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Origine de l’emprunt de la métaphore de la viralité : création de la notion de

Partie 1 – Ancrage théorique

2. La viralité

2.1. Origine de l’emprunt de la métaphore de la viralité : création de la notion de

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« […] la clé du succès d’une publicité virale est pour les diffuseurs de percevoir la valeur du partage sans ressentir qu’ils sont exploités par les entreprises (Dobele et al., 2005). »28 (Huang, 2013, p. 39).

Rayport (1996) est le premier à avoir employé la métaphore virale appliquée au domaine du marketing, on parle alors de marketing viral ou de v-marketing. Cet usage s’étendra plus tard à la caractérisation d’autres contenus – dont les publicités – qui observent un mode de diffusion particulier, celui qui fait l’objet de ce travail. Aussi il nous importe de comprendre les motivations et les raisons à l’origine du recours à cette métaphore. Dans cette partie nous nous attacherons à les extraire de l’étude de l’article de Rayport (1996) (annexes 2 et 3) où, pour la première fois, il est fait mention de la métaphore virale appliquée à un contenu marketing.

Les premiers arguments qu’il avance pour justifier la comparaison aux virus biologiques sont la vitesse de propagation élevée de « l’infection » et les moyens minimum pour arriver à des effets maximums. Cette « optimisation du rendement de la contamination » qui correspond aux attentes de tous les marketeurs fonde l’argument principal qui justifie selon lui le recours à la métaphore épidémiologique. L’argument suivant est l’autosuffisance des virus à se perpétuer et à se propager.

Rayport (1996) reconnaît toutefois le caractère effrayant, détestable et menaçant des virus organiques. Mais selon lui les marketeurs devraient tirer des leçons de leur formidable capacité à se répandre et à se faire connaître sans aide extérieure. Dans son article il développe une suite d’arguments et de recommandations pour que les marketeurs, dans

28 « […] the key to the success of viral advertising is for senders to perceive the value of sharing without

feeling that they have been taken advantage of by the merchants (Dobele et al., 2005). » (Huang et al.,

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leurs stratégies, adoptent le comportement des virus afin d’obtenir la même efficacité. Ces arguments et ces recommandations se déclinent en six catégories.

La première catégorie préconise la discrétion. Plutôt que d’augmenter le volume de messages publicitaires pour « rentrer dans la tête » du consommateur, Rayport (1996) conseille de déguiser ses intentions. Il cite en exemple la campagne de Mountain Dew (de

PepsiCola) qui permettait aux consommateurs de gagner un bipeur Motorola, sachant que Mountain Dew se réservait le droit par la suite de bipper de façon hebdomadaire leurs

clients avec des messages publicitaires relatifs à la marque. Ainsi, le consommateur avait la satisfaction d’avoir remporté un gadget, et la marque possédait un nouveau vecteur publicitaire.

La deuxième catégorie recommande la patience, corollaire de la discrétion. La clé pour être « accepté » est donc de savoir attendre avant de dévoiler ses intentions véritables. L’exemple pour appuyer cet argument est la campagne Quickenrogram d’Intuit avec son message basique : commandez le produit et ne payez rien. Si vous n’êtes pas productif dans les huit minutes après ouverture de la boîte, déchirez la facture. Finalement, le logiciel s’est révélé être indispensable et a occupé 70 % des parts de marché global dans les logiciels de management financier personnel avec des frais minimums pour le marketing traditionnel ou la vente. Plus une base installée pour diriger les ventes plus chères des produits secondaires comme les vérifications et mises à jour29.

29 Cette dernière recommandation est massivement utilisée dans l’industrie vidéoludique sous le format des

jeux free-to-play – à l’inverse des pay-to-play – où le jeu en soi est gratuit mais où il est proposé des micropaiements (donc gratuit avec options d’achats) via une boutique virtuelle pour étendre l’expérience du joueur en jeu (abonnements à des comptes premium, achats d’objets virtuels, etc.).

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Dans la troisième catégorie, Rayport (1996) conseille aux v-marketeurs potentiels (pratiquants du marketing viral) de s’en remettre aux comportements à « haute fréquence » (interaction sociale, email, Websurfing) de la communauté cible pour porter le message au sein de nouveaux territoires. Pour arriver à une telle situation où personne ne dirige la campagne, il faut rendre le message suffisamment séduisant pour en faire un intérêt profond pour la cible. Rayport (1996) avance l’exemple des actions Iomega et

Presstek qui ont connu une forte augmentation de leur valeur une fois que des membres

clés d’un forum en ont vanté les mérites.

Dans la quatrième catégorie il est question de mimétisme. Selon l’auteur, pour éviter le rejet de la part du consommateur, il faut que le message lui ressemble, tout comme les virus imitent le matériel génétique de l’organisme hôte pour ne pas en être chassé. Le « Just do it » de Nike serait le meilleur exemple qui illustre cette recommandation. L’omniprésence de cette signature dans les publicités de Nike en a fait un élément de la culture populaire américaine. Résultat, à chaque fois que cette phrase est citée dans un film ou autre, il y a promotion des produits Nike.

La cinquième catégorie recommande d’exploiter les liens sociaux faibles. L’auteur indique que les sociologues ont démontré que les individus avec beaucoup de connexions sociales occasionnelles ont une influence plus large que les individus avec moins de connexions mêmes fortes. De la même manière, les virus exploitent l’environnement social des individus et leurs contacts pour se répandre et se transformer en épidémie. Des marques comme Tupperware ont développé leur stratégie en trouvant des individus qui possèdent des facilités pour établir de nombreux liens sociaux faibles. Cette personne organisera des réunions chez elle financées par la marque. L’aspect informel et non- commercial de la réunion établit ainsi une ambiance conviviale.

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La sixième catégorie traite du « point de bascule » 30. Il s’agit d’un seuil à atteindre avant d’être renommé et diffusé à grande échelle, voire d’être autosuffisant. Le point de bascule est un point dans le temps – comme un seuil – où un groupe, ou de nombreuses personnes, changent rapidement et radicalement leur comportement en adoptant une pratique qui était auparavant rare. Cette notion de sociologie est pour la première fois abordée par Morton Grodzins (1966) pour être répandue par le prix Nobel Thomas Schelling (1971) et reprise ensuite par Malcolm Gladwell (2012). Dans son étude, Thomas Schelling (1971) découvre que la plupart des familles blanches restaient dans un quartier tant que le nombre de familles noires habitant le même quartier restait bas (dépend du nombre de départ). Cependant, à partir d’un certain seuil où le nombre de familles noires augmentait trop, les familles blanches déménageaient en masse. Ce moment est le « tipping point ». Depuis, cette notion s’est étendue à d’autres domaines : économie, épidémiologie, écologie, etc. Rayport (1996) cite en exemple Microsoft qui a attendu une décennie avant que son système d’exploitation Windows soit un incontournable. CNN aurait connu la même situation. La chaîne n’était pas crédible jusqu’à ce qu’elle relaye l’information à tout le monde via son 24-hours network.

30 Selon Gladwell (2012), le « point de bascule » ou « tipping point » répond à trois règles :

- Les déclencheurs ou la law of the few : « Le principe 80/20, souvent évoqué par les économistes, signifie

que, dans toute situation, environ 80 % du « travail » est accompli par 20 % des protagonistes. […]. Dans le cas des épidémies cependant, cette proportion est encore accentuée : un infime pourcentage des intervenants fait la plus grande partie du travail. » (Gladwell, 2012, pp. 24-25).

- Le principe d’adhérence : il s’agit de la capacité d’un message à avoir un impact sur la mémoire (rester mémorable).

- Le contexte : « La carte de Zenilman démontre qu’une épidémie est fortement influencée par son contexte,

soit les circonstances, les conditions et les particularités du milieu où elle évolue. Si cette loi est assez évidente, sa portée l’est moins. Or ce ne sont pas seulement des facteurs prosaïques, telle la température, qui agissent sur le comportement ; celui-ci peut être modifié par des éléments beaucoup plus subtiles et inattendus. » (Gladwell, 2012, pp. 31-32).

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Rayport (1996) conclut en prévoyant que même si la métaphore virale est désagréable et improbable elle finira par s’imposer et être acceptée. Le temps lui aura donné raison.

« Comme un virus, l’information à propos de l’entreprise et le message sur sa marque, ses biens, ou services est répandue auprès d’acheteurs potentiels, qui diffusent l’information auprès d’autres acheteurs potentiels de telle sorte qu’un énorme réseau est rapidement créé (Dobele et al., 2005 ; Lindgreen et al., 2005). Le marketing viral a obtenu une popularité immense avec l’introduction des médias numériques, puisque ces dispositifs facilitent radicalement les interconnexions entre les entreprises et les acheteurs potentiels (De Bruyn et al., 2004 ; Gruen et al., 2006). »31 (Dobele et al., 2007, pp. 291-292).

2.2. Métaphore de la viralité : un emprunt à l’épidémiologie et la