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Métaphore de la viralité : un emprunt à l’épidémiologie et la virologie

Partie 1 – Ancrage théorique

2. La viralité

2.2. Métaphore de la viralité : un emprunt à l’épidémiologie et la virologie

« Les idées, les produits, les messages et les comportements se propagent exactement comme des virus. » (Gladwell, 2012, p. 12).

31 « Like a virus, information about the company and its brand message, goods, or services is spread to

potential buyers, who then pass the information along to other potential buyers such that a huge network is created rapidly (Dobele, Toleman, & Beverland, 2005; Lindgreen & Vanhamme, 2005). Viral marketing has gained tremendous popularity with the introduction of electronic media, as these outlets dramatically facilitate interconnections between companies and potential buyers (De Bruyn & Lilien, 2004; Gruen, Osmonbekov, & Czaplewski, 2006). » (Dobele et al., 2007, pp. 291-292).

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« Depuis son adoption par le grand public dans la seconde moitié des années 1990, Internet est le lieu d’un phénomène récurrent : la diffusion rapide et imprévisible de certains contenus, écrits, enregistrements audio ou vidéo, présentations, sites Web, etc. Les métaphores de la viralité et de la contagion sont souvent mobilisées pour rendre compte de ces phénomènes […]. » (Beauvisage et al., 2011).

« L’évolution d’Internet a rendu le partage des contenus numériques comme les images, la musique, et les vidéos extrêmement facile. Certains de ces contenus sont en effet partagés si rapidement et massivement que leur diffusion à travers les réseaux sociaux ressemble à la propagation d’une pandémie. De telles diffusions massives de contenus sont alors qualifiées de virales. Les vidéos virales sont le plus remarquable exemple de ce phénomène. »32 (Kvasnička, 2014, p. 335).

Une métaphore est « une figure par laquelle on transporte [...] la signification propre

d’un mot à une autre signification qui ne lui convient qu’en vertu d’une comparaison qui est dans l’esprit » (Dumarsais, 1730, 1988, p. 135). Elle permet d’appréhender le réel et

d’en créer de nouvelles perceptions, l’accent est alors mis sur la valeur cognitive de la métaphore (Jamet, 2006). La métaphore est un procédé fréquemment utilisé en marketing. Précisons que nous parlons ici de marketing car l’origine de la métaphore de la viralité dans les mécaniques de diffusion et de communications interpersonnelles sur Internet trouve sa source dans une réappropriation de Rayport (1996) pour qualifier une pratique marketing. Elle ne découle donc pas d’une réflexion scientifique. Burcea (2013) dit de la métaphore qu’elle est utilisée de façon systématique dans le discours marketing et qu’elle

32 « The advance of the Internet has made sharing digital contents such as pictures, tunes, and videos

extremely easy. Some of these contents are indeed shared so fast and massively that their diffusion through social networks resembles a spread of a pandemic disease. Such massively spreading contents are then called viral. Viral videos are the most remarkable example of this phenomenon. » (Kvasnička, 2014, p.

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« joue un rôle essentiel dans la construction de la réalité économique propre au domaine du marketing » (Burcea, 2013). Cet usage systématique de la métaphore fait de la pratique

discursive du marketing « un domaine fertile pour les linguistes et chercheurs qui se

penchent sur le discours spécialisé. » (Burcea, 2013).

Le recours à la métaphore nous aide à mieux conceptualiser. En effet, si certains concepts peuvent être compris littéralement car faisant partie du domaine du concret, d’autres concepts plus abstraits nécessitent en revanche le recours à la métaphore (Lakoff et al., 1999). Tel est le cas du recours à la métaphore virale dont est à l’origine Rayport (1996), puisqu’en empruntant à un domaine concret, celui de la virologie, elle nous permet d’appréhender l’autre domaine d’expérience que sont les modes de diffusion sur Internet.

Un fait intéressant relevé par Sontag (1993), les métaphores liées à la maladie, comme c’est le cas ici, sont souvent de nature militaire et guerrière : on combat la maladie avec des défenses immunitaires, les virus sont considérés comme des envahisseurs (un exemple qui peut potentiellement nuire à la métaphore virale comme nous le verrons), etc. Il s’agit là d’une caractéristique partagée avec les métaphores utilisées dans le domaine du marketing et de la publicité, on y conquiert de nouveaux marchés avec des stratégies, etc. Quesnel (1963) fait le même constat de l’usage d’un champ lexical militaire. Ainsi, il nous livre la réflexion suivante : « quels sont les mots-clefs du

marketing ? « Conquête des marchés », « stratégie publicitaire », « attaque du public », « opération promotionnelle », publicité de « choc », argumentation « percutante », « force de vente », « commandos », « cible », « impact », etc.. Cette militarisation du vocabulaire révèle clairement une conception globale de la publicité en tant que « guerre psychologique ». Le « plan de campagne » a pour enjeu la capture du consommateur (le consommateur-roi !). L’annonceur dispose de stratèges : son état-major commercial, d’adversaires : ses concurrents, d’alliés : ses distributeurs, de bases opérationnelles : ses zones de fortes ventes, de troupes d’occupation : ses représentants, d’usines d’armement : son agence de publicité, et, parfois, d’armes secrètes. La métaphore est riche en développements « ad libitum ». (Quesnel, 1963, p. 102). Rayport (1996), nous l’avons

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compris, est dans le même état d’esprit, en ayant choisi la métaphore virale il fait référence à une sorte de guerre de l’ombre où le client est conquis sans qu’il ne s’en rende compte.

Le terme de viralité désigne à l’origine une interaction de transmission ou d’exposition involontaires et anarchiques par rapport à un virus. Cette définition diffère donc de la viralité dans le domaine des contenus viraux puisqu’elle implique, mais pas seulement, une notion de partage ou d’exposition volontaire de la part du public. De plus, ce qui fait l’objet du partage est connu par celui qui décide de le transmettre, il a été jugé digne d’intérêt et d’être partagé. Ces notions se rejoignent au niveau des statistiques de transmission et à leur vitesse de propagation. Pour Beauvisage et al. (2011), « le succès

en ligne a le caractère soudain, imprévisible et sans origine fixe de l’épidémie ; comme elle, il se diffuse le long des réseaux sociaux, contaminant les individus de proche en proche en suivant les liens du mail et de l’amitié en ligne. » (Beauvisage et al., 2011).

Bernard et al. (2001) expriment plus en détail cette comparaison avec le domaine de la virologie en ces termes : « commençons par la microbiologie. Un virus est une coquille

protéique qui contient des éléments génétiques. Un virus se sert de sa couverture protéique pour s’attacher à une cellule saine. Une fois qu’il est correctement installé, il injecte son code génétique, modifiant définitivement l’ADN de la cellule hôte. Un virus très efficace peut transformer la cellule hôte en une usine à répliquer le virus et à le propager aux autres cellules […] Ainsi, le marketing viral revient à créer des messages contenant des concepts appelés à être assimilés par les personnes en contact avec ces messages. Et il faut faire en sorte que ces messages soient suffisamment plaisants, attractifs, irrésistibles [compelling] pour que les personnes en question les fassent circuler à d’autres personnes. » (Bernard et al., 2001).

Toujours est-il que la métaphore virale est le point de départ d’analyses sur la diffusion de l’information (Hodas et al., 2013).

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« Les gens parlent des idées et des informations qui se répandent entre eux comme des virus, utilisant des phrases comme « contagion sociale », « idées contagieuses » et « contenu viral ». Cette métaphore biologique sert de point de départ pour de nombreuses analyses de la diffusion de l’information (Anagnostopoulos et al., 2008 ; Gruhl et al., 2004 ; Kempe et al., 2003 ; Newman, 2002). »33 (Hodas et al.,

2013).