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II. L A DIAGENESE DES SEDIMENTS DU DELTA DU S OBRARBE

2.6. Origine de la dolomitisation : apports des analyses géochimiques sur roche totale

2.6.1. Introduction : les hypothèses couramment acceptée pour la formation de la dolomite

2.6.1.1. « Dolomite problem » et mécanismes d’inhibition

Les mécanismes contrôlant la formation de la dolomite ont été à l’origine de recherches depuis plus de 200 ans (Mazzullo, 2000). En effet, les eaux marines sont largement sursaturées par rapport à ce minéral, mais il n’existe que peu d’exemples de précipitation de dolomite dans les sédiments marins actuels, alors qu’elle est très abondante dans les séries carbonatées anciennes. Ce hiatus a donné lieu à l’appellation désormais courante de « dolomite problem », qui est généralement attribuée à un problème d’ordre cinétique (inhibition de la précipitation à basse température) (e.g., Arvidson and Mackenzie, 1999).

De nombreux facteurs ont été proposés pour expliquer pourquoi la dolomite ne précipite pas (ou extrêmement peu) dans l’eau de mer. Parmis ceux-ci, 3 facteurs ont une importance critique (Mazzullo, 2000) :

(i) Le premier est l’hydration d’une part importante des ions Ca et Mg dans l’eau de mer de pH normal (Pytkowicz et Hawley 1974), qui empêche les ions d’être intégrés dans le réseau cristallin de la dolomite. Ces ions peuvent aussi se lier à d’autres anions comme les carbonates, les bicarbonates et les sulfates.

(ii) Le second est la nécessité d’avoir une alcalinité carbonatée et un pH suffisamment élevés afin de favoriser la prépondérance de CO32- sur HCO3-.

(iii) Le troisième est la présence de sulfate, censée inhiber la formation de la dolomite (Baker et Kastner, 1981), même si d’autres études (Eugster et Hardie, 1978; Land 1985; Hardie, 1987) semblent montrer le contraire. Finalement, Sánchez-Román et al. (2009) ont récemment montré que l’addition de sulfate ne modifie en rien la précipitation bactérienne de dolomite à basse température.

2.6.1.2. Modèles de précipitation en subsurface

De nombreux modèles géochimiques ont été proposés pour expliquer la formation de la dolomite à basse température, en subsurface ou durant l’enfouissement très précoce, malgré les problèmes d’inhibition. Certains auteurs (e.g., Sun, 1994) ont ainsi suggéré que les dolomites sont principalement formées à partir d’eaux de forte salinité, car la quantité de fluides nécessaire à sa précipitation (primaire ou secondaire) est dans ce cas inférieure à ce qui serait requis si des eaux météoriques ou proches de la composition de l’eau de mer étaient impliquées. Cependant, la majorité des modèles de subsurface proposés avant les années 90, résumés dans le travail de Warren (2000), considèrent que sa précipitation est favorisée par des mécanismes d’évaporation, de dilution ou de refroidissement d’eau marine ou météorique. En surface, les dolomites modernes sont ainsi supposées se former principalement dans des environnements particuliers tels que les sebkhas, où de la dolomite moderne a été décrite (e.g., Wells, 1962 ; McKenzie, 1981 ; Warren, 1991 ; Illing et Taylor, 1993 ; Wenk et al., 1993 ; Chafetz et Rush, 1994), les lacs hypersalés (e.g., Alderman, 1969) ou encore les lagons supratidaux (e.g., Deffeyes et al., 1965). La dolomite a également été trouvée dans des lacs sans aucune influence marine (e.g., Calvo et al., 1995). Plus récemment, le rôle de l’eau de mer non modifiée dans la précipitation de la dolomite en subsurface a été avancé (e.g., Land, 1985 ; Vahrenkamp and Swart, 1994; Whitaker et al., 1994 ; Mazzullo et al., 1995). Dans ce cas, sa formation semble possible à partir d’eau de mer de basse température d’origine

profonde, circulant de manière focalisée dans des formations sédimentaires insulaires poreuses (Warren, 2000). La quantité de dolomite formée reste très limitée.

2.6.1.3. Modèles de formation pendant la diagenèse précoce

Plusieurs modèles ont été proposés pour la formation de dolomite durant la diagenèse précoce. Nous entendons ici par précoce la diagenèse se déroulant à des températures inférieures à 70°C, ce qui pour un gradient thermique de 35°C/km correspond à un enfouissement inférieur à 2 km.

Le premier modèle suggère que la dolomite peut précipiter à partir de saumures dérivés d’évaporites et circulant à travers les formations sédimentaires (Adams et Rhodes, 1960) à cause de phénomènes de reflux (voir Warren, 2000, figure 12). Plusieurs exemples ont confirmé la pertinence de ce modèle (e.g., Müller et Teitz, 1971 ; Aharon et al., 1977 ; Clark, 1980 ; Land, 1985; Machel et Mountjoy, 1986; Hardie, 1987; Warren, 1991).

Le modèle de la zone de mélange, couramment enseigné à l’université, considère que le mélange de deux eaux dont l’état de saturation par rapport à la dolomite est différent peut entraîner sa formation dans des sédiments carbonatés. Dans le modèle de mélange employé initialement par Hanshow et al. (1971), Land (1973) et Badiozamani (1973), le mélange d’eau de mer et d’eau météorique dans la zone côtière phréatique permet d’expliquer la présence de dolomites à faible enfouissement et sans la présence d’évaporites. Les exemples actuels validant clairement ce modèle restent à découvrir (Warren, 2000).

Enfin, les modèles faisant intervenir la précipitation de dolomite « organogénique » (organogenic dolomite, Compton (1988)) permettent d’expliquer la formation de dolomite dans des sédiments fins, particulièrement sous la forme de couches, nodules et concrétions. Dans ces modèles, la diagenèse de la matière organique crée des conditions favorables à la formation de dolomite à basse température. L’initiation de la dolomitisation dans les sédiments marins grâce à l’action bactérienne serait principalement due à la réduction des sulfates et la méthanogenèse (Mazullo, 2000), dans des sédiments suffisamment riches en matière organique réactive. Ainsi, réduction bactérienne des sulfates et méthanogenèse sont supposés briser la barrière cinétique principalement par l’augmentation de l’alcalinité des eaux interstitielles (Mazzullo, 2000). Les valeurs de δ13C de dolomites formées grâce à la diagenèse de la matière organique montrent que les deux processus peuvent provoquer sa précipitation (Mozley et Burns, 1993 ; Mazzullo, 2000). La réduction des sulfates conduit à des valeurs négatives, tandis que la méthanogenèse permet d’atteindre des valeurs positives. Les deux échelles de valeurs peuvent cependant se superposer, notamment au niveau de la zone de transition entre réduction des sulfates et méthanogenèse (SMTZ), ce qui complique l’interprétation des δ13C des dolomites (Raiswell et Fisher, 2000 ; Mazzullo, 2000).

Mozley et Burns (1993) avancent que le taux de sédimentation exerce une influence importante sur la zone diagénétique dans laquelle la dolomite se forme car il contrôle la profondeur de diffusion du sulfate depuis l’interface eau-sédiment. Ainsi, alors que de nombreux auteurs avancent qu’une baisse du taux de sedimentation favorise la cimentation (e.g., Taylor et al., 1995; Gawthorpe et al., 2000), Mozley and Burns (1993) supposent, à partir d’une compilation de données isotopiques du carbone sur des concrétions dolomitiques, que la précipitation de la dolomite est favorisée dans la zone de méthanogenèse lorsque le taux de sédimentation est élevé. Meister et al. (2007 ; 2008) ont récemment montré que, dans des sédiments riches en matière organique échantillonnés lors des Legs ODP 112 et 201 (Marge péruvienne), l’importante production d’alcalinité carbonatée à la SMTZ par l’oxydation du méthane peut expliquer la formation de couches et de nodules de dolomite ayant des signatures en δ13C variées. Dans leur modèle, des variations de la teneur en matière organique (qui reste élevée) suffisent à expliquer la formation des couches de dolomite, sans faire intervenir des variations du taux de sédimentation.

CHAPITRE II LA DIAGENESE DES SEDIMENTS DU DELTA DU SOBRARBE

2.6.1.4. Cas des concrétions dolomitiques

Depuis les travaux précurseurs de Curtis et al. (1972), la formation des concrétions carbonatées (calcite et dolomite) est interprétée comme résultant de la précipitation in situ de carbonates associée à l’augmentation de l’alcalinité, essentiellement lors de la réduction des sulfates et de la méthanogenèse (Raiswell and Fisher, 2004). Cette interprétation est basée principalement sur des critères isotopiques (δ13C, δ18O, δ34S) (e.g., Mozley and Burns, 1993; Raiswell and Fisher, 2000). L’influence de la teneur en matière organique et du taux de sédimentation sur l’initiation de leur croissance est ainsi bien établie (Mozley and Burns, 1993). Les modèles associés à l’organogenic dolomite, qui ne nécessitent pas l’intervention de flux d’eau importants, sont les seuls à pouvoir expliquer la précipitation localisée de dolomite sous la forme de concrétions, dans des sédiments peu poreux, souvent pauvres en carbonates et à faible température. Les concrétions carbonatées ont ainsi été largement utilisées pour étendre le concept de zone diagénétique d’oxydation de la matière organique à l’ensemble du Phanérozoïque (Raiswell et Fisher, 2000). En effet, la zonation chimique entre le centre et les bordures de nombreuses concrétions a été longtemps interprétée comme le résultat d’une croissance progressive au cours de l’enfouissement (Mozley, 1996). Cette zonation est censée fournir un enregistrement détaillé de l’évolution des conditions diagénétiques. Un grand nombre d’études récentes tendent à démontrer que les concrétions sont zonées de manière bien plus complexe, avec par exemple des ciments carbonatés tardifs pouvant combler la porosité résiduelle au centre des concrétions (e.g., Mozley, 1989 ; Feistner, 1989 ; Coleman, 1993). Les concrétions pourraient en fait résulter de la cimentation progressive du volume complet de la concrétion, de manière pervasive (Raiswell et Fisher, 2000). Par ailleurs, l’interprétation des données isotopiques est délicate car le mélange de signaux isotopiques différents, issus de plusieurs sources d’ions carbonates (réduction des sulfates, méthanogenèse, catalyse thermique) peuvent expliquer des valeurs observées (Raiswell et Fisher, 2000). Ainsi, de nombreuses concrétions pourraient s’être formées dans la zone de méthanogenèse alors qu’elles sont interprétées comme provenant de la zone de réduction des sulfates en raison de δ13C négatifs.

Dans tous les cas, plusieurs critères morphologiques et texturaux permettent de montrer que les concrétions carbonatées se forment à faible enfouissement. Par exemple, la préservation de fossiles dans la concrétion, une surface externe bioturbée, des différentiels entre l’épaisseur de la concrétion et l’aplatissement des argiles qui l’entourent sont autant d’arguments indiquant que ces structures peuvent être résistantes à la compaction à très faible profondeur (10-30 mètres sous l’interface eau-sédiment) tout en ayant encore une rhéologie plastique (Raiswell and Fisher, 2000). La croissance de concrétions durant une diagenèse plus tardive est également observée (Coleman, 1993; Raiswell and Fisher, 2000). Les concrétions carbonatées ont une forme principalement ovoïde qui peut s’expliquer d’une part par une croissance s’effectuant à partir d’un volume limité où la concentration d’activité microbienne est maximale (Coleman, 1993) et d’autre part par la compaction verticale qui favorise une croissance avec un grand axe parallèle aux couches qui la contiennent (Seilacher, 2001). Cependant diverses formes, classées par Selles-Martinez (1996), sont également observées (cylindriques, stratiformes…) car les concrétions se forment fréquemment autour d’hétérogénéités dans les sédiments tels que des fossiles, des traces de courant ou des bioturbations (Raiswell et Fisher, 2000 ; Bréhéret, 2004 ; De Gibert et al., 2005 ; Breton, 2006) ou encore le long de flux focalisés de fluides (e.g., Sellés-Martinez, 1996 ; Orpin, 1997 ; Stewart et al., 2000 ; Ledésert et al., 2003 ; Peckmann et Thiel, 2004 ; Mozley et Davies, 2005 ; De Boever et al., 2006 ; Clari et al., 2009). Dans le cas des concrétions formées autour de bioturbations, la présence de matière organique liée à l’activité des organismes fouisseurs (mucus, pellets) doit probablement renforcer l’activité bactérienne d’oxydation et favoriser la précipitation des carbonates (Bréhéret, 2004).