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CHAPITRE 2 : LES TÂCHES ET OUTILS DU MÉTIER

2.3 Entrée en salle

Lors de cette étape du processus, le travail de l’assistant semble se simplifier, mais ne se ralentit pas pour autant. L’entrée en salle consiste en la dernière semaine de labeur intensif servant uniquement à finaliser le spectacle afin qu’il soit prêt pour les représentations. Il s’agit d’une semaine complètement démente et exténuante [Lachapelle, 2015]. « Technical rehearsals are always long and tedious. The best way to smooth them out is to be organized and ready for them. » (Allison, 2011 : 106) La semaine entière représente en moyenne 80 heures minimum de travail en salle où l’assistant jongle avec les différents rôles et tâches qu’il doit assumer.

La tradition à l’institutionnel veut que, dès le décor monté, les techniciens travaillent toute la journée pour placer l’éclairage, faire les focus, coordonner les cues et régler les multiples problèmes qui surviennent. Les comédiens arrivent à 18 h, annonçant de soi la période réservée aux enchaînements et aux raccords. La soirée est complètement dirigée par l’assistant et le metteur en scène, alors qu’en journée, les techniciens et les concepteurs mènent l’ampleur de la besogne. Habituellement, une première phase, variant d'une heure à

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deux heures (quand tout va bien), est consacrée aux raccords, puis le reste de la soirée est réservé aux enchaînements, suivi des notes du metteur en scène et de l’assistant. L’assistant doit faire un suivi de l’horaire de l’entrée en salle avec la direction de production et faire respecter rigoureusement cet horaire par l’équipe. Il s’assure entre autres qu’elle ne dépasse pas les heures de fin de journée en raison des syndicats. Au Trident, par exemple, l’assistant doit même prévoir la fin de la journée dix minutes à l’avance afin de permettre aux techniciens syndiqués de fermer la salle sans dépasser leur temps.

En création, l’entrée en salle semble moins intense puisque l’équipe a monté le spectacle au fur et à mesure avec tout le matériel officiel. Les techniciens et concepteurs ont déjà mis la main à la pâte et ont pu réaliser concrètement leurs idées tout en les testant. Si la troupe présente à même le studio dans lequel elle a travaillé, l’entrée en salle correspond davantage à une semaine d’enchaînements successifs, entrecoupés de peaufinage et de polissage si le temps le permet. L’essentiel est d’amener l’équipe à être à l’aise et prête à livrer la création. Toutefois, si la troupe présente ailleurs, l’entrée en salle devient plus imposante, mais moins risquée, car tout a déjà été validé. Dès que le montage est terminé, l’équipe s’établit un horaire de travail assez intuitif où les enchaînements et les raccords se relancent successivement.

Pour cette étape, les tâches de l’assistant semblent assez semblables à l’institutionnel et en création. La seule différence reste qu’en création les rôles sont moins compartimentés si bien que plusieurs membres de la production aident dans d’autres départements que le leur. Par exemple, les comédiens peuvent aider le scénographe à installer les accessoires et le décor et peuvent aider les techniciens à installer la technique selon les projets et les besoins31.

103 Étapes d’une entrée en salle

Accrochage L’équipe technique installe tout l’équipement qui doit être placé au plafond (projecteurs vidéo, spots, caisses de son, machines pour les effets spéciaux, éléments scénographiques).

Montage L’équipe technique installe la régie, la scénographie et l’équipement au sol. C’est aussi le moment pour l’équipe de préparer les loges, les coulisses et d’organiser les presets.

Focus et

intensités

L’équipe technique et les concepteurs font le focus de l’éclairage, du ou des projecteurs vidéo, règlent le volume sonore et les intensités de l’éclairage pour chaque cue du spectacle. Il s’agit aussi du moment où les cues sont enregistrés dans la ou les consoles ou encore dans le logiciel informatique servant à la régie du spectacle.

Enchaînements Dès que la technique est prête, toute l’équipe enchaîne le spectacle à plusieurs reprises, pendant tous les jours restant avant la journée de la répétition générale.

Raccords Il s’agit du temps réservé avant chaque enchaînement pour régler tous les problèmes techniques qui sont survenus, les oublis et faire les derniers ajustements.

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Générale Jour précédant la première. Toute l’équipe enchaîne le spectacle comme s’il s’agissait de la première représentation du spectacle. Parfois, quelques spectateurs peuvent être invités à y assister.

Rencontre avec le régisseur

À Québec, l’assistant ne fait pas nécessairement la régie, contrairement au Canada anglais et aux États-Unis. Il doit donc rencontrer le régisseur qui prendra la relève lors des représentations, lui transmettre le plus d’informations qu’il peut et lui remettre tous les documents pouvant l’aider. Il peut lui donner les listes déjà existantes (liste d’accessoires, de presets, de changements importants apportés au texte, etc.)32. Ces listes devraient être le plus claires possible pour la lecture et présenter toutes les informations nécessaires au travail du régisseur au risque de nuire à son mandat [Lachapelle, 2015]. L’assistant doit lui fournir tous les détails et avertissements à savoir pour bien interagir avec les comédiens, les costumes, les accessoires. En bref, il doit léguer au régisseur toutes les petites tâches supplémentaires et attentions qu’il assumait en répétition. Plus le régisseur en saura, mieux il pourra effectuer son travail.

Le régisseur entre en fonction dès que le décor est monté. Dans certains cas, il peut arriver plus tardivement dans le processus, mais il faut au moins qu’il s’assure de rencontrer l’assistant et d’assister à un minimum d’un enchaînement pour se familiariser avec le spectacle. Parfois, le régisseur n’a même pas le temps d’apprendre le spectacle et l’assistant doit appeler des cues au régisseur lors des enchaînements. Dans le cas où l’assistant assure aussi la régie, ses tâches se doubleront. En même temps qu’il poursuit les tâches d’assistance,

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il devra lancer les cues ou les appeler aux techniciens et aux machinistes, préparer la régie, les coulisses et prendre en charge plusieurs autres responsabilités venant avec le mandat.

Intensités de son et d’éclairage

Pendant les intensités où les techniciens et les concepteurs placent leur cues et finalisent la technique du spectacle, l’assistant se tient prêt, cahier en main, et partage ses notes à l’équipe. Il est primordial que les notes soient à jour et le plus exacte possible, car il doit absolument savoir l’emplacement de chaque accessoire, chaque comédien, chaque déplacement, entrée, sortie ainsi que la disposition du décor à chaque moment. La justesse de l’annotation servira entre autres à pouvoir éclairer tout le monde sur scène et à faire en sorte que les techniciens suivent bien les comédiens dans leurs actions [Martin, 2015]. Si, par malheur, un comédien n’a pas été éclairé pendant une scène, il faut corriger l’erreur le lendemain durant la période réservée aux raccords. Tout savoir permettra donc à l’assistant de repérer les futurs problèmes et de réduire la durée des raccords au maximum. Deslauriers racontait que lors d’une production, un comédien devait passer en vélo en coulisses et les techniciens avaient entassé leurs fils exactement où il devait rouler. Elle en a alors informé les concepteurs qui ont aussitôt corrigé la situation. De toute évidence, l’assistant doit garder l’œil ouvert à tout type de problème.

L’entrée en salle implique de nouveaux participants au projet qui eux aussi doivent être accompagnés par l’assistant. Si tous les techniciens, manipulateurs et régisseurs de plateau étaient présents en répétitions, ils n’auraient pas autant besoin de l’assistant puisqu’ils connaîtraient déjà le spectacle et sauraient tous les détails de leur implication. L’assistant peut donc aider chaque département selon les besoins pressentis. Il a cependant un mandat plus clair envers les machinistes : leur transmettre l’ensemble de leurs cues et les guider dans l’exécution des mouvements plus complexes.

Quand l’assistant appelle les cues, « [most] of the technicians with whom you are communicating will not be able to see you at all, making it essential to speak clearly and to develop a consistent method for warning and executing cues. » (Kincman, 2013 : 146) Par

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ailleurs, à cause de cette communication souvent aveugle, les voix de chacun peuvent se confondre, surtout si la parole est transmise par micro. Dans ces conditions, « [clarify] the type of confirmation you want after a standby. Typically, that will be “lights”, “sound”, “stage right”, or the equivalent. Voices always sound slightly different over an intercom system, and you may not be able to tell who has replied if the response is “okay” or “standing by”. » (Kincman, 2013: 146) En outre, l’appel doit être le plus concis et rapide possible. Parfois, l’assistant aura même trop de syllabes à dire :

There was no way to say more than the actual word go on a single note. I called the sequence by saying ‘’lights 136 through 139 – go, go, go, go and then throwing a cue light to bring the main curtain when we were at black. Once the curtain landed, I could announce, ‘’Lights 140 go.’’ […] Under other circumstances the SM might need to drop just the cue number at times to save the syllables. As long as your operators know what you are doing – and you resume using cue numbers as soon as you can – find whatever method lets you talk quickly enough to make everything happen. » (Kincman, 2013: 146-147)

Il reste essentiel d’établir un code clair avec les techniciens pour que tous le comprennent. L’assistant doit simplement toujours dire les indications de la même façon afin d’éviter de confondre l'équipe et de maintenir la communication le plus efficace possible.

De surcroît, l’assistant doit régulièrement mener les répétitions de changements de costumes ou de décor complexes. Il doit les prévoir ou les imposer à l’équipe pour faire répéter les personnes qui en ont besoin et les rendre à l’aise dans l’exécution de ces manipulations. Ces répétitions ciblées permettent également aux comédiens sur scène d’avoir conscience de l’action qui se passe en parallèle des leurs et de ne pas être surpris ou déstabilisés par les changements qui seront exécutés. La procédure implacable d’Allison semble être la plus efficace et productive33. Lors d’un enchaînement, elle arrête les comédiens

chaque fois qu’un changement de décor ou un changement de costume survient. Elle organise la séquence verbalement avec les personnes concernées, leur demande d’exécuter la séquence une fois sans faire les répliques ni les cues ayant lieu en simultané, répond aux questions s’il

33. Pour plus de détails sur le protocole spécifique à la gestion de ces répétitions, lire les pages 121 à 125 du

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y en a et répète la séquence une dernière fois avec toutes les répliques et le reste de la technique.

Raccords

Quant aux oublis et erreurs techniques, l’assistant doit planifier un temps pour les corriger. Les raccords rectifient toujours les fautes de la veille et non celles de la journée. Même à l’étape des répétitions, l’assistant peut déjà en prévoir et en organiser. Ceux-ci peuvent être de l’ordre de mouvements complexes à valider avec le décor, de passages infaisables à corriger, de séquences de cues inopérantes à répéter, etc. Pour perdre le moins de temps possible, l’assistant doit établir un ordre et un horaire très précis. Les raccords peuvent facilement gruger du temps et plus ils sont nombreux, plus ils réduisent la période de travail consacrée aux enchaînements, répétitions dont l’équipe a grandement besoin pour juger de l’ensemble du spectacle, trouver son rythme et sa logistique en coulisses.

Loge et réorganisation de l’espace

Habituellement, l’assistant n’a pas à gérer l’espace des loges. Toutefois, il décide quel comédien va dans quelle loge. Lemoine souligne qu’il s’agit essentiellement d’une tâche faisant appel au gros bon sens. L’assistant place généralement une vedette ou un comédien plus âgé seul. Les figurants et les comédiens ayant des rôles secondaires devraient être ensemble pour s’entraider avec les changements de costumes et discuter jusqu’au moment où ils entreront sur scène. L'assistant peut même séparer les femmes et les hommes puisque chacun a des besoins de préparation similaires et pourra s’entraider. Au bout du compte, s'il connaît bien les comédiens et leurs relations, qu’il est à leur écoute, l'assistant pourra les répartir de manière logique selon les loges disponibles, sans difficulté. Il doit faire confiance à son instinct. Après les avoir côtoyés pendant au moins six semaines, il les connaîtra probablement suffisamment pour réaliser la tâche. De plus, s'il a la permission de le faire, « Put the actor’s names in the dressing rooms to let them know which mirror/station they use. You can consult on this with the costume designer. » (Allison, 2011 : 107) Le reste de la préparation des loges n’est pas de son ressort.

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Selon la salle et le syndicat des techniciens, l’assistant pourra aider à organiser l’espace des coulisses et à sécuriser les différents déplacements devant être faits dans le noir. « You will identify the best locations for prop tables and quick-changes areas, tape out sight lines, check for adequate running lights, and mark any potential safety hazards backstage. If actors move around the stage in the dark, you can strategically place glow tape to identify the edges of platforms, walls, and so on. » (Kincman, 2013 : 121) L’assistant nettoie également la scène et la salle au besoin, met de l’eau et des collations pour l’équipe si le budget le permet et prépare la table de travail du metteur en scène et des concepteurs avec des lampes de lecture, si besoin est [Allison, 2011: 106-107]. Pour les grosses productions, générant une plus grande équipe lors de l’entrée en salle et des représentations, « [the] stage manager should also think ahead about communication needs backstage. Prior to arriving in the theatre, provide information to the appropriate departments about the setup for headsets and cue lights-essential tools for talking with backstage personnel and triggering scenic moves or actor entrances. » (Kincman, 2013 : 122)

Si les loges ou les coulisses sont loin de l’assistant, posté en salle, il doit prévoir un moyen de communication avec eux grâce à un micro pouvant être entendu partout dans la salle et l’arrière-scène. Pour les enchaînements et le spectacle, des micros-casques seront souvent portés par tous les techniciens ou les chefs techniciens afin de permettre une communication discrète. L’assistant peut veiller à ce que ce matériel soit présent en quantité nécessaire et fonctionnel. Si le micro ou l’interphone devient insuffisant ou dérangeant, « [you] may need cue lights backstage in order to cue either actor’s entrances or fly moves or even live sounds. Before tech, you need to let the technical director […] know if you anticipate a need for cue lights. » (Allison, 2011 : 107) Peu importe la stratégie employée, l’assistant doit simplement choisir la plus efficace et la mieux adaptée au projet.

Notes aide-mémoire

Pendant les enchaînements, l’assistant note encore les fautes de textes faites par les comédiens, mais il note aussi tout ce que le metteur en scène dit. Par exemple, chez Ex Machina, Lepage commente sans cesse les enchaînements autant sur le plan technique (il faut

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trouver une nouvelle lampe, le coin du mur est brisé, tel son a été oublié, etc.) qu’artistique (il faudrait essayer ça, tel comédien devrait plutôt faire ça, la musique ne fonctionne pas à ce moment-là, etc.). Toutefois, le metteur en scène ne dit pas toujours tout à son assistant et parfois ne parle pas toujours assez fort. Saint-Amand explique qu’elle doit alors être très attentive à tout ce que dit Lepage, à ce qu'il chuchote et même à ce qu'il adresse à d’autres personnes. Elle l’inscrit dans un cahier et corrige toutes les notes techniques le plus tôt possible. L’assistant rappelle aussi au metteur en scène les notes artistiques qu’il oublie alors qu’il les partage avec l’équipe. En entrée en salle, le metteur en scène a beaucoup de gestion à faire, dont celle de son propre stress. Ainsi, il lui arrive fréquemment d’omettre certaines observations et corrections qu’il veut apporter, surtout celles sur le début du spectacle, étant plus loin dans sa mémoire.

Minutage!

En entrée en salle, chronométrer tous les enchaînements devient primordial. Le metteur en scène et les comédiens ont besoin de connaître le temps de chaque scène pour évaluer le rythme, la longueur du spectacle, l’énergie des comédiens et réviser le tout en cas d’insatisfaction. Le minutage sert également à cerner les moments où les comédiens se relâchent ou se dépêchent, car ils prennent plus ou moins de temps que prévu pour jouer la scène. Dès lors, les données permettent de garder un certain contrôle sur l’interprétation et de maintenir une version du spectacle conforme à sa construction en répétitions.

Les enchaînements

Si l’assistant est étranger aux différentes méthodes de répétition au théâtre, il devrait au moins connaître les types d’enchaînements. Ceci lui permettra entre autres de les mettre à l’horaire selon les besoins de l’équipe ou de les proposer pour résoudre un problème ou pour mieux aider les artistes à réaliser leur mandat. Voici quelques types d’enchaînements pouvant pallier différentes situations (hormis l’enchaînement originel où l’équipe enchaîne le spectacle au grand complet sans interruption). Plus l’assistant les maîtrisera, plus il pourra contribuer à l’optimisation du temps alloué en entrée en salle et éviter plusieurs raccords.

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L’italienne Sans action, souvent sans inter- prétation, les comédiens disent le texte dans l’ordre.

Aide à apprendre le texte par cœur et à s’habituer à l’enchaînement des répliques.

L’allemande Sans texte, souvent sans interpréta- tion, les comédiens ne font que les actions et les déplacements.

Aide les comédiens à intégrer leur partition gestuelle et à s’habituer avec l’espace scénique.

Le cue-to-cue L’équipe enchaîne le spectacle d’un cue technique à l’autre en sautant le texte.

Permet à la technique et aux comédiens de se coordonner et d’intégrer les cues.

Le dry tech

(Kincman, 2013)

Sans les comédiens, seuls les techniciens, les manipulateurs et les machinistes enchaînent le spectacle.

« Such a rehearsal provides the designers and technicians a chance to synchronize their work without asking actors to stand around and wait. » (Kincman, 2013: 120)

Générale technique

Tous enchaînent et arrêtent dès qu’un problème est rencontré afin de le régler immédiatement.34

Ce type d’enchaînement prend un temps considérable, mais il est essentiel pour trouver et résoudre chaque problème.

Quick-change

(Kincman, 2013)

Les comédiens, le concepteur costume et ceux qui aident au changement de costume répètent les changements.

Aide les personnes concernées à trouver la meilleure stratégie possible pour exécuter le changement de costume. L’assistant chronomètre la durée du changement pour s’assurer

34. « During stop and go rehearsals, if the problem is one that can be fixe by a note or a discussion after the rehearsal, you do not stop. » (Allison, 2011: 111)

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qu’il ne dépasse pas celle de la scène en cours [Kincman, 2013 : 121].

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