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Chapitre 1 – Revue de la documentation

1.4. Le pronostic par les alcalis solubles : l’approche globale de Bérubé et coll.

1.4.4. Alcalinité de la solution interstitielle du béton

L’alcalinité de la solution interstitielle est considérée dans l’approche de Bérubé et coll. (2002a) par le coefficient ALK (Figure 1.2). Il est en effet reconnu dans la documentation qu’il existe une concentration critique d’alcalis nécessaire pour initier et perpétuer la RAS. Duchesne et Bérubé (1994a) ont démontré que la teneur en alcalis du béton diminue avec l’avancement de la RAS jusqu’à l’atteinte d’une concentration stable de 0,6 M d’ions hydroxydes (NaOH + KOH) pour le béton

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considéré dans cette étude. Cependant, cette concentration critique n’est pas définie de façon absolue et dépend fortement de la réactivité du granulat (Sibbick et Page, 1992; Rogers et coll., 2000). Par exemple, la norme CSA A23.2-27A (2019) propose des limites préventives du contenu total en alcalis équivalent du béton allant de 1,2 à 3,0 kg/m3. Cette valeur varie selon le degré de réactivité du granulat, le type de

structure considéré, la durée de vie utile visée et les conditions d’exposition de la structure. Néanmoins, cette limite ne considère pas l’apport d’alcalis de sources externes et le potentiel de relâchement à long terme en alcalis des granulats. Or, tel que discuté dans la section 1.2.2, ces apports d’alcalis sont non négligeables. Ces contributions supplémentaires par les granulats pourraient en effet expliquer pourquoi certains ouvrages construits avec des ciments à faible teneur en alcalis (< 0,6 % Na2Oeq) ou avec des contenus en alcalis équivalent inférieurs à 3 kg/m3

présentent tout de même des symptômes de réactivité alcalis-granulats (Stark et Bhatty, 1986; Bérubé et coll., 1992; Hooton et al. 2013). C’est dans cette optique que Bérubé et coll. (2002a) ont considéré que l’alcalinité de la solution interstitielle était un paramètre clé dans le pronostic de la RAS d’un ouvrage.

La mesure du contenu en alcalis solubles du béton est une approche particulièrement intéressante, car elle représente les alcalis disponibles pour alimenter la RAS. En considérant que cette donnée peut être mesurée par analyse chimique, elle semble être adéquate pour évaluer le potentiel d’expansion future si l’on considère que les alcalis sont le facteur limitant la RAS dans un ouvrage. En effet, en déterminant une concentration critique d’alcalis en-dessous de laquelle la RAS est inhibée, il est possible d’estimer la progression de la RAS dans le temps à partir de la consommation des alcalis. Pour ce faire, Rogers et Hooton (1991) proposent d’utiliser une méthode d’extraction des alcalis par trempage d’échantillons de béton pulvérisé dans de l’eau chaude (dite méthode d’extraction à l’eau chaude); méthode qui a ensuite été réévaluée par Bérubé et coll. (2002a). Or, plusieurs autres méthodes expérimentales existent lorsque vient le temps de déterminer la teneur en alcalis solubles d’un béton. Une revue des principales méthodes utilisées à cette fin est présentée dans les paragraphes qui suivent.

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Extraction de la solution interstitielle sous haute pression

La méthode d’extraction sous haute pression est la plus largement utilisée pour caractériser la chimie de la solution interstitielle. Mise au point par Longuet et coll. (1973) et Barneyback et Diamond (1981), elle consiste à appliquer une pression sur des fragments de béton placés dans une cellule de confinement. La pression varie de 200 à 1000 de méga Pascals (MPa), selon l’étude considérée. La cellule comprend un drain qui permet d’extraire la solution interstitielle du béton à l’aide d’une seringue. La solution extraite est ensuite filtrée, acidifiée et analysée chimiquement par une méthode appropriée (e.g. spectrométrie d’absorption atomique, ICP), ce qui permet de caractériser la chimie de la solution interstitielle du béton.

Diverses problématiques associées à cette méthode ont toutefois été observées. D’abord, Bérubé et coll. (1995) ont rapporté qu’il est difficile de récupérer la solution interstitielle de bétons âgés. Cet effet est d’autant plus marqué sur un béton avec une microstructure dense (faibles eau/liant) ou avec de grandes quantités de granulats (Bérubé et coll., 1995; Plusquellec et coll., 2017). De plus, le volume de fluide récupéré par l’extraction sous haute pression ne représente qu’une faible proportion du contenu total en eau du béton. Il y a ainsi un problème potentiel quant à la représentativité du fluide récupéré par rapport à la totalité de la solution interstitielle du béton. De surcroit, tandis que Duchesne et Bérubé (1994b) et Cyr et coll. (2008) n’ont pas observé d’influence de la pression d’extraction sur la composition du fluide récupéré, Bérubé et Tremblay (2004) et Chappex et Scrivener (2012) ont remarqué que la concentration en ions alcalis (Na+ et K+) augmente avec

une augmentation de la pression appliquée (jusqu’à 1000 MPa pour Bérubé et Tremblay (2004) et 800 MPa pour Chappex et Scrivener (2012)). Vollpracht et coll. (2016), qui recensent plusieurs études de caractérisation de la solution interstitielle du béton à partir de l’extraction sous haute pression, proposent une limite supérieure de 250 MPa pour éviter cet effet tandis que Bérubé et Tremblay (2004) proposent de se limiter à 400 MPa.

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Méthode de mesure dite « in situ » (lectures directes dans les échantillons)

Les méthodes de lessivage dites in situ, mises au point par Sagüés et coll. (1997) et Li et coll. (1999), consistent à caractériser la solution interstitielle du béton à même les échantillons de béton. Pour ce faire, les échantillons sont tout d’abord saturés (100 % d’humidité relative jusqu’à atteinte d’une masse constante). Puis, des petites cavités sont perforées à la surface des échantillons (3 à 5 mm de diamètre; 25 à 35 mm de profondeur). Ensuite, une petite quantité connue d’eau distillée est ajoutée dans les cavités (0,2 à 0,4 mL), préalablement nettoyées de toutes poussières ou débris. Finalement, les cavités sont scellées avec un bouchon d’époxy. L’échantillon est alors de nouveau conditionné à 100 % d’humidité relative et le pH de la solution au sein des cavités est mesuré périodiquement. Lorsque le pH mesuré entre les différentes cavités est stable, l’équilibre est considéré être atteint. Ce délai peut être de 1 à 2 semaines, selon l’échantillon considéré. La solution peut alors être échantillonnée pour des analyses des différentes espèces ioniques.

L’une des principales problématiques avec cette méthode est qu’elle présente un fort risque de lessivage des alcalis de l’échantillon lors du pré-conditionnement. Ce lessivage peut se produire par condensation et ruissellement sur les échantillons, ce qui engendre une réduction du pH (Plusquellec et coll., 2013). De plus, Cáseres et coll. (2006) ont observé que les mesures dites in situ n’étaient pas une méthode appropriée pour des bétons avec une microstructure dense vu la difficulté à atteindre la saturation complète avec ce type de béton. Ceci a pour effet d’entraîner une perte d’eau dans les cavités pendant l’équilibration du pH puisque le béton n’est pas préalablement saturé. Aussi, puisque le transport est plus lent dans de tels bétons, la cinétique pour atteindre l’équilibre est plus faible ce qui pourrait avoir comme conséquence de sous-estimer le pH si l’équilibre n’est pas complètement atteint. Sagüés et coll. (1997) ont également identifié qu’une période de temps d’équilibration lente peut engendrer de la carbonatation, donc une baisse du pH mesuré.

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Méthode de mesure dite « ex situ » : Extraction à l’eau chaude

Cette méthode, proposée par Bérubé et coll. (2002a; 2002b), consiste à concasser et broyer un échantillon de béton de sorte à obtenir des particules de dimension inférieure à 160 µm. La dimension des particules a été fixée à < 160 µm plutôt que < 80 µm pour limiter la carbonatation du matériel broyé et pour éviter le surbroyage des échantillons. En effet, en réduisant le matériel à une dimension inférieure à 80 µm, certaines particules seront broyées très finement, ce qui pourrait ultimement affecter la représentativité des échantillons. À noter que ce phénomène n’est pas entièrement éliminé en broyant le matériel à une dimension inférieure à 160 µm, mais qu’il est moins important que si un broyage à une dimension inférieure à 80 µm est employé. De plus, pour faciliter la filtration du matériel, une dimension du matériel légèrement plus grossière a été préférée. Puis, 100 mL d’eau distillée sont ajoutés à un sous-échantillon de 10 g de cette poudre. Cette suspension est mise à ébullition pour une durée de 10 minutes, puis repose à température ambiante jusqu’au jour suivant. La suspension est ensuite filtrée et la solution ajustée à 100 mL avec de l’eau distillée avant d’en analyser le contenu en ions alcalis avec une méthode analytique appropriée (e.g. spectrométrie d’absorption atomique).

En appliquant cette méthode à des échantillons ayant la même formulation mais des niveaux d’expansions différents (donc des niveaux de progression de la RAS plus ou moins avancés), Bérubé et coll. (2002a) ont observé que la quantité d’ions alcalis solubles diminue avec l’avancement de la RAS. En considérant que les échantillons étaient scellés et n’ont pas subis de lessivage, cette observation indique que les alcalis contenus dans les produits de réaction et dans les hydrates ne sont pas complètement relâchés lors de l’extraction. Or, les proportions exactes des alcalis retenus et de ceux relâchés par les hydrates et les produits de la RAS ne sont pas connues, ce qui constitue un souci majeur avec l’utilisation de cette méthode. De plus, à la lumière des résultats obtenus par Bérubé et coll. (2002a), il semble que cette méthode doit être corrigée pour tenir compte de la contribution en ions alcalis provenant des granulats. En effet, Bérubé et coll. (2002a) ont observé des libérations d’alcalis variant entre 0,3 et 1,6 kg/m3 de Na

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Pour obtenir ces résultats, les granulats ont été broyés à des dimensions < 160 µm et soumis à la méthode d’extraction à l’eau chaude. Par ailleurs, bien que Bérubé et Tremblay (2004) aient obtenu une bonne corrélation entre les résultats de la méthode d’extraction à l’eau chaude et ceux obtenus par extraction sous haute pression, la répétabilité et la reproductibilité associées à l’extraction des alcalis à l’eau chaude sont plutôt faibles. Effectivement, un coefficient de variation d’environ 20 % a été calculé (≤ 15 % avec un béton de contrôle pour corriger les résultats) (Bérubé et coll., 2002a). Ainsi, il est difficile d’employer cette méthode pour évaluer l’avancement de la RAS dans une même structure puisque l’incertitude des résultats est du même ordre de grandeur que les variations attendues dans les concentrations avec l’avancement de la RAS. Dans une perspective de diagnosis ou de prognosis, cette méthode permet tout de même de déterminer s’il y a suffisamment d’alcalis dans la solution interstitielle du béton pour permettre de développer/soutenir la RAS (sans oublier que cela pourra dépendre fortement du granulat réactif utilisé).

Méthode de mesure dite « ex situ » : Espresso

La méthode d’extraction des ions alcalis dite ex situ à l’eau chaude a récemment été modifiée à l’Université Laval (Fournier et coll., 2016). Dans cette méthode dite

Espresso, un échantillon représentatif de 10 g, préalablement broyé et pulvérisé à

une dimension inférieure à 150 µm, est déposé dans un filtre Büchner avec un papier filtre Whatman #1. L’unité de filtration est connectée à une pompe à vide. Puis, 300 mL d’eau distillée bouillante sont ajoutés progressivement sur l’échantillon qui repose dans le Büchner. Lorsque la filtration est complétée, le filtrat est refroidi et ajusté à 500 mL avec de l’eau distillée avant d’être acidifié et analysé avec une méthode analytique appropriée (e.g. spectrométrie d’absorption atomique).

Cette méthode présente l’avantage d’être plus rapide à effectuer et a offert une meilleure répétabilité que la méthode à l’eau chaude non-modifiéede Bérubé et coll. (2002a). Dans l’étude de Fournier et coll. (2016), la température de l’eau a eu pour effet d’augmenter d’environ 13 % les alcalis extraits de mêmes sous-échantillons lorsque l’eau chaude était utilisée (25°C versus 100°C). Ces résultats sont toutefois contradictoires avec ceux obtenus par Bérubé et coll. (2002a) et Plusquellec et coll.

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(2017) où la température de l’eau n’a pas eu d’influence significative sur les alcalis récupérés. L’utilisation d’un grand volume d’eau semble toutefois améliorer considérablement la répétabilité de cette méthode, permettant de récupérer entre 80 et 88 % du contenu original total en alcalis du béton. Malgré ces améliorations, les problématiques concernant les possibles relâchements d’alcalis en provenance des particules de granulat, des hydrates ainsi que des produits de réaction de la RAS demeurent.

Méthode de mesure dite « ex situ » : Eau froide

La méthode d’extraction à l’eau froide consiste à concasser et broyer des échantillons de béton jusqu’à une dimension inférieure à 80 µm, puis à soumettre un sous-échantillon représentatif de 20,0 g en suspension avec de l’eau distillée à température ambiante dans un ratio de 1 : 1 et à agiter la suspension pour une durée de 5 minutes. La solution est ensuite filtrée et le filtrat analysé avec une méthode analytique appropriée. Les paramètres de calibre granulaire, ratio solide : liquide et temps d’agitation ont été optimisés dans une étude réalisée par Alonso et coll. (2012). Aussi, de l’eau à température ambiante est utilisée afin de limiter les effets de la température sur la stabilité de certaines phases minérales, comme l’ettringite par exemple (Plusquellec et coll., 2017).

Les problématiques majeures associées à cette méthode d’extraction des alcalis de la solution interstitielle du béton demeurent les mêmes que pour les autres méthodes d’extraction dites ex situ, soit la contribution potentielle d’ions alcalis par les granulats, les hydrates et les produits de la RAS. À l’heure actuelle, la contribution des granulats est évaluée en réalisant les différents essais d’extraction dits ex situ sur les granulats seuls, en suivant la même méthodologie. Les résultats peuvent ainsi être corrigés selon les proportions en granulats du béton à l’étude. Toutefois, la contribution en alcalis des hydrates et des produits de la RAS demeure inconnue. Un autre effet relevé par Plusquellec et coll. (2017) concerne l’ajout d’eau au matériel une fois qu’il est broyé. Selon ces auteurs, cet ajout d’eau a un effet autre que la dilution des ions alcalis. Il semble en effet que l’eau ajoutée engendre l’hydratation de particules de ciment non hydratées contenues dans la poudre

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broyée. Cette hydratation peut occasionner un relâchement d’ions hydroxydes, ce qui augmente le pH mesuré. C’est notamment dans cette optique que le ratio liquide: solide de 1 : 1 a été déterminé par Alonso et coll. (2012).

Conclusions sur les méthodes expérimentales

Il semble que la méthode expérimentale la plus fiable est l’extraction sous haute pression lorsqu’on limite la pression maximale d’extraction. Toutefois, la méthode semble ne pas toujours pouvoir être appliquée sur des bétons âgés ou ayant un faible rapport eau : liant. Parmi les autres méthodes de mesures existantes, bien que Plusquellec et coll. (2017) suggèrent que la méthode à l’eau froide soit la plus accommodante, il n’y a aucun consensus clair quant à la méthode la plus juste. Pour l’ensemble des méthodes d’extraction dites ex situ, une correction est à apporter pour la contribution des granulats. Pour ce faire, l’essai est réalisé sur les granulats seuls pour déterminer leur contribution au bilan d’alcalis mesuré. Par ailleurs, pour toutes les méthodes d’extraction dites ex situ présentées précédemment, la représentativité de l’échantillon est cruciale. En effet, pour ces trois méthodes, il est important de veiller à commencer le concassage avec un échantillon de béton jugé représentatif. Puis, avant chaque sous-échantillonnage ultérieur, il faut procéder à son homogénéisation pour assurer la représentativité du matériel soumis à l’extraction. Dans le même ordre d’idée, ces méthodes ne recommandent pas de réaliser une évaluation de la distribution granulométrique des échantillons après le broyage. Or, une variation de la distribution granulométrique pourrait vraisemblablement influencer fortement les résultats obtenus (e.g. 100 % de matériel de calibre 50 à 80 µm versus 100 % de matériel de calibre 0 à 30 µm ne donnerait possiblement pas les mêmes résultats pour un même échantillon).