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DES OPÉRATIONS DE RECRUTEMENT LOURDES, COMPLEXES ET PEU

1. Le CNU : un fonctionnement « miraculeux »…

Le fonctionnement du CNU apparaît largement « miraculeux ». Il est en effet rendu très difficile par l’absence de moyens, puisqu’il ne dispose d’aucune logistique, ni secrétariat ni salles de réunion. Les présidents de section doivent souvent faire preuve d’ingéniosité pour trouver une salle où réunir leurs collègues afin d’examiner les candidatures1.

En outre, alors que de nombreuses sections ont aujourd’hui décidé de faire examiner les candidatures qui leur sont adressées par deux rapporteurs, ces derniers ne bénéficient d’aucune décharge de service. Ce travail, très lourd puisqu’il demande de prendre connaissance de l’ensemble des travaux de recherche des candidats, vient s’ajouter à leurs propres activités d’universitaires. Ainsi, dans certaines sections, il n’est pas rare qu’un rapporteur doive examiner 20 à 30 dossiers2.

Il n’est pas étonnant, dans ces conditions que la Cour des comptes puisse déplorer que « le principe de communication des observations des rapporteurs sur les dossiers refusés n’est pas systématiquement respecté, faute parfois de rapports suffisamment étayés ou présentables ». Votre rapporteur a constaté néanmoins que la plupart des présidents de section, avec les moyens du bord et sans aucune aide de l’administration centrale, parviennent à informer les candidats refusés des raisons de leur échec et de l’insuffisance de leur dossier.

1 Il convient toutefois de relever que le PLF pour 2002 prévoit la création, à compter du 1er septe mbre 2002, d’une indemnité pour les membres du CNU, d’un montant de 303.783 euros (près de 2 millions de francs).

2 La Cour des comptes indique, dans son rapport public particulier précité, que le nombre de candidatures à la qualification s’élève à environ 22.500, « ce qui correspond, du fait de l’intervention de deux rapporteurs pour chaque dossier, à l’examen chaque année de 45.000 dossiers par les 1.848 membres du CNU » .

2. … mais une appréciation des qualités des candidats essentiellement sur dossier…

Que l’appréciation de la qualité scientifique d’un candidat s’effectue d’abord à travers ses titres et travaux n’a rien de surprenant, mais, qu’à l’exception d’une procédure en appel, au cours de laquelle le candidat refusé est reçu, le CNU n’auditionne jamais les candidats à un emploi d’enseignement est plus étonnant. Certes, le grand nombre des candidats est, dans de nombreuses sections du CNU, un obstacle dirimant à l’organisation d’auditions.

Mais, de plus, le travail sur dossiers, avec nomination de rapporteurs, est dupliqué au niveau des commissions de spécialistes, alors que l’on pourrait s’attendre à ce qu’il soit allégé par l’examen préalable au niveau national.

Certes, les commissions de spécialistes auditionnent les candidats après un premier tri, mais ces auditions sont généralement brèves et peu éclairantes.

Les universitaires accordent peut-être une importance excessive aux critères uniquement académiques, en négligeant d’autres qui, dans le contexte actuel, paraissent indispensables au développement des établissements et à leur ouverture sur la société.

Quels critères pour les recrutements ?

Les universitaires sondés ont établi deux grandes catégories de critères qui, dans les faits, influencent le recrutement d’un enseignant -chercheur :

- les critères importants, parmi lesquels figure en première place la valeur scientifique du candidat (près de 84 % des répondants, environ 54 % l’estimant même très importante), mais aussi la personnalité du candidat (environ 75 % des répondants) ; en outre, le soutien d’un directeur de thèse ou de laboratoire influent est considéré comme important, par environ 65 % des répondants (moins de 17 % l’estiment peu important) ;

- les critères peu importants, comme l’appartenance syndicale (à près de 82 %, et plus de 58 % comme pas du tout important), mais aussi les aléas de la politique budgétaire (près de 40 % la considèrent comme pas importante) ; l’appréciation des universitair es sur les qualités pédagogiques du candidat est intéressante car elle traduit le paradoxe du métier d’enseignant-chercheur : si la valeur scientifique du candidat, c’est-à-dire ses capacités à la recherche, on l’a vu, est très importante, les universitaires n’accordent aux qualités pédagogiques qu’une importance toute relative : 40 % des répondants les jugent importantes, mais moins de 20 % très importantes, moins de 23 % moyennement importantes, et 37 % pas importantes (et près de 16 % pas du tout importantes) ; il apparaît pour le moins paradoxal pour des enseignants de n’accorder qu’aussi peu d’intérêt à l’aspect pédagogique de leur profession.

Toutefois, les professeurs accordent plus d’importance aux qualités pédagogiques des candidats que les maîtres de conférences.

3. … et dans des conditions bien différentes de celles en usage dans les universités américaines

Au cours de son audition, Mme Christine Musselin, qui a effectué des travaux de recherche notamment sur la comparaison des modalités de recrutement des universitaires en France et aux Etats-Unis, a indiqué que la grande différence entre les systèmes universitaires français et américain porte précisément sur la gestion des personnels.

Aux Etats-Unis, le processus de recrutement est peut-être aussi long qu’en France, mais il est réalisé dans des conditions tout à fait différentes, privilégiant le contact avec les candidats plutôt qu’un parcours administratif de tri de dossiers de candidature comme en France. Le recrutement est en effet trop important pour ne pas lui consacrer beaucoup de temps, celui-ci devant être utilisé de façon rationnelle et efficace : la priorité est donc portée sur les candidats qui ont de réelles chances d’être recrutés. Notre ancien collègue André Maman, professeur à Princeton, estimait même que « les universités françaises consacrent beaucoup moins de temps que les universités américaines à recruter les enseignants ».

C’est pourquoi les « choses sérieuses » commencent quand il ne reste qu’une quinzaine de candidats potentiels. Chacun d’eux est alors auditionné sur ses travaux scientifiques pendant une bonne heure par chaque université dans laquelle il a présenté sa candidature, y compris par les étudiants les plus avancés.

Est alors dressée une short list de quatre ou cinq candi dats. Ils passent deux jours complets sur le campus, aux frais de l’université qui dispose d’un budget dédié au recrutement, visitent les services et sont présentés aux différentes instances de l’université. Puis ils sont reçus en entretien pendant deux heures par l’ensemble du département dans lequel ils seraient amenés à travailler, étant précisé que cet entretien ne porte plus tant sur leurs travaux de recherche - l’appréciation de leurs qualités scientifiques a déjà eu lieu - que sur des sujets d’ordre général, afin notamment de cerner leur personnalité. Ils sont ensuite invités à déjeuner puis à dîner par les membres du corps enseignant concernés, parfois même par la direction de l’université.

L’instance équivalente à nos commissions de spécialistes établit alors une liste de classement de ces quelques candidats, mais ne procède pas au recrutement proprement-dit, qui est effectué par l’ensemble des personnels du département à l’issue d’un vote intervenant après avoir entendu l’avis du doyen1.

1 Tous les enseignants appartenant à ce département votent, ou ont en tout cas la possibilité de voter, afin d’éviter les contestations qui touchent souvent les commissions de spécialistes françaises (localisme, choix arbitraire, critères peu transparents…). Dans certaines universités,

Ce n’est que lorsque l’enseignant est choisi que commencent les négociations salariales, déconnectées du jugement scientifique porté sur lui, les universités américaines ayant la possibilité d’avoir une stratégie d’employeur.

Ainsi, aux Etats -Unis, trois éléments sont pris en compte à l’occasion des recrutements :

- le jugement scientifique porté sur le candidat : ce point est à la fois fondamental, parce que c’est une condition évidente de recrutement d’un universitaire de très bon niveau, et secondaire, puisque son appréciation ne suscite guère de débat, la décision finale n’étant pas arrêtée sur ce critère ;

- le jugement des qualités pédagogiques du candidat, qui est l’objet de débats beaucoup plus nourris puisque leur appréciation est nettement plus délicate ;

- le jugement sur la personnalité du candidat, qui est très important aux Etats-Unis : l’appréciation du good will (ou « bonne citoyenneté ») vise à répondre à des questions telles que : ce candidat sera-t-il un bon collègue ? va-t-il accepter d’assumer des charges administratives ? a-t-on envie de travailler avec lui ? C’est d’ailleurs pour connaître la personnalité des candidats que ceux-ci passent autant de temps sur le campus et qu’ils sont reçus par un maximum de monde.

Un message d’internaute : la journée de visite « à l’américaine »

« Cela fait quelques années que je travaille aux Etats-Unis (National Institute of Health, Bethesda). Voila en quelques mots comment se déroule la journée de visite d’un candidat à un poste ouvert au concours.

Une commission a été créée pour effectuer le recrutement, avec différents membres du laboratoire et des membres de laboratoires proches (thématiquement et géographiquement).

1/ L'accueil. Bien entendu, les frais de transport sont pris en charge par le laboratoire qui recrute. Le dossier du candidat qui est auditionné a été sélectionné. Le patron du laboratoire prend le petit -déjeuner avec lui : l’occasion de présenter le laboratoire d’une façon générale.

2/ Le candidat discute une demi -heure ou une heure avec les différents membres de la commission. C’est un vrai dialogue. Chacun essaie de voir ce que ce candidat pourrait apporter, comment passe le contact et le candidat se fait une idée de ce qu’il pourrait faire dans le laboratoire, etc.

il arrive même que les personnels administratifs et les représentants des étudiants du département aient le droit de vote.

3/ Le séminaire : l’occasion pou r le candidat de présenter ce qu’il a fait. Comme le candidat a déjà discuté avec plusieurs personnes, souvent la séance de questions se prolonge.

4/ Le chef du laboratoire reprend la main le soir : bilan de la journée avec le candidat.

Au bout de cette jo urnée, parfois une journée et demi, le laboratoire et le candidat ont une bien meilleure idée l’un de l’autre. Le laboratoire cherche à convaincre, à recruter quelqu’un de bien. Ce n’est pas seulement au candidat de se vendre. Enfin, c’est aussi un contact humain qui passe. Plus tard, après que 4 ou 5 (ou parfois plus !) candidats eurent été auditionnés, la commission de recrutement mise en place autour du poste se réunit pour décider.

Entre temps, chacun a pu mûrir sa décision. Pour un laboratoire, ce n’est pas tous les jours qu’un nouveau membre arrive. Il faut « se » choisir avec soin !

Rien à voir avec une audition de 10 minutes où rien ne se passe. Et comment prendre le temps de considérer un candidat en 10 minutes ?… Il y a parfois de bonnes choses à p rendre outre-Atlantique » .

Or, ce dernier aspect est abordé en France, mais de façon curieuse. Bien sûr, il est important, mais il est généralement mal traité.

Les instances de recrutement, c’est-à-dire les commissions de spécialistes, n’accordent que très peu de temps à connaître les candidats, ne serait -ce que parce qu’il y a trop de dossiers, et que des pratiques « à l’américaine » seraient matériellement impossibles à organiser dans ces conditions.

C’est pourquoi, elles sont si sensibles aux candidats locaux : en portant leur choix sur des candidats que connaissent déjà la plupart des membres des commissions de spécialistes, elles minimisent le « risque » relatif à la personnalité du candidat, mais, ce faisant, elles adoptent une attitude contraire à l’ égalité de l’accès aux emplois publics, qu’elles avaient pourtant voulu protéger en se refusant à une présélection des dossiers. Comme souvent en France, la recherche de l’égalité procédurale aboutit à des inégalités de fait !

Le système actuel de recrut ement des maîtres de conférences donne lieu à un jugement tout compte fait mitigé. En effet, si près de 55 % des répondants le jugent très ou assez satisfaisant, et 43 % peu ou pas du tout satisfaisant, il convient surtout de noter que 85 % d’entre eux le considèrent comme assez ou peu satisfaisant : le système ne suscite donc pas l’enthousiasme de la profession, même s’il satisfait davantage les professeurs que les maîtres de conférences, ce qui est relativement logique.

Quand on interroge les universitair es sur le système de recrutement des maîtres de conférences qui aurait leur préférence, environ 35 % (et 41 % des professeurs) sont favorables au maintien du système actuel, c’est-à-dire la qualification par le CNU puis le recrutement par les établissements, tandis que plus de 24 % seraient favorables au système inverse donnant au CNU un rôle de confirmation des décisions de recrutement locales - système qui a d’ailleurs été en vigueur dans le passé. Près de 16 % des répondants sont favorables à l’instaurat ion d’un concours national sur épreuves, soit un taux finalement peu élevé. Enfin, environ 22 % des répondants préconisent un autre système, même s’ils formulent des propositions extrêmement différentes les unes des autres, si bien qu’aucune « solution » a lternative consensuelle n’est esquissée.