• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 1 : LE MÉTIER DE L’ASSISTANT METTEUR EN SCÈNE

1.3 Le metteur en scène

Rheault confirme que l’assistant doit être main dans la main avec le metteur en scène et capable de cerner rapidement sa nature afin de savoir ce qu’il peut lui dire ou non. Il doit énormément faire preuve de psychologie pour éviter de briser la relation en train de se former, mais aussi pour combler les lacunes du metteur en scène. « [A] good SM learns with each director when to lead and when to work in the director’s shadow. » (Fazio, 2000 : 84) Tous sont différents. Certains sont plus inquiets, doutent sans cesse et remettent en question leurs décisions. D’autres sont très préparés et organisés. À l’étape des répétitions, ils ont déjà le spectacle construit en tête et savent exactement quoi demander aux comédiens [Lemoine, 2015]. Les répétitions sont réglées au quart de tour alors que d’autres se permettent d’explorer et d’essayer plusieurs propositions avec les comédiens. Ils leur laissent plus d’espace pour créer, improviser, leur donnant un statut de créateur en plus de celui d’interprète. Certains sont capables d’interrompre leur travail sans briser leur élan créatif tandis que pour d’autres : « [this] is a highly creative and focus time. For some directors, this is sacred time. The SM must be sensitive to this and make every effort not to have this time disturbed or interrupted. Some directors can have their creative flow broken, change hats for a moment, then return to

33

their work with the cast. Others find interruptions highly intrusive and hold the SM responsible each time their creative process is broken. » (Fazio, 2000 : 84)

Certains sont aussi à l’aise avec la technique (lumière, musique, vidéo) et aimeront gérer cet aspect du spectacle tandis que d’autres ne le sont pas du tout. L’assistant doit alors pallier ce manque d’intérêt ou de connaissances du metteur en scène. Saint-Amand explique que certains metteurs en scène sont moins disponibles en création et donc, toutes les questions des concepteurs lui reviennent automatiquement. Au contraire, lorsque le metteur en scène est toujours présent et entretient des relations intimes avec les artistes (amitié par exemple), ceux-ci se réfèrent directement à lui pour leurs questions, même à l’extérieur des répétitions. L’important reste que l’assistant trouve non seulement les forces du metteur en scène, ses champs d’intérêt, ses amours, mais aussi ses faiblesses pour compléter le mieux possible son travail.

Saint-Amand insiste sur le fait que certains metteurs en scène ne demandent rien de concret à l’assistant et que certains ne savent pas quoi demander non plus. Il faut évidemment être proactif, faire preuve d’initiative et proposer dès le début ses méthodes de travail afin d’établir les limites du metteur en scène. Selon Deslauriers, certains ne veulent volontairement pas confier des responsabilités à l’assistant, non pas parce qu’il ne l’aime pas, mais plutôt par crainte de laisser leur bébé, leur spectacle entre les mains de quelqu’un d’autre. Ce type de personne préfère régler les problèmes par elle-même, même si elle n’excelle pas avec la logistique. En de telles circonstances, Deslauriers suggère de prendre littéralement sa place et de demander au metteur en scène de lui confier des tâches, des problèmes. Elle refuse d’être inutile et fait comprendre à l’artiste qu’elle est capable d’assumer les responsabilités aussi bien qu’il le ferait. Par ailleurs, rencontrer le metteur en scène avant le travail peut aider à prévoir les libertés et les restrictions du travail de l'assistant ainsi qu’à établir une relation de confiance avec l’artiste.

Lemoine avoue que certains metteurs en scène restent difficiles à suivre étant donné qu'ils restent constamment dans leur tête, dans leur univers et leurs idées. Toutefois, il s’agit exactement du mandat de l’assistant : maîtriser ces intentions artistiques pour être apte à les

34

transmettre au reste de l’équipe et à répondre à toutes les questions des concepteurs reliées à cette vision. Saint-Amand ajoute que, parfois, certains metteurs en scène persistent involontairement à donner des commentaires imprécis ou incomplets sans avoir le temps de les préciser à l’assistant. Ce dernier doit donc déduire et compléter par lui-même l’information. Par exemple, Lepage dit souvent : « C’est pas ce que je veux. » L’assistant doit alors savoir ce qu’il veut! Si Lepage dit : « Il faut une chaise ici. » L’assistant reste encore pris avec plusieurs questions. Quel type de chaise veut-il? Une chaise victorienne, berçante, d’écolier, à roulettes? Dès lors, il doit assez connaître la vision artistique du metteur en scène pour être en mesure de combler lui-même les trous de la demande exprimée.

Lorsque cette symbiose avec la vision artistique du metteur en scène est atteinte, la relation entre le metteur en scène et l’assistant peut naturellement mener à un duo. L’association permanente d’un metteur en scène à un assistant est une tendance qui s’est développée depuis plusieurs années. Plus la relation est forte, moins l’assistant se pose de questions sur ce qu’il doit organiser ou dans quelle direction guider l’équipe. Deslauriers raconte que Joubert et Martin ne se parlent presque plus en travail. Ils se connaissent tellement, étant en plus de bons amis, que tout va de soi, tout se décide naturellement sans avoir à consulter l’autre. Par exemple, Lou Arteau, l’assistante de René Richard Cyr, travaille avec lui depuis tellement d’années qu’elle dirige maintenant les entrées en salle et les intensités en entier. Le metteur en scène ne se présente même plus à cette étape ou très peu. Il lui fait tellement confiance et elle connaît si parfaitement sa vision qu’elle peut la transmettre intégralement aux autres sans avoir recours à son intervention [Joubert, 2015]. La relation entre Jean-Michel Ribes, metteur en scène français, et Virginie Ferrere est très similaire :

« Pour [Ribes], l’assistant est la personne qui va tout savoir et qui doit pouvoir prendre toutes décision à sa place. Pour pouvoir prendre une décision à la place de quelqu’un, pour pouvoir anticiper ce que veut la personne, il faut une très grande connaissance et proximité. Quatre ans de vie commune, pour ainsi dire, permettent cela. Quand on finit la répétition, qu’il est 23h30 et qu’il faut faire le planning et l’envoyer à tout le monde alors que Jean-Michel est parti, il faut

35

prendre des décisions dont dépendront quatre-vingt-dix personnes. Sans la confiance, ce n’est pas possible d’établir ce planning.14 »

Inversement, collaborer avec un nouvel assistant sur chaque projet peut devenir dérangeant pour l’équipe et surtout pour le metteur en scène. À chaque fois, ce dernier est obligé de bâtir une nouvelle relation, de la définir et de, lui aussi, s’adapter aux différents types d’assistants, toujours dans l’espoir qu’ils connectent dans le travail. Selon Saint-Amand et Montminy, le duo détermine également le travail puisqu’ils développent une façon de collaborer. Ainsi, le duo ne fait que se renforcir. « A good and compatible working situation between the director and SM in rehearsals is when the SM is in charge while the director leads and remains in control. » (Fazio, 2000 : 138) Lorsqu’un nouvel assistant s’implique, le metteur en scène a l’impression de tout recommencer, de retomber à zéro [Montminy, 2015]. Les duos réduisent une partie du stress, car la confiance règne envers l’assistant et le metteur en scène sait qu’il réglera les problèmes.

Joubert affirme que l’assistant « permet à l’entité de mise en scène de se séparer en deux pour que le metteur en scène n’ait pas de travail d’ordre logistique, technique, matériel et même d’horaire à réaliser. » Le fonctionnement du duo ressemble étrangement à celui d’un cerveau, l’un l’hémisphère créatif (droit) et l’autre l’hémisphère de la logique (gauche). Par conséquent, le principal mandat de l’assistant est de libérer le metteur en scène de son hémisphère gauche, de faire en sorte qu’il se consacre entièrement à la création et que « son esprit soit complètement happé par ce qui se passe en salle de répétitions [Joubert, 2015]

». Alors qu’il partageait ses réflexions en entrevue, Joubert défend que l’acte de mettre en scène reste beaucoup de la gestion et de la création. L’organisation est inhérente à la création. Lorsqu’elles sont assumées par la même personne, la création et la gestion s'accomplissent difficilement en même temps puisque l’un ralentit l’autre et parfois empêche l'autre d'être réalisé. Ainsi, l’assistant complète le metteur en scène au sens où il prend en charge chaque tâche et facette non créative et permet d’optimiser le temps disponible à la création. Dans son mandat de gestion des répétitions, l’assistant doit faire en sorte que le metteur en scène ait tout ce qu’il veut. Si la demande s’avère impossible à combler, il doit être très fin, attentif et

36

humain [Rheault, 2015]. Il faut simplement qu’il lui fasse comprendre les priorités de la création ou les ressources matérielles disponibles pour le moment. Souvent, le metteur en scène finit par accepter même s’il est fâché [Saint-Amand, 2015] et s’il ne comprend pas, il faut que l’assistant s’entoure d’alliés, comme les concepteurs et la direction de production.

Ce type de relation, comme celle que partagent Joubert et Martin, ne se développe pas au cours de la première assistance, mais plutôt sur plusieurs années de collaboration. En ce sens, j’avancerais que l’assistant semble en perpétuelle recherche de sa deuxième moitié, son metteur en scène le plus compatible, un peu comme un amoureux en quête de son âme sœur sans pour autant devenir semblable à une relation de couple. « For better or for worse, the working relationship between the director and the SM is like a marriage. The honeymoon can last forever, with the two working on many shows, or the honeymoon can be over in just a few days, each waiting for the death do us part of the relationship. » (Fazio, 2000 : 83) Par ailleurs, le travail de l’assistant se définit par le long terme et prépare toujours le terrain pour les futures collaborations. En ce sens, si l’assistant vise une longue carrière, il considérera ses nouvelles relations comme une possibilité d’en construire plusieurs à long terme. Plus il acquerra de l’expérience, plus il prendra de la valeur aux yeux des artistes (non seulement pour le metteur en scène, mais pour toute l’équipe) et plus ceux-ci attribueront du poids à ses interventions et commentaires.

Néanmoins, il ne faut pas croire que le dévouement total au metteur en scène est la clé de la relation. La neutralité reste une meilleure option puisque l’assistant doit autant aider le metteur en scène dans sa création qu’il doit soutenir et aider les comédiens, la direction de production, les concepteurs et les techniciens. Il se retrouve constamment entre les deux parties d’un conflit, d’une conversation ou d’un débat. Il accomplit un rôle de médiateur plus que de fidèle assistant. L’important demeure de faciliter la communication entre les individus pour que le travail de création puisse avoir lieu. Il s’agit plutôt d’un dévouement à l’équipe de création et, selon les besoins du spectacle, il assistera plus un département qu’une autre. Ceci étant dit, l’assistant maintient quand même son premier rôle, celui du bras droit du metteur en scène, mais plutôt au niveau de la création et non des relations.

37 L’opinion de l’assistant

Selon tous les informateurs, l’assistant n’agit pas en tant que co-créateur avec le metteur en scène. S’il venait à collaborer artistiquement à la création, son rôle serait beaucoup plus de l’ordre d’un conseiller artistique ou d’un co-metteur en scène. Bien que le titre contienne le mot metteur en scène et que l’assistant soit très près de la création, son travail reste dans les domaines de la logistique, de la coordination et de la communication. La seule intervention « artistique » qu’il peut avoir relève de son opinion sur le spectacle. Toutefois, il ne peut pas la donner n’importe comment et, encore moins, n’importe quand, voire à tout moment où il a une idée. Il doit plutôt attendre qu’on la lui demande. Joubert décrit la part de l’assistant à la création comme étant toujours indirecte. Le metteur en scène devient souvent un radar à bonnes idées en travail de table et même en répétitions. L’assistant peut ainsi contribuer un peu plus à l’artistique en lançant une phrase qui inspirera les artistes ou qui déclenchera une série d’idées. « The SM’s power comes more as influence. The SM is in a position to make suggestions, express an opinion, and to try and influence, but does not have the power to make the final decree, declaration, or decision. » (Fazio, 2000 : 80)

La majorité du temps, l’opinion ou les idées de l’assistant n’ont pas leur place dans le travail et le metteur en scène ne tient pas à les savoir. [Joubert, 2015] Cependant, tout dépend du metteur en scène! Bien que certains rejettent catégoriquement l’opinion de leur assistant, d’autres, plus inquiets, demanderont à être rassurés ou à recevoir son point de vue. À cet égard, pour que l’opinion de l’assistant ait le plus de valeur possible, celle-ci doit être intimement liée à la vision des créateurs. « Les metteurs en scène sont en contact avec beaucoup de créateurs qui les remettent en question parce que, forcément, ils défendent leur propre vision. Je pense donc qu’ils ont besoin de quelqu’un à leurs côtés qui va dans leur sens.15 » Joubert définit cet apport critique comme un écho artistique au sens où les metteurs en scène inquiets prennent l’assistant comme un conseiller dramaturgique ou artistique. Ceux-ci ont un véritable besoin de retour critique, mais à cause de l’écueil financier du milieu théâtral, leur budget les empêche d’engager un conseiller de métier. En revanche, cet écho

15. ROY Alain. « Les accompagnateurs : Table ronde avec des assistants à la mise en scène ». Jeu : revue de théâtre, no. 136, 2010, p. 90.

38

artistique ne relève pas de l’avis personnel de l’assistant. Certes, il est nourri par son intuition et sa subjectivité inévitable, mais il doit, selon tous les informateurs, se placer comme premier spectateur, comme regard extérieur et non comme un critique ou un co-metteur en scène. Ses commentaires dérogent rarement de : « la proposition fonctionne » ou « ne fonctionne pas », « je comprends et reçois ce que je vois de telle façon » ou « je ne comprends pas et ne reçois pas la proposition comme le metteur en scène le voudrait » [Martin, 2015]. Ses goûts personnels n’ont pas lieu d’être! Si l’assistant n’aime pas les idées, il doit se rappeler qu’il ne s’agit pas de son spectacle [Lemoine, 2015]. D’ailleurs, Rheault soulève que même si l’assistant trouve une scène ou une idée ordinaire, il doit avant tout se mettre à la place du public surtout s’il sait ou est capable de prédire que le public aimera la proposition. Il faut, donc, que l’assistant reste assez neutre et objectif face au spectacle, tente de le regarder à chaque reprise comme s’il s’agissait de la première fois et puisse prévoir les réactions possibles du public. Tous ses commentaires doivent être en concordance avec la vision artistique du metteur en scène et des concepteurs. Il fait tout pour que leurs visions se réalisent, non la sienne, et que la proposition soit reçue le mieux possible par le public. S’il ne connaît pas assez la direction artistique et les objectifs du metteur en scène, il risque d'être incapable de déterminer si l’idée en doute répond logiquement à l’ensemble de la mise en scène. [Martin, 2015]

Dans certains cas, il est arrivé à Deslauriers de donner des idées artistiques étant donné sa bonne relation avec le metteur en scène Jean-Sébastien Ouellette, mais elle le fait toujours subtilement en fonction de la direction artistique. En fait, elle ne les partage qu’au metteur en scène. Même si un comédien essaie de savoir ce qu’elle dit, elle ne le dit qu’au metteur en scène pour que lui seul décide de l’intégration ou non de l’idée. De plus, elle donne son opinion seulement si elle sent une ouverture. « Il ne faut quand même pas mettre tout le temps le metteur en scène en doute, ce serait épouvantable et ça retarderait. » (Deslauriers, 2015)

Joubert et Martin ont une approche subtile et stratégique quant au regard extérieur. Joubert explique qu’il demande l’avis de Martin sur des moments très ciblés du spectacle et qu’il le fait après ou avant une répétition, mais jamais dans l’action. Il considère que s’il

39

s’arrêtait pour parler avec son assistante, la dynamique de travail avec l’équipe serait totalement brisée. Joubert peut aussi demander à Martin de porter une attention particulière à une scène en vue d’avoir son avis. Il l’avertit afin qu’elle change son angle d’approche et sa stratégie d’observation. Autrement, Joubert sait pertinemment que Martin resterait le nez collé dans son texte pour donner la réplique et faire l’annotation. Dans cette situation précise, en plus de faire ses tâches habituelles, elle doit regarder attentivement la scène, donc adapter ses tâches puisqu’il lui est impossible d’être assistante et spectatrice investie à la fois.

Martin ajoute qu’elle communique son opinion par questions. Au lieu de proposer une solution, elle interroge l’objectif de la scène, l’intention et quand l’équipe fait face à un nœud, elle la ramène à la source et à l’essence du spectacle, toujours à l’aide de questions. Elle vise à réactiver la réflexion. Pour elle, il semble plus important d’accompagner cette réflexion et l'aider à évoluer que d’apporter des idées de son propre chef. Le but reste que le metteur en scène ou le créateur principal trouve ses réponses lui-même. De même pour les artistes de la relève, si l'assistant a plus d'expérience qu'eux, il ne proposera pas plus d’idées. Il sert beaucoup plus à pousser la réflexion ou à la réaligner vers les objectifs et intentions artistiques fondamentaux au projet afin d’assurer une continuité dans la conception et la création.

De surcroît, selon Lachapelle, l’assistant n’émet de commentaires que lorsqu’ils lui sont demandés, surtout s’il s’agit d’une première assistance avec un metteur en scène. Il faut du temps pour que la relation se développe et que l’assistant puisse commenter plus souvent (sans jamais s’imposer et en le faisant poliment). Rheault avoue qu’il faut probablement une dizaine d’années d’expérience pour pouvoir faire des commentaires plus directs sans la permission du metteur en scène, mais toujours dans le respect. Lachapelle s'autorise de temps à autre à commenter sans qu’on lui ait demandé, mais elle le fait en vue de recentrer le travail. Par exemple, elle intervient quand l’équipe est en plein débat ou s’acharne sur un élément du spectacle trop poussé, trop conceptuel pour que le public le saisisse. C’est son rôle de gardien du temps qui prend forme. Ainsi, Lachapelle commente selon ce qu’elle considère le mieux pour le projet, mais aussi pour l’équipe tel que le bien-être des comédiens. Par exemple, il se peut qu’un comédien ne soit pas à l’aise de réaliser une action ou une proposition du metteur

40

en scène et il faut que l’assistant soit assez alerte pour en prendre conscience et le considérer

Documents relatifs