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LA FAIBLESSE DES POUVOIRS COMPENSATEU RS ÉTATIQUE ET

Les décisions du CNU et des commissions de spécialistes sont-elles nécessairement cohérentes avec la politique de l’Etat en matière d’emploi scientifique et avec la politique de gestion des emplois de chaque université ? Rien n’est moins sûr car Etat et universités ne jouent pas le rôle qui devrait être le leur.

1. La gestion prévisionnelle des emplois, une responsabilité étatique très moyennement assumée

L’Etat ne remplit que très imparfaitement sa mission de gestion prévisionnelle des emplois dans l’enseignement supérieur.

La Cour des comptes, dans son rapport public particulier précité, indique que « un certain nombre d’établissements rencontre des difficultés dans le recrutement d’enseignants-chercheurs titulaires », précisant que,

« après la clôture des opérations de recrutement 1999, 26,1 % des emplois de professeurs d’université et 9,4 % des emplois de maîtres de conférences demeurent non pourvus » .

Comme le note la Cour, « il incombe à l’Etat de veiller à ce que l’offre d’enseignement soit pilotée par la demande de service d’enseignement aux étudiants et non par la demande des seuls enseignants, liée au prestige et à la localisation des établissements ».

La Cour des comptes constate que l’absence d’« informations globales et fiables sur les candidatures au recrutement, au détachement ou à la mobilité […] représente un handicap certain pour la mise en place d’une gestion prévisionnelle des carrières ».

Cette situation résulte de lacunes en matière d’informations : « la répartition des compétences de gestion entre les deux niveaux central et déconcentré n’ayant pas été accompagnée d’une mise en commun des informations, l’administration est privée d’éléments d’information qui lui permettraient de jouer un rôle plus actif pour corriger éventuellement les déséquilibres constatés et améliorer l’utilisation des moyens budgétaires ».

2. Le travail « en aveugle » du CNU

Les sections du CNU se prononcent « en aveugle » sur la qualification des candidats, indépendamment du nombre de postes à pourvoir, décidé par le ministère. La qualification n’est donc aucunement corrélée avec une politique de l’emploi.

C’est ainsi qu’apparaît un phénomène de « reçus-collés », puisqu’un nombre parfois important de candidats qualifiés ne seront pas recrutés par les universités, faute de postes. Quelques exemples permettent d’illustrer ce phénomène.

En 1999, la section 22 du CNU (histoire moderne et contemporaine) a reçu 453 candidats à la qualification pour l’emploi de maî tres de conférences.

Elle a qualifié 259 d’entre eux, soit environ 57 % des candidats, alors que seuls 67 postes étaient à pourvoir sur l’ensemble du territoire, soit moins de 26 % des qualifiés. En 2001, 350 candidats se sont présentés à la qualification des maîtres de conférences au titre de la section 63 (électronique) : 175 d’entre eux ont effectivement été qualifiés, alors que seuls 51 postes étaient ouverts, soit moins de un poste pour trois qualifications. Il peut toutefois arriver que le phénomène inverse se produise. Ainsi, en 2000, la section 6 (sciences de gestion) a qualifié 136 de ses 361 candidats, alors que 150 postes étaient à pourvoir !

Par ailleurs, les sections du CNU effectuent un considérable travail « dans le brouillard » . Bien souvent, elles doivent faire face à un

« trop-plein » de bons candidats à la qualification au regard du nombre de postes vacants. Par exemple, en 2000, la section 64 du CNU (biochimie et biologie moléculaire) a reçu plus de 1.000 candidatures à la qualification à la maîtrise de conférences et 200 au professorat, pour un total de 20 postes.

Votre rapporteur estime ce système pernicieux à tous égards. Du fait des disparités de politiques menées par les sections, plus ou moins sélectives, le mécanisme global de sélection devient incompréhensible à la fois pour les candidats et pour les universités. L’Etat doit jouer son rôle en fixant une règle du jeu, c’est-à-dire en fixant un plafond au nombre de qualifiés : si celui-ci était par exemple le double du nombre d’emplois à pourvoir (sur moyenne période), chaque qualifié saurait qu’il a en moyenne une chance sur deux d’être finalement recruté. Rien n’interdirait à une section de ne pas atteindre son quota, à charge pour elle de s’en justifier par un rapport circonstancié au ministre au regard du nombre et de la qualité insuffisants des postulants.

Il est évident que le ministère ne pourra procéder de la sorte que s’il est capable de programmer avec assez de précision le nombre de recrutements

à assurer à moyen terme (disons sur une période quadriennale puisque la qualification n’est valable que pour une durée de quatre ans).

Votre rapporteur s’étonne que le ministère ne soit pas encore en mesure d’établir une liste complète, sans doubles comptes et à jour, du stock des qualifiés non recrutés.

3. Un fonctionnement parfois « déviant » des commissions de spécialistes

Les commissions de spécialistes ont tendance, face à un pouvoir universitaire faible, à adopter des comportements de totale indépendance.

Il leur arrive de ne pas respecter les « profils » de postes établis par le conseil d’administration et, de façon plus générale, de définir des politiques autonomes de recrutement distinctes des orientations adoptées par ledit conseil et son président, en ne pourvoyant pas certains postes ou en établissant des profils de postes officieux…

Votre rapporteur ne peut sur ce point que souhaiter que le conseil d’administration, qui dispose d’un pouvoir de veto sur les décisions des commissions de spécialistes, l’utilise réellement comme cela commence à apparaître dans les universités qui se dotent d’une réelle politique de gestion de leurs ressources humaines, mais de façon homéopathique, pas plus d’une dizaine sur l’ensemble de la France en moyenne. Cet usage très parcimonieux du droit de veto s’explique par le souci d’éviter des conflits de personne et aussi parce qu’il aboutit à geler le poste non pourvu.

4. Le régime centralisé de l’agrégation du supérieur

Un régime spécifique de recrutement externe des professeurs existe dans les disciplines juridiques, économiques et de gestion sous forme d’un concours national d’agrégation qui présente trois caractéristiques : l’instance nationale est un jury constitué quasi librement par un président lui-même choisi par le ministre1. Le nombre de postes mis au concours et leurs affectations sont fixés par l’administration centrale. Les lauréats choisissent leur affectation suivant l’ordre de leur classement.

1 Certaines règles coutumières sont en général respectées pour le choix du président et pour la composition du jury.

Des sentiments partagés sur l’agrégation du supérieur

146 universitaires, soit environ 17 % du total des répondants au sondage, appartiennent à une section du CNU où le recrutement des professeurs s’effectue par la voie du concours d’agrégation de l’enseignement supérieur. Or, ce mode de recrutement suscite des sentiments extrêmement partagés, puisque la moitié des personnes concernées est favorable à son maintien, tandis que l’autre moitié souhaiterait sa disparition. Toutefois, les professeurs sont très majoritairement favorables au maintien de ce type de recrutement (65 %), ce qui n’est pas le c a s des maîtres de conférences (38 %). De surcroît, plus des deux tiers des universitaires concernés ne sont pas satisfaits du mode d’organisation actuel du concours d’agrégation du supérieur.

Votre rapporteur approuve néanmoins sans réserves les conclusions de M. Jean-Paul Fitoussi dans son rapport précité au ministre de l’éducation nationale sur le principe du maintien du concours et sur la nécessité d’une plus grande flexibilité pour l’affectation des agrégés : « L’agrégation externe est souvent critiquée en raison de la lourdeur de sa procédure, mais aussi parce qu’elle ne laisse pratiquement aucune liberté aux universités mettant des postes au concours, l’affectation se faisant par le biais du classement.

Pourtant le concours nous semble présenter au moins trois avantages. Il évite la dérive potentielle du localisme, mais en tombant peut -être dans l’excès inverse ; il oblige les futurs professeurs à avoir une vision globale de leur discipline ; il permet de recruter de jeunes professeurs et donc des chercheurs indépendants de toute hiérarchie à un âge moins avancé qu’en beaucoup de disciplines ; cela évite le mandarinat et permet une recherche plus libre et donc plus dynamique ».

Il ajoute : « Sans supprimer le classement , il faudrait instaurer une procédure qui laisse plus de liberté aussi bien aux professeurs nouvellement recrutés qu’aux universités, permettant un meilleur appariement. Il faudrait qu’au plus tard en mars, la liste des reçus et celle des postes ouverts (en nombre égal) soient connus. Commencerait alors un processus de négociation entre les lauréats et les universités qui […] durerait environ trois mois. Si, à l’issue de ce processus, deux candidats continuaient à briguer un même poste, alors le classement prévaudrait ».

III. LES MODALITÉS DE RECRUTEMENT : LOURDEUR EXCESSIVE ET ABSENCE DE TRANSPARENCE

A. DES OPÉRATIONS DE RECRUTEMENT LOURDES, COMPLEXES ET