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aussi contrôlée par la force, comme nous l'apprend Le Hérissé (p 284):

A S OCIÉTÉS , POUVOIRS PRÉCOLONIAUX ET A GRICULTURE

1 - Les plantations et les domaines de culture alloués

a) Le royaume de Ouidah avant 1727

Les premières informations dont nous disposons sur la Côte des Esclaves concernent la description du royaume côtier de Ouidah avant sa conquête en 1727 par le roi d'Abomey. Le premier auteur à décrire l'organisation de la société est Villault de Bellefond (1669). Son texte apporte également des renseignements sur l'organisation territoriale et le mode d'exploitation des terres :

Quand le mois d'avril approche, ils vont trouver celui qui recevoit les deniers du Roy pour avoir la permission d'aller semer (car les champs appartiennent au roy). La permission obtenue, ils vont de costé et d'autre arracher les petits buissons qui croissent dans les terres qu'ils labourent ensuite avec des besches, (...) les laissent reposer un jour ou deux au bout desquels ils sèment premièrement le ris, mil ou mays du roy ou du gouverneur et ensuite le leur. (p. 382 )

La société apparaît fortement hiérarchisée : au sommet le roi qui détient les terres, puis des gouverneurs que l'on peut assimiler aux chefs de village, et le peuple. Les gouverneurs sont chargés des relations entre le roi et la population. Toutes les terres appartiennent au roi, mais elles se répartissent néanmoins en deux catégories : le domaine royal proprement dit, exploité par les sujets sous forme de corvées, et les terres confiées par le roi à ses sujets dont ils n'ont que l'usufruit. Les cultivateurs ne peuvent commencer à travailler les terres sans l'autorisation du roi; lorsqu'ils ont fini de préparer les terres qui sont sous le contrôle direct du roi mais dont ils ont la charge, ils vont travailler sur les leurs. En contrepartie de l'usage de la terre, ils travaillent gratuitement pour le roi et les hauts dignitaires. Le produit de leur récolte est probablement soumis à un prélèvement car le texte mentionne l'existence d'un percepteur des deniers du roi qui, de plus, autorise les cultivateurs à travailler les terres2.

1 Bourgoignie (1972), Herskovits (1967), Igué (1970), Mondjannagni (1977), Pélissier (1963).

2 Compte tenu des enquêtes orales effectuées sur le plateau d'Abomey, on peut supposer que le rôle de ce

percepteur se limitait à recevoir les contributions "volontaires" des cultivateurs. Voir chapitre sur les fêtes religieuses. On peut également voir dans cette fonction le rôle joué par le TOkpO à la cour d'Abomey (voir plus loin dans ce chapitre).

Un auteur anonyme1 (1708, p. 78) complète cette première approche des

institutions : Le roy a ses terres particulières dans chaque lieu qui sont distribuées

entre les gouverneurs et capitaines du royaume pour les travailler et semer (mars-

avril)(...) Le roy est toujours le premier pour qui l'on travaille et le dernier pour qui l'on

recueille, c'est à dire quand il a fait nombre de sacrifices pour se rendre les dieux propices, il fait tirer la veille un coup de canon qui avertit tout son royaume par le cri de vilage en vilage. Le lendemain chaque gouverneur et capitaine vient à la teste de son monde qui pioche les terres du roy et les met en scillons. Ce travail ainsi que tout ce que font les nègres jusqu'à leur marche est au son des instruments (...) et ne dure qu'un jour ou deux, après lesquels les terres du roy estant faites ils vont chacun travailler aux leurs et les fument pour les travailler aux premières pluyes encore une fois et les sèment. Ce sont encore les gouverneurs et capitaines qui viennent prendre du mil chez le roy pour mettre en terre et en huit jours au plus leur travail est finy. Trois mois après ils recueillent comme ils ont semé avec cette différence qu'ils serrent leur mil devant celuy du roy.

La gestion collective de la terre et de ses produits apparaît ici plus précisément; les décisions du pouvoir politique centralisé semblent s'appuyer sur des motifs religieux : ce n'est qu'après s'être rendus les dieux favorables que les hommes peuvent commencer à travailler. Le roi ayant organisé les sacrifices, il est logique de commencer à travailler pour lui. Tout le royaume suit le même calendrier.

Le roi semble conserver les semences dans ses greniers où les cultivateurs viennent les retirer pour les semer. Il n'est pas précisé si ces grains sont destinés à être plantés pour le roi qui apparaît plutôt comme le gardien des ressources dont dépend toute la communauté. Bien qu'il ne soit pas question ici du royaume d'Abomey, une information orale recueillie à Gnijazun fait également mention de ce rôle joué par la maison royale d'Abomey où le roi assurait la protection des réserves. En effet, Nyijazunon Mankabanon (05/07/91) m'a expliqué qu'après les récoltes une part est

déposée chez les Dada (rois), une part est réservée à la consommation. Ainsi la récolte est protégée des feux de brousse. A la prochaine saison de culture, on va les retirer chez les Dada pour les semer. Une contrepartie est laissée au Dada. Les greniers du roi

jouaient peut-être le même rôle à Ouidah.

Le Chevalier des Marchais (1724, p. 129) nous apprend que si un habitant laboure et sème ses terres avant celles du roi, il risque d'être fait esclave et ses terres remises au domaine du roi, ce qui confirme la répartition des terres ébauchée par Villault de Bellefond. Si l'on en croit l'auteur anonyme et le Chevalier des Marchais, les corvées requéraient tout le monde, y compris les Grands chargés d'organiser le travail. Ces derniers venaient chercher les grains à semer chez le roi; les corvées duraient peu de temps, seulement quelques jours à chaque saison agricole, ce qui s'explique par l'organisation collective du travail. Des Marchais dit également que le roi assurait la protection des champs, surtout face à la divagation des cochons :

Dans le temps que les mils sont étends hors de la terre d'un pied le roy déclare la guerre aux cochons affin qu'ils ne gastent point les mils et que dans les champs ils n'écrasent point les serpents. alors les gens du roy vont en troupe et tuent tous les cochons qu'ils trouvent dans les rues ou dans les champs puis les vendent à leur proffit, on épargne les personnes à qui ils appartiennent...

A la veille de la conquête des Aboméens (en 1727), le royaume de Ouidah montre une organisation collective de l'exploitation des terres sous la domination et le contrôle du roi, lui-même soumis aux puissances surnaturelles qu'il tente de se concilier.

b) Le royaume d'Abomey

Les caractéristiques de cette organisation se retrouvent dans le royaume d'Abomey, tant sur le plan de la société que sur le plan de l'espace. A Abomey comme à Ouidah, le roi était le propriétaire des terres1. Le texte d'Ellis (1890) décrit en détail le

mode de propriété en usage sur la Côte des Esclaves.

The land of the kingdom as a whole is the property of the king, who allows his subjects to cultivate or otherwise use portions for themselves. The king, in short, yields only the usufruct of the land; but the right to oust the man in occupation is, like the right to plunder, only rarely exercised. Waste land which has not been granted to any one by the king may be cultivated by any one; but a man who takes advantage of this privilege runs the risk of having the land, which he has made fruitful by his labour, granted by the king to some other person, without his having the right even to take for himself the standing crop.

By native law and custom there is no private property in land, but a family in occupation of land cannot be disturbed; and land so occupied only practically reverts to the community when it is abandoned or thrown out of cultivation. when once land has been alloted to a family, the usufruct belongs to that family for as long as it chooses to cultivate it; but the land cannot be sold by the occupiers or assigned to any third party.

(Ellis, p. 217)

Les terres étaient également réparties en différentes catégories : les plantations du domaine royal, les grands domaines attribués à de hauts dignitaires et au XIX° siècle à de grands négociants2, et enfin toutes les autres terres sur lesquelles s'installaient les

hommes libres, soit sur ordre du roi, en récompense de services rendus, ou pour d'autres motifs, religieux, économiques ou bien historiques, soit de leur propre initiative suite à un déplacement ou une migration.

Mais comme l'écrit fort justement Ellis (1890, p. 217), Members of a tribe who

migrate and occupy a tract of uninhabited land not claimed by any tribe, do not become an independant community...

Le roi reste le maître et peut récupérer et attribuer à d'autres l'usage des terres. L'autorité royale ne se manifestait que si les exploitants essayaient de profiter de la situation.

Les traditions de fondation de village font souvent référence à des chasseurs qui décident de s'installer pour diverses raisons d'ordre social ou historique en un nouveau lieu. Le fondateur d'un nouveau village, considéré comme le premier occupant, attribuait des terres aux arrivants suivants3, mais tous reconnaissaient au roi la propriété

du sol. Les produits de la terre leur revenaient et ils en offraient une partie au roi,

1 Béraud (1866, p. 376). Le roi est seul propriétaire du sol. Des informations orales recueillies à lissèzun

et Gnijazun confirment ce statut.

2 L'attribution de domaines à des négociants par le roi sera abordée dans le chapitre C de la troisième

partie.

chaque année après la grande récolte de juillet afin de participer aux cérémonies en l'honneur des ancêtres royaux.

Les plantations du domaine royal ainsi que celles des hauts dignitaires se trouvaient réparties dans tout le royaume mais principalement sur le plateau d'Abomey. La plus connue d'entre elles est située à une vingtaine de kilomètres de la capitale, à Djidja1. Norris (1790, p. 99) est le premier auteur à mentionner les plantations royales.

Albéca (1895, p. 122) indique également que la famille royale (...) avait des propriétés

particulières dans le royaume d'Alada et sur le territoire de Ouidah. Ainsi le domaine

royal sous le contrôle et la gestion directe du roi était réparti dans l'ensemble du territoire dominé par Abomey, comme dans le royaume de Ouidah avant sa conquête.

Au XIX° siècle, Forbes (1851, p. 175) nous informe que des marchands ont de grands domaines situés en divers endroits du territoire dahoméen; il cite le cas du marchand Nar-whey, son interprète, qui a un grand domaine à Ouidah, un autre à Tori, à Whybagon, à Agrime, à Cana et à Abomey.

La répartition des domaines sur l'ensemble du territoire dahoméen permettait à la fois de contrôler politiquement l'espace et d'assurer une certaine diversité des productions agricoles.

2 - Les exploitants

a) Agriculteurs : libres et esclaves

L'administrateur colonial Le Hérissé distingue au début de ce siècle plusieurs catégories d'exploitants agricoles : les cultivateurs libres ou glesi, les esclaves

kannumon et les oumêsi, représentant un statut intermédiaire entre cultivateurs libres et

esclaves. Il n'est pas le premier auteur à citer les deux premières catégories, mais il est le seul à établir un tableau synthétique de la société et à évoquer la situation des oumêsi.

1° Les esclaves

Laffite (1874, p. 146) nous apprend qu'au Dahomé, le nombre des esclaves est

considérable; (...) Cette population servile va toujours se multipliant; tout enfant né de parents esclaves est esclave à son tour, et ainsi jusqu'à la fin. Et comme il est défendu de vendre ces esclaves, ils restent attachés au sol et y forment un peuple qui vit, il est vrai à côté de l'autre, mais qui cependant a sa part des joies et des plaisirs de ses maîtres. (...) Le plus souvent commis à la culture de la terre, ils habitent au milieu des champs et y jouissent d'une certaine indépendance...

Après lui, Albéca (1895, p. 121) écrit : les travaux agricoles sont effectués par

les esclaves de case qui font partie de la famille presque au même titre que les enfants, toujours en grand nombre. La récolte est mise en réserve dans les granges et

consommée par tous au même degré selon les besoins.

L'origine de ces esclaves nous est expliquée par Le Hérissé (1911, p. 52) qui mentionne trois catégories d'esclaves, capturés au cours des expéditions militaires dahoméennes. Une partie de ces captifs était vendue aux Européens, une autre était offerte en sacrifice aux ancêtres royaux au cours des cérémonies annuelles, la dernière enfin était placée sur les terres de culture afin de les exploiter :

1 Nous reviendrons sur l'exemple de Djija lorsque nous aborderons le sujet des dignitaires et responsables

Nous arrivons au plus important des revenus royaux : le produit du travail et de la vente des esclaves. (...) Le roi avait seul droit aux captifs de guerre et ceux ci étaient destinés les uns à la traite, les autres à la culture.

(...) Parqués par milliers autour du plateau d'Abomey ils défrichaient les forêts, qu'ils remplaçaient par des palmiers et surtout des cultures vivrières. Ils nourrissaient ainsi la population des palais et les guerriers permanents, c'est à dire plus de vingt mille personnes. A Savi, à Ouidah, d'autres captifs étaient groupés sous la direction de gérants, les "ahisinon", dans des réserves domaniales; ils fabriquaient surtout des huiles de palmes, que leurs surveillants troquaient dans les factoreries.1 (p. 90)

Les terres du domaine royal et celles des dignitaires étaient donc exploitées par des esclaves, les kannumon. A Lissèzun, Vigan Sémèvo m'a expliqué que les esclaves

étaient placés à Jija, Aguna, Kpanhuya, Kufokpa, Savalu, Mahi... seuls les esclaves suivent les instructions du palais concernant les cultures, les surfaces à cultiver.

(15/01/1993)

Ces esclaves avaient généralement été faits prisonniers au cours des guerres contre le pays Mahi au Nord et le pays Yoruba à l'Est. Les prisonniers étaient réduits en esclavage, certains étaient sacrifiés au cours des cérémonies religieuses dédiées aux ancêtres, d'autres étaient vendus aux Européens, et une dernière catégorie, la majorité selon Herskovits (1967, p. 99), était placée sur les domaines royaux afin d'en cultiver les terres ou bien était confiée à des dignitaires dont ils exploitaient également les domaines attribués par le roi. Les simples cultivateurs, également placés par le roi, pouvaient également bénéficier d'une main d'oeuvre servile, comme on me l'a expliqué à Za-Johitin (juillet 1991) et à Djija (janvier 1993).

2° Les Oumêsi

Cependant, les terres n'étaient pas cultivées que par les seuls esclaves, il existait d'autres catégories sociales chargées de l'exploitation agricole. Il s'agit notamment des

Oumêsi pour lesquels Le Hérissé (1911) nous donne des informations détaillées qui

constituent le seul témoignage dont nous disposons :

A côté de l'esclavage il faut mentionner les Oumêsi et les Glesi qui formaient comme un échelon intermédiaire entre les esclaves et les simples dahoméens. Les Oumêsi, le mot le dit, étaient sous la dépendance de la justice, généralement à la suite d'une faute commise par l'un des leurs et qui avait entrainé le dispersement de la famille avec confiscation de ses biens...(p. 56 )

Les membres de la famille royale eux-mêmes pouvaient devenir Oumêsi en cas de crime de lèse majesté et être envoyés sur des plantations pour y travailler. Herskovits (1967) ne mentionne pas cette "catégorie sociale", et je n'ai obtenu aucune information à leur propos au cours de mes enquêtes.

3° Les cultivateurs libres : les glesi.

Le Hérissé mentionne encore la catégorie des glesi, que Herskovits (1967, p. 101), à la suite de cet auteur, situe entre les esclaves et les libres : nés de parents esclaves, ils ne peuvent être vendus étant nés sur le sol dahoméen; ils sont attachés à leur charge qui est de cultiver la terre pour leur maître :

1 Ce dernier paragraphe montre l'importance de la production de l'huile de palme. Les sources orales

On appelait glesi un individu désigné par ordre du roi pour cultiver au profit d'un chef ou d'un notable. Presque tous les glesi descendaient d'esclaves du roi mariés entre eux, mais leur naissance sur le territoire dahoméen les empêchaient d'être esclave à leur tour1. Ils gardaient pour eux une partie des fruits de leur travail. Ils pouvaient

acquérir, posséder et se marier sous n'importe quel régime. Une seule chose leur était interdite : se soustraire à l'obligation de cultiver pour autrui. Cette restriction à leur liberté est d'ailleurs le trait caractéristique de l'institution des glési. Elle est définie complétement par le suffixe si, qui exprime une idée de dépendance absolue, de consécration. Les glesi étaient voués à la culture (glé), comme les vodounsi étaient voués au fétiche. Les grands cabécères, les chefs de villages, les mères des rois ne les possédaient pas; les glési dépendaient de la charge elle-même, de sorte qu'un changement de titulaire de celle-ci n'amenait aucune modification de leur situation. (Le

Hérissé, p. 56)

Aujourd'hui, le terme de glesi désigne l'ensemble des cultivateurs. Retenons que ces observations se situent à un moment proche du fonctionnement des institutions précoloniales. Sur le plan linguistique, ses remarques sont judicieuses, le suffixe -si signifiant "épouse de" marque bien une dépendance, mais dans ce cas vis à vis de la terre elle-même et non par rapport à une autorité politique ou un individu. Des enquêtes complémentaires seront nécessaires pour clarifier le statut et les origines sociales de ces

glesi. En effet, les anato, c'est à dire les hommes libres n'appartenant pas au lignage

royal, se disent aujourd'hui glesi quand ils sont cultivateurs. A côté de ces dépendants, existait donc une dernière catégorie d'exploitants, libres, les anato, qui étaient sujets dahoméen, cultivant les terres pour leur propre compte, apportant leur contribution aux cérémonies religieuses organisées à la cour royale en l'honneur des ancêtres. Selon les informations que j'ai pu recueillir, les anato se divisaient en cultivateurs, artisans, chasseurs. Cependant ce tableau, qui correspond à la troisième classe socio-économique de Herskovits (1967), doit être nuancé, les artisans cultivant leurs terres, et une même famille réunissant chasseurs et cultivateurs (La position de Herskovits n'est pas très claire la dessus : il parle de la spécialisation du groupe des chasseurs dans le chapitre sur la distribution sans les classer pour autant dans la troisième classe des hommes libres divisée en catégories socio-professionnelles). L'analyse de ces informations me conduit à supposer que les glesi, contrairement à ce que pensait Le Hérissé, n'avaient pas d'origine servile, mais dépendaient avant tout de la terre et de son exploitation dont ils étaient redevables au roi. Les cultivateurs "glesi" étaient des anato et ne faisaient pas partie du lignage royal.

Les cultivateurs pouvaient aussi être des chasseurs, et ceux-ci, comme nous l'avons vu, jouaient un rôle fondamental au cours des migrations des populations et des fondations de villages, ce qui est clairement mis en valeur par les traditions orales. Dans le royaume du Dahomey, certains chasseurs furent appelés à devenir les pourvoyeurs du palais en gibier.

Le Hérissé nous apprend à leur propos que dans les contrées giboyeuses des

hommes étaient spécialement chargés d'approvisionner en venaison les gens du palais et de chasser l'éléphant dont les défenses étaient vendues au profit du roi.

C'est probablement d'après cette information que Herskovits (1967, p. 40) a