Pour finir ce chapitre, nous entendons montrer que l’analogue de la
propo-sition 2.5.1 existe dans la catégorie orbifolde. Remarquons tout d’abord que,
comme dans le cas absolu, on a :
γd(X/∆) = 0si et seulement siπ
1(X/∆) est fini.
A nouveau, le groupe fondamental suffit à caractériser la conditionγd= 1.
Théorème 9.4.1
Soit(X/∆)une orbifolde kählérienne lisse. LaΓ-dimension de(X/∆)vaut 1 si
et seulement si son groupe fondamentalπ
1(X/∆)est commensurable au groupe
fondamental d’une courbe de genreg≥1.
Démonstration :
Siγd(X/∆) = 1, la suite exacte orbifolde (voir [Cam07, prop. 11.7]) associée
à la fibration
γ: (X/∆)−→C= Γ(X/∆)
montre que π
1(X/∆)est l’extension d’un groupe Gcommensurable au groupe
fondamental d’une courbe de genre positif par un groupe fini. Le lemme A.0.2
de l’appendice A montre que π
1(X/∆) est lui aussi commensurable à un tel
groupe.
Réciproquement, si π
1(X/∆) ≡ π
1(C) avec g(C) > 0, on en déduit que
π
1(X/∆) est résiduellement fini (π
1(C) l’est car il est linéaire). On peut alors
appliquer le théorème 9.1.2 : il existe un revêtement fini π:Y −→(X/∆)qui
ramifie exactement en ∆. Comme le groupe fondamental deY est
commensu-rable à celui de C, on en déduit que γd(Y) = 1. Le revêtement universel de
(X/∆)étant biméromorphe à celui deY, on en déduit queγd(X/∆) = 1. ¤
Corollaire 9.4.1
Si(S/∆)est une surface orbifolde kählérienne (lisse), la valeur de γd(S/∆)ne
dépend que du groupe fondamental de(S/∆).
Définition 9.4.1
Une famille d’orbifoldes paramétrée par une baseBest une orbifolde lisse(X/D)
dont la variété sous-jacente est munie d’une submersion propre à fibre connexe
f :X−→B
telle que la restriction def à chaque composante irréductibleDj deD soit
en-core submersive.
Dans cette terminologie, le théorème 9.4.1 a également pour conséquence
l’in-variance par déformation de laΓ-dimension des surfaces orbifoldes.
Corollaire 9.4.2
Soit (S/D) −→ B une famille de surfaces kählériennes orbifoldes au-dessus
d’une base connexe B. L’application
b(∈B)7→γd(Sb/Db)
est constante au cours de la déformation.
Démonstration :
D’après le corollaire 9.4.1,γd(Sb/Db)ne dépend que deπ
1(Sb/Db). Or, si on
fixe un point base0∈B et si on note(S/∆) = (S
0/D
0), on peut trouver (pour
b proche de 0) un difféomorphisme
ϕ
b:Xb −→
∼X
tel que, pour toutj :
ϕ
b(Dj|Xb) = ∆j.
En particulier, le groupe π
1(Sb/Db) ne dépend pas deb et la Γ-dimension est
bien invariante.¤
Troisième partie
Extensions de formes
pluricanoniques : la méthode
One-Tower
Chapitre 10
Introduction à la partie III
10.1 Invariance des plurigenres
Parmi les invariants biméromorphes d’une variété complexe compacte, les
plurigenres font partie des plus simples à définir mais cette simplicité ne doit pas
cacher le fait qu’ils sont une source considérable d’informations sur la géométrie
de la variété : leur comportement dicte en effet une grande partie de la-dite
géométrie. Une question naturelle qui se pose alors est la suivante : comment
se comportent les plurigenres dans une déformation de variétés complexes ? Si
la réponse à cette question est triviale dans le cas des courbes (les plurigenres
sont alors des invariants topologiques), elle l’est déjà nettement moins dans le
cas des surfaces [Iit70] :
Théorème 10.1.1 (S. Iitaka, 1970)
Les plurigenres sont invariants dans une déformation de surfaces.
La démonstration de ce résultat s’appuyant sur la classification des surfaces
obtenue (entre autres) par K. Kodaira, F. Enriques et I.R. Shafarevich, celui-ci
n’admet bien entendu aucune généralisation en dimension supérieure. D’autant
plus que, sous cette forme naïve, l’énoncé précédent devient faux en dimension
supérieure : une construction due à I. Nakamura [Nak72] montre que, dès la
dimension 3, les plurigenres peuvent avoir des sauts au cours d’une déformation.
Dans l’exemple de Nakamura, les fibres de la déformation ne sont cependant pas
kählériennes. Cette remarque motive donc la conjecture suivante :
Conjecture 10.1.1
Les plurigenres sont invariants dans une déformation de variétés kählériennes.
En d’autres termes, si π : X −→ B est une application holomorphe, propre
et connexe au dessus de la base B (connexe) et si toutes les fibres de π sont
kählériennes, l’application :
B 3b7→p
m(Xb)est constante sur B pour tout entier m≥1.
Dans le cadre purement kählérien, le résultat le plus significatif obtenu dans
la direction de la conjecture 10.1.1 est dû à M. Levine :
Théorème 10.1.2 ([Lev83])
Soit π:X−→B une déformation de variétés complexes et 0 un point de B;
on suppose queX
0la fibre au dessus de 0 est dans la classeCde Fujiki et que le
système linéaire|mK
X0|contient un membre lisse pour un certain entierm≥1.
Il existe alors un voisinage U de 0 dansB (on peut même choisirU un ouvert
de Zariski) tel que :
∀b∈U, ∀k= 1. . . m, p
k(Xb) =p
k(X
0).
On rappelle que la classe C de Fujiki désigne la classe des variétés complexes
qui sont biméromorphes à une variété kählérienne. Les variétés de la classe
C jouissent de certaines propriétés vérifiées par les variétés kählériennes, par
exemple la décomposition de Hodge est encore valable sur une variété X ∈ C,
ainsi que la dégénéréscence en E
1de la suite spectrale de Hodge-Frölicher. A
contrario, si la classe des variétés kählériennes est stable par petites
défor-mations (théorème de Kodaira-Spencer), il n’en est rien de la classe C (voir
[Cam91a]).
Pour montrer le théorème 10.1.2, M. Levine calcule explicitement
l’obstruc-tion au fait de pouvoir étendre une secl’obstruc-tion définie sur la fibreX
0à un voisinage
deX
0et, sous les hypothèses ci-dessus, il montre que cette obstruction s’annule
par un argument de théorie de Hodge (dégénérescence de la suite spectrale de
Frölicher d’un revêtement fini deX). La conjecture 10.1.1 se réduit en effet à un
problème d’extension de sections. D’après les théorèmes d’images directes de H.
Grauert, on sait que la fonction :
B 3b7→p
m(Xb)est semi-continue supérieurement (pour une déformation π : X −→ B) ; en
particulier, si on fixe un point base 0 dansB, on a nécessairement :
p
m(Xb)≤p
m(X0)au voisinage de0.
Si on sait montrer que toute section s ∈ H
0(X
0, mK
X0) se prolonge sur un
voisinage de la fibreX
0, on obtient alors l’autre inégalité et donc :
p
m(Xb) =p
m(X0)au voisinage de0.
La fonctionb7→p
m(Xb)est alors localement constante donc constante siB est
connexe.
Dans une série d’articles remarquables [Siu98] et [Siu02], Y.-T. Siu démontre
l’invariance des plurigenres dans le cas d’une famille projective au-dessus du
disque unité de C (la question étant locale sur la base, ce cas suffit
ample-ment) : les fibres sont alors projectives et munies d’une polarisation globale.
Dans [Siu98], qui traite le cas du type général, la propriété d’extension des
sec-tions pluricanoniques est établie en comparant de façon astucieuse deux idéaux
multiplicateurs (voir le chapitre 11 pour les notions introduites). L’article [Siu02]
démontre le cas général en autorisant même des sections pluricanoniques à
va-leurs dans un fibré en droites pseudo-effectif (c’est à dire à courbure positive au
sens des courants) :
Théorème 10.1.3 ([Siu02])
Xavec ˜h
X0bien définie etI(X
0,h˜
X0) =O
X0et soit m≥1 un entier.
Alors, toute sections∈H
0(X
0, mK
X0+L)vérifiant : ksk
∞,˜h<+∞s’étend en
une section ˜s∈H
0(X, mK
X+L)(c’est-à-dire : ˜s
X0=s∧π
∗(dt)).
Le cas du fibré Ltrivial correspond donc à l’invariance des plurigenres dans la
situation d’une famille projective.
Enfin, récemment, M. Păun a donné une nouvelle démonstration de
l’inva-riance des plurigenres : en introduisant la méthode dite One-Tower, il a
consi-dérablement simplifié la démonstration de [Siu02] et a amélioré l’énoncé 10.1.3
(le rendant dans le même temps plus naturel) :
Théorème 10.1.4 ([Pău07])
Soientπ:X−→Dune famille de variétés projectives et(L,˜h)un fibré
pseudo-effectif surX avech˜
X0bien définie et soitm≥1 un entier.
Toute section s ∈ H
0(X
0,(mK
X0+L)⊗I(X
0,˜h
X0)) s’étend en une section
˜
s∈H
0(X, mK
X+L).
Dans le document
Déformation de variétés kählériennes compactes : invariance de la $\Gamma$-dimension et extension de sections pluricanoniques
(Page 109-114)