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Seebohm Rowntree est l’un des premiers, avec Charles Booth, à mener des travaux sur la pauvreté au Royaume-Uni (Rowntree, 1901). Lors d’une étude sur les populations pauvres vivant à York49 en 1899, il propose une définition de la pauvreté à travers un seuil de subsistance minimal dont la mesure repose sur la valeur d’un panier de biens et de services. Dans ce cadre, il fait appel à des nutritionnistes chargés d’évaluer l’apport calorique et nutritionnel nécessaire à la survie quotidienne. Il recherche par la suite les prix les plus bas à York afin de se procurer ce panier à un prix minimal. Il conclut que près de 28 % de la population de York vit sous le seuil de pauvreté.

Lors de sa deuxième étude réalisée en 1936, il rajoute à son panier minimal de 1899 des biens dont la survie n’est pas remise en cause tels que « les journaux, les livres, la radio, de la bière, du tabac, des vacances et des cadeaux » (Lollivier, 2008). Pourtant, malgré cette réévaluation du seuil de pauvreté, Rowntree conclut à une diminution de 50 % de la pauvreté au sein de la population de York.

La troisième étude menée à York en 1951 conclut à une quasi-disparition de la pauvreté avec ces mêmes critères.

Les résultats de Rowntree ont été au cœur de nombreuses discussions. Tandis que les uns concluaient à l’éradication de la pauvreté, d’autres critiquaient ces travaux en insistant sur

49 La ville d’York se situe au Nord du Royaume-Uni.

91 le fait qu’un grand nombre d’habitants ne satisfaisaient pas leurs besoins essentiels et vivaient encore dans la pauvreté.

On peut reprocher à Rowntree l’idée même d’une rationalité économique des personnes en difficultés (Lollivier, 2008). Le seuil de pauvreté tel qu’il le définit repose sur l’hypothèse forte que les individus adoptent des comportements humains s’apparentant à celui de l’homo oeconomicus50. D’une part, ils constitueraient un panier de subsistances restreint uniquement à des biens et services nécessaires à la survie. D’autre part, ils chercheraient dans leur localité les prix les plus bas en les comparant. Un des avantages majeurs de cette représentation du comportement humain est qu’elle se prête facilement à la formalisation mathématique ; au détriment néanmoins d’une forte simplification de la réalité. En effet, les habitants de York étaient probablement loin de posséder une telle rationalité.

En outre, la satisfaction d’un même besoin nécessite des ressources se modifiant dans le temps et dans l’espace. Il est aisé de comprendre que se vêtir dans les pays du Sud ne repose pas sur les mêmes nécessités que dans les pays du Nord où la température est beaucoup moins clémente. Et même si tel était le cas, se vêtir ne nécessite pas les mêmes ressources aujourd’hui qu’au début de XXème siècle ; d’où la critique d’un panier de biens et de services qui serait figé au fil des années.

Pour finir, la constitution même de ce panier de biens et de services peut être remise en cause par le regard propre du chercheur sur l’objet de sa recherche (ethnocentrisme). Le chercheur, tout en tentant de définir une norme de consommation minimale, est influencé par ses propres normes et valeurs. Dans cette optique, le seuil ainsi défini « ne serait pas applicable à tous et biaiserait l’analyse » (Marniesse, 1999, p.2). Néanmoins, quel que soit le seuil choisi, absolu ou relatif, ce problème subsistera et certains pays, comme par exemple les États-Unis, la Slovénie (Statistical Office of the Republic of Slovenia, consulté le 08/07/09) ou encore la Russie (Festy, Kortchaguina, Ovtcharova, Prokofieva, 2003), choisissent aujourd’hui encore de définir un seuil absolu de pauvreté. D’autres pays, comme la France, utilisant largement la définition d’un seuil relatif, commencent à s’interroger sur la construction d’un seuil absolu sans pour autant parvenir à un compromis.

50 L’homo oeconomicus est un « modèle du comportement humain fondé sur les principes de rationalité et de maximisation » (Echaudemaison, 1993, p.204).

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§2 La définition du panier de biens et services

Se pose donc une première question portant sur le contenu du panier. Le premier poste de consommation communément accepté est l’alimentation, sans laquelle une personne ne peut évidemment survivre. Selon les normes FAO (Marniesse, 1999), cela correspond à 2 400 calories par jour pour la pauvreté et à 1 800 calories pour l’extrême pauvreté. A ce panier de biens alimentaires, se rajoutent des biens et services non-alimentaires. Or, s’il apparaît évident que de l’alimentation dépend la survie d’une personne, l’intégration à ce panier d’autres postes tels que le logement, l’électricité, le transport, l’énergie, l’habillement, l’éducation, … ne fait pas l’unanimité. La nécessité de tels postes est fonction à la fois de la société dans laquelle les individus vivent et de l’époque.

Comme le rappelle Pierre Concialdi (1998), Marshall Sahlins a avancé l’idée, d’apparence paradoxale, que les premières sociétés humaines de l’âge de pierre étaient en réalité des sociétés d’abondance (Sahlins, 1976). Il distingue deux types d’abondance : se satisfaire en produisant beaucoup d’une part et avoir peu de besoins d’autre part. Les sociétés traditionnelles s’inscrivent dans ce dernier cas. Même si le niveau de vie dans les économies traditionnelles était très faible, les individus vivant à cette époque n’en étaient pas pour autant pauvres en raison de leurs besoins peu nombreux et pleinement satisfaits.

Ainsi faut-il comprendre dans le panier de biens et de services le transport ? Si ce poste ne remet pas en cause dans l’immédiat la survie d’une personne, le transport contribue fortement, dans certaines circonstances, à améliorer l’existence, sinon à sortir une personne de la pauvreté. Prenons l’exemple de deux personnes sans emploi. Les emplois proposés à la première personne lui imposent d’utiliser un moyen de locomotion. Deux possibilités s’offrent à elle : soit elle habite à proximité des transports publics et peut se rendre à un entretien d’embauche se trouvant aussi à proximité de ces transports publics, soit elle est éloignée géographiquement de tout mode de transport et doit en posséder un (vélo, véhicule motorisé à deux roues, voiture, …). Quelle que soit la situation, il apparaît primordial que cette personne dispose d’un budget transport et, de surplus, du moyen de transport utilisé dépendra le montant du budget consacré à ce poste.

Si, à présent, la deuxième personne sans emploi de notre exemple habite à proximité des emplois qui lui sont proposés, celle-ci pourra se rendre aisément à pied à son travail et ne comptabilisera pas a priori des dépenses de transport pour assurer sa survie. A priori car plus

93 que le seul accès à l’emploi, ce serait plutôt un ensemble de services qui justifierait le montant d’un budget transport dans le panier : l’accès aux commerces pour l’alimentation, transport des enfants sur les lieux de scolarisation (dans l’hypothèse où l’éducation est comprise dans le panier), …

Ainsi, non seulement se pose la question de la prise en compte ou non d’un poste de consommation dans le budget nécessaire à la survie du ménage, mais aussi de la composition de ce poste (selon le moyen de transport utilisé), et de l’utilisation même de ce moyen de transport (dépendant parfois de l’intégration ou non d’autres postes dans le panier).

§3 L’évolution du montant du panier de biens et de services au fil des