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1. Le relief

Le relief nous permet d’établir une référence pour analyser l’enseignement des notions de discret et de continu, par une étude croisée :

- Du savoir savant, appréhendé par notre étude épistémologique et mathématique de la partie I. ; - Du savoir à enseigner : par une étude des programmes (l’ordre dans lequel la notion est abordée, les

contenus, les éventuels manques), des manuels et des énoncés d’épreuves nationales (Brevet et Bac- calauréat). Les manuels renseignent sur les ressources des enseignants, les épreuves nationales pilo- tent en partie leurs pratiques.

- Des aspects cognitifs dont les difficultés des élèves et leurs conceptions spontanées.

La théorie de la transposition didactique (Chevallard, 1985) étiquette les transformations du savoir. L’étude du relief s’intéresse à ce qui est retenu du savoir identifié dans l’étude épistémo-mathématique, dans le savoir à enseigner.

Du point de vue cognitif, nous solliciterons la distinction par Vygotsky (1986) de deux types de concepts, les concepts quotidiens et les concepts scientifiques. Vergnaud (1989) décrit les concepts quotidiens comme relevant du développement de l’enfant alors que les concepts scientifiques relèvent de son apprentissage. Il explique que la compréhension des concepts quotidiens se construit par l’expérience spontanée non organisée ; par opposition, celle des concepts scientifiques provient d’une action finalisée et intentionnelle de l’adulte.

L’étude du relief permet de repérer ce qui est mobilisable chez les élèves en termes de conceptions plus ou moins spontanées, plus ou moins proches des concepts quotidiens16 et du savoir savant, identifiées grâce à

l’étude du savoir savant, et qui peuvent servir de point d’appui (souvent partiel).

2. Discret, continu : quel(s) type(s) de notion ?

Pouyanne écrit dans Pariès et al. (2007) que dans l’enseignement, « souvent, avant même d’avoir été définies,

des notions sont manipulées par le biais de leurs propriétés opératoires 17». Il nomme une telle notion : « notion

Non Encore Formalisée » -pour lequel nous utiliserons l’acronyme NEF dans la suite de ce travail. Les exemples qu’il en donne sont les aires et les longueurs en primaire et au secondaire, ou encore les nombres réels au lycée.

16 Vygotsky (1986)

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Il note que certaines notions peuvent présenter plusieurs états formalisés ou partiellement formalisés à un même moment du cursus scolaire. La notion de distance en est un exemple.

Il note aussi qu’une même notion peut être (partiellement) formalisée dans différents cadres. La dénomination de la notion, commune aux différents cadres, souligne qu’il s’agit de la même notion.

Pouyanne remarque que le plus souvent, le fait qu’une notion est NEF est caché aux élèves. C’est ce qu’il appelle « le choix qui ne se discute pas (pas maintenant) ». D’après lui, ce choix est nécessaire dans le cas où aucune définition formelle de la notion n’est accessible au niveau d’enseignement considéré. Il est aussi conforme au développement des mathématiques au cours de l’histoire, qui s’est effectué en progressant alternativement « vers l’avant et vers ses fondements ».

La partie I. de ce travail en donne quelques exemples : les notions de limite et de continuité, de discret et de continu, d’infini, de point, de nombre réel se sont développées par ce processus de va et vient, ont été formalisées quelques dizaines, voire centaines d’années, après leur émergence et leur utilisation. Certaines de ces notions sont explicitement nommées et utilisées au lycée tout en n’étant (éventuellement) formalisées que plus tard, dans l’enseignement supérieur. C’est le cas des notions de nombre réel, mais aussi de celles de fonction continue, de limite, d’infini, de point.

Par rapport aux notions précitées, celles de discret et de continu ont ceci de particulier qu’elles sont présentes bien que peu nommées dans l’enseignement secondaire.

Pouyanne estime que « la conscience des mécanismes de formalisation, de l’existence de notions cachées et de

leur détection influe sur l’organisation et la cohérence des notions sur le long terme et permet de prendre en compte la dualité entre intuition et rigueur qui lie l’objet « vraiment pensé » (conceptualisé ?) à son statut logique 18».

Une analyse des savoirs savants et des savoirs à enseigner permettra de mieux préciser les notions de discret et de continu en tant que notion NEF en fin de collège et au lycée, de déceler la cohérence ou le manque de cohérence que les mathématiques à enseigner et effectivement enseignées (du moins dans les extraits dont nous disposons) apportent à ces notions.

Robert (1998) (complété dans Pariès et al. (2007)) distingue par ailleurs « très généralement trois types de

notions : les extensions de concepts sans « accidents » ou avec accidents, les notions RAP (réponse à un problème) et les notions FUG (Formalisatrices, Unificatrices, Généralisatrices) 19». Cette distinction est un outil

supplémentaire qui nous permettra de caractériser les introductions aux notions qui sont nouvelles pour les élèves.

3. Outils d’analyse des contenus

Pour des études plus précises liées à des contenus particuliers, nos analyses font intervenir différents outils. Les cadres, registres et points de vue20 :

L’idée de « cadre » est empruntée à Douady (1986) : un cadre repose sur des fondements (implicites ou non, admis ou non) et contient un certain nombre d’objets, de propriétés et un corpus de problèmes. Ainsi, au lycée, la majorité des contenus se situent dans les cadres numérique, algébrique, graphique, le cadre de l’analyse, celui des statistiques et celui des probabilités.

Celle de « registre » est empruntée à Duval (1995) : un registre de représentation est un mode d’écriture. Il peut intervenir dans différents cadres. Ainsi, le registre des tableaux de valeurs intervient dans les cadres précités.

Un « point de vue » est une façon d’aborder un problème. Un changement de point de vue amène à changer de stratégie de résolution de de ce problème (Robert, 1995, pages 42 et 50).

Cependant, selon les domaines, la distinction n’est pas si claire entre cadre et registre. Pour nous, l’étiquetage par un cadre donné est en partie relatif, il dépend du niveau scolaire, de ce qui est dit en classe, du contexte. Ce que recouvre un cadre peut ainsi changer au cours de la scolarité ou même selon les élèves. En outre, les

18 Pariès et al. (2007) page 11 19 Page 163 ; Ibid. page 12

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activités graphiques des élèves peuvent imbriquer un travail des représentations graphiques dans un cadre fonctionnel et un travail dans le cadre graphique. De la même façon, Vandebrouck (2011) a illustré le fait que les élèves de la fin du lycée travaillaient les fonctions dans le cadre algébrique et non pas sur des représentations algébriques dans le cadre fonctionnel. Notre parti pris de travailler sur les activités nous amène à utiliser la catégorie cadre graphique plutôt que registre graphique lorsqu’il y a une ambigüité et qu’on ne peut pas être sûr qu’il ne s’agit que d’un travail sur des représentations graphiques. Quand l’élève relie des points, il est dans le cadre graphique et dans le registre graphique.

Cadres et registres s’interpénètrent et selon le discours qui accompagne l’activité, le travail peut se situer au niveau du registre ou bien à celui du cadre.

Nous procédons à des analyses de tâches telles qu’exposées dans Pouyanne et Robert (2004) et repris dans Vandebrouck (2008). Les énoncés d’exercices sont analysés en termes d’ouverture de la question, de types de connaissances (anciennes ou non, mobilisables ou disponibles), de présence d’implicites ou d’ambiguïtés, voire d’incohérences.

Pour chaque tâche, la mise en fonctionnement des connaissances attendues est analysée : est-ce une application simple et immédiate (d’une définition, d’un théorème, d’une méthode ...) ?

Quand ce n’est pas le cas, des adaptations sont nécessaires. Elles peuvent de différents types, plusieurs types pouvant intervenir en même temps. Il s’agit :

- De reconnaissances de modalités d’application ;

- D’introduction d’intermédiaires (des notations, des objets mathématiques…) ;

- De mélanges de plusieurs connaissances ou de plusieurs cadres ou registres, de changements de points de vue, d’interprétations, de mises en relations ;

- D’introduction d’étapes dans un calcul ou un raisonnement ; - D’utilisation de questions précédentes ;

- De choix (forcés ou non) ;

- De combler un manque de connaissances.

4. Niveau de conceptualisation

Le niveau de conceptualisation visé pour une notion se traduit « en termes de tâches et de connaissances,

outils et objets, caractérisées par un certain niveau de formalisation, de rigueur et des modes de raisonnement attendus et à organiser dans un ensemble de connaissances « déjà là » »21.

Ainsi, un niveau de conceptualisation des notions de discret et de continu pourrait être envisagé au terme des trois années de lycée : ce qui pour l’une comme pour l’autre peut être mobilisable, disponible, en tant qu’outil et objet, quel type de tâche peut leur être associé, quelles définitions pourraient être adoptées.

Ce niveau de conceptualisation se construit sur les années de lycée, alors que les élèves ont déjà acquis un certain niveau à l’école primaire et au collège et que ceux qui poursuivent l’étude des mathématiques dans le supérieur continuent à l’enrichir. Ainsi, il apparait nécessaire de prendre en compte le temps long (Théorie de l’activité – Vergnaud (2007)).

5. Le méta

Le discret et le continu peuvent être traqués non seulement dans les tâches proposées aux élèves et les énoncés des expositions de connaissances, mais aussi dans le discours (les commentaires, remarques etc.) des manuels et celui des enseignants sur les notions mathématiques étudiées et les tâches abordées.

Ce discours fait partie du « méta » en didactique des mathématiques tel que Robert et Robinet (1996) l’ont défini. Partant des définitions émanant de la psychologie, elles définissent le méta par ce qui concerne :

- La connaissance du sujet sur la connaissance, - Le discours de l’enseignant sur les mathématiques, - La réflexion sur les concepts.

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Dans le travail que nous menons, le méta sur lequel nous nous focaliserons est celui du discours sur les mathématiques, leur fonctionnement et leur utilisation. En plus du discours de l’enseignant en classe, nous tenons compte de celui des documents officiels, des manuels et des élèves en classe.

Les recherches que Robert et Robinet citent « s’appuient sur l’hypothèse que les élèves peuvent améliorer ou

faciliter leur apprentissage des mathématiques par la prise en compte, par l’enseignant et par eux-mêmes, de tels éléments, de niveau « méta » »22.

Robert et Robinet soulignent cependant les questions méthodologiques de recherches qui visent à montrer cette hypothèse :

- Par quels moyens traquer des éléments de connaissances des sujets (élèves et enseignants) sur leurs connaissances ?

- Comment évaluer l’impact du méta sur la réussite des élèves ?

- Les effets du méta ne sont pas immédiats, ils agissent sur un temps long. Comment les analyser s’ils s’étalent sur des mois voire des années ?

Nous faisons l’hypothèse que dans l’enseignement de notions NEF, le méta fait partie des quelques « bras de levier » qui peuvent être actionnés, permettant d’expliciter quelque peu ce qui ne peut être rigoureusement exposé et de rassurer les élèves quant à des notions qu’ils utilisent alors qu’ils ne peuvent les maîtriser. Cette hypothèse est corroborée par le fait que les questions méthodologiques soulevées par Robert et Robinet au sujet du méta sont aussi au cœur de notre recherche sur le discret et le continu en fin de collège et au lycée.