause de sa grande complexité qui demande une étude approfondie, voire une formation pour bien s’en servir. Il reste tout de même important d’expliquer brièvement cette méthode reconnue internationalement.

La notation Laban

La notation Laban est une méthode de notation, aussi appelée la cinétographie, inventée pour la danse en 1928 par Rudolf Laban, chorégraphe de ballet allemand. Ce dernier l’a pensée comme « un système de notation [mettant] en place une structure d’éléments combinatoires afin d’écrire tous les mouvements humains possibles […] qu’il [s] soi [ent] dansé [s] ou non. » (Labanotation, media.staps.nantes.free.fr, 2016) La partition de Laban se lit de bas en haut et s’écrit à l’aide de quatre codifications qui traduisent les quatre dimensions constituant le mouvement47.

1. La partie du corps impliquée (voir Figure 10) : L’ensemble des colonnes forme la portée des mouvements. Les lignes à droite correspondent à la moitié droite du corps et les lignes à gauche à la moitié gauche du corps. Quant à la répartition du poids, un rond blanc est utilisé pour indiquer où il est déposé dans le corps.

47. Consultez dancenotation.org pour en apprendre davantage sur le système de notation Laban. Il s’agit d’une petite formation en ligne sur le sujet.

157

2. La direction du mouvement (voir Figure 11) : La forme des symboles indique la direction du mouvement.

3. La hauteur du mouvement (voir Figure 12) : La couleur du symbole ou sa texture indique le niveau du mouvement. Par exemple, « For steps, low level is with a bent leg, middle level is with a straight leg, and high level is up on the toes. » (Dancenotation.org)

Figure 10 : Dancenotation.org

Figure 11 : Dancenotation.org

158

4. Le rythme et la longueur du mouvement : Finalement, la longueur du symbole définit la longueur du mouvement. Plusieurs symboles sur la même ligne signifient qu’ils sont en simultané. Ainsi, l’ordre dans lequel ils sont dessinés et leur intercalation traduit le rythme de la séquence de mouvements.

Ces premières bases paraissent simples et plus ou moins faciles à utiliser. Toutefois, pour pouvoir écrire et lire ce code sans erreur, il faut également comprendre la recherche et la pensée analytique du mouvement qui sous-tendent ces codes. Il en revient presque à apprendre une seconde langue.

Pour Montminy, le système Laban s’avère surtout avantageux pour noter et comprendre les qualités d’une série de mouvements à savoir si elle est en bloc ou séquentielle, si les mouvements sont simultanés ou successifs, continus ou saccadés. Malgré la codification simple, synthétique et rapide des mouvements, l’effort d’apprentissage que demande cette méthode est trop grand. En plus de ne pas avoir le temps de l’apprendre, les directeurs de répétitions ne voient plus l’utilité de noter en détail les mouvements. Ils établissent plutôt des repères avec les danseurs à l’aide de surnoms pour les séquences et préfèrent travailler avec la vidéo pour la précision. Cette méthode, créée en 1928, rappelons- le, servait avant tout aux artistes de l’époque qui ne pouvaient pas travailler avec la vidéo, outil encore peu développé et moins accessible. Aujourd’hui, elle ne peut répondre qu’aux artistes recherchant une grande précision de la notation, qui préfèrent sûrement travailler sans l’appui de la vidéo.

159

Figure 13 : Exemple d’une notation complète (http://media.staps.nantes.free.fr/, spectacle Bigus l’alchimiste de la compagnie NGC 25)

Apport au cahier de régie

Les notes chronologiques se transforment souvent en cahier de régie. Lorsque le directeur des répétitions assume aussi la fonction de régisseur lors des représentations, comme Montminy, il produit déjà un cahier préparatoire à celui de la régie en cours de répétitions à même ou en parallèle des notes chronologiques. Même si le directeur des répétitions n’endosse pas la régie, il peut composer ce cahier qui pourra certainement servir de références au régisseur tout en l’aidant et en accélérant son travail. Montminy utilise un modèle qu’elle s’est préparée sur Excel et qu’elle reprend ou remanie pour la plupart des spectacles qu’elle assiste. De cette façon, elle n’a qu’à remplir les cases de son fichier en répétitions et à le mettre à jour au fur et à mesure des changements. Elle y réserve une colonne pour le nom de la section, une autre pour sa description, sa durée, les danseurs impliqués, le

160

gréage pour l’aérien (s’il y a lieu), la musique, l’éclairage, les accessoires, les costumes, les maquillages et finalement une pour la vidéo.

Pour le cahier de régie, les cues sont habituellement visuels et il s’agit d’un autre aspect que le directeur de répétitions peut écrire dans ses notes chronologiques au fur et à mesure que ces décisions surviennent en répétitions. En danse, les cues ne sont que très rarement en concordance avec le minutage, car les artistes misent beaucoup plus sur l’aspect organique du spectacle. L’énergie des danseurs change de soir en soir et le régisseur se fie plus au rythme qu’installent les interprètes. Dès lors, les cues doivent être assez clairs pour qu’en un seul coup d’œil, le régisseur puisse comprendre de quoi il s’agit et puisse reconnaître le mouvement ou la pose lors de son exécution.

3.5 Synthèse

Le plus important à prioriser dans la notation reste les déplacements, les actions et les cues, car en enchaînement, les comédiens ne pourront pas consulter leur cahier personnel et demanderont à l’assistant quoi faire s’ils l’oublient. Quant aux notes d’interprétation, il demeure assez rare qu’un comédien demande à l’assistant comment dire une réplique. Le jeu reste tout de même plus intuitif et s'ils ne se rappellent pas comment dire les mots, ils finissent toujours par improviser avant de consulter l’assistant. L’essentiel de la notation est d’abord de comprendre ce qu’il faut écrire, quelles informations doivent être comptabilisées et à qui elles servent. Dès lors, l’assistant peut organiser les notes qu’il prend en fonction de qui les lit et des informations qui doivent rapidement être trouvées lors de la lecture. C’est à partir de ces besoins que l’assistant développe une mise en page optimale ainsi que des stratégies de documentations. Il ne devrait pas hésiter à avoir recours à la vidéo et aux photos pour gagner davantage de précision. Il faut seulement qu’il complète les archives numériques en les organisant et en écrivant l’essentiel à retenir.

La notation peut également être bénéfique pour les artistes et le public à long terme. Montminy a souvent mentionné la notation comme outil de références servant à remonter un

161

spectacle. D’ailleurs, lorsque le chorégraphe décède, les notes peuvent servir à reconstruire le patrimoine culturel qu’il laisse derrière lui. C’est bien le cas de Jean-Pierre Perreault, grand chorégraphe montréalais décédé en 200248 et dont les œuvres sont en processus de conservation et d’archivage. La réussite du projet repose presque entièrement sur la directrice des répétitions qui a assisté Perreault depuis les débuts de la compagnie. Elle possède le répertoire en entier dans sa mémoire, dans les vidéos et dans ses notes et elle est la seule à pouvoir décoder ce qui a été fait dans le passé. Alors, comment archiver cet héritage? Comment le remonter sans le chorégraphe? Comment redonner vie à ce patrimoine ou le rendre accessible publiquement à partir des traces conservées par le directeur des répétitions?

Il s’agit d’une avenue que je n’ai malheureusement pas eu l’occasion ni le temps d’approfondir, mais dont je tenais à partager les questions. Au théâtre, la notation devient accessoire et oubliable lorsque le spectacle est monté et fin prêt à être présenté. Tout ce qui reste n’est que le cahier de régie, trop souvent réduit au texte, à la parole uniquement. Cependant, la même pièce de Shakespeare mise en scène par trois metteurs en scène différents soutenus par trois équipes de conception et d’interprétation différentes donnera certainement trois spectacles totalement différents. Ainsi, seule la notation du corps et des effets pourra les distinguer et c’est pourquoi je pense que la notation de l’assistant est sous- estimée. Un spectacle de théâtre, comme de danse, peut être remonté plusieurs années plus tard et bien que la mémoire physique des comédiens garde certainement une trace du travail, elle pourrait être encore mieux réveillée par les notes de l’assistant. Comment archiver un spectacle, comment l'écrire, comment conserver ce répertoire créé par les artistes, un répertoire d’art éphémère et, disons-le, impossible à conserver? Voilà des questions auxquelles je n’ai pas eu le temps de chercher des réponses, mais qui me semblaient être importantes à poser pour au moins s’en souvenir la prochaine fois qu’on annote un spectacle.

48. Fondation Jean-Pierre Perreault, Jean-Pierre Perreault, http://jeanpierreperreault.com/accueil, dernière consultation 10 juillet 2016.

162

Documents relatifs