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LE CHOIX DES PAIRS : UN MONOPOLE PARTAGÉ ENTRE INSTANCES

Le choix des universitaires par les pairs dont on a dit la nécessité pourrait créer au profit de l’instance qui l’exerce un pouvoir de monopole corporatiste, que ce corporatisme tombe pour les uns aux mains des mandarins, pour les autres en celles des syndicats ou encore que ce corporatisme ignore les qualités exigées d’un enseignant et ne valorise que ses qualités de recherche. Ces risques ne semblent pas totalement irréels et la communauté scientifique universitaire reste attachée au partage de ce pouvoir entre deux instances, l’une nationale, l’autre locale, se complétant, même si les modalités de ce partage et la composition de ces instances ne font pas l’objet d’un consensus.

1. Un partage des rôles enfin stabilisé ?

Il serait extrêmement laborieux de retracer l’histoire, même récente, des modifications des procédures de recrutement des universitaires. Il suffirait presque de rappeler que le décret du 6 juin 1984 relatif au statut des enseignants -chercheurs en est à sa 24ème modification !

Chronologiquement, les cinq procédures suivantes ont été adoptées : - au cours des années 1960 et 1970, des listes d’aptitude sont établies au plan national, à partir de l’appréciation de la qualité des travaux, corrigée par la notoriété des candidats, le choix étant laissé aux instances locales ;

- à partir de 1979, les candidats sont classés par l’instance locale, le choix final parmi les candidats classés localement étant laissé à l’instance nationale ;

- à partir de 1984 (décret du 6 juin 1984), un tri préalable des candidats est réalisé par l’instance nationale (trois à cinq noms par poste), le choix du candidat étant laissé à l’instance locale ;

- à partir de 1988 (décret du 15 février 1988), on revient à la procédure antérieure : classement local puis décision nationale ;

- depuis 1992, la qualification est donnée pour quatre ans par le CNU, et le choix final du candidat est réalisé par l’instance locale.

La raison de ces changements incessants tient dans l’insatisfaction des enseignants-chercheurs à l’égard de leurs modalités de recrutement, et notamment à la place respective des instances nationales et des instances locales, avec les conséquences qu’entraîne cet équilibre toujours extrêmement précaire1.

Il a semblé à votre rapporteur que, des nombreuses auditions auxquelles il a procédé, un certain équilibre entre l’échelon national et l’échelon local était aujourd’hui atteint, permettant de tenir compte des qualités scientifiques des candidats, appréciées par le premier, et de leur implication dans leur établissement, connue du second.

En outre, votre rapporteur estime que les changements incessants du système de recrutement portent gravement atteinte à sa l isibilité pour les candidats potentiels. Au moment où l’effort de recrutement doit se poursuivre pour contrebalancer le flux des départs à la retraite, il importe qu’une règle du jeu stable soit connue de ceux qui entreprennent l’investissement très long de préparation aux concours. Le système actuel n’est pas le meilleur pour votre rapporteur.

2. La qualification par une instance nationale

Le CNU, instance nationale composée exclusivement d’enseignants-chercheurs, élus à hauteur des deux tiers et nommés par le ministre pour le dernier tiers, est chargé de qualifier au vu de leurs titres et travaux les candidats aux fonctions de maîtres de conférences ou de professeurs. Ces candidats doivent préalablement remplir certaines conditions de diplôme tel le doctorat pour les maîtres de conférences ou l’habilitation à diriger des

1 Sur ce point, il est possible de se reporter à l’ouvrage de Mme Christine Musselin, La longue marche des universités françaises, Presses universitaires de France, janvier 2001.

recherches pour les professeurs, ou d’ancienneté selon le type de concours.

L’inscription sur une liste de qualification est valable quatre ans.

Il convient pourtant de constater que cette instance nationale n’a pas d’existence d’ensemble : en fait le CNU n’existe pas, seules ses sections ont une existence réelle. Cette situation, si elle garantit la qualité scientifique des choix, ne permet pas d’harmoniser les politiques de recrutement qui demeurent propres à chaque section ; elle contribue à entretenir les spécificités, voire les querelles disciplinaires. Tout au plus, les sections se réunissent par groupes lorsqu’elles font part au ministère des résultats de leur travaux (c’est ainsi que les sections de sciences économiques et de sciences de gestion constituent le second groupe du CNU).

Par ailleurs, le CNU a certainement été affaibli par les incessants changements de sa composition, de son mode d’élection et même de son appellation1 : les gouvernements de droite privilégiant l’élection au scrutin majoritaire et le vote pour des personnalités, les gouvernements de gauche, l’élection au scrutin proportionnel et le vote pour des listes ; même la désignation par tirage au sort fut pratiquée en 1982 !

Quelle composition pour les sections du CNU ?

Les universitaires ayant répondu à l’enquête sont assez critiques sur la composition actuelle des sections du Conseil national pour les universités, puisque, si 55 % d’entre eux s’en disent satisfaits, il convient de noter la part importante des mécontents, car, dans ce type de question, les « sans réponse » (près de 12 % pour cette question) peuvent être considérés comme ne s’étant pas prononcés favorablement.

Le taux de non-réponse est également import ant s’agissant de propositions visant à améliorer la composition des sections du CNU, aux alentours de 20 % en moyenne. Il convient d’y voir, avant tout, selon votre rapporteur, une relative méconnaissance par les enseignants -chercheurs des modalités d’org anisation du système universitaire. 37 % des sondés, mais 52 % des professeurs, souhaiteraient qu’il y ait davantage d’universitaires étrangers au sein des sections du CNU. Généralement, ils sont plutôt favorables au statu quo - 43 % souhaiteraient autant de membres élus, et un peu plus de 37 % autant de membres nommés -, ce qui peut paraître paradoxal par rapport au mécontentement qu’ils ont exprimé sur la composition actuelle de ces sections, même si on peut constater qu’ils sont hostiles à la diminution du nombre de membres élus (moins de 9 % y sont favorables) et à l’augmentation du nombre de membres nommés (à peine 8 % y sont favorables). En tout état de cause, aucune « solution » ne semble s’imposer avec évidence sur ce point, ni aucun consensus se des siner.

1Au comité consultatif des universités (CCU) succéda le conseil supérieur des corps universitaires (CSCU), puis le conseil supérieur provisoire des universités (CSPU) et enfin le conseil national des universités (CNU) !

Certains s’interrogent sur la possibilité d’instituer une présidence et un bureau pour le CNU, qui permettraient de coiffer l’ensemble des sections, mais aussi de donner plus de visibilité et de poids au CNU. Celui-ci deviendrait ainsi plus facilement un interlocuteur identifié du ministère pour les grandes orientations de la politique de recrutement et de l’emploi scientifique. Votre rapporteur n’y est guère favorable car l’interlocuteur privilégié du ministère doit rester la conférence des présidents d’université et son premier vice-président. En revanche, le ministère aurait tout intérêt à consulter plus fréquemment l’ensemble des présidents de section qui ont une vision très claire des problèmes et de l’état de leur discipline.

La qualification n’est ni un examen, ni un concours, ni même une liste d’aptitude (même si est établie une liste de qualification). C’est, comme le dit très justement un internaute cité ci-après un filtre. Parmi tous les candidats potentiels qui possèdent les titres universitaires et remplissent les conditions fixés par les textes en vigueur, seuls les qualifiés par le CNU auront le droit de se présenter à un concours local de recrutement au vu d’un examen global de leurs titres et travaux. Cette solution n’est pas dépourvue d’ambiguï té : beaucoup de docteurs ne comprennent pas qu’une thèse soutenue summa cum laude ne leur donne pas automatiquement le droit de se présenter à un concours local de recrutement de maîtres de conférences ; et beaucoup de qualifiés ne comprennent pas que cette reconnaissance ne leur confère pas automatiquement le droit à un poste.

De plus, chaque section du CNU a sa propre politique de qualification, de telle sorte que les critères sont extrêmement variables d’une section à l’autre. Si ce phénomène est largement inévitable, et d’ailleurs non condamnable en soi du fait de problématiques différentes en fonction des sections, l’absence de transparence sur les exigences requises est, elle, très critiquable, puisque les candidats se trouvent devant une situation qu’ils ne connaissent pas et qui peut changer à tout moment sans raison apparente. Or, il arrive que des sections du CNU entretiennent cette instabilité des règles, par exemple, en refusant de publier les critères de qualification des candidats qu’elles privilégient. Beaucoup d’entre elles, qui plus est, ne communiquent pas aux candidats les raisons pour lesquelles elles ne les ont pas qualifiés.

Deux messages d’internautes : des interrogations sur les critères de qualification par les sections du CNU

1) « La qualification par le CNU a théoriquement un rôle de filtre : elle est censée écarter les candidats médiocres des concours locaux, évitant ainsi le recrutement d’éléments trop mauvais au niveau local à la suite d’ententes entre personnes.

Soit. Il est tout de même dommage que le fait d’avoir soutenu une thèse ne soit pas suffisant pour prouver ses qualifications. L’existence même de cette procédure semble montrer qu’on ne peut pas faire confiance à l’institution universitaire pour délivrer un diplôme (la thèse) qui ait un sens réel... Ou alors qu’on ne peut pas faire confiance aux commissions de spécialistes pour effectuer un recrutement sain ? Il est tout de même dommage que, pour effectuer ce tri, un groupe d’enseignants -chercheurs passent un bon mois à temps plein ou presque à lire les dossiers de qualification... » .

2) « ATER dans une université, j’ai soutenu, l’année dernière, ma thèse qui a obtenu la mention la plus élevée et qui a été primée. De plus, elle est référencée dans nombreux ouvrages. J’ai publié un certain nombre d’articles, et largement satisfait à mes obligations universitaires. Je suis, par ailleurs, membre actif d’un conseil de laboratoire. Cependant, je n’ai pas été qualifié par le CNU, pour des raisons qui me sont inconnues dans la mesure où les rapporteurs n’ont pas rédigé leur rapport. […] »

De plus, les présidents de sections du CNU (et également ceux des sections du comité national du CNRS) ont été quasi-unanimes pour indiquer à votre rapporteur que le niveau des candidats à la qualification était généralement très bon et avait même tendance à s’améliorer. D’où le dilemme: faut-il ajuster, et dans quelle proportion, le nombre de qualifiés au nombre de postes vacants ? Faut-il au contraire qualifier en fonction d’un niveau jugé souhaitable, sans tenir compte des perspectives réelles d’emploi ?

3. Le recrutement par une instance locale

En revanche, la décision de recruter sur un poste vacant appartient entièrement au niveau local.

Ce sont des commissions de spécialistes constituées au sein des établissements d’enseignement supérieur qui procèdent aux recrutements proprement dits en se prononçant sur les candidats à la mutation, donc déjà maîtres de conférences ou professeurs, et sur les candidats qualifiés par le CNU s’ils ont postulé sur un poste vacant de cet établissement.

Les enseignants-chercheurs membres des commissions de spécialistes disposent à cet effet d’une liberté de choix quasi -totale. Ils ne sont en aucune

façon tenus de choisir de préférence un candidat à la mutation venant d’une autre université ou même de pourvoir le poste, quel que soit le nombre de candidats qualifiés. En revanche, la commission de spécialistes est en principe liée par le « profil » choisi par l’université pour un poste lors de sa publication.

B. LA FAIBLESSE DES POUVOIRS COMPENSATEURS ÉTATIQUE ET