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A. Notions de fonction, de représentation graphique d’une fonction, en collège et en classe de

2. Du côté des élèves – relier les points

a) L’ « activité » « Relier les points ? » du manuel « Math’x »

Nous avons analysé supra le chapitre du manuel « Math’x » de Seconde, édition de 2010, concernant les fonctions. Ce chapitre comporte une « activité » intitulée « Relier les points ? ».

Rappelons que deux situations sont exposées, pour chacune, un tableau de valeurs est donné ainsi que deux graphiques possibles : l’un constitué de points isolés, l’autre de ces mêmes points reliés par une courbe de fonction continue. Il est demandé de préciser la variable puis de choisir entre les deux graphiques en argumentant la réponse.

La première situation est discrète et la deuxième est continue (une température est fonction de l’heure de la journée).

Examinons la première situation : le prix de places de cinéma est fonction du nombre de places. Le tableau de valeurs est un tableau de proportionnalité dont le coefficient est 8 : il est simple à calculer ; par ailleurs, les points sont visiblement alignés (avec l’origine).

Selon le manuel que les élèves auront eu en année de Troisième et les choix faits par leur enseignant, ils peuvent

- Soit repérer que le nombre de place ne prend que des valeurs entières et opter pour le premier graphique

- Soit opter pour le deuxième graphique : après avoir observé que le tableau est un tableau de pro- portionnalité (ou que les points sont alignés avec l’origine), les élèves peuvent se remémorer leur cours de mathématiques de l’année de Troisième sous la forme suivante : la proportionnalité est associée aux fonctions linéaires et ces fonctions sont représentées par des droites.

Manuel « Math’x » de 2010, classe de Seconde, édition Didier, page 31

Cette « activité » a été donnée en devoir maison à une classe de Seconde de 32 élèves. Les élèves ont unanimement associé la courbe de fonction continue à la deuxième situation.

Cinq élèves ont répondu que la courbe à associer à la première situation est la seconde. Leur argument était que la fonction est linéaire, elle est donc représentée par une droite. Ils ont donc procédé selon la deuxième option décrite supra.

Nous n’avons pas accès à ce que les enseignants ont fait faire à ces élèves en Troisième. La moitié d’entre eux avaient en classe de Troisième le manuel « Phare » analysé plus haut. D’après notre analyse, ce manuel offre l’occasion de considérer la fonction comme un modèle et de questionner son domaine d’adéquation. Cependant, toutes les représentations graphiques y sont des courbes « lisses ».

b) Relier les points : de quelques points de la représentation graphique d’une suite géométrique à la courbe d’une fonction exponentielle

Nous avons été amenée, en tant qu’enseignante, à introduire les fonctions exponentielles dans une classe de 34 élèves de Terminale ES. Nous allons, dans la partie III E, analyser les enjeux de cette introduction.

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À la différence d’élèves de Seconde, les élèves de Terminale ont étudié les suites en classe de Première ; ils ont alors appris que la représentation graphique d’une suite est un ensemble de points isolés.

Dans ce but, nous avons conçu un dispositif (tâches et déroulement) que nous exposerons et analyserons dans la partie III E. Notons que les élèves travaillaient seuls, tout en ayant la possibilité de discuter des réponses avec leurs voisins s’ils le souhaitaient. Nous leur avions demandé de changer la couleur de leur stylo pour la prise des notes aux moments des corrections. Cela nous a permis de différencier leur propre réponse de celle qu’ils ont notée au moment de la mise en commun.

Voici la première partie de l’énoncé donné aux élèves :

Un nénuphar pousse sur un étang. Tous les mois, la surface qu’il occupe double et plus généralement sa surface augmente d’un même rapport sur un intervalle de temps de même durée (si c'est un intervalle d'un mois alors ce rapport est 2).

On note 9 sa surface en m² au 1er juin et 9 sa surface en m² n mois plus tard. Le 1er juin, sa surface mesure

1m², on a donc 9 1.

a) Calculer la surface occupée par le nénuphar le 1er juillet et le 1er aout.

b) Exprimer 9 en fonction de (.

c) Placer, en noir, les points de coordonnées (, 9 pour ( allant de 0 à 4 sur la feuille de papier millimétré donnée en annexe. On appellera Z, A, B, C et D les points obtenus dans cet ordre et on prendra 2cm comme unité sur l’axe des abscisses, 1 cm comme unité sur l’axe des ordonnées. Sans rien rajouter au graphique, répondre aux questions suivantes : est-ce que ça a un sens de relier les points ? Pourquoi ?

Intéressons-nous aux réponses des élèves aux deux dernières questions : « est-ce que ça a un sens de relier les points ? Pourquoi ? ».

La majorité des élèves estiment que relier les points n’a pas de sens (à l’écrit, 20 élèves sur 22 qui ont répondu, soit 91% des réponses). Pendant la séance, un élève justifie oralement sa réponse par le fait qu’ « on ne sait

pas ce qui se passe entre deux valeurs ». Un autre élève dit qu’ « il n’y a pas rien mais on ne sait pas si l’évolution du nénuphar est constante ou non et du coup pour tracer la courbe ça implique de donner des valeurs à « u » 1,5 et du coup on peut pas savoir. »

Un autre élève dit que « c’est parce qu’une suite est définie sur ℕ, ℕ c’est les entiers naturels et pas un nombre

à virgule. Du coup il n’y a rien entre un entier et l’autre ».

Ainsi, deux types d’arguments pour le « non » cohabitent dans la classe. L’un est contextuel, l’autre est mathématique (ou un argument d’autorité ?) :

- Cela n’a pas de sens de relier les points car on ne peut pas savoir ce qui se passe entre deux valeurs consécutives. Ils sont 6 sur les 20 à avancer ce type d’argument. Ces élèves ne pensent pas que l’infor- mation de l’énoncé « plus généralement sa surface augmente d’un même rapport sur un intervalle de temps de même durée » puisse leur donner le moyen d’interpoler la suite, du moins pour un certain nombre de valeurs. Ci-après un exemple dans lequel l’élève exprime que l’interpolation choisie risque de ne pas modéliser correctement la situation à un mois et demi. Remarquons que l’élève n’hésite pas à utiliser une notation indicée par un décimal non entier ; le fait que 9 soit une suite ne fait pas partie de son argumentaire.

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- Cela n’a pas de sens de relier les points car il s’agit d’une suite, pas d’une fonction. Ils sont 7 élèves sur les 20 à avancer ce type d’argument. En voici un exemple (ce qui est rajouté en rose est la correction prise par l’élève a posteriori) :

Ils ne sont que 2 élèves à répondre « oui » à l’écrit. Leur argument porte sur le fait le nénuphar poursuit sa croissance progressivement au cours du temps. Un des deux exprime que le relier les points a un sens puisque la surface croit en fonction du temps de façon continue (c’est le mot « progressivement » que l’élève utilise pour traduire cette continuité) :

Le jour de la séance, au moment de la correction en classe entière, les élèves sont dans l’ensemble d’accord pour dire que le nénuphar a une surface entre le 1er et le 2e mois, entre le 2e mois et le 3e mois etc. Et que par

conséquent, si du point de vue de la suite relier les points n’a pas de sens, du point de vue de la modélisation de la croissance du nénuphar, relier les points en a un. La question est de savoir comment. C’est l’enseignante qui se charge de ce récapitulatif. Remarquons que l’argument est ici celui de la continuité du temps (et donc de l’absence de « trou » dans la représentation graphique), pas celui de la continuité de la surface en fonction du temps.

L’enseignante pose oralement la question de savoir comment relier les points. Une première idée d’élève est « ça ressemblait à une parabole ». L’enseignante affiche la courbe de la fonction carré avec le logiciel GeoGebra. Les élèves constatent qu’ajouter 1 a pour effet de translater la courbe de façon satisfaisante vers le haut. Les 5 points sont soit sur la courbe soit assez proches. L’enseignante demande de calculer 9g et le carré de 5 pour constater le grand décalage entre les deux valeurs, ce qui permet d’écarter le modèle de la parabole.

Un élève fait une réflexion sur la croissance du nénuphar en montrant avec le doigt qui monte et qui descend en « zigzagant » un exemple graphique de ce que la courbe ne peut pas être. Cet élève suggère ainsi, avec un argument graphique, que la courbe est celle d’une fonction monotone.

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L’enseignante pose oralement la question du calcul de la surface du nénuphar au bout de deux mois et demi. Elle laisse les élèves chercher. Pendant ce temps, quelques-uns se demandent encore pourquoi relier les points a un sens. La question, pour eux, n’est pas tranchée.

Dans la suite de la séance, les élèves calculent les surfaces du nénuphar aux demis mois puis aux quarts de mois. Ils construisent à chaque étape les points correspondants sur leur feuille de papier millimétré. Il n’y a alors plus d’obstacle à tracer une courbe « lisse » reliant ces points.

Conclusion sur ces deux analyses de réponses d’élèves à la question de « relier ou non les points » :

Quantifions le nombre d’élèves qui argumentent leur réponse par un résultat intra mathématique, sans tenir compte de la situation exposée : en classe de Seconde, environ un élève sur six répond à la question en mobilisant un résultat du cours de Troisième ; en classe de Terminale, le tiers des élèves qui répondent à la question mobilisent un résultat du cours de Première. Pour les premiers, s’il y a proportionnalité, le graphique est une droite ; pour les seconds, s’il y a une suite, le graphique est fait de points isolés.

Pour que l’activité mathématique d’un certain nombre d’élèves ne se résume pas à l’application de règles que l’on pourrait qualifier de « raccourcis », un travail de réflexion sur la modélisation de phénomènes, qu’ils soient discrets ou continus, par des objets discrets et continus nous semble indispensable.

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