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Organisation temporelle main-lèvres-son 22

CHAPITRE VI. Expérience 3 : généralisation à d’autres locuteurs-codeurs sur des séquences

VI.2. Résultats

VI.2.1. Schéma temporel de coordination pour les trois codeuses

VI.2.1.1. Organisation temporelle main-lèvres-son 22

Les résultats moyens (et écarts-types) en millisecondes pour les trois sujets sont indiqués dans le

Tableau 3 et schématisés sur la Figure 35 afin de donner un aperçu général des patrons temporels de

coordination obtenus pour chaque sujet.

13 Les événements cinématiques sont repérés manuellement à l’aide du profil d’accélération des

signaux filtrés passe-bas à une fréquence de coupure de 4 Hz. Dans la plupart des séquences, l’événement temporel est étiqueté sur un pic d’accélération (ou de décélération). Quand le pic n’est pas bien marqué, l’événement étiqueté est approximé au point le plus proche temporellement sur le signal de position.

Durées moyennes en ms (écarts-types) AM SC RV Syllabe CV 252 (41) 253 (45) 258 (56) Consonne 119 (37) 141 (41) 147 (51) M1M2 170 (29) 174 (37) 192 (33) M2M3 146 (75) 156 (62) 164 (60) M1A1 153 (56) 145 (56) 143 (50) A1M2 17 (51) 29 (55) 49 (49) M2L2 155 (54) 143 (50) 123 (66) M3L2 9 (73) -13 (57) -41 (64) M3M4 183 (34) 175 (33) 197 (37)

Tableau 3. Durées moyennes et écarts-types (en ms) des différents intervalles temporels obtenus pour les trois locutrices-codeuses AM, SC et RV.

Figure 35. Schémas des patrons temporels de coordination main-lèvres-son pour chacune des codeuses AM, SC et RV.

Codeuse AM

Codeuse SC

Nous pouvons remarquer une grande similarité des caractéristiques de production ainsi que des

patrons de coordination obtenus entre les trois codeuses. En particulier certaines durées semblent très

proches (c’est le cas par exemple des durées de syllabes et des transitions de main, mais également

de la relation temporelle entre le début du geste manuel et le début acoustique de la syllabe M1A1)

tandis que d’autres, comme l’intervalle M3L2 par exemple, démontrent plus de variabilité (ces

intervalles seront comparés statistiquement dans la section VI.2.1.2). Néanmoins, l’organisation

temporelle générale entre la main, les lèvres et le son qui se profile pour les trois locutrices-codeuses

semble être la suivante (voir sur la Figure 35 les schémas moyens et sur la Figure 36 le détail

séquence par séquence).

La main débute son mouvement vers la position cible LPC avant le début acoustique de la

consonne (M1A1). C’est toujours le cas pour la codeuse SC (sur la Figure 36, nous pouvons en effet

remarquer que tous les triangles qui représentent le début du geste de la main M1 sont placés

en-dessous de la ligne en pointillés représentant A1). La codeuse AM a quant à elle produit une seule

séquence pour laquelle la main débute la transition après le début acoustique de la consonne et la

codeuse RV a produit deux séquences où la main débute son mouvement en synchronie avec le début

de la consonne. Ces trois exceptions mises à part, nous pouvons considérer que de manière générale,

la main débute son geste de transition avant le début acoustique de la syllabe (les trois distributions

peuvent en effet être considérées comme des densités de probabilité avec aux extrêmités les

événements les moins probables) ; cette durée d’anticipation est assez variable (elle peut aller de 19

ms à 312 ms) et s’élève en moyenne à 143-153 ms pour les trois sujets.

La main arrive en position cible en moyenne en début de consonneacoustique (A1M2). Pour les

trois sujets, cette atteinte de position de main par rapport au début acoustique de la consonne peut

varier selon la séquence : la main peut parfois arriver en position cible LPC avant le début de la

consonne (ceci est représenté par le fait que des croix représentant M2 sont positionnées en-dessous

de A1 sur la Figure 36). Pour la plus grande partie des séquences, la main arrive en position cible LPC

après le début acoustique de la consonne. Elle atteint la position de 17 ms à 49 ms en moyenne après

le début de la syllabe. Plus précisément, la main atteint la position dans la première partie de la

consonne ; en effet, l’intervalle A1M2 représente en moyenne 14% de la durée totale de la consonne

acoustique pour le sujet AM, 21% pour le sujet SC et 33% pour le sujet RV (valeur donnée par le calcul

[moyenne(A1M2) / moyenne(Consonne) x 100]). Nous retrouvons donc chez ces trois codeuses une

certaine synchronie de la position manuelle avec le début acoustique de la consonne.

Figure 36. Positionnement temporel (en ms) des événements M1 (début du geste manuel), M2 (fin du geste manuel), L2 (cible labiale vocalique) et M3 (début du geste manuel vers la position suivante) par rapport au début acoustique de la consonne A1, pour les trois codeuses AM, SC et RV. Pour faciliter la lecture des graphiques, les items sont triés dans l’ordre croissant en fonction de M1.

La transition manuelle (M1M2) peut durer en moyenne de 170 ms à 192 ms selon le sujet et semble

relativement peu variable d’une séquence à l’autre : nous pouvons remarquer en effet sur la Figure

36 que le positionnement des croix qui représentent la fin de la transition manuelle M2 semble suivre le

positionnement des triangles, représentant M1 (l’espace vertical entre les triangles et les croix semble

relativement constant au cours des séquences et définit un certain parrallélisme entre les deux

distributions, ce qui signifie que M1 et M2 sont appariés).

Figure 37. Evolution de l’intervalle A1M2 en fonction de l’intervalle M1A1 (ms) pour les trois codeuses AM, SC et RV. Sur chacun des graphes sont indiqués les coefficients de corrélation (tous significatifs à p< .01) et les équations de droites ajustées linéairement sur les données.

La Figure 37 montre plus précisément l’évolution de l’intervalle A1M2 (l’atteinte de la position de main

par rapport au début acoustique de la consonne) en fonction de M1A1 (le début du geste de main par

rapport au début de la consonne), soit le phasage de la transition de main M1M2 avec le début

acoustique A1 de la consonne. Nous pouvons clairement voir que plus M1A1 augmente, plus A1M2

diminue (cette relation est très bonne pour les trois sujets car nous obtenons de fortes corrélations

négatives ; voir sur les graphes de cette figure). La relation statistique mise en évidence signifie que la

durée de la transition manuelle (c’est-à-dire la somme de M1A1 et A1M2) est statistiquement stable

(invariance absolue, cf. infra VI.2.3) : la transition de main va en fait se déplacer autour du début

acoustique de la consonne (A1). Notons que les coefficients sont très proches d’une codeuse à l’autre,

de même que les valeurs d’intercepts (137 ms, 139 ms et 158 ms) qui indiquent le temps minimal de

transition lorsque le geste démarre au début acoustique de la consonne. Ainsi, si la durée de la

transition est stable, le calage de cette phase par rapport au début acoustique de la consonne est

variable. Plus la main anticipe son début de mouvement de transition sur le début acoustique de la

consonne, plus la position cible LPC est atteinte précocement. Elle peut être atteinte avant même le

début du son (c’est le cas pour les séquences pour lesquelles A1M2 est négatif) et dans ce cas les

valeurs de M1A1, soit l’anticipation du début du geste manuel, sont grandes. Notons de plus que pour

chacun des sujets, les durées de transitions manuelles au cours de la séquence sont en moyenne

assez constantes (M1M2 est en effet proche de M3M4).

La main a donc atteint la position vocalique LPC avant la réalisation de la voyelle aux lèvres

(M2L2). C’est toujours le cas pour la codeuse SC (pour qui les croix représentant M2 sont toutes

en-dessous des cercles représentant L2 sur la Figure 36). Pour la codeuse AM, c’est toujours le cas à

l’exception d’une séquence et pour la codeuse RV, c’est également le cas à l’exception de deux

séquences. Dans l’ensemble, nous pouvons considérer que la position manuelle LPC est atteinte en

avance par rapport à la réalisation de la voyelles aux lèvres : en moyenne cette avance s’élève de 123

ms à 155 ms pour les trois sujets. Ainsi pour la voyelle, le comportement anticipatoire de la position

manuelle sur la cible labiale qui caractérisait le sujet GB, se retrouve également chez ces trois autres

sujets.

La main reste en position durant toute la consonne (l’intervalle M2M3 – tenue de cible manuelle –

étant en moyenne plus long que la durée moyenne de la consonne, voir Tableau 3) et repart

finalement vers la position suivante aux alentours de la réalisation de la cible labiale vocalique

(M3L2), soit durant la voyelle acoustique. L’examen de l’ensemble des séquences pour les trois

sujets sur la Figure 36, nous permet de remarquer une assez grande dispersion de la cible labiale L2

(représentée par les cercles) et du début du geste vers la position suivante M3 (représentée par les

points) : contrairement à M2, ces deux événements ne semblent pas être liés au début de la transition

manuelle M1. Les deux événements sont dans l’ensemble confondus, ce qui montre que le début de la

transition suivante se produit autour de la cible labiale. En moyenne, la main débute la transition

suivante 9 ms avant la cible articulatoire pour la codeuse AM et de 13 ms à 41 ms après pour les

codeuses SC et RV. Ainsi, il semble que l’ajustement plus fin LPC-parole se fasse plus au niveau de la

tenue de la position manuelle (M2M3), la durée de la transition étant peu variable.

En résumé, nous trouvons chez ces trois codeuses un schéma temporel de coordination

main-lèvres-son globalement assez similaire d’un sujet à l’autre. L’organisation LPC-parole trouvée chez ces trois

codeuses est de plus similaire à celle que nous avions observée précédemment chez la codeuse GB

durant la production de syllabes CV codées en LPC. Bien que le rythme syllabique et les durées

d’intervalles soient différents de ceux observés chez la codeuse GB (de manière générale, le rythme

est plus rapide et les durées sont plus courtes pour ces codeuses ; voir sections V.2.3 et V.3.3),

l’organisation temporelle des différents articulateurs de la LPC est maintenue. Notre résultat majeur

réside dans le rendez-vous temporel de la position manuelle vocalique (et en même temps de la

configuration consonantique, celle-ci étant superposée à la transition) avec le début acoustique de

la consonne et l’anticipation de la position manuelle LPC vocalique sur la cible labiale vocalique

(Figure 35).

VI.2.1.2. Comparaison interlocuteur

Afin de comparer les résultats des trois locutrices de manière objective (c’est-à-dire en éliminant les

éventuelles fluctuations de rythme syllabique), nous les avons normalisés par la syllabe CV : pour

chaque séquence, chaque intervalle en millisecondes est exprimé en pourcentage par rapport à la

durée acoustique de la syllabe S2 (sans unité, noté %rel ; voir section V.4.1). Nous rappelons que ces

durées de syllabes s’élevaient en moyenne à 252 ms (s= 41 ms) pour AM, à 253 ms (s= 45 ms) pour

SC et à 258 ms (s= 56 ms) pour RV (Tableau 3) ; ces durées ne sont significativement pas différentes

(ANOVA

14

, F< 1 ; voir une représentation graphique de cette proximité sur le graphe en Annexe 3). Ces

durées mènent à un rythme syllabique moyen de 4 Hz pour les sujets AM et SC et de 3,9 Hz pour RV.

Les résultats moyens et les écarts-types obtenus (en %rel) pour chaque intervalle et chaque sujet sont

présentés dans le Tableau 4 (voir également Figure 38). Pour comparer les trois codeuses nous avons

effectué une ANOVA à un facteur pour chaque durée d’intervalle (les différences significatives sont

indiquées par des astérisques dans le Tableau 4). Le lecteur intéressé pourra trouver en Annexe 3 (p.

22) les représentations graphiques, par des boîtes à moustaches, de ces données normalisées pour

chaque intervalle et chaque sujet ainsi que les commentaires associés détaillés (incluant les résultats

des analyses de variance et des comparaisons multiples a posteriori).

Ce qui ressort de cette comparaison en durées normalisées est le fait que nous trouvons dans le

domaine syllabique, un schéma de coordination main-lèvres-son très similaire d’une codeuse à l’autre

(voir les patrons de coordination schématisés sur la Figure 38 pour chaque codeuse) avec, certes, une

part de variabilité en ce qui concerne les caractéristiques de codage LPC. De manière générale,

l’anticipation de l’initiation du geste manuel sur le son (M1A1) caractérise le codage des trois sujets

avec un timing relatif qui semble en moyenne ne pas varier d’un sujet à l’autre. En ce qui concerne la

coordination temporelle des autres événements dans le domaine syllabique, nous trouvons une

différence de la codeuse RV par rapport aux deux autres (révélée par les tests post-hoc, voir Annexe

3) mais le schéma général reste le même : la position de main LPC vocalique est atteinte en début de

consonne acoustique (un peu plus tard dans la consonne pour RV), soit bien avant la réalisation de la

14 Moyennes comparées également par le test non-paramétrique de Kruskal-Wallis indiquant une

cible labiale vocalique et la main repart ensuite vers la position suivante aux environs de la cible labiale

(soit en même temps soit après).

Durées moyennes en %rel (écart-type) AM SC RV

M1M2 * 69 (15) 71 (17) 78 (21) M2M3 58 (29) 64 (29) 65 (25) M1A1 63 (28) 61 (29) 60 (27) A1M2 * 6 (21) 10 (22) 18 (19) M2L2 * 62 (21) 57 (20) 47 (23) M3L2 * 4 (30) -6 (23) -18 (27) M3M4 * 75 (19) 72 (19) 80 (23)

Tableau 4. Moyennes et écart-types des différents intervalles temporels obtenus pour les trois locutrices-codeuses, calculés en proportions par rapport à chaque durée de syllabe CV de chaque séquence (sans unité noté %rel). Les astérisques (*) près des noms d’intervalles indiquent les différences significatives (ANOVA) entre les trois sujets à p< .01.

Figure 38. Schémas des patrons temporels de coordination main-lèvres-son dans le domaine syllabique pour chacune des codeuses AM, SC et RV. Les valeurs indiquées correspondent aux durées d’intervalles exprimées en pourcentages relatifs de la durée de la syllabe CV (la durée de la syllabe s’élève donc à 100%rel).

Codeuse AM

Codeuse SC

Nous avons donc mis en évidence une très grande similarité dans le codage des sujets AM et SC ; la

codeuse RV semble quant à elle coordonner son codage de manière un peu différente. L’examen des

données pour le sujet RV indique que cette codeuse a tendance à exécuter des transitions manuelles

qui durent en moyenne plus longtemps. L’initiation de son mouvement de main par rapport au début

acoustique de la syllabe est semblable à celui des deux autres codeuses ; c’est l’atteinte de la position

qui se fait plus tardivement après le début de la consonne. Il apparaît donc que son codage manuel est

plus lent que celui des deux autres. De cette manière, la coordination temporelle mise en évidence

chez les deux autres codeuses semble être légèrement « décalée » chez la codeuse RV : la main

atteint sa position cible en début de consonne mais plus tard après le début acoustique, et donc de

manière plus proche de la cible labiale. La tenue de cible n’étant pas significativement différente entre

les trois codeuses, il s’ensuit que RV débute sa transition manuelle suivante plus tard après la

réalisation de la cible vocalique aux lèvres. Notons que la cible vocalique labiale est réalisée en

moyenne au même moment par rapport au début acoustique de la syllabe chez les trois codeuses

(ANOVA non significative pour A1L2, F< 1) ; ce n’est donc pas la cible aux lèvres qui varie d’un sujet à

l’autre. C’est bien la stratégie d’atteinte de position cible LPC qui semble différente chez la codeuse

RV. Plus précisément, cette différence s’explique par le fait que RV effectue des transitions de main

plus longues. Cette différence trouve certainement une explication dans la pratique quotidienne du

code LPC par le sujet RV qui est moins intensive que celle des deux autres codeuses : RV a en effet

l’habitude de coder pour des élèves au collège alors que AM et SC codent pour des élèves au lycée.

Ainsi les deux codeuses AM et SC sont surentraînées et semblent avoir acquis toutes les deux une

grande fluidité de codage par rapport à RV.

VI.2.2. Evolution des relations LPC-parole dans le domaine syllabique

Nous avons vu jusqu’à présent que les trois codeuses avaient certains points communs et certaines

différences concernant les caractéristiques de codage LPC et nous avons mis en évidence un patron

de coordination temporelle globalement stable pour la production du code LPC. Nous allons

maintenant examiner plus précisément comment ce patron de coordinations évolue en fonction de la

durée de la syllabe CV.