CHAPITRE I. La vision pour percevoir la parole : « Quand les lèvres ont besoin d’un coup
IV.2. Un modèle pour les gestes et la parole : le Sketch Model
De Ruiter (2000) propose une extension à ce modèle (voir Figure 18). A la manière de Levelt, il
propose une architecture générale modulaire de production de gestes spontanés en relation avec la
parole. Son modèle permet d’expliquer les gestes déictiques (gestes de pointage) et les gestes
iconiques dans lesquels il inclut les gestes métaphoriques (voir McNeill, 1992, voir aussi section
III.1.2). Il prend en compte également les emblèmes et ajoute les pantomimes qui correspondent à des
gestes qui imitent des activités motrices fonctionnelles et qui ne peuvent pas être issus directement de
l’imagerie mentale (il est à noter que dans la typologie de McNeill, les pantomimes font partie des
gestes iconiques). De Ruiter a une approche basée sur les représentations et les traitements
(Representations and Processes) ; il s’intéresse donc aux représentations qui sont à la base du
traitement des gestes et non pas à la sémiologie des gestes (cela explique sa motivation dans les
quelques changements de typologie).
C’est le conceptualizer du modèle de Levelt (voir section IV.1.1) qui est à l’origine de l’initiation des
gestes en synchronie avec les concepts lexicaux. Pour tous les gestes, le conceptualizer forme une
représentation du geste à effectuer, le « sketch », et l’envoie au planificateur de gestes (gesture
planner) qui sera en charge de construire un programme moteur à partir de ce sketch. L’exécution du
geste se fera finalement par les unités du contrôle moteur.
IV.2.1. La conception du sketch
En se basant sur le fait que ces gestes spontanés sont produits en relation étroite avec la parole, de
Ruiter fait l’hypothèse d’un module de traitement commun
3pour l’initiation du geste et de la parole, le
conceptualizer. Ce module a en effet accès à une base de connaissances, la mémoire de travail, qui
contient entre autres des informations conceptuelles pour les mots et des informations imagées
(spatio-temporelles) pour les gestes. De Ruiter ajoute au modèle un stock de gestes conventionnels, le
gestuaire (gestuary), auquel le conceptualizer peut également accéder. Le conceptualizer forme le
sketch qui peut contenir différentes informations selon le type de gestes à encoder : des informations
3 Il est à noter que de nombreux auteurs ne partagent pas ce point de vue d’un module de traitement
commun pour l’initiation du geste et de la parole : ils proposent alors une interaction entre gestes et parole à plusieurs étapes du traitement (voir une autre proposition de module commun p. 22 ; voir aussi de manière plus générale la discussion p. 22). Le sujet principal de cette thèse ne concernant pas directement les gestes co-verbaux, nous ne discuterons pas de la position de de Ruiter pour son modèle.
spatio-temporelles sur les images mentales pour les gestes iconiques, des informations sur la direction
d’un référent (pour les gestes déictiques), des informations sur la forme du geste récupérées dans le
gestuaire (pour les gestes déictiques et les emblèmes) et des informations relatives aux connaissances
motrices (action schema) pour les pantomimes.
Selon l’intention communicative du locuteur, le conceptualizer peut si nécessaire activer, en plus des
concepts appropriés, des images (à partir de la mémoire de travail) relatives à ces concepts qui seront
à la base du geste. C’est le cas pour les gestes iconiques. L’intention communicative a alors une
composante conceptuelle (propositionnelle) qui permet de former le message préverbal et une
composante « imagée » (avec une organisation spatio-temporelle) qui est à l’origine de la formation du
geste. Un seul geste peut remplacer une quantité importante de mots, ainsi les concepts difficiles à
exprimer avec des mots sont plus facilement exprimés à l’aide de représentations imagées ; ceci
explique la grande utilisation des gestes iconiques pendant les narrations. La forme du geste iconique
est déterminée par l’information imagée. Le conceptualizer extrait de l’image mentale les
caractéristiques pertinentes et crée une représentation qui est stockée dans le sketch. Cette
représentation, appelée « trajectoire » (trajectorie), peut contenir une ou plusieurs caractéristiques
spatiales et temporelles (mouvements) de la représentation imagée. Pour les gestes iconiques, le
sketch contient également la position relative du locuteur par rapport aux trajectoires ; ceci permettra
au locuteur d’adopter une certaine position spatiale par rapport au contenu sémantique du geste (voir
section IV.1.1, la perspective taking). Pour les emblèmes, le conceptualizer accède au gestuaire qui
contient un ensemble de programmes moteurs abstraits (c’est-à-dire pas entièrement spécifiés) des
gestes conventionnels, les templates, indexés par le concept qu’ils représentent. Si le conceptualizer
trouve dans le gestuaire un emblème qui peut exprimer le concept lexical de l’intention communicative
du locuteur, alors il stocke dans le sketch un pointeur (pointer) qui fait référence à cet emblème. Pour
les gestes déictiques, le conceptualizer stocke dans le sketch un vecteur qui indique la direction de la
position du référent que l’on doit pointer. Comme la forme des gestes de pointage est souvent
prédéterminée (conventionnelle selon la culture : c’est souvent l’index qui est utilisé mais ce peut être
aussi la main entière, le pouce, etc.), le conceptualizer stocke également dans le sketch un pointeur qui
fait référence à un template de pointage contenu dans le gestuaire. Finalement, une fois que le sketch
est généré, il est envoyé au planificateur de gestes.
Figure 18. Le Sketch Model. Figure adaptée de de Ruiter, 2000.
IV.2.2. Le planificateur de gestes
Le planificateur de gestes est chargé de construire un programme moteur à partir du sketch et des
informations qu’il contient. Pour ce faire, il a accès au gestuaire (pour retrouver les pointeurs), aux
procédures motrices et à certaines informations extérieures sur les contraintes de l’environnement. Il
doit construire le programme moteur en tenant compte de ces contraintes environnementales (de façon
à ne pas heurter des objets ou personnes durant l’exécution des gestes). Il complète ainsi les
programmes moteurs (templates) du gestuaire (pour les gestes déictiques et emblèmes) en spécifiant
les caractéristiques non encodées dans le gestuaire et qui dépendent du contexte et de la situation
telles que la partie du corps qui va exécuter le geste, la durée du geste, la position du membre dans
l’espace, etc. C’est en effet lui qui gère les différentes parties du corps (body-part allocation) en
Mémoire de travail Mémoire à long terme
Modèle de discours, encyclopédie, etc autre spatial concepts CONCEPTUALISEUR génération du sketch génération du message GESTUAIRE gesture templates PLANIFICATEUR DE GESTES sketch signal Environment CONTROLE MOTEUR Encodage grammatical SYSTEME ARTICULATOIRE plan phonétique (parole interne) FORMULATEUR LEXIQUE lemmas lexèmes Mouvement Parole message Structure de surface Programme moteur Encodage phonologique Encodage phonétique Syllabaire