Sif :X−→Y est une fibration (application holomorphe surjective à fibres
connexes) entre variétés kählériennes compactes, on sait que γd(X) ≥ γd(Y)
mais, même si la fibre générale F vérifieγd(F)>0, l’inégalité précédente peut
être en fait une égalité. La proposition 2.3.2 permet en effet de construire des
exemples montrant qu’il est difficile d’obtenir un contrôle quelconque sur les
fibres de la Γ-réduction. A cet effet, considérons Y une variété projective de
type π
1-général et choisissons X une hypersurface suffisamment ample dans
P
2×Y. Le théorème de Lefschetz (proposition 2.3.2) montre que la restriction
de la deuxième projection àX est bien laΓ-réduction de X :
γ
X'pr
2|X:X −→Y
Or, si X est de degré d sur P
2, la fibre générale F de γ
Xest une courbe de
genreg=
(d−1)(2d−2): en particulier, celle-ci vérifieγd(F)>0pour d≥3 alors
queγd(X) =γd(Y). On peut également remarquer que le genre deF peut être
rendu arbitrairement grand.
2.4.1 Un résultat d’additivité
Le comportement de la Γ-dimension par rapport aux fibrations doit donc
dépendre de la topologie de la fibre générale relativement à celle de l’espace
ambiant X. Le lemme suivant décrit justement une situation dans laquelle la
Γ-dimension vérifie une propriété de sur-additivité :
Lemme 2.4.1
Soitf :X −→Y une fibration entre variétés kählériennes compactes ; on note
X
gla fibre générale de f et on suppose que le morphisme π
1(X
g)−→ π
1(X)
déduit de l’inclusion est injectif. On a alors :
γd(X)≥γd(X
g) +γd(Y).
En particulier, X est de typeπ
1-général siX
getY le sont.
Remarque 2.4.1
Sauf dans le cas (mentionné ci-dessus) où X
get Y sont de type π
1-général,l’inégalité sera stricte en général. Considérons en effet la variétéX˜ =E×E où
E est une courbe elliptique et formons le quotientX = ˜X/ı par l’involutionı
le deuxième facteur. La surfaceXa une structure de surface elliptiqueX −→P
1et vérifie γd(X) = 2 carX˜ −→X est étale. En utilisant le diagramme
˜
X
²
²
/
/E
²
²
X //P
1,
on constate que le groupe fondamental de la fibre de X −→ P
1s’injecte dans
celui deX : on est donc bien dans la situation du lemme 2.4.1 avec une inégalité
stricte.
Démonstration :
Considérons le diagramme :
X
f//
γX²
²
Y
γY²
²
Γ(X)
γf//Γ(Y)
L’imageγ
X(X
g)deX
gparγ
Xest contenue dans une fibre de
γ
f: Γ(X)−→Γ(Y)
d’où :
dim(γ
X(X
g))≤dim(Γ(X))−dim(Γ(Y)) =γd(X)−γd(Y). (2.2)
Notons Γ la fibre générale de la Γ-réduction deX et considérons l’application
X
g−→ γ
X(X
g). La fibre de cette application est Γ∩X
get comme π
1(X
g)apparaît comme un sous-groupe deπ
1(X), on constate que l’image deπ
1(Γ∩X
g)dans π
1(X
g)doit donc être finie. Pour s’en convaincre, on peut parcourir le
diagramme :
π
1(Γ∩X
g)//
²
²
π
1(XÄ _
g)²
²
π
1(Γ) //π
1(X)
en se rappelant la propriété vérifiée par Γ. DoncΓ∩X
gest contenue dans la
fibre de la Γ-réduction deX
get l’application X
g−→γ
X(X
g)se factorise sous
la forme :
X
g//
"
"
E
E
E
E
E
E
E
E γ
X(X
g)z
ztttttt
ttt
Γ(X
g)et on en déduit quedim(γ
X(X
g))≥γd(X
g). Ceci combiné avec l’inégalité (2.2)
fournit la sur-additivité annoncée :
¤
Dans le cas d’un morphisme en courbes, on peut affaiblir l’hypothèse sur le
morphismeπ
1(X
g)−→π
1(X):
Lemme 2.4.2
Si f : X −→ Y est une fibration en courbes et si l’image du morphisme
π
1(X
g)−→π
1(X) est infinie, alors :
γd(X)≥1 +γd(Y).
Démonstration :
En effet, en reprenant les notations de la démonstration précédente, on doit
montrer que dim(γ
X(X
g)) = 1. Mais dim(γ
X(X
g)) = 0signifie exactement
que X
gest contenue dans la fibre Γ et on devrait avoir π
1(X
g)Xfini ; ce qui
est manifestement contraire à l’hypothèse faite dans l’énoncé. On a donc bien
dim(γ
X(X
g)) = 1et
γd(X)≥1 +γd(Y).
¤
Question 2.4.1
Dans les situations des lemmes 2.4.1 et 2.4.2, la fibrationf est-elle submersive
sur un modèle biméromorphe bien choisi (et après revêtement étale fini) ?
2.4.2 Cas des submersions en tores
Il nous reste maintenant à dégager des situations dans lesquelles le groupe
fondamental de la fibreX
gs’injecte dans celui de l’espace ambiantX. Le
théo-rème suivant montre que sous l’hypothèse d’abélianité du groupe fondamental
de X
g(et en l’absence de torsion), ce dernier s’injecte dans celui de l’espace
ambiant lorsque la fibrationf est submersive ; en particulier, lorsquef est une
submersion en tores.
Théorème 2.4.1
Soitf :X −→Y une submersion holomorphe propre (connexe) avec X
kähle-rienne (X etY ne sont plus nécessairement supposées compactes). SiF désigne
la fibre de f, on suppose queπ
1(F)est abélien sans torsion ; le morphisme
i∗:π
1(F)−→π
1(X)
est alors injectif.
En particulier, si f est une submersion en tores, le groupe fondamental de la
fibre s’injecte dans celui deX.
Remarque 2.4.2
Signalons ici un résultat de J. Kollár [Kol93b, th ; 6.3, p. 198] qui est une sorte
de réciproque au théorème 2.4.1 ci-dessus : si f : X −→ Y est une fibration
(entre variétés projectives) dont la fibre généraleF est revêtue par une variété
abélienne et si i∗ : π
1(F)−→ π
1(X) est injectif, alors (à revêtement étale fini
Corollaire 2.4.1
SiX kählerienne compacte admet une submersion en tores sur une variété de
type π
1-général, alorsX est de typeπ
1-général.Avant de procéder à la démonstration de ce théorème, remarquons que le résultat
ne subsiste plus en dehors de la catégorie kählérienne comme le montre l’exemple
des surfaces de Hopf (non kählérien) : une telle surfaceSadmet une submersion
elliptique surP
1et est difféomorphe àS
1×S
3donc a pour groupe fondamental
π
1(S) =Z. Si E désigne une fibre deS −→P
1, on ne peut donc en aucun cas
avoirπ
1(E),→π
1(S).
Démonstration du théorème 2.4.1 :
On se ramène tout d’abord au cas où la base est simplement connexe. Si
π:Ye −→Y est le revêtement universel deY, le produit fibré :
e
X
f=X×Y Ye
πf²
²
/
/Ye
π²
²
X
f//Y
définit donc une submersion holomorphe propre g : Xe
f−→ Ye. De plus,
l’ap-plication π
f:Xe
f−→X est un revêtement étale. La suite exacte d’homotopie
associée àgs’écrit :
0−→K−→π
1(F)
i∗−→π
1(Xe
f)−→0 (2.3)
oùKdésigne simplement le noyau deπ
1(F)−→π
1(Xe
f). La suite (2.3) est donc
une suite exacte de groupe abélien qui se dualise en :
0−→H
1(Xe
f,C)−→
i∗H
1(F,C)−→Hom(K,C). (2.4)
Or, comme Ye est simplement connexe, la monodromie de la fibration g est
triviale et, comme Xe
fest kählérienne, on peut appliquer le théorème de
dégé-nérescence de la suite spectrale de Blanchard [Bla56] (voir également [Voi02,
p. 376-382] pour une exposition remarquablement limpide de ce résultat) : le
morphisme de restriction
H
1(Xe
f,C)−→
i∗H
1(F,C)
est surjectif et la flèche
H
1(F,C)−→Hom(K,C)
est donc identiquement nulle. CommeKest un sous-groupe d’un groupe abélien
sans torsion, ceci est équivalent au fait queK soit réduit à zéro. On a donc un
isomorphisme de groupes :
i∗:π
1(F)−→
∼π
1(Xe
f).
Pour conclure, rappelons que le revêtement π
f: Xe
f−→ X est étale ; le
mor-phisme induit au niveau du groupe fondamental
π
1(F)−→
∼π
1(Xe
f)
πf∗est donc injectif.¤
Revenons au cas où l’espace totalX est une variété kählérienne compacte
mais supposons toujours que la fibre F de la submersion f a un groupe
fonda-mental abélien sans torsion. On peut alors considérer l’application d’Albanese
relative de f (qui est une submersion en tores) et comparer les morphismes
induits au niveau des groupes fondamentaux. En effet, dans le diagramme
X
fÂ
Â
?
?
?
?
?
?
?
?
αf/
/Alb(X/Y)
φz
zuuuuuu
uuuu
Y
φest une submersion en tores et pour touty∈Y, la restriction deα
fà la fibre
X
y=f
−1(y)
α
f|Xy:X
y−→Alb(X/Y)y
est l’application d’Albanese de X
y. Siπ
1(X
y)est abélien sans-torsion, on a un
isomorphisme de groupes (proposition 3.2.1)
α
f∗:π
1(X
y)−→
∼π
1(Alb(X
y))
et, du diagramme
π
1(X
y)Â Ä
i∗//
αf∗ ∼²
²
π
1(X)
αf∗²
²
f∗&
&
N
N
N
N
N
N
N
N
N
N
N
π
1(Y) //1
π
1(Alb(X/Y)
y)Â Ä
i∗//π
1(Alb(X/Y))
φ∗
8
8
p
p
p
p
p
p
p
p
p
p
p
on déduit donc :
Corollaire 2.4.2
Sif :X−→Y est une submersion (avecX kählérienne compacte) dont la fibre
a un groupe fondamental abélien sans-torsion, l’application d’Albanese relative
donne un isomorphisme au niveau des groupes fondamentaux :
α
f∗:π
1(X)−→
∼π
1(Alb(X/Y)).
Remarque 2.4.3
Sif :X −→Y est une submersion en toresT avecXprojective, on peut obtenir
une démonstration du théorème 2.4.1 sans recours à la théorie de Hodge. En
considérant des sections hyperplanes deX, on peut construire une multisection
def, c’est-à-dire une sous-variété (lisse)M deXqui coupe toutes les fibres def
en un nombre fini de points (disonsdpoints). En tenant compte de la structure
de groupe des fibres, on aimerait alors poser :
Il faut prendre garde au fait que cette structure de groupe n’est bien définie
qu’une fois une origine fixée. La section s n’est donc définie qu’à un point de
d-torsion près dans les fibres. Comme lad-torsion d’un tore est finie,sest bien
définie sur un revêtement étale fini Y
0de Y. Si on construit le produit fibré
X
0=X×Y Y
0, l’applicationX
0−→Y
0est maintenant munie d’une section et,
en particulier, cela assure la surjectivité du morphisme
π
2(X
0)−→π
2(Y
0)
qui est équivalente à l’injectivité de
π
1(T)−→π
1(X
0).
Pour terminer cette discussion sur les familles de tores, on se propose de
montrer que, lorsque la base de la fibration est déja simplement connexe, l’espace
total n’a d’autre choix que de se scinder :
Proposition 2.4.1
Sif :X −→Y est une submersion en tores avecX kählérienne compacte etY
simplement connexe,X est alors isomorphe au produit Alb(X)×Y.
Démonstration :
La démonstration du théorème 2.4.1 fournit l’isomorphisme suivant donné
par l’opération de restriction :
i
∗:H
1(X,Z)−→
∼H
1(T,Z)−→0
et on a donc en particulierq(X) =q(T). Ceci combiné avec la propriété
univer-selle de l’application d’Albanese 3.2.1 montre que l’application composée :
T ,→
iX−→
αXAlb(X)
induit un isomorphisme au niveau du H
1(à coefficients dans Z) ; comme un
tore est déterminé par sa structure de Hodge entière et comme i
∗◦α
∗X