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CHAPITRE 3 Résultats et Discussion

3.4 La médiation familiale en présence de violence conjugale : la pratique

3.4.1 Les interventions réalisées dans un dossier considéré comme bien réussi

Dans le but de mieux comprendre le déroulement d’une médiation familiale où il y a présence de violence conjugale, chacun des participants a partagé un cas où il estime avoir bien réussi sa médiation.

3.4.1.1 La description des cas et la dynamique de violence conjugale présente

Les principaux éléments de chaque cas exemplaire raconté présentent beaucoup de similitudes et quelques différences d’un participant à l’autre. D’abord, la très grande majorité des dossiers se caractérisent par la présence d’un père ayant des comportements violents et d’une mère violentée, à l’exception d’un dossier où les parents avaient des comportements violents l’un envers l’autre. Dans quelques-uns des dossiers, les enfants étaient également impliqués : ils avaient subi de la violence familiale, ils étaient exposés à la violence conjugale ou ils s’alliaient au père et exerçaient de la violence envers leur mère. Les principales formes de violence conjugale présentes dans les dossiers de ces médiateurs étaient la violence verbale et la violence psychologique. Une faible proportion des dossiers comprenait aussi de la violence physique et sexuelle.

Même si les médiateurs familiaux ne spécifiaient pas s’il s’agissait, selon eux, de domination conjugale (terrorisme intime) ou de violence situationnelle, il s’avère que tous les exemples de pratiques exemplaires décrits sont des cas de terrorisme intime où une dynamique de domination était présente, mais cette domination s’exerçait de diverses façons et à différents degrés. Ce résultat m’a surpris pour deux raisons ; d’une part parce que le guide des normes du COAMF précise que la médiation familiale en présence de terrorisme intime est peu recommandée et d’autre part, parce que la majorité des médiateurs ont affirmé qu’ils traitent rarement ces dossiers. Or, ce sont des dossiers où les médiateurs considèrent avoir particulièrement bien réussi leur médiation. Cela signifie-t-il que la médiation familiale peut être possible et efficace dans certains cas de terrorisme intime pourvu que le médiateur qui effectue la médiation soit un médiateur d’expérience qui s’est spécialisé en violence conjugale, tel qu’est le cas de la majorité de mon échantillon ? Ceci confirme l’importance de

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poursuivre des recherches à l’égard de la médiation familiale en présence de violence conjugale.

3.4.1.2 Les raisons pour lesquelles les parents procèdent en médiation familiale bien que la violence conjugale ait été présente au sein de leur couple

Les raisons motivant les parents à opter pour la médiation familiale bien que la violence conjugale ait été présente variaient d’un dossier à l’autre. Les médiateurs rapportaient les raisons suivantes : c’est ce que l’avocat des parents leur avait conseillé, les parents voulaient éviter le recours aux avocats et devoir aller à la cour pour régler les différends en lien avec leur séparation, la médiation était moins coûteuse et est plus rapide, la personne violentée désirait poursuivre la médiation, les parents souhaitaient négocier à l’amiable, les parents voulaient éviter ou minimiser les conflits entre eux, les parents désiraient cesser leurs conflits, les parents croyaient à la médiation. Les médiateurs rapportent que les parents venaient régler les différends suivants en lien avec la séparation : la garde des enfants, les échanges des enfants, l’autorité parentale, les dépenses en lien avec les enfants, les contacts entre les parents, les pensions alimentaires, la séparation des biens, les finances et la sécurité.

3.4.1.3 Les interventions en lien avec la violence conjugale

La grande majorité des participants ont employé les mêmes stratégies d’intervention en lien avec la violence conjugale. En ce qui a trait à la communication entre les parents, ils ont assuré l’équilibre de la parole entre les deux parents et ils ont restauré une communication fonctionnelle entre eux.

En ce qui concerne la communication avec les parents, ils ont laissé la personne violentée s’exprimer, ils ont reflété que faire mal à la mère fait aussi mal aux enfants, ils ont amené les parents à reconnaître la violence, ils ont reformulé les propos pour bien saisir les demandes et les besoins de chaque parent, ils ont nommé les écarts entre les besoins, les désirs et la réalité, ils ont donné les informations nécessaires (par exemple, des informations relatives à la garde des enfants, aux pensions alimentaires, à la séparation des biens, aux consultations juridiques, etc.) et ils ont travaillé le lien de confiance. Aussi, ils ont fait des caucus et des entrevues individuelles.

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De plus, en ce qui touche au respect du cadre, ils ont nommé les comportements inacceptables, les règles de conduite et le respect, ils ont été directifs et ils avaient un cadre strict pour le déroulement de la médiation, ils ramenaient les parents aux tâches et aux points prioritaires en ce qui a trait à la séparation.

3.4.1.4 L’évaluation des cas avec du recul

La grande majorité des médiateurs ont exprimé qu’avec du recul, ils n’auraient pas agi autrement. Ceci pouvait être attendu puisqu’il était question d’un cas exemplaire. Or, une minorité des médiateurs ont rapporté qu’avec du recul, ils auraient voulu en faire plus pour l’un des parents ou pour les deux. Comme l’explique cette participante :

J’ai l’impression que je travaille plus fort avec les personnes violentes. Parce je me dis il faut qu’on arrête la violence, ça n’a pas d’allure. Mais oui, je pense que je ferais davantage avec Madame et j’insisterais davantage sur le fait qu’elle pourrait répéter ce pattern-là. (Participante #3, milieu psychosocial)

Ainsi, même lorsqu’il est question de cas exemplaires, ils sont d’une telle complexité qu’il est possible d’identifier des aspects améliorables de l’intervention.

3.4.1.5 Les moments difficiles et les solutions pour les surmonter

Tous les médiateurs ont nommé des moments difficiles pendant leur récit d’un dossier réussi de violence conjugale. Ces moments difficiles comprenaient : assurer la sécurité des personnes ; constater la dégradation de l’état de la mère et de son estime de soi ; voir les réactions du père ayant des comportements violents ; amener les parents à reconnaître les comportements violents et le cycle de la violence ; entendre les menaces de mort et les menaces suicidaires ; voir les souffrances de parents ; voir des enfants avoir peur de leur père ; faire un signalement aux autorités ; avoir un parent qui se présente en médiation avec une arme à feu ; gérer les pertes de contrôle. Tous les médiateurs ont précisé que ce sont des dossiers de violence qui ont été difficiles à gérer parce qu’ils suscitaient beaucoup de questionnements et d’incertitudes. Comme l’explique cette participante :

Et comme médiateur on est toujours sur la sellette pour dire « j’arrêtes-tu ? Je continue-tu ? Est-ce que je fais plus de bien que de tort ? » Je ne sais pas. C’est un questionnement perpétuel […] J’ai l’impression qu’on n’est pas aussi exigeant pour la personne violentée que pour la personne violente. C’est un feeling que j’ai. Dans le

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sens que j’ai l’impression qu’on travaille plus fort. Et je pense qu’il faudrait trouver des moyens de plus pour amener les femmes violentées à aller chercher de l’aide.

(Participante #3, milieu psychosocial)

Les médiateurs ont expliqué que le travail d’équipe avec les autres professionnels au dossier et les discussions de cas avec des collègues les ont aidés à surmonter ces moments difficiles. Certains médiateurs ajoutaient qu’il fallait aussi pratiquer le « lâcher-prise » et prendre soin de soi.

À ma connaissance, aucune étude n’a porté sur les moments difficiles éprouvés par les médiateurs familiaux lorsqu’ils font face à un dossier de violence conjugale dans leur pratique, ni sur les solutions qu’ils mettent en place pour les surmonter. J’estime donc qu’il serait pertinent d’avoir d’autres recherches plus approfondies sur le sujet afin de comprendre davantage comment les médiateurs familiaux composent avec ces dossiers dans le cadre de leur pratique.

3.4.1.6 Les recommandations pour la formation sur la pratique

Il serait pertinent de savoir comment les médiateurs procèdent pour évaluer la dangerosité et le risque d’escalade de la violence. Dans l’éventualité où les médiateurs nommeraient un manque de formation à cet effet, j’estime qu’une formation portant sur l’évaluation de la dangerosité et l’appréciation du risque d’homicide conjugal pourrait être ajoutée aux formations actuelles.

La grande majorité des médiateurs conviennent qu’il devrait y avoir des supervisions pour les dossiers de violence conjugale, des groupes de discussions, des consultations cliniques, ainsi que des formations spécialisées en violence conjugale dans un contexte de médiation familiale. En effet, les participants précisent que la médiation familiale en présence de violence conjugale devrait être un champ de pratique dans lequel on doit se spécialiser pour intervenir. Cette position fait écho à celle d’Erickson et McKnight (1990), qui soutiennent que la médiation familiale dans ce contexte peut être possible si c’est un médiateur d’expérience spécialisé en violence conjugale qui gère le dossier. J’abonde dans le même sens que les médiateurs rencontrés, et qu’Erickson et McKnight (1990) à cet effet.

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Ils proposent également d’être mieux formés sur les techniques et les stratégies pour mobiliser les parents vers le changement (par exemple, comment mobiliser la personne violente et la personne violentée pour qu’elles aillent chercher de l’aide). De plus, ils conseillent de faire l’ajout de formations à l’égard des habiletés de négociation et de communication pour les parents.