• Aucun résultat trouvé

II. L A DIAGENESE DES SEDIMENTS DU DELTA DU S OBRARBE

2.6. Origine de la dolomitisation : apports des analyses géochimiques sur roche totale

2.6.4. Résultats : composition des marnes

2.6.6.2. Origine des enrichissements et appauvrissements

Pour Ca et Mg, le facteur d’enrichissement observé correspond à la nature dolomitique des concrétions. Le Ca a pu être fourni par les eaux interstitielles et/ou L’enrichissement plus important des concrétions en MgO* par rapport à CaO* ne respecte pas la stœchiométrie de la dolomite, carbonate majoritaire des concrétions. Ce résultat pourrait être la preuve quantitative du processus de la recristallisation des calcites initialement présentes dans les marnes situées dans le volume des concrétions en dolomite, en accord avec les observations pétrographiques. En plus de cette source de Ca, le léger enrichissement en CaO* implique une source supplémentaire de Ca, probablement fournie par les eaux interstitielles ou la dissolution de carbonates dans les sédiments non affectés par la dolomitisation. De même, comme les marnes ont une très faible concentration en MgO, la source externe de magnésium des concrétions a probablement été fournie par les eaux interstitielles des sédiments au cours de l’enfouissement. Les valeurs isotopiques du Sr ont montré que cette source a une signature d’eau de mer éocène.

Le Sr est principalement contenu dans les phases carbonatées telles que la calcite, qui est souvent riche en Sr (Heltz et Holland, 1965). Cela explique une partie de l’enrichissement, mais comme nous l’avons vu, 8 échantillons contiennent probablement de la célestine, ce qui augmente le FEm-c du Sr. Quand ces échantillons ne sont pas pris en compte, le facteur

d’enrichissement est de 1,43, valeur identique au FEm-c du CaO (1,46). Le même problème est

rencontré avec Ba, qui est souvent associé à Sr dans la célestine. Le facteur moyen d’enrichissement du Ba calculé sans les 8 échantillons n’est plus que de 1,1, ce qui signifie qu’il n’y a pas d’enrichissement considérable en Ba dans les concrétions.

Les éléments Fe et Mn, dont les concentrations sont corrélées, ont ainsi un facteur d’enrichissement identique. Ces éléments probablement associés à la dolomite ont donc eu un comportement identique lors de la croissance des concrétions. Cela est expliqué par leur sensibilité aux conditions redox de l’environnement : dans les sédiments, le Fe et le Mn sont essentiellement présents sous la forme d’oxydes et d’oxihydroxides de Fe-Mn détritiques, qui relarguent Fe2+ et Mn2+ dans l’eau de mer en conditions réductrices (Froelich et al., 1979 ; Wedepohl, 1980 ; Berner, 1981 ; Colley et al., 1984). Les éléments dissous peuvent par la suite être incorporés dans des minéraux authigènes tels que la pyrite ou les carbonates, dont la précipitation est favorisée par l’activité bactérienne. Ainsi, un flux important de matière organique métabolisable dans les sédiments, qui favorise la mise en place d’un environnement réducteur, doit permettre une telle relocalisation (Wedepohl, 1980). De plus, la genèse de concrétions est souvent associée à des hétérogénéités dans les sédiments, telles que des débris d’organismes ou des bioturbations qui stimulent l’activité bactérienne (e.g., Raiswell et Fisher, 2000). Cette activité est propice à la création de micro-environnements réducteurs (Bréhéret, 2004) qui peuvent favoriser la mise en solution de Fe et le Mn et leur incorporation dans des carbonates (Bathurst, 1975).

Les mécanismes à l’origine de l’enrichissement des concrétions en P par rapport aux marnes ne trouvent pas d’explications aussi simples que ceux avancés pour Fe et Mn. En effet, le comportement du phosphore durant la diagenèse des sédiments marins est particulièrement complexe. Ainsi, la majorité du P transporté depuis la colonne d’eau jusqu’aux sédiments est d’origine organique, sous des formes réactives (e.g., Froelich et al., 1983). La proportion de P réactif finalement enfoui dans les sédiments peut être finalement inférieure à 25% (Ruttenberg, 1993). Durant la diagenèse précoce, ce phosphore est principalement adsorbé sur les surfaces d’oxydes de Fe et possiblement de Mn (e.g., Krom & Berner, 1981, Klum et Martens, 1981 ; Froelich et al., 1982; Lucotte and d’Anglejan, 1983, 1988 ; Martens, 199 ; 3Slomp & van Raaphorst, 1993 ; Ingall and Jahnke, 1994). L’oxydation de la matière organique produit également du P sous la forme H3PO4 (Van Cappelen et

Berner, 1988). Au cours de la diagenèse d’enfouissement, ces formes plus réactives tendent à disparaître au profit de phases authigènes plus stables telles que l’apatite, mais cette transition nécessite un temps considérable. Ainsi, dans les sédiments du plateau d’Ontong Java (Pacifique), cette redistribution est complète en 20 Ma, tandis que dans l’Atlantique (Ceara Rise) elle prend 7 Ma (Delaney and Anderson, 1997). Il est donc envisagé que dans le cas des concrétions dolomitiques du delta, le phosphore ait été associé à des oxydes de Fer et de Manganèse lors du dépôt des sédiments, en conditions oxiques. Lorsque des conditions réductrices ont été atteintes, en particulier dans l’environnement particulier des concrétions, le Fe et le Mn ont été dissous puis incorporés dans des phases authigènes telles que les dolomites (et calcites), tandis que le phosphate a été piégé dans d’autres phases. Des études pétrographiques supplémentaires devraient permettre de déterminer avec précision les phases porteuses du P.

L’enrichissement en Na2O, modéré, n’est pas vu observé dans toutes les concrétions. La

phase porteuse de cet élément n’ayant pas pu être déterminée, nous ne sommes pas en mesure d’expliquer les valeurs observées sans analyses pétrographiques supplémentaires.

Enfin, l’enrichissement en Eu est également modéré et son interprétation est limitée par les faibles concentrations en Eu des marnes et concrétions (généralement < 2 ppm), qui rentrent dans les limites de résolution de la technique d’analyse employée. Des analyses plus précises, à l’aide d’autres méthodes analytiques sont souhaitables car cet élément est également sensible aux conditions redox. Ainsi, les conditions permettant de réduire Eu3+ (la forme stable en conditions oxydantes) en Eu2+ (forme stable en conditions réductrices) sont atteintes dans les environnements très réducteurs (Sverjensky, 1984 ; Brookins, 1989). L’ion l’Eu2+, qui n’est pas complexé dans les eaux interstitielles, est susceptible d’être incorporé dans les calcites par substitution du Ca2+ pendant leur précipitation (Lavoie et Bergeron,

CHAPITRE II LA DIAGENESE DES SEDIMENTS DU DELTA DU SOBRARBE

1993). Lavoie et Bergeron (1993) font ainsi remarquer que les concrétions formées en zone de méthanogenèse sont caractérisées par un enrichissement en Eu. L’enrichissement observé est en accord avec notre interprétation de l’origine des concrétions dolomitiques du delta du Sobrarbe.