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Chapitre 1 – Revue de la documentation

1.5. Le pronostic par la consommation de la silice réactive

1.5.1. Optimisation d’un essai accéléré d’expansion en laboratoire

L’approche LMDC utilise la cinétique de consommation de la silice réactive propre aux granulats fins et grossiers de l’ouvrage à l’étude pour effectuer le pronostic de la structure. L’épuisement de la silice réactive se manifeste par l’atteinte d’une asymptote sur la courbe d’expansion dans le temps lorsque les alcalis et l’humidité sont présents de façon à assurer le développement de la RAS. Ainsi, l’essai accéléré sur barres de mortier développé et optimisé pour l’approche LMDC permet ultimement d’évaluer la cinétique de consommation de la silice réactive (Sellier et coll., 2009; Gao, 2010; Gao et coll., 2012; Gao et coll., 2013a). Toutefois, la méthode

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inclue une phase d’optimisation des conditions d’essais puisque certains paramètres propres à la minéralogie et à la réactivité du granulat doivent être évalués.

Puisqu’il avait été noté par Sellier et coll. (2009) que la dimension des éprouvettes et des particules de granulats contenues dans les carottes utilisées pour les essais d’expansion résiduelle était trop grande pour permettre la diffusion des ions alcalis jusqu’au cœur des particules du gros granulat sur une durée d’un an, Gao (2010) a plutôt proposé de réduire la taille des particules du gros granulat pour les inclure dans un mortier et ainsi accélérer la vitesse de diffusion/réaction. Il devient donc techniquement possible de consommer toute la silice réactive par l’atteinte d’une asymptote d’expansion dans un délai de temps raisonnable.

Afin de s’assurer que la silice réactive soit entièrement consommée, Gao (2010) propose d’immerger les éprouvettes de mortier dans une solution de NaOH 1N pour veiller à ce que les alcalis soient en excès (Gao et coll., 2012; Gao et coll., 2013a). De plus, après une période d’environ 250 jours, Gao (2010) a procédé à un changement de la solution de trempage pour valider que la silice réactive était bel et bien épuisée et que les alcalis ne limitaient pas la consommation de la silice réactive. À la suite de ce changement de solution, aucune expansion significative n’a été générée, suggérant que la concentration de la solution de trempage de NaOH 1N est suffisante pour épuiser la silice réactive des granulats à l’étude. De plus, trois différentes concentrations d’une solution de trempage de NaOH ont été testées par Gao et coll. (2013a), soit 0,77N, 1N et 1,25N. Il s’avère que la concentration de la solution a un effet négligeable sur l’expansion générée tant que les alcalis sont disponibles en abondance.

En ce qui concerne la température d’essai, une température de 60°C a été utilisée par Gao et coll. (2013a) pour permettre une accélération significative de la RAS. Des températures supérieures à 70°C entrainent l’instabilité et la mise en solution de l’ettringite (Neville, 2011). L’ettringite est décomposée au-delà de 80°C, ce qui augmente la concentration en sulfates de la solution interstitielle et résulte en une

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diminution de la concentration en ions hydroxyles. Ainsi, la température de 80°C recommandée pour les essais accélérés sur barres de mortier (CSA A23.2-25A ou ASTM C1260) ne semble pas adéquate (Hooton et Golmanaki, 2016). Selon Hooton et Golmanaki (2016), une température de 40°C ralentit trop la cinétique de réaction alors qu’une température de 60°C semble être idéale pour conserver une cinétique de développement de la RAS qui soit appréciable sans faire intervenir les effets indésirables observés à des températures supérieures.

Il est reconnu dans la littérature que l’expansion générée par la RAS est influencée par la dimension des particules de granulats (Hobbs, 1988; Stanton, 1940) (Figure 1.4a). Cet effet, mieux connu sous le nom de « l’effet pessimum », fait en sorte que l’expansion générée est plus importante pour un calibre granulaire spécifique et que cette expansion diminue pour des calibres inférieurs et supérieurs.

Figure 1.4: Effet de (a) la dimension des particules et (b) de la proportion du matériel réactif sur l'expansion générée par la RAS. Tiré de Stanton (1940).

Ce phénomène a récemment été confirmé par Gao et coll. (2013a) (Figure 1.5). Pour des calibres granulaires supérieurs, la diminution de l’expansion est associée à une moins grande surface spécifique des particules de granulat, ce qui confère un moins bon accès à la silice réactive de ces derniers. Pour les calibres de dimension inférieure, il a été observé que cet effet s’inverse lorsque la dimension des particules de granulats devient très fine (inférieure à quelques dizaines de µm).

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Deux raisons ont été proposées dans la littérature pour expliquer la diminution de l’expansion associée avec la diminution de la dimension des particules de granulats : 1) La microstructure de la silice réactive est détruite et les phases réactives sont perdues lors du processus de concassage/broyage (e.g. grès de Potsdam (Lu et coll., 2006a));

2) Il existe une porosité au pourtour des particules de granulat qui fait en sorte que lorsque la dimension des particules est réduite, le réseau poreaux devient plus important et plus continu. Cette continuité permet la migration du gel sans générer d’expansion (Multon et coll., 2010).

Toutefois, selon les résultats observés par Gao et coll. (2013a), il semble que l’effet de la dimension des granulats sur l’expansion générée soit atténué lorsque des éprouvettes de grande dimension sont considérées (Figure 1.5). En effet, sur la Figure 1.5, il est représenté que les éprouvettes de dimension 70x70x280 mm ont des différences d’expansion faibles, peu importe la dimension des granulats contenue dans les éprouvettes de mortier (sauf pour la dimension 0-315 µm).

Figure 1.5: Expansions finales générées par la RAS selon différentes dimensions d'éprouvettes et de granulats.

Il existe un autre effet pessimum quant à la proportion de matériel réactif utilisé dans la confection des éprouvettes (Figure 1.4b). Stanton (1940) a observé qu’une plus grande quantité de matériel réactif ne génère pas nécessairement des expansions plus fortes. Hobbs (1988) explique cet effet pessimum en assumant qu’en ayant

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davantage de silice réactive, les produits de réaction formés présentent des ratios SiO2/Na2Oeq plus élevés, ce qui réduit leur affinité avec l’eau et en conséquent leur

capacité à générer des pressions dans le béton. De plus, quand le contenu en silice réactive est très élevé, la solution d’attaque est « diluée » par rapport à la surface de silice disponible, de sorte que la réactivité et l’expansion sont amoindries.

Il est également accepté dans la littérature que la dimension des éprouvettes influence l’expansion générée par la RAS (Duchesne et Bérubé, 2003; Smaoui et coll., 2004b; Gao et coll., 2013a; Lindgård et coll., 2012; Lindgård et coll., 2013). Il a été observé par Gao (2013a) que lors d’essais d’expansion en trempage dans une solution de NaOH, une dimension plus grande d’éprouvette est associée à une expansion initiale plus faible que les éprouvettes de plus petites dimensions (Figure 1.6). Cette observation est expliquée par ces chercheurs par la différence de temps nécessaire pour que les alcalis diffusent jusqu’au cœur des éprouvettes en fonction de la dimension des éprouvettes. Cependant, les éprouvettes de petites dimensions atteignent une asymptote d’expansion dans des délais de temps plus courts que les plus grandes éprouvettes (Figure 1.6). Gao et coll. (2013a) ont également démontré que les éprouvettes de plus grandes dimensions généraient des expansions finales plus élevées que les éprouvettes de petites dimensions (Figure 1.5 et Figure 1.6). Ces observations sont applicables aux essais en conditions de trempage dans une solution de NaOH mais ne sont pas nécessairement applicables aux essais d’expansion réalisés dans des conditions plus conventionnelles (ex : 100 % H.R.), étant donné les grandes différences dans les conditions expérimentales.

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Figure 1.6: Expansion générée par la RAS dans le temps sur des éprouvettes prismatiques de dimensions variables, immergées dans une solution de NaOH (1N) et entreposées à 60°C. Ces barres contiennent des particules de granulats réactifs (opale) de dimension (a) 315-630 µm (b) 630-1250 µm et (c) 1250-2500 µm. Tiré de Gao et coll. (2013a).

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Ces observations suggèrent qu’il existe un « effet d’échelle » entre la dimension des particules et la dimension des éprouvettes (Gao et coll., 2013a) (Figure 1.7). Les auteurs expliquent l’effet d’échelle en proposant que pour un même calibre granulaire, la proportion de particules à proximité de la surface de l’éprouvette par rapport à la quantité totale de particules augmente avec la diminution de la taille des éprouvettes. De cette façon, le gel généré par les particules de granulats à proximité de la surface des éprouvettes peut être lessivé dans la solution de trempage plus facilement que pour les particules situées au cœur des éprouvettes. Ce phénomène de « perte de gel », dû à l’effet d’échelle, explique possiblement pourquoi les éprouvettes de plus petite dimension subissent moins d’expansion pour un calibre granulaire donné.

Aussi, plus les particules de granulats sont grossières pour une dimension d’éprouvette donnée, plus les contraintes générées localement par ces particules sont fortes (Gao et coll., 2013a). Suivant cette idée, Gao et coll. (2013a) proposent que pour une dimension d’éprouvette donnée, la fissuration devrait apparaître plus rapidement pour les éprouvettes contenant des particules de granulats plus grossières. À la suite de la fissuration, des produits de réaction se forment dans les fissures et il peut aussi y avoir des pertes de gel via la fissuration. De cette façon, l’expansion générée dans une éprouvette de taille donnée diminue avec une augmentation de la taille des granulats. Il semble que cet effet peut être atténué en sélectionnant des éprouvettes de plus grande dimension (Figure 1.5).

C’est dans cette optique que Gao et coll. (2013a) a cherché à valider les conditions optimales d’essai pour le granulat à l’étude, soit une opale. À noter que le matériau utilisé par Gao était un matériel de référence au LMDC, reconnu pour être très réactif. De plus, la nature des phases réactives dans cette opale lui confère vraisemblablement une réactivité plutôt isotrope.

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Figure 1.7: Expansion finale générée par la RAS en fonction du ratio dimension des éprouvettes / dimension des particules réactives. Tiré de Gao (2010).

Pour ce faire, des éprouvettes de mortier contenant des particules de granulats concassés en différents calibres granulaires (0-315 µm, 315-630 µm, 630-1250 µm et 1250-2500 µm) ont été fabriquées, et ce pour différentes tailles d’éprouvettes (20x20x160 mm, 40x40x160 mm et 70x70x280 mm). Cette série d’optimisation des conditions d’essai permet ainsi de sélectionner le couple du calibre granulaire et de la dimension des éprouvettes de mortier qui permet de consommer complètement la silice réactive dans un délai de temps raisonnable tout en générant des expansions significatives. Les particules réactives de chaque calibre granulaire fermé utilisé pour la confection de ces mélanges constituent 30 % des matériaux granulaires utilisés. Le 70 % restant est un sable non réactif de granulométrie étalée de 0 à 2,5 mm pour permettre une bonne consistance et une bonne mise en place des mélanges de mortier. Ainsi, chaque mélange de mortier a une distribution granulométrique différente. Multon et coll. (2010) a réalisé une étude de la porosité sur 6 mélanges de mortier différents (M1 à M6), chacun contenant 30 % de granulats d’un calibre granulaire fermé (M1 : 0-80 µm; M2 : 80-160 µm; M3 : 160-315 µm; M4 : 315-630 µm; M5 : 630-1250 µm; M6 : 1250-2500 µm) et 70 % de granulats d’une dimension étalée de 0 à 2500 µm. Les porosités mesurées sur ces différents mortiers varient de 17,3 à 18,2 %. La différence d’un mélange de mortier à l’autre a été jugée non-significative puisqu’une différence allant jusqu’à 1 % pouvait être observée pour 3 éprouvettes de mortier d’un même mélange. Ainsi, Gao et coll. (2013a) ont considéré que la variation de la distribution granulométrique impliquée

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par les différents mélanges réalisés a une influence négligeable sur la porosité des mortiers.

Les résultats obtenus par Gao et coll. (2013a) et Gao (2010) l’ont mené à proposer, pour le granulat à l’étude, l’utilisation d’une dimension de particules de 315-630 µm et d’une dimension d’éprouvette de 20x20x160 mm. Bien que ce ne soit pas le couple ayant généré l’expansion la plus forte, dans une optique de conserver la méthode rapide et efficace, les éprouvettes de petite dimension ont été sélectionnées puisqu’elles permettent d’obtenir une asymptote d’expansion dans un délai de temps raisonnable (~ 100 jours) (Figure 1.6). Finalement, puisque la réactivité est variable d’un granulat à l’autre, cette optimisation des conditions d’essai doit être réalisée systématiquement d’un ouvrage à l’autre.

1.5.2. Extraction des granulats du béton

La méthode d’extraction des granulats des carottes de béton proposée par Gao (2010) et Gao et coll. (2013b), inspirée des travaux de Abbas et coll. (2008), est différente de celle utilisant le gel-dégel proposée dans la méthodologie de Bérubé et coll. (2002a). Gao et coll. (2013b) propose une méthodologie d’extraction en trois étapes, soit 1) le concassage des carottes de béton, 2) un traitement thermique dans une solution de sulfates de sodium pour séparer la pâte des granulats et 3) une attaque chimique à l’acide salicylique pour nettoyer les particules de granulats des résidus de pâte de ciment (Gao et coll., 2013b).

Le concassage des échantillons de béton a pour objectif d’augmenter la surface de contact pour accélérer le traitement thermique. Ce dernier consiste à immerger les fragments de béton dans une solution de sulfates de sodium concentrée à 26 % et à leur faire subir un traitement cyclique à des températures de 60°C et -17°C avec des changements de solution périodique. Selon Gao et coll. (2013b), cette méthode s’est avérée aussi performante que celle proposée par Bérubé et coll. (2002a) par traitement à l’azote liquide; toutefois Gao et coll. (2013b) jugent que la méthode développée est plus facile d’utilisation. Puis, l’attaque chimique consiste à soumettre les granulats à une agitation mécanique dans une solution d’acide salicylique et de

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méthanol pour dissoudre les résidus de pâte de ciment, et ce, de façon cyclique jusqu’à ce que les granulats soient propres. La méthode d’extraction développée par Gao et coll. (2013b) s’est avérée efficace pour les granulats de dimension supérieure à 1 mm en permettant de récupérer plus de 90 % du matériel d’origine. Cependant, pour les granulats de dimension inférieure à 1 mm, 40 à 60 % du matériel n’a pas été récupéré, principalement par la dissolution de particules fines au traitement chimique à l’acide et par les pertes lors des manipulations en laboratoire (transfert et lavage).

Une fois les granulats extraits des carottes, ils peuvent être broyés au calibre granulaire préalablement optimisé et ces particules utilisées pour la fabrication des éprouvettes qui servent à évaluer la cinétique de consommation de la silice réactive (section 1.5.3). Si le béton de la structure à l’étude comporte différents calibres granulaires, une grande importance doit être accordée à récupérer les particules selon les différents calibres granulaires de la formulation originale du barrage. En effet, selon le modèle de cinétique de consommation de la silice réactive présenté dans Gao (2010), la consommation de la silice réactive est un phénomène qui se produit du pourtour des particules de granulats en se dirigeant vers le cœur ou, préférentiellement, le long de microfissures contenues dans ces particules. Ainsi, cette cinétique de réaction est dépendante de la dimension des particules de granulats (Gao, 2010). Les particules de granulats plus grossières devraient vraisemblablement contenir plus de silice réactive non altérée par la RAS et, en conséquent, présenter un potentiel d’expansion future plus important. Pour cette raison, les différents calibres granulaires compris dans la formulation théorique de la structure à l’étude doivent être différenciés autant que possible afin d’ajuster le potentiel d’expansion future à la formulation du béton de l’ouvrage. De plus, la méthode d’extraction proposée par Gao et coll. (2013b) permet de séparer complètement la pâte de ciment des granulats et de récupérer ces derniers sans affecter la silice réactive. Ces deux paramètres sont cruciaux puisqu’ils peuvent ensuite influencer l’expansion générée par ces granulats s’ils ne sont pas respectés.

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