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CHAPITRE II LES RÉBELLIONS DE 1837-1838 : UN MOUVEMENT COMMUN

2.2 Origines et significations

2.2.2 Origins : lutte de classe, tensions ethniques et révolution

Origins consacre un chapitre entier au thème des Rébellions au Bas-Canada, sans que les événements dans le Haut-Canada ne soient abordés. En plus des insurrections de 1837-1838 qui en constituent l’objet central, le chapitre comprend une longue mise en contexte couvrant l’évolution des conditions socio-économiques et politiques dans la colonie du

21 Ibid., p. 285. 22 Ibid., p. 286-287.

61 Bas-Canada, où les auteurs mettent l'emphase sur la lutte de classes et les tensions ethniques. Bien qu’Origins traite des soulèvements dans les Canadas de manière séparée, les auteurs vont tout de même les introduire comme un événement singulier, avec en son cœur une lutte pour l’instauration de principes démocratiques et républicains : « The Canadas went from having their British character reinforced with the coming of the loyalists to launching their own rebellions against British rule; from fighting off an American invasion to advocating the revolutionary ideals of democracy and republicanism in their own struggles. » Les Rébellions du Bas-Canada apparaissent initialement comme le combat du peuple qui se soulève contre les abus d’un gouvernement colonial composé d’élites : « The people of Lower Canada ("obedient peasants," as they were characterized by Quebec's military governors) found their voices and stood up to the abuses of the colonial government and the elites ». Les habitants trouvent leur voix chez les Patriotes, qui « shouted revolutionary rhetoric at mass meetings, laid plans to overthrow their British rulers, and took up arms »23. Déjà, on peut voir que, dans une certaine mesure, à l’instar de CH et de HCP, le paradigme interprétatif à travers lequel les Rébellions sont comprises dans Origins insiste sur leur caractère fondamentalement républicain et même révolutionnaire. Malgré certains écarts, le déroulement du récit est pour le reste assez semblable dans les trois ouvrages. Les auteurs mettent en évidence le processus de radicalisation qui s’amorce à partir du rejet des 92 résolutions pour ultimement basculer dans une crise révolutionnaire où le combat n’est plus seulement celui des Patriotes, mais celui aussi des masses populaires qui vont aspirer à l’indépendance politique24.

En ce qui concerne les causes des Rébellions, les auteurs soutiennent qu’elles sont dues au fond à un échec de la Grande-Bretagne dans sa gestion des affaires coloniales. Afin de récompenser les loyalistes, « the British failed to check the growing influence of the elite », ce qui conduit au développement de cliques oligarchiques. Avec l’arrivée massive des loyalistes, un profond sentiment conservateur et anti-américain s’installe. Il en résulte que le conseil exécutif se trouve foncièrement hostile à tout ce qui est républicain, libéral ou démocratique. Les auteurs vont même jusqu’à qualifier le gouvernement colonial de

23 Origins, op. cit., p. 281. 24 Ibid., p. 298.

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répressif et tyrannique : « The colonists in Lower Canada found themselves governed by a repressive and even tyrannical regime »25. De la sorte, à la source des soulèvements se

trouve une crise du régime colonial, les patriotes en arrivant à combattre la tyrannie de la clique oligarchique au pouvoir au nom de la nation canadienne-française. Dès le début du XIXe siècle, le climat politique sous le « reign of terror » de James Craig est on ne peut plus tendu et imprégné d’une animosité prononcée entre anglophones et Canadiens26.

La division et les tensions ethniques qui se manifestent au Bas-Canada à l’époque forment une composante centrale autour duquel se déploie le récit d’Origins. Cela explique d’ailleurs pourquoi les Rébellions du Bas-Canada furent plus violentes et répandues que celles du Haut-Canada. Ces tensions existaient d’abord sur le plan politique : « The struggle pitted the English-Protestants against the French-Catholics, since Lower Canada's English minority dominated the Executive Council and the Assembly represented the French majority » ; mais elles se manifestaient aussi sur le plan économique. En effet, le texte met en avant une lutte de classes opposant les paysans franco-catholiques à la classe marchande anglo-protestante : « Because the British controlled trade and the French dominated farming, agriculture was arrayed against commerce, Catholic against Protestant27 ». Ce

n’est pas là toute l’extension de cette dichotomie, qui s’était aussi installée en milieu urbain : « While the poor lived in squalor, seigneurial rents and dues brought Grant and succeeding owners of St. Roch substantial profits. Class antagonism increased and, because the upper classes were often British, took on an ethnic character28. » Pour ce qui est de la participation populaire à la Rébellion des patriotes, les auteurs présentent d’abord l’interprétation voulant qu’une crise agraire dans les années 1830 et les difficultés économiques dans les campagnes aient mené plusieurs fermiers à supporter les patriotes en

25 Ibid., p. 294.

26 « Relations between the Assembly and the governor deteriorated further during the mandate of Sir James

Craig (1807-11). In the face of Le Canadien's vitriolic attacks on the beneficiaries of patronage and government land policies, and influenced by advisers such as the anti-Catholic Herman Ryland, Craig embarked upon a "reign of terror." […] For Governor Craig, the problem in Lower Canada was not a struggle for responsible government; it was a struggle between the French-Catholics and English-Protestants. As a long-term solution to the problem, he recommended assimilation through a union of the provinces, large-scale British immigration, the subordination of the Catholic Church, and the abolition of "the representative part of government." Craig left the province, to the relief of the French-Canadian populace. » Ibid., p. 295.

27 Ibid., p. 294. 28 Ibid., p. 284.

63 1837. Par ailleurs, Origins mentionne aussi l’interprétation plus récente d’Allan Greer soutenant que « by the mid-1830s, as most seigneurs rallied to the colonial government and the habitants increasingly criticized seigneurial privilege, the conflict between seigneurs and habitants deepened. For Greer, this conflict played "a major part" in the outbreak of the rebellions. »29 Bien que les auteurs ne tranchent pas sur l’explication à donner concernant les milieux ruraux, il demeure qu'à l'instar de HCP et de CH, la notion de participation des masses paysannes aux insurrections constitue un élément central du récit.