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4.5 Synthèses des ligands carboxyliques

5.1.1 Origines des propriétés photophysiques

L’étude des propriétés photo-induites des complexes polypyridiniques du ruthénium a permis d’approfondir la compréhension des processus de transfert d’énergie et d’électrons au sein de telles structures [112, 398, 441]. La théorie des orbitales moléculaires permet d’expliquer la structure électronique et la nature des transitions électroniques des complexes polypyridiniques du Ru(II). Les orbitales des complexes sont résolues par combinaison li-néaire des orbitales atomiques s,p,d du ruthénium et des orbitales moléculairesσ etπ des ligands polypyridiniques. La figure 5.1 illustre la configuration électronique d’un complexe octaédrique du Ru(II). Pour des raisons de simplicité, certaines orbitales ont été regroupées sous un seul trait.

La figure 5.1 met également en évidence la nature des transitions électroniques habituel-lement observées en spectroscopie électronique d’absorption UV-Vis. Les complexes poly-pyridiniques des métaux de transition peuvent présenter quatre types de transitions :

– Transitions centrées sur le métal : MC (Métal Centered) dπRu→dσRu .

Egalement appelées transition d-d, elles s’opèrent entre les orbitales dπRuet dσRu cen-trées sur le métal. Interdites pour des raisons de symétrie, les bandes d’absorption correspondantes sont rarement observées (ε allant de 1 à 150 M1cm1pour les

com-5.1 Introduction aux complexes polypyridiniques du ruthénium 91 π*L dπRu Ru RuL6 L p s d dσ∗ Ru πL σL dσ∗ Ru π σ π* MC LC MLCT LMCT Energie

Figure 5.1 : Représentation schématique des niveaux énergé-tiques dans un complexe octahédrique du Ru(II). Les flèches in-diquent quatre types de transitions électroniques localisées sur les orbitales moléculaires : centrée sur le métal (MC) ; transfert de charge ligand-vers-métal (LMCT) ; transfert de charge métal-vers-ligand (MLCT) et centrée sur le ligand (LC).

plexes octaédriques et pouvant atteindre 103M1cm1pour des systèmes non centro-symétriques).

– Transitions de transfert de charge métal vers ligand : MLCT (Metal to Ligand Charge Transfert) dπRu→πL.

Ces transitions impliquent un transfert d’électrons des orbitales dπRu centrées sur le métal vers les orbitales anti-liantesπL des ligands. Les transitions MLCT sont habi-tuellement observées dans le domaine visible du spectre d’absorption et se présentent sous forme de bandes mal résolues en raison de la superposition des transitions vers différentes orbitales πL des ligands. Les coefficients d’extinction molaires associés à ces transitions sont en général de l’ordre de 104M1cm1.

– Transitions de transfert de charge ligand vers métal : LMCT (Ligand to Metal Charge Transfert)πL→dσRu .

Les transitions LMCT sont en général observées en présence de ligands réducteurs tels que I, Br et Cl.

– Transitions centrées sur les ligands : LC (Ligand Centered)πL→πL.

Souvent qualifiées de transitions "intra-ligand", elles s’opèrent entre les orbitales lian-tesπLet les orbitales anti-liantesπLd’un ligand. Ces orbitales ne sont que peu affectées par la complexation avec le ruthénium et sont donc souvent comparables aux bandes d’absorption des ligands seuls. Les transitions intra-ligands polypyridiniques sont tou-jours permises et sont généralement observées entre 200 et 300 nm avec un coefficient d’extinction molaire très élevé de l’ordre de 106M1cm1.

Dans les complexes polypyridiniques du Ru(II), les orbitales dπRu centrées sur le métal sont les orbitales moléculaires les plus hautes occupées (HOMO). L’orbitale vacante de plus basse énergie (LUMO) correspond quant à elle à une orbitale anti-lianteπ* vacante centrée sur un ligand [112]. Par conséquent, la transition électronique de plus faible énergie est un transfert de charge métal-vers-ligand (MLCT) entre les niveaux énergétiques de ces deux orbitales frontières, et peut être assimilée à une oxydation du centre métallique simultanée à la réduction du ligand [398, 400].

L’absorption d’un photon conduit à l’état excité singulet 1MLCT interconverti rapide-ment par croiserapide-ment inter-systèmes (kcis) en un état triplet3MLCT (fig. 5.2). La désactivation de l’état excité3MLCT peut alors se dérouler suivant principalement deux processus :

3MLCT 1MLCT CT (λabs, ε) em, ϕem,τ) kr knr fondamental Energie kcis

Figure 5.2 : Représentation schématique des niveaux éner-gétiques fondamental et excités, des processus d’activa-tion/désactivation dans un complexe polypyrdidyl du Ru(II). La flèche crénelée représente le processus non-radiatif.

– Désactivation radiative (kr).

Le processus de désactivation radiative ne contribue en général que de façon minori-taire à la désactivation de l’état excité. Cependant ce processus permet de caractériser plus facilement l’état excité grâce à la spectroscopie électronique d’émission.

– Désactivation non-radiative (knr).

Le processus de désactivation non-radiative est en revanche le phénomène de désacti-vation de l’état excité le plus important.

La stabilisation de l’état excité, et donc l’abaissement du niveau d’énergie de l’orbitale LUMO (centrée sur le ligand), peut être modulée par une augmentation de la délocalisa-tion électronique via les orbitalesπ-liantes du ligand et son effet électro-attracteur [442]. A l’inverse, la déstabilisation de l’état fondamental, et donc l’élévation du niveau d’énergie de l’orbitale HOMO (centrée sur le métal), peut être induite par l’augmentation de la densité de charge du ruthénium via un effet électronique σ-donneur des atomes d’azotes coordinants présents sur les ligands. Ces deux stratégies permettent de varier ou d’ajuster la transition

5.1 Introduction aux complexes polypyridiniques du ruthénium 93

électronique MLCT [443]. Pour une application photovoltaïque, il est impératif d’avoir la couverture la plus large du spectre solaire (fig. 1.4 p. 3). Les connaissances actuelles concer-nant la préparation de ces complexes couplées à la compréhension de leur structure électro-nique permettent désormais de prédire l’effet des modulations synthétiques sur les propriétés photophysiques (fig. 5.3) [112, 121, 444, 445]. La stratégie "push-pull" consiste à conjuguer dans un même complexe l’effet électro-donneur d’un premier groupe de ligands pour élever le niveau énergétique de l’orbitale HOMO ("push") et l’effet électro-attracteur d’un second groupe de ligands pour abaisser le niveau énergétique de la LUMO ("pull") [443].

LUMO HOMO ligands électro-attracteurs, délocalisation électronique ligands électro-donneurs ∆E

Figure 5.3 :Représentation schématique de l’ajustement des ni-veaux d’énergie dans un complexe polypyridiniques du Ru(II).

Les potentialités de cet ajustement ont été clairement démontrées avec des complexes bis-hétéroleptiques [112, 446–451] et des complexes tris-bis-hétéroleptiques [405, 452–454] dans lesquels deux ou trois ligands différents sont incorporés dans un seul composé afin d’élargir l’enveloppe des bandes d’absorption MLCT. Les applications photovoltaïques et photocata-lytiques ont conduit à des stratégies d’optimisation des différentes propriétés par des choix judicieux des ligands. En effet, l’incorporation de trois ligands différents avec des niveaux énergétiques π* distincts dans les complexes hétéroleptiques permet le recouvrement des absorptions correspondantes aux transitions MLCT du niveau dπRu vers les niveaux πL de chacun des ligands [405, 453]. On comprend alors que l’élaboration de tels composés peut permettre à certains complexes d’absorber la lumière dans la quasi totalité du spectre visible, on parle alors "d’absorbeurs noirs" [405, 407].

De nombreuses données expérimentales concernant l’énergie des maxima d’absorption, les potentiels d’oxydation du Ru(II) et de réduction du ligand sont disponibles pour divers complexes. Elles ont permis de mettre en évidence une relation linéaire entre l’énergie lu-mineuse requise pour induire la transition MLCT et la différence d’énergie entre les niveaux dπRu et le niveau πL le plus bas [39, 112, 453, 455–457]. Les données spectroscopiques et électrochimiques collectées sur de nombreux complexes polypyridiniques du ruthénium

ont permis de conclure que les potentiels de première oxydation et de première réduction sont de bons indicateurs des niveaux d’énergies HOMO et LUMO respectivement [398]. Par exemple, des corrélations ont été établies entre le premier potentiel de réduction et le ni-veau d’énergie de la plus basse orbitaleπLdes ligands polypyridines (LUMO) et également entre le premier potentiel d’oxydation et l’énergie de l’orbitale dπRula plus haute du centre métallique (HOMO).

Les études photodynamiques suggèrent que l’électron photo-excité est localisé sur le li-gand de plus basse énergie sur une durée assez longue (> nanoseconde) [458–462] et que l’évolution de l’état excité, de[Ru(bpy)3]2+par exemple, se déroule sur une durée de l’ordre de 100 fs [463]. Parallèlement, d’autres travaux ont indiqué une durée comparable pour l’in-jection d’électrons d’un colorant à base de ruthénium vers une couche de TiO2[464–467].

La dépendance des propriétés de l’état excité des complexes du Ru(II) en fonction de l’environnement de ligands est désormais bien établie [468]. Cependant, la plupart des études se sont cantonnées aux complexes homoleptiques [Ru(L)3]2+ et bis-hétéroleptiques

[Ru(L)2(L0)]2+(L,L’ = ligands bidentates) et[Ru(L)2X2](X = halogène ou pseudo-halogène) [112, 400, 417, 469]. Ce n’est que récemment que des avancées ont été apportées concernant la séparation des isomères stéréochimiques et géométriques de complexes mono- et polynu-cléaires du Ru(II). Ceci a permis une étude détaillée de l’effet des caractéristiques structu-relles des isomères sur les propriétés spectroscopiques, photophysiques et électrochimiques [470–477]. L’obtention de complexes polypyridiniques du ruthénium(II) ayant des proprié-tés modulables a donc nécessité de mettre au point des méthodes de synthèses flexibles et reproductibles.

Plus de 7000 publications concernant les complexes polypyridiniques du Ru(II) sont dis-ponibles à ce jour, avec une majorité parues au cours de cette dernière décennie. Les avancées réalisées dans ce domaine permettent désormais d’envisager la synthèse de complexes ayant une plus grande diversité de ligands et par conséquent des propriétés plus modulables.