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CHAPITRE 3 Résultats et Discussion

3.2 Le dépistage de la violence conjugale

3.2.2 Les outils de dépistage

J’ai ensuite questionné les participants au sujet des outils de dépistage auxquels ils ont recours, les avantages et les inconvénients de ces outils, ainsi que comment ils ont pris connaissance de tels outils. La grande majorité des médiateurs mentionnent avoir recours à des outils de dépistage. Ils disent avoir pris connaissance de ces outils lors de la formation sur le dépistage de la violence conjugale en médiation familiale organisée par le COAMF, ainsi qu’à travers leurs lectures et leurs expériences de travail. Les principaux outils employés par les médiateurs sont ceux proposés dans le cadre des formations23. Certains médiateurs indiquent qu’ils utilisent d’autres outils en plus de ceux proposés par la formation du COAMF, soit l’échelle de stress de Holmes et le questionnaire de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) :

J’aime beaucoup l’échelle de stress de Holmes, qui n’est pas adaptée pour la violence conjugale, mais c’est une échelle de stress qui est utilisée depuis plusieurs années […]. Donc sur cette échelle-là on nous demande : « Dans les deux dernières années, est-ce que j’ai quelqu’un qui est décédé ? » « Est-ce que j’ai déménagé ? » Bon. Et là on fait notre score. Et à la fin on nous dit « Vous avez vécu beaucoup de stress cette année. Vous êtes en danger. Faudrait que vous cherchiez de l’aide, etc. ». Donc, moi je pars de ça […]. Et si en plus il y a eu des incidents difficiles, violents, ben c’est un stress de plus. Donc, je l’aime pour, disons, aller tranquillement avec ça, parce que c’est un peu ça qu’il faut faire avec les personnes, tant violentes que violentées. (Participante #3,

milieu psychosocial)

23 Rappelons que ces outils sont : le protocole de dépistage de la violence pour l’entretien

téléphonique initial avec chaque conjoint ; le protocole de dépistage de la violence pour l’entrevue conjointe ; le protocole de dépistage de la violence pour l’entrevue individuelle ; et la grille d’observation du comportement des individus au moment des séances de médiation.

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L’Organisation mondiale de la santé offre des indices qui sont très généraux, […] des sections très générales comme : « Est-ce vous avez déjà été hospitalisé ? » « Pour quels motifs ? » « Est-ce que vous avez déjà été incapable de faire des tâches quotidiennes ? » Donc c’est des choses qui sont très générales et il y a quelques éléments qui sont en lien avec le dépistage de la violence. (Participante #2, milieu

psychosocial)

D’après les médiateurs, l’échelle de stress de Holmes et le questionnaire de l’OMS sont intéressants, car ils ont les avantages suivants : les outils s’appliquent bien à leur pratique, ils permettent de préciser et dépister ce qui n’est pas perceptible, ils sont pratiques, ils leur permettent d’être plus vigilants, ils leur permettent d’avoir en tête les éléments clés à observer, ils les aident à mieux travailler avec les parents, ils les aident à prendre des bonnes décisions en toute connaissance de cause, ils leur permettent d’approfondir et de creuser plus loin, et ils permettent aux parents de s’exprimer. De plus, le langage utilisé est approprié et les médiateurs peuvent aisément se les approprier.

Cependant, les médiateurs remarquent que les outils de dépistage de la violence conjugale proposés par le COAMF ont également des inconvénients. Ils peuvent faire en sorte que de la violence conjugale soit faussement identifiée dans certains dossiers. Comme l’explique ce participant :

Pour quelqu’un qui se contente d’appliquer la grille, et d’être, comme on dit « by the book », ça peut être piégeant. Et on peut voir de la violence conjugale partout.

(Participant #1, milieu psychosocial)

La grande majorité des médiateurs considèrent également que les outils de dépistage proposés par le COAMF prennent du temps à appliquer, car ils comportent beaucoup de questions. De plus, comme l’explique cette participante :

L’inconvénient c’est, bien sûr, de savoir si ce que les gens nous disent est la vérité.

(Participante #2, milieu psychosocial)

Une participante nomme qu’elle se fie davantage à son intuition lors du dépistage :

Je me fie beaucoup à mon intuition. Parce que quand la communication ne va pas bien, je vais creuser. Je demande ce qui se passe. Je demande quand même comment ça se fait que la communication est rendue là. Est-il arrivé un événement particulier dans le couple ? Est-ce que c’est juste depuis qu’ils ont décidé de se laisser qu’ils se parlent comme ça ? Ou c’est depuis des années qu’ils se manquent de respect puis ils

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crient ? Je vérifie au niveau de la communication depuis quand que c’est comme ça ».

(Participante #4, milieu juridique)

3.2.2.1 Discussion à l’égard des outils de dépistage

D’après le COAMF (2012), un médiateur familial doit connaître deux outils de dépistage de violence conjugale, et être en mesure de différencier le terrorisme intime et la violence situationnelle. La très grande majorité des participants rapportent avoir recours à plus de deux outils pour effectuer leur dépistage de la violence conjugale. D’ailleurs, ces outils de dépistage sont tous enseignés dans le cadre de la formation sur le dépistage de la violence conjugale proposée par le COAMF (Lévesque, 2005 ; Torkia, 2011). Un petit nombre de médiateurs indiquent qu’ils se fient principalement à leur intuition lors du dépistage. Or, cette façon de procéder ne correspond pas aux pratiques proposées par le COAMF.

Holzworth-Muntore, Beck et Applegate (2010) expliquent qu’aucun outil de dépistage n’est parfait ; ils ont tous des limites. Conséquemment, ces auteurs conseillent de toujours croire le discours des personnes, d’observer le verbal et le non verbal, d’investiguer la situation et d’adapter le processus de médiation en conséquence. Les participants rencontrés souscrivent à la plupart de ces conseils, comme on l’a vu.

De plus, le COAMF (2012) stipule que le dépistage de la violence conjugale doit se faire de manière continue tout au cours du processus de médiation familiale. Bien que les participants soient d’accord pour poursuivre le dépistage tout au cours du processus de médiation, tous dépistent la violence conjugale dès le début du processus. Ce dépistage au tout début se fait de manière systématique, puis il se poursuit tout au cours de la médiation. Or, des participants ont constaté lors de leurs conversations avec d’autres médiateurs que le protocole de dépistage de la violence lors de l’entretien téléphonique initial avec chaque conjoint, un outil important pour faire un premier dépistage de la violence conjugale, n’est pas utilisé de manière systématique et uniforme par certains médiateurs pour deux raisons : d’une part, c’est la secrétaire qui se charge de faire le premier contact avec les parents et d’autre part, l’entretien téléphonique initial n’est pas fait, car il n’est pas rémunéré par le gouvernement québécois. Compte tenu de tous les avantages énumérés par les médiateurs, ceux-ci insistent sur la nécessité que les entretiens téléphoniques soient rémunérés afin que tous les médiateurs

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puissent procéder au dépistage de la violence dès l’entretien téléphonique initial de manière systématique.

En ce qui a trait aux médiateurs qui cèdent la tâche du premier entretien téléphonique à leur secrétaire, je me questionne à savoir à qui revient la tâche d’effectuer le protocole de dépistage de la violence pour l’entretien téléphonique initial avec chaque conjoint. À la secrétaire ou au médiateur ? Si la tâche revient à la secrétaire, ne devrait-elle pas être formée et être apte à administrer le protocole de dépistage de la violence pour l’entretien téléphonique initial avec chaque conjoint ? Je considère que le COAMF pourrait statuer clairement à cet effet dans son guide des normes de pratique.

De plus, le fait de ne pas faire le dépistage de la violence lors de l’entretien téléphonique initial avec chaque conjoint suscite quelques préoccupations : sans avoir un premier aperçu de la situation et s’assurer que les parents sont à l’aise d’être en présence l’un de l’autre, il pourrait y avoir des risques pour la personne violentée pendant ou à la suite de la première entrevue conjointe de médiation. Le protocole de dépistage de la violence lors de l’entretien téléphonique initial avec chaque conjoint permet de faire un premier filtrage des dossiers pour lesquels la médiation familiale serait peu recommandée et d’orienter ces dossiers vers les ressources appropriées. Aussi, grâce à cet entretien téléphonique, le médiateur peut s’assurer qu’il a bel et bien l’expertise nécessaire pour accompagner adéquatement les parents dans leur situation.

La majorité des médiateurs avaient peu ou pas de recommandation concernant les outils de dépistage proposés par le COAMF. Toutefois, certains médiateurs considèrent qu’il pourrait être pertinent de développer des grilles plus succinctes et plus adaptées à la réalité des médiateurs, qui font face à un temps limité pour aider les parents à conclure une entente à l’égard de plusieurs différends en lien avec leur séparation.