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« Ordonnons que les nommés philippe Jeannette, Guillaud, Meyer, Barnoud cabaretiers au bourg de Chirens, Sir jacques cabaretier au hameau du fagot, guillet petit cabaretier au hameau de la guilletiere, jean moning et la Reveillon sa femme, cabaretiers au hameau de clermont [...] ».72

Cette énumération de cabaretiers fautifs illustre la profusion des débits de boisson dans le décor réduit du petit bourg de Chirens et des hameaux environnants. Les cabarets sont en effet disséminés dans le paysage, même s’ils se fixent plus volontiers autour des lieux de passages et d’échanges. Les carrefours, grands chemins, bourgs et champs de foire ainsi que les ponts et péages sont des lieux privilégiés de l’installation de ces débits73.

Lieux de fourmillement de la clientèle, ils disposent d’une situation favorable à l’implantation d’une boutique. Les cabarets se retrouvent à la fois au chef-lieu, qui concentre la population et donc les clients, mais également dans les hameaux alentours, dans le cadre d’un habitat clairsemé74.

71 Sur la période 1750-1769.

72 ADI, 16B 406, information du 7/11/1786, Chirens. 73 QUELLIER, Florent, La table des… op.cit., p.112.

Figure 4 : Répartition des cabarets recensés dans les procédures criminelles du Comté.75

A) Le contexte de la route royale

Encadrant le tracé de la route royale, le Comté de Clermont est pourvu d’une particularité favorable à l’ouverture de débits de boisson. Intensément empruntée par des convois d’hommes et de marchandises, la route empruntait le sillage de l’actuelle D1075, franchissant Chirens, l’Arsenal, Montferrat, Recoin, puis les Abrets avant de poursuivre sa route en direction de Genève. Quarante des cabarets que nous avons pu dénombrer se trouvent sur cette artère, soit 20% des cabarets recensés sur l’ensemble du Comté. La clientèle en transit voyageant sur cette route devait être une source importante de la fréquentation et des revenus de ces débits. Offrant un lieu pour dormir, manger et trouver un peu de réconfort, les auberges étaient un lieu de première nécessité aux abords de ces routes. Les débits devaient également profiter d’un approvisionnement en denrées distinctes de la production locale et vraisemblablement plus qualitatives que dans le reste du Comté. Une affaire fait possiblement référence à une de ces auberges où s’arrêtait cette

clientèle mobile. Elle évoque une partie de boules à laquelle participe « Jean Meyer hôte a

quelque pas de chirens sur la grande route dudit chirens a voyron ». C’est bien à la route

royale que le témoin fait référence. Sir Jean Meyer, est justement un des hôtes les plus actifs au sein de nos informations, et les salles de son cabaret sont des espaces prisés pour les auditions de témoins. Auberge certainement spacieuse et vivante, dix-huit occurrences y font référence dans diverses affaires et témoignent d’au moins vingt-sept années d’activité successives, de 1760 à 1786. Un certain Pierre Meyer, cabaretier à Chirens entre 1737 et 1756, pourrait avoir tenu cette auberge avant lui durant dix-sept ans. Malheureusement, aucune preuve tangible ne peut certifier d’un lien entre ces deux tenanciers. Mais les dates pourraient concorder et témoigneraient de l’activité de cette auberge durant près d’un demi-siècle. Sa vitalité serait due à un flux d’activité lié à sa situation avantageuse sur la route royale. Si 20% des cabarets recensés se trouvent sur la route, les 80% restant se répartissent entre bourgs et hameaux.

B) Une concentration au chef-lieu

Dans les bourgs

Les bourgs de village, parce qu’ils représentent des zones de concentration de la population, rassemblent un potentiel de clientèle, nécessaire à l’installation de cabarets. Les débits de boisson y sont ainsi nombreux. Ils accueillent les habitants du village mais également les chalands et colporteurs venus y faire affaire. Malgré sa forte densité de population, le Comté de Clermont reste une zone rurale, et même les plus gros bourgs que sont Chirens, Apprieu et Saint-Geoire-en-Valdaine ne concentrent guère plus d’un petit millier d’habitants à la veille de la révolution76. Néanmoins, les cabarets foisonnent dans

les cœurs de village : vingt-cinq noms de tenanciers à Saint-Geoire, quatorze à Apprieu, dix à Chirens et Recoin (La Batie Divisin) sont recensés sur le siècle. Pourtant, ces localités restaient d’une taille modeste.

Le nombre d’établissements s’illustre par cette lettre adressée « au premier cabaret

en entrant a massieu » de 176777. Le village ne comptant alors guère plus de quelques rues. Ainsi, les cinq chefs-lieux principaux du Comté78 concentrent à eux seuls 37% des cabarets recensés.

76 Voir annexe 1.

Un curieux duo : l’église et le cabaret

Le débit se tient volontiers dans le centre du bourg, à proximité des lieux stratégiques de la sociabilité villageoise. A ce titre, et bien que pouvant paraître paradoxal, les églises des bourgs se voient bien souvent encerclées par les cabarets, ce qui ne manque pas de créer des situations cocasses. Ainsi, de nombreuses auditions dépeignent des cabarets en face de l’église. L’église de Burcin, comme sans doute bien d’autres, est ainsi flanquée d’au moins deux cabarets. Rossat Boudy, père et fils boulangers et cabaretiers, accueillent les buveurs « au devant de laditte église »79. C’est également le cas d’Antoine Guillermain qui témoigne pour une affaire prenant pour théâtre le parvis de l’église. Il dépose : « il s’elevat une querelle au devant de che luy »80. À Saint Geoire, c’est Michel Chivallet qui fait pendre son enseigne près du saint lieu81. Dix ans plus tard, Blaise Pradel loue une chambre pour servir du vin auprès de la même église82. A Massieu, la situation semble analogue. Jacques Cuas, témoin d’une affaire, plante le décor « au devant du

cabaret le plus pres de l’église de massieu tenu par le nommé Jean saumur »83. À Chirens,

c’est Benoit Saugey qui offre chopines au moins pour une partie du siècle84. Enfin, à

Apprieu, un domestique témoigne en 1789 : « en arrivant à l’eglise il sarreta dans une

auberge ». Nous pouvons ainsi constater que dans les bourgs principaux du Comté de

Clermont, l’église siège au côté d’au moins un cabaret, le duo semblant aller de soi. Si les informations délivrent les renseignements au compte-goutte, il est révélateur qu’elles permettent néanmoins de placer un cabaret en face de chaque église. Nous pouvons ainsi admettre que dans les autres villages, le même couple fonctionne et se retrouve au centre des activités. Tous deux au cœur de la vie de leurs contemporains.

Les grandes rues bordées de cabarets

Si les uns trônent au cœur du village en face de l’église, les autres se concentrent le long de la rue principale du bourg. Celle-ci constitue l’axe majeur pour traverser le bourg et est à ce titre un lieu privilégié. George fagot tient son cabaret dans la « grande rüe de

chirens », ce qui lui assure une clientèle fidèle durant le quart de siècle où il tient son

78 Nous avons pour cela prit en compte les localités du Comté de plus de 500 habitants en 1730 : Apprieu,

Châbons, Chirens, Recoin, Saint-Geoire.

79 ADI, 16B 407, information du 17/05/1789, Burcin. 80 Idid.

81 ADI, 16B 401, information du 30/10/1773, Saint Geoire. 82 ADI, 16B 405, information du 3/09/1783, Saint Geoire . 83 ADI, 16B 398, information du 10/01/1767, Grenoble. 84 ADI, 16B 390, information du 27/04/1753, Chirens.

auberge au côté de sa femme, Marguerite Bourde85. A Saint Geoire, la veuve Agathe

Bayoux tient son cabaret dans sa maison dans le grand chemin. La situation semble similaire partout et les informations rendent compte de ces cabarets « dans la grande rue » ou « dans le grand chemin » des différents villages ou hameaux. L’étude du cadastre pourrait être opportune pour appréhender la propriété et ainsi la situation des cabarets. Cependant, notre axe de recherche nous a cantonné cette année aux archives judicaires.

La pression de la demande ne fléchissant pas en dépit du nombre de tenanciers, les cabarets fleurissaient également dans les coins plus reculés : les hameaux peu habités.

C) Des cabarets semés aux quatre coins du village

L’urbanisation du Comté de Clermont s’est faite de manière plus extensive qu’intensive, ainsi, de nombreux hameaux parsèment la seigneurie. La carte86 semble ici

révélatrice, et illustre cette répartition des cabarets même dans les lieux moins passants, où la population est moins nombreuse. La première citation de la partie démontre cette présence des cabarets y compris dans les hameaux : le Fagot, la Guilletiere, Clermont sont autant de petits lieux dits, qui disposent malgré tout de leurs débits de boisson. Ces localités de second rang concentrent 38% des auberges référencées87.

Ceci s’explique par la pression de la demande. Lieu du repos public, le cabaret accueille les hommes après leur journée de travail, dans un contexte où se retrouver en famille ne revêt pas la même importance qu’aujourd’hui. Les groupes se retrouvent entre pairs : les femmes aux veillées avec les enfants, les hommes au cabaret. Même dans les petits hameaux, ce lieu est recherché pour accueillir ce temps de répit partagé.

La seconde explication réside dans le caractère domestique du cabaret : tenu au domicile du tenancier, l’investissement de départ est minimal, il peut ainsi ouvrir sa porte là où la clientèle ne semble pas présager d’une rentabilité suffisante.