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Partie 1 – Ancrage théorique

2. La viralité

2.8. Les contraintes cognitives comme limites de la viralité

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« De multiples facteurs troublent aujourd’hui la communication publicitaire : […] la saturation des messages promotionnels (grand public de moins en moins réceptif en raison du triple phénomène d’overdose, de lassitude et de rejet.) » (Lugrin, 2009,

pp. 193-194).

Hodas (2013) a mis en évidence les différences importantes et parfois surprenantes entre la diffusion de l’information et la diffusion de la maladie. D’un point de vue théorique, l’independent cascade model (ICM) est le modèle de contagion sociale le plus simple et le plus étudié. Il sert notamment de base aux modèles SIS et SIR dans le cas d’épidémies biologiques (Hethcote, 2000). Pour en revenir à l’ICM, celui-ci suppose que chaque exposition d’une personne saine (ou naïve) à une personne infectée (ou informée) amène à une chance de transmission indépendante (de la maladie ou de l’information). En conséquence, la probabilité qu’un individu sain soit infecté augmente de façon monotone76 avec le nombre d’expositions, pouvant causer une épidémie impliquant une fraction considérable de la population (Castellano et al., 2009 ; Satorras et al., 2001). Cependant, des études sur la diffusion de l’information dans les médias sociaux ont identifié des comportements sociaux qui diffèrent des prédictions du modèle ICM. Il se trouve que si au début les probabilités d’exposition à des contenus augmentent dans le cas de recommandations d’amis, etc., finalement, un trop plein d’expositions inhibe la volonté de s’exposer aux contenus et fatalement de les transmettre (Romero et al., 2011 ; Ver Steeg, 2011). Un certain nombre d’explications ont été avancées pour ce phénomène, incluant la complex contagion77 (Centola et al., 2007 ; Granovetter, 1983 ; Watts, 2002).

76 Ce sont les fonctions dont le sens de variation ne change pas. Une fonction monotone sur un intervalle

est une fonction qui reste croissante ou qui reste décroissante sur cet intervalle (Wikipédia : Fonction monotone).

77 La contagion complexe fait référence à un phénomène dans les réseaux sociaux dans lesquelles de

multiples sources d’exposition à une innovation sont requises avant qu’un individu adopte un changement de comportement (Wikipédia : Complex contagion).

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Dans le cas d’une contagion complexe, la probabilité d’adopter un comportement, ou une idée, varie avec l’étendue de l’exposition.

L’étude de Hodas (2013) – menée sur Twitter et Digg – démontre que les limites cognitives humaines et le nombre trop important d’informations diffusées par les contacts inhibent le partage de l’information. Ce qui est différent d’une contagion virale, puisque la diffusion du virus augmente avec les expositions car les virus agissent indépendamment. Dans le cas d’une diffusion d’information, les individus sont donc tellement submergés par les informations qu’ils seront moins susceptibles de repérer certains contenus en particulier. Aussi, à mesure que la visibilité d’une information décline, les individus feront moins d’efforts pour la trouver. L’exposition à une information dépend également du réseau d’un individu. Plus celui-ci aura de contacts, plus le volume d’informations sera élevé et moins ces informations seront visibles. Les individus hautement connectés sont donc de loin moins sensibles aux expositions uniques que ceux qui sont faiblement connectés (Hodas et al., 2012, 2013). Hong (2011) pense même que les individus avec peu de contacts peuvent subir une surcharge d’informations, cependant ce manque de connexions sociales peut leur faire rater des informations importantes. Suite à cette saturation, le cerveau repère donc, en faisant le tri, les contenus les plus populaires et ayant par conséquent la meilleure visibilité. Les contenus avec la meilleure visibilité sont ceux qui émettent des signaux sociaux forts comme l’adoption de l’information par les amis. Plus les individus prêtent attention à un contenu, plus celui sera populaire et sera diffusé rapidement, son exposition dans le média augmentera (Wu et al., 2007). Wu (2007) considère que la diffusion ainsi générée est contrebalancée par la nouveauté de l’information qui s’estompe et l’attention des individus qui va avec. Cela peut être dû à l’accoutumance ou la concurrence d’autres nouvelles histoires (Falkinger, 2007). En considérant les dynamiques de l’attention collective, il y a donc deux effets opposés : d’un côté la croissance du nombre d’individus qui font attention à une histoire donnée, et de l’autre côté l’accoutumance et la concurrence de la part d’autres histoires nouvelles qui rendent la même histoire moins attractive à mesure que le temps passe. Ce processus devient plus complexe dans le cas vraisemblable où de nombreux contenus ou histoires apparaissent en même temps, En effet, les individus ont le choix du contenu sur

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lequel leur attention limitée va se porter. Précisons que l’étude de Wu (2007) portait sur le réseau social Digg qui ne rafraîchi pas la position des contenus pour les remettre au sommet du flux d’actualités lorsque ceux-ci reçoivent une nouvelle recommandation (ce que fait Twitter). Cela a pour effet d’engendrer une perte de visibilité pour l’information malgré son potentiel social éventuel (Hodas, 2013). En revanche à partir d’un certain seuil de recommandations, les histoires peuvent finir en « couverture » du site. Mais là encore, cette page ne pouvant contenir qu’un nombre limité d’histoires se voit fréquemment mise à jour avec des contenus récents.

Les humains ont développé de larges cerveaux, en partie pour gérer les exigences mentales de la vie sociale (Dunbar, 2003 ; Silk, 2007).

Les travaux de Hodas (2013) mettent aussi en avant l’impact des contraintes cognitives sur le traitement de l’information dans les activités quotidiennes. Les contraintes cognitives imposées par les capacités limitées de notre cerveau à traiter l’information affectent le comportement social. Elles impactent aussi sur la façon qu’un individu aura de gérer le flux dynamique de l’information sur un média social. Les actes nécessitant de l’attention requièrent un effort mental, ce qui fait qu’ils réduisent la probabilité de réponse dans des conditions de surcharge informationnelle. Par conséquent, la viralité sera hautement dépendante des feed-back sociaux et des interfaces des réseaux sociaux. En conclusion, il est tout à fait possible qu’un contenu publicitaire au fort potentiel viral puisse passer inaperçu à cause de la saturation de messages commerciaux.

« Le produit devient de plus en plus difficile à différencier de ses concurrents en termes d’attributs objectifs. La multiplication des sollicitations commerciales rend également peu probable un traitement cognitif des messages par les prospects. Chaque personne habitant d’une grande ville et fréquentant même modérément les

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moyens de communication de masse reçoit quotidiennement plus d’un millier de contacts avec des messages publicitaires. » (Derbaix et al., 2004, p. 10).