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CHAPITRE II LES RÉBELLIONS DE 1837-1838 : UN MOUVEMENT COMMUN

2.3. La représentation des Patriotes

2.3.5 Narrating a Nation : de loyaux nationalistes

En ce qui touche à la représentation du chef patriote, Narrating a Nation brosse d’abord le portrait traditionnel de Papineau que l’on trouve dans tous les ouvrages analysés : l’homme est politiquement progressiste, socialement conservateur et cherche à maintenir les

53 Ibid., p. 239. 54 Ibid., p. 257.

55 « Unfortunately for the rebels in both Upper and Lower Canada, their self-declared leaders had fairly

narrow agendas for political change. Without plans for wide-ranging social and economic reconstruction, they sought little more than to replace the existing elites with themselves. Neither Papineau nor Mackenzie had any practical notion of how to turn a spontaneous uprising into an organized rebellion. Nor did either grasp the nature of the rural discontent. In Lower Canada the Patriote leaders considered their cause to be in the best interests of the French Canadian 'nation'; but they were not truly committed revolutionaries, prepared to suffer and die for their beliefs. They were simply liberals. » Ibid., p. 258-259.

56 Ibid., p. 259. 57 Ibid., p. 242. 58 Ibid., p. 258.

73 institutions traditionnelles du Canada français. Comme pour les autres Canadiens provenant de la classe moyenne, Papineau avait tourné ses ambitions vers la politique, le commerce étant l’apanage de la minorité anglophone. Éloquent politicien, il prit les armes en 1812 pour défendre la colonie contre l’envahisseur américain. En prenant soin d’établir la figure de Papineau comme un loyal sujet britannique, Messamore réaffirme son propos selon lequel les Patriotes ne se soulevaient pas contre l’autorité de la couronne, mais contre la mauvaise gestion des affaires coloniales. Ils n'étaient pas des révolutionnaires, mais des réformistes : « [his] military service to Britain reveals that Papineau's later opposition was motivated by resentment at perceived British misrule, not the authority of the Crown in and of itself. Papineau – like Pierre Bedard – ascribed many positive advantages to British rule. » Poursuivant sur cette voie, l’auteure procède à l’énumération des « benefits of British rule » soulevés par Papineau lui-même, bénéfices dont le point culminant était la représentativité du gouvernement, de même que « "the right to obey no other laws than those of our own making and choice, expressed through our representatives."»59 Bien que les Patriotes fussent aussi des nationalistes, ils poursuivaient, tout comme les politiciens radicaux du Haut-Canada, une quête pour les réformes constitutionnelles en accord avec le modèle de gouvernement britannique60. Devant l’intransigeance de la Couronne à adopter

les réformes nécessaires, Papineau et les Patriotes se tournent toutefois vers le républicanisme américain comme modèle à imiter. Ils manifesteront leur admiration au régime lors de la rédaction des 92 résolutions.

Messamore adopte un ton assez favorable envers Nelson et les rebelles ayant combattu à Saint-Denis, qu’elle présente comme des hommes d’action courageux : « Nelson's rebel forces at Saint-Denis learned that British troops under Colonel Charles Gore were marching against them on the morning of November 23, and bravely prepared to defend their position. »61 Au final, elle jette un regard généralement positif sur les rebelles, décrivant leur combat comme la première étape vers l’instauration du système politique actuel,

59 Narrating a Nation, op. cit., p. 284. 60 Ibid., p. 286.

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reprenant du coup l’interprétation et la vision de DeCelles, qu’elle cite d'ailleurs dans le texte62.

En plus de la lutte pour les réformes politiques qui vont mener à l’établissement du principe de responsabilité ministérielle, Norman Knowles (auteur du chapitre A Contest of Identities) est le seul auteur qui attribue sans ambiguïté un caractère ethnique au nationalisme des patriotes. Il souligne que c’est avec Pierre Bédard et le Parti Canadien que débute vers 1806 « the intermingling of ethnic nationalist aspirations with the drive for constitutional reforms63». Alors que, dans CH, le nationalisme dont on parle est civique, républicain et inclusif, celui de Narrating a Nation semble reposer sur les concepts d’ethnicité et de survivance culturelle. Dès le début du XIXe siècle, l’affirmation nationale

et identitaire des Canadiens devient un thème récurrent dans le manuel. Comme il est mentionné à plusieurs reprises dans le texte, c’est au travers du journal Le Canadien que les Canadiens français vont affirmer leur identité nationale et leur détermination d'assurer leur survivance64.

Le thème de l’affirmation nationale est encore une fois accentué par cette citation du gouverneur James Craig qui semble inquiété par les propos nationalistes des membres du Parti Canadien : « "Indeed, it seems to be a favourite object with them to be considered as [a] separate Nation; la Nation Canadienne is their constant expression". »65 Cependant,

bien que le récit soulève constamment cette notion de développement d’un nationalisme

62 Jean-Paul Bernard à propos de la biographie de Papineau rédigée par A. DeCelles : « Papineau, écrit-il dès

la page inaugurale, c’est la lutte du sujet britannique de nationalité française, obstiné à réclamer les droits que comporte cette qualité, combattant l’Angleterre avec ses propres doctrines… ». On remarquera, dans la formule, l’évocation de l’appartenance nationale et celle des libertés politiques britanniques. Papineau aurait eu le double mérite de contribuer largement aux bienfaits de la conquête de la « responsabilité des ministres […] instrument de gouvernement merveilleux » et d’incarner après 1820 « toutes les revendications des Canadiens dans un moment où leur existence national court un grand danger ». Jean-Paul Bernand, op. cit., p. 32.

63 Narrating a Nation., p. 214.

64 « Under its title, Le Canadien proudly bore its nationalist slogan : "Notre foi, notre langue, nos institutions"

(Our faith, our language, our institutions). The Roman Catholic religion, the French language, and such distinctive French-Canadian institutions as the civil law and seigneurial system were seen as essential bulwarks of French-Canadian cultural survival. The cause of political reform in Lower Canada was thus intermixed with ethnic grievances. In the context of Britain's war with Revolutionary France, advocacy for the rights of French-Canadian nation hood seemed potentially seditious in the eyes of the new governor, Sir James Craig, who arrived in Lower Canada in 1807 ». Ibid.

75 canadien-français au début du XIXe siècle, il demeure que les politiciens nationalistes, au

dire de Knowles, n’en ont point contre les institutions et le régime britanniques : « [Pierre Bédard] found much to admire in the Constitutional Act of 1791, recognizing that the British system offered considerably more liberty than under the French regime. »66

La dualité canadienne se manifeste à nouveau dans le chapitre sur les Rébellions lorsque Messamore, en référence au projet d’union des Canadas promu par la classe marchande anglophone en 1822, choisi d’y glisser cette citation d'Alexis de Tocqueville face à la situation au Bas-Canada, où l’historien français évoque les tensions nationales :

He noted that while the French showed every sign of being a conquered people, subject to commercial and political domination by the English, he expected that this would not long be the case. He observed that the 1822 plan for union was "designed completely to break up the French Canadian nation, so the whole people rose at once and it is from that time that it knows its strength." French and English can never merge, he predicted, nor could "an indissoluble union ... exists between them."67

S’ajoute à ceci la reprise par les Patriotes de la fête catholique de la Saint-Jean Baptiste pour en faire le symbole de l’identité canadienne-française. Comme nous l’avons soulevé, les auteurs de CAH écrivent que, dans les années 1830, la fête du 24 juin portait sur le thème de la souveraineté populaire. Elle s'était vue investie d'une qualité fondamentalement démocratique tout en étant lié au nationalisme canadien-français qui demeurait civique et inclusif. Or, Messamore n'invoque que le caractère nationaliste de la fête, affirmant que « A new organization, the Saint Jean-Baptiste Society, formed in 1834, symbolized the growing national consciousness of Lower Canada's patriotes. »68 Elle poursuit en soulignant que la Saint-Jean « became less important after the conquest, but Ludger Duvernay, patriote and publisher of La Minerve, resurrected it in 1834, seeing in it an opportunity to celebrate French Canada's growing cultural identity and to rally support to the patriote cause. »69

À cet égard, le bref passage biographique sur John Neilson vient réaffirmer la notion voulant que la lutte pour la survivance culturelle ait été une préoccupation réelle inscrite dans l’agenda patriote : « John Neilson exemplifies the fact that not all reformers in Lower

66 Ibid., p. 214. 67 Ibid., p. 286. 68 Ibid., p. 292. 69 Ibid., p. 293.

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Canada were French Canadian: some did not see the struggle primarily in terms of cultural survival70». Messamore tend à désigner ce nationalisme comme culturel et va jusqu'à

soutenir que les symboles nationaux adoptés par la société St-Jean Baptiste en viendront à faire partie de l’identité et de l’héritage commun du Canada contemporain : « many of Canada's earliest cultural symbols were adopted by the society, including the maple leaf. »71 Elle ajoute que Neilson « married a French-Canadian woman, and spoke French as comfortably as he did his own native tongue. Neilson and his wife had 10 children, and reached a very Canadian sort of compromise: their sons would be raised as Presbyterian, their daughters as Roman Catholic. »72 Ici encore, elle remet en avant l’aspect dualiste du Canada qui semble être un thème récurrent dans Narrating a Nation, du moins pour la période qui s’étend de 1760 à 1848.

L'historienne vient finalement enchâsser la représentation des patriotes comme symbole national de résistance du Canada français, notamment dans l’évocation de la mort d’Olivier Chénier à la bataille de St-Eustache : « Chenier's heroic death lent an iconic image to the cause of French-Canadian resistance, a much-needed martyr. »73 Messamore rattache aussi le nationalisme des hommes de 1837 a celui des nationalistes radicaux des années 1970 en soulevant la reprise des patriotes comme symbole du Front de Libération du Québec :

More than a century later, the Front de Liberation du Quebec, or FLQ, who attempted to secure Quebec independence and a Marxist revolution through terrorist activities in 1970, adopted the symbols of the rebellion. A sector of their organization was named the Chenier cell, and the publicized FLQ manifesto was illustrated with an image of an armed 1837 patriote74.

En somme, à travers la quête commune des politiciens radicaux des deux Canadas pour des réformes constitutionnelles visant à instaurer la responsabilité ministérielle, essence même du mode de gouvernement britannique, Narrating a Nation reprend sensiblement l’interprétation canadienne-anglaise traditionnelle. Cependant, alors que, selon Jean-Paul Bernard, le nationalisme des patriotes a tendance à poser le problème et se trouve le plus souvent marginalisé, il apparaît au cœur même du récit des Rébellions du Bas-Canada mis en avant dans le manuel. Les patriotes de Narrating a Nation sont bien déterminés à assurer 70 Ibid., p. 285. 71 Ibid., p. 293. 72 Ibid., p. 285. 73 Ibid., p. 305. 74 Ibid.

77 la survivance culturelle du Canada français dont ils croient l'existence menacée par le gouvernement colonial.