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Discussion autour de la définition de la pauvreté absolue

§1 Les dépenses nécessaires : les trois approches de la commission Quinet

Encadré 13. Les enquêtes Budget des familles 1994-1995, 2000-2001 et 2005-2006

2) Discussion autour de la définition de la pauvreté absolue

- Avantages de l’approche absolue

Le premier atout de l’approche absolue est qu’elle propose un niveau de pauvreté qui ne dépend plus des inégalités de niveau de vie des ménages, comme le sont l’approche relative et dans une moindre mesure la pauvreté semi-relative. Le seuil absolu est défini essentiellement à partir du montant minimum des dépenses alimentaires nécessaires à la survie du ménage. Ce montant est établi à partir de la consommation des ménages les plus modestes (1er décile) et repose sur l’hypothèse de dépenses alimentaires du seuil de pauvreté proportionnelles aux dépenses constatées pour l’ensemble des ménages. Autrement-dit, si les ménages dépensent un sixième de leur budget pour l’alimentation, le seuil de pauvreté absolue est évalué de manière à ce que les dépenses d’alimentation minimales estimées correspondent à un sixième du seuil de pauvreté. Ainsi, la définition du seuil absolu semble plus appropriée à la mesure d’une entrée dans la pauvreté ou d’une sortie de la pauvreté qu’une définition relative. Elle traduit plus directement le sentiment des personnes qui voient

116 leur niveau de vie fluctuer en fonction du coût de la vie plutôt qu’en fonction de la place qu’occupe leur ménage dans l’échelle des revenus de l’ensemble des ménages.

En outre, l’évolution du seuil de pauvreté absolue dépend de l’évolution de l’IPC, tout comme le seuil semi-relatif. A la différence près que le montant de départ est évalué à partir de la structure de la consommation des ménages dans le premier cas, tandis que le montant de départ est en réalité un choix arbitraire du chercheur dans le deuxième cas.

Un autre avantage du seuil absolu est qu’il est réévalué tous les cinq ans. En effet, sans les enquêtes Budget des familles, le seuil absolu serait sous-estimé sur le long terme en raison de la diminution progressive de la part des dépenses alimentaires dans le budget. Il est donc primordial de réévaluer ce seuil dès la diffusion des résultats des enquêtes Budget des familles en France.

- Quelques pistes de réflexion

La première interrogation porte sur l’estimation des dépenses alimentaires minimales, réalisée à partir des dépenses effectuées par les 10 % de ménages aux niveaux de vie les plus faibles. On pourrait se demander si, parmi ces ménages, certains n’auraient pas sauté des repas par manque de moyens ? Dans ce cas, le montant des dépenses alimentaires minimales de l’année considérée serait sous-estimé. Ou bien à l’opposé, est-ce que certains ménages n’auraient pas, malgré leurs revenus modestes, effectué des dépenses superflues (comme des aliments non consommés par exemple) ? Dans ces conditions, le montant serait surestimé. Il est probable que ces deux situations coexistent dans le premier décile et se compensent, du moins en partie. Mais nous ne connaissons pas la proportion de ménages se trouvant dans l’une ou l’autre situation. Pour remédier à cela, une des solutions consisterait à s’appuyer sur des travaux de nutritionnistes. Il serait intéressant d’estimer un panier mensuel de produits alimentaires jugé minimum à la survie d’une personne et dont le prix et le contenu serait réévalué chaque année.

La deuxième interrogation porte sur le choix du seuil absolu à partir d’un seul poste de consommation central, l’alimentation. D’autres postes sont pourtant nécessaires, dont les deux premiers sont le logement et l’habillement. Une piste de réflexion serait de déterminer un seuil absolu non pas à partir du seul poste des produits alimentaires et des boissons non-alcoolisées, mais à partir de ces trois postes. Dans une telle situation, le seuil absolu serait déterminé à partir d’un montant minimum de dépenses nécessaires par UC consacrées à

117 l’alimentation, au logement et à l’habillement. Ce montant serait ensuite multiplié par l’inverse du coefficient budgétaire correspondant à la part qu’occupent ces trois postes dans le budget des ménages. Si pour l’habillement, il est envisageable d’évaluer les dépenses minimales à partir de la consommation du 1er décile (comme c’est le cas pour l’alimentation), l’exercice se complique pour le logement. Se consacrer aux dépenses de logements des seuls ménages locataires présents dans le 1er décile permettrait une meilleure évaluation. Cependant, nous avons mis en évidence que ce sont les logements dont les revenus sont les plus faibles qui sont les plus surpeuplés. Il conviendrait donc de définir un montant minimum de dépenses pour le logement n’entraînant pas des conditions de vie particulièrement difficiles.

Enfin, il serait intéressant de réaliser des comparaisons internationales à partir du seuil de pauvreté absolue. Au niveau européen, ce projet est réalisable grâce aux enquêtes sur le budget des ménages (EBM). L’EBM correspond en France à l’enquête Budget des familles. Il s’agit d’enquêtes nationales portant essentiellement sur les dépenses de consommation et visant à mesurer les facteurs de pondérations de l’IPC. C’est dans les années 1960 que les EBM ont fait leur apparition dans la plupart des pays de l’Union européenne. Depuis 1988, le rythme est quinquennal, les deux dernières séries d’EBM se réfèrent aux années 1999 et 2005. Actuellement, elles sont organisées dans les 27 États membres de l’Union européenne (UE), ainsi qu’en Croatie, dans l’ancienne république yougoslave de Macédoine, en Turquie, en Norvège et en Suisse. Grâce aux EBM, il serait possible de comparer le niveau de la pauvreté absolue dans les pays européens. Néanmoins, pour un pays le niveau du seuil dépend de la structure de la consommation. On pourrait envisager d’établir deux seuils de pauvreté absolue pour chaque pays : le premier fixé à partir de la répartition des dépenses du pays, le deuxième à partir de la répartition moyenne des dépenses des pays européens. Dans ce dernier cas, la comparaison européenne de la pauvreté absolue s’en trouverait grandement facilitée.

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Conclusion

Sur le modèle de la définition de la pauvreté absolue des États-Unis, nous avons proposé une définition de la pauvreté absolue en France. Aux États-Unis, la définition de la pauvreté absolue a été élaborée en 1963-1964 par Mollie Orshansky. Deux sources de données sont utilisées :

- les « Thrifty Food Plan » correspondant aux budgets alimentaires des familles en difficulté de 1963,

- la part du budget consacrée à l’alimentation issue d’une enquête de 1955 sur la consommation alimentaire.

La première source permet la détermination d’un minimum de dépenses alimentaires pour un type de ménage donné : par exemple, 1 033 $ de nourriture par an pour une famille de 4 personnes en 1963. La deuxième source applique à ce minimum le coefficient inverse du budget alimentaire : une famille de 4 personnes dépense un tiers de son budget à l’alimentation (soit un coefficient budgétaire est de 0,33 environ), ce qui correspond à un seuil de pauvreté de 3 100 $ en 1963 (soit 1 033 × 3). Au total, elle définit 124 seuils de pauvreté absolus selon la composition du ménage (nombre de personnes, âge et sexe de la personne de référence) et le lieu de résidence. Des modifications de ces seuils en 1969 et 1981 ramènent le nombre de seuils de pauvreté à 48 : désormais, ces seuils varient uniquement selon le nombre de personnes du ménage et l’âge de la personne de référence. Ce seuil évolue aujourd’hui selon l’indice général des prix à la consommation.

La principale limite de ces seuils est qu’ils reposent sur des coefficients budgétaires de l’alimentation datant de 1955. Mais depuis, certaines dépenses se sont rajoutées et d’autres ont augmenté. Cela conduit au total à une sous-estimation du seuil de pauvreté aux États-Unis.

Nous avons pourtant fait le choix d’utiliser cette définition pour proposer une définition absolue de la pauvreté en France. Le rythme quinquennal des enquêtes Budget des familles permet de contourner ce problème en réactualisant les données. A partir de cette source, nous avons évalué :

- un montant minimum de dépenses alimentaires par UC à partir d’une analyse des dépenses des 10 % des ménages les plus pauvres,

119 Nous avons donc défini un seuil de pauvreté absolue (et non une multitude de seuils contrairement aux États-Unis) correspondant à un montant mensuel par UC. Trois montants de seuil de pauvreté absolue sont définis à partir de trois enquêtes Budget des familles de 1995, 2001 et 2006. Ils s’élèvent respectivement à 806 euros, à 867 euros et à 987 euros par UC et par mois. Les montants des années intermédiaires sont estimés en appliquant l’évolution des prix à ces seuils. Ainsi, les seuils de pauvreté des années 1996-2001 sont estimés en appliquant l’indice des prix à la consommation (IPC) au seuil absolu de pauvreté de 1995.

Mais ce travail n’est qu’une première approche de la pauvreté absolue et nous proposons plusieurs pistes de réflexion pour des travaux futurs en vue d’une amélioration de ce concept.

Il serait intéressant de s’appuyer sur des travaux de nutritionnistes dans l’objectif d’estimer un panier mensuel alimentaire jugé minimum à la survie d’une personne et dont le prix et le contenu serait réévalué chaque année. A notre connaissance, ce genre de travaux n’a pas encore été réalisé en France.

Le seuil absolu de pauvreté est centré sur les seules dépenses alimentaires. Au poste alimentaire, il serait possible de rajouter des postes de dépenses minimales tels que l’habillement et le logement. Mais les logements dont les revenus sont les plus faibles sont aussi les logements qui sont le plus surpeuplés. Il est donc impératif de prendre en compte un montant de dépenses minimales tel qu’il n’implique pas de mauvaises conditions de vie.

Ce seuil est défini au niveau de la France seulement. A partir des enquêtes sur le budget des ménages (EBM) des pays européens, il est possible de procéder à des comparaisons internationales de la mesure absolue de la pauvreté.

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C

ONCLUSION DE LA PARTIE

I

La pauvreté est un phénomène redouté en France. Au cours de la période récente, elle est l’une des causes de préoccupation personnelle les plus citées par les français (91 % de citations). Pourtant, selon la définition de l’Insee, elle concerne 13,2 % de la population. La perception de la pauvreté paraît donc se détacher des chiffres construits dans les statistiques. En outre, lorsque le chômage augmente, les français ont tendance à penser que la pauvreté augmentera à l’avenir. Ainsi, la perception de l’évolution de la pauvreté est plus liée à l’évolution du marché du travail qu’à l’évolution du taux de pauvreté, cela s’explique par l’indicateur du taux de chômage plus médiatisé que le taux de pauvreté. Or, dans la réalité, si le taux de chômage et le taux de pauvreté sont liés, on se demandera dans quelle mesure l’évolution d u taux de chômage influence le taux de pauvreté de la population active.

Afin de mieux cerner les liens existant entre activité et pauvreté, intégrer non seulement les personnes en emploi, mais aussi intégrer les personnes au chômage est essentiel. Notre travail portera sur l’ensemble de la population active, mais cela n’empêchera pas l’analyse des caractéristiques de sous-populations telles que les personnes en emploi et les personnes au chômage.

Il existe trois principales définitions de la population active. La population active au sens du Bureau international du travail (BIT), la population active au sens du recensement de la population et la population active spontanée. La définition du BIT implique de connaître les personnes ayant travaillé au cours d’une semaine de référence. Si cette définition est applicable à partir des données du SRCV, celle-ci ne l’est pas à partir des données françaises du Panel européen des ménages car aucune question ne porte sur l’exercice d’une activité au cours d’une semaine de référence. Les définitions de la population active au sens du recensement et de la population active spontanée sont toutes deux applicables. Selon ces approches, les actifs occupés sont des individus exerçant une activité professionnelle ou bien des actifs temporairement absents de l’emploi qu’ils occupent. La principale différence porte sur la définition des chômeurs. L’approche spontanée retient l’ensemble des personnes se déclarant au chômage. L’approche par le recensement retient les personnes se déclarant au chômage et se déclarant également à la recherche d’un emploi. Les personnes au chômage ne recherchant pas d’emploi sont majoritairement des personnes ayant déjà projets professionnels en cours ainsi que des personnes exclues du marché du travail surtout par l’existence d’une maladie ou d’un handicap ou bien en raison de démotivation. Ces raisons

121 étant liées à la pauvreté, le choix de la population active porte donc sur la population incluant l’ensemble des chômeurs, qu’ils se déclarent ou non à la recherche d’un emploi.

Si la pauvreté est un terme courant, il n’est pas aisé d’attribuer à ce terme-ci des caractères permettant de le quantifier. En France, mais aussi dans l’Union européenne, le montant du seuil de pauvreté correspond à 60 % du revenu médian des ménages par unité de consommation62. Est pauvre, toute personne vivant dans un ménage dont le niveau de vie est inférieur à ce seuil de pauvreté. La France et l’Union européenne, en définissant la pauvreté ainsi, adoptent l’approche de la pauvreté relative. Nous avons montré que cette mesure résultait non seulement de l’évolution du revenu médian par unité de consommation, mais aussi de la répartition des ménages en-dessous de la médiane. Prenons l’exemple extrême d’un pays où le niveau de vie de toutes les personnes doublerait en l’espace d’un an. Dans ce cas, le seuil de pauvreté doublerait également, mais la proportion de personnes pauvres (appelée à tort taux de pauvreté) resterait la même. La pauvreté relative est donc plus une mesure des inégalités qu’une mesure de la pauvreté elle-même. En utilisant cette mesure pour le dénombrement des entrées dans la pauvreté et des sorties de la pauvreté, on mesurerait en réalité un déplacement du ménage dans l’échelle des revenus du ménage et non une modification effective du niveau de vie.

Dans ce cas, la pauvreté semi-relative, récemment appelée la pauvreté ancrée dans le temps, permet de contourner certaines limites de la pauvreté relative. Le montant du seuil de pauvreté semi-relative prend comme base de départ le montant du seuil de pauvreté relative une année donnée, comme par exemple 2001. Ce seuil évolue ensuite en fonction de l’évolution des prix par l’indice des prix à la consommation. Si l’évolution du taux de pauvreté semi-relative ne dépend pas cette fois-ci de l’évolution des inégalités, la proportion de personnes pauvres mesurée dépend fortement de l’année choisie comme base de départ. Ainsi, en prenant comme base 1994, l’évolution du taux de pauvreté semi-relative de la population active serait la même qu’en prenant 2001 comme base de départ, mais le taux de pauvreté serait inférieur de 4 points environ sur l’ensemble de la période. Contrairement à ce que l’on observait avec la définition de la pauvreté relative, les entrées dans la pauvreté et les sorties de la pauvreté correspondraient réellement dans ce cas à un changement de niveau de

62 La consommation du ménage n’est pas proportionnelle au nombre de personnes vivant dans ce ménage. Pour comparer les niveaux de vie des ménages dont la taille et/ou la structure sont différentes, est attribué à chaque membre du ménage un coefficient de pondération. L’échelle la plus couramment utilisée est l’échelle de l’OCDE : le premier adulte du ménage compte pour 1 UC, les autres adultes ou membres du ménage de 14 ans ou plus pour 0,5 UC et les enfants de moins de 14 ans pour 0,3 UC.

122 vie. Mais selon le choix de l’année de base de départ, ce ne sont pas les mêmes personnes qui seraient concernées par ces entrées dans la pauvreté et ces sorties de la pauvreté. Dans cette optique, sur le modèle de la mesure de la pauvreté absolue des États-Unis, nous avons proposé une définition de la pauvreté absolue en France.

Le seuil de pauvreté absolue se base sur les dépenses alimentaires minimales nécessaires à la survie du ménage. A partir des enquêtes Budget des familles 1995, 2001 et 2006, le montant de ces dépenses est évalué à partir des dépenses alimentaires par unité de consommation des ménages du premier décile des niveaux de vie. En 2006, ces dépenses s’élevaient à 148 euros par UC et par mois. Le principe est le suivant : la part des dépenses alimentaires du seuil de pauvreté doit être identique à la part des dépenses alimentaires dans le budget de l’ensemble des ménages. Ainsi, en 2006, un ménage consacre en moyenne 15 % de son budget à l’alimentation. Le seuil de pauvreté absolue est donc égal à 148 × (1/0,15), soit 987 euros par mois et par unité de consommation en 2006. Ce seuil évolue ensuite avec l’indice des prix à la consommation jusqu’à la prochaine enquête Budget des familles qui permet la réactualisation de ce seuil.

La définition de la pauvreté absolue a un double avantage :

- elle propose un niveau de la pauvreté pour lequel l’effet du choix préalable du chercheur sur la mesure est limité,

- elle propose une évolution du seuil de pauvreté ne résultant pas de l’évolution des inégalités.

Travailler sur des entrées dans la pauvreté et des sorties de la pauvreté semble donc plus pertinent à partir de la définition de la pauvreté absolue. Non seulement ces entrées et ces sorties correspondent effectivement à une amélioration ou à une dégradation des niveaux de vie, mais les personnes vivant ces entrées et ces sorties ne sont pas des personnes « choisies » par le chercheur au sens où il n’y a pas d’intervention du chercheur susceptible de modifier les caractéristiques de ces personnes selon le choix effectué au préalable.

Cependant, si la définition de la pauvreté absolue semble à ce stade plus pertinente que les définitions de la pauvreté relative et de la pauvreté semi-relative, il est primordial de continuer à travailler à son amélioration compte tenu de ses limites.

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D

EUXIÈME PARTIE

:

C

ARACTÉRISTIQUES DE LA POPULATION